Après le décès de son épouse Rosa, Mankiewicz a eu à subir également la faillite totale de son "bébé", Figaro productions. Après
une courte thérapie, il a été de nouveau disponible pour des commandes. La première de ses réalisations après ces années noires est donc une adaptation d'une pièce partiellement autobiographique
de Tennessee Williams, produite par Sam Spiegel pour Columbia, reposant largement sur des capitaux Britanniques, et tournée à cet effet en Europe. Le film a été pour Mankiewicz l'occasion de
travailler avec trois stars, et sans aucune surprise a donné lieu à des tensions sur le plateau, et par dessus la marché des réactions assez amères face à un sujet très noir, Tennessee Williams
oblige... L'argument de la pièce tourne autour d'une révélation: La richissime Violet Venable veut réduire physiquement au silence sa nièce Catherine Holly, qui a assisté à la mort de son fils
adoré, Sebastian Venable... Celui-ci, en effet, est mort tué et presque mangé par des enfants et adolescents pauvres de la petite cité balnéaire Espagnole ou il était en vacances; la
plupart des jeunes gens qui l'ont tué étaient aussi ses anciens flirts, des garçons dont il avait demandé les faveurs, attirés qu'ils étaient par la beauté de Catherine... La mère qui vit dans le culte morbide de la chasteté de son fils veut que la vérité ne soit pas
révélée, et demande donc à ce que catherine, par ailleurs encore choquée par l'accident, soit lobotomisée... l'adaptation de la pièce a été confiée à Gore Vidal; Mankiewicz n'a reçu aucun crédit,
mais on retrouve son style ça et là; c'est pourtant Williams lui-même qui est crédité au poste de co-scénariste, bien qu'il se soit défendu d'y avoir jamais participé...
Le film met l'accent sur le personnage du docteur John Cukrowicz (Montgomery Clift), le praticien auquel Violet (Katherine
Hepburn) veut confier l'opération. Le rôle de Catherine a été confié à Elizabeth Taylor. Contrairement à la pièce qui faisait de la serre tropicale de Violet Venable le seul décor, le film
s'attache à nous montrer les deux hôpitaux qui accueillent la jeune femme, les bureaux des médecins concernés, et d'autres pièces extravagantes de la riche demeure de la vieille dame; néanmoins des moments cruciaux ont lieu dans cette serre (L'exposition par Violet, et
la grande scène de la révélation par Catherine), ou sont cultivées des plantes carnivores... Une autre pièce ajoutée par le film permet de mettre à jour une petite manipulation langagière de
Williams, qui n'a pas choisi le prénom de Sebastian par hasard: dans une de ses chambres, Sebastian conservait entre autres images souvent homoérotiques une représentation du
martyre de Saint Sébastian, littéralement massacré. Le film est une exploration de la vérité par le biais des souvenirs qui se font jour ou qui sont bloqués dans l'esprit de catherine, et à ce
titre, est franchement prenant. le fait qu'il s'agisse d'homosexualité, ou pour reprendre le mot de l'époque, de pédérastie (les garçons dont il est question sont très jeunes) est clair,
sans que les mots qui fâchent ne soient jamais prononcés.
Quête de la vérité cachée, retour sur des évènements traumatiques, confrontation d'avis divergents et antagonistes, on sait
Mankiewicz parfaitement à l'aise dans ces domaines, et on constate qu'ici il n'a recours au flash-back qu'après avoir exposé toutes les énigmes et les interrofations auxquelles le souvenir de
Catherine devra répondre... ce flash-back, traité en surimpression, laisse un sentiment de malaise, grâce à son noir et blanc et ses images baignées d'une lumière écrasante. Plus encore, le
visage de Liz Taylor, dont le traumatisme profond du personnage est tangible, les rend inoubliables. De toute évidence,le metteur en scène a apprécié de travailler avec la jeune femme, qui le lui
a bien rendu; mais on le sait, le rapport avec Hepburn a été plus que tendu (En dépit de circonstances favorables, Mankiewicz étant depuis toujours un copain de Spencer Tracy), d'une part parce
qu'il est évident que le metteur en scène a joué sur le contraste entre la beauté de Taylor, et l'age visible de Hepburn, mais aussi parce que l'actrice a peu apprécié le traitement
réservé par Mankiewicz à un Monty Clift fatigué, dépendant et en bout de course. certes, il semble ne pas y avoir été avec le dos de la cuiller, demandant en particulier quotidiennement son
remplacement, mais l'acteur n'est plus que l'ombre de lui même, tremblant, hagard, physiquement une épave dans certaines scènes...
Le film est un passage intéressant, une étape très adulte et assez maitrisée entre deux films plus problématiques, mais qui révèlent un Mankiewicz qui a du atténuer le choc de son film en proposant une étrange sorte de happy ending à cete histoire de pédophilie, d'homosexualité, de folie, de cannibalisme, le tout teinté d'inceste (la maman n'est pas seulement assimilée à ce très castrateur végétal qu'est la plante carnivore du début, elle se proclame fièrement aussi la seule femme qui ait compté dans la vie de son fils)... Quoi qu'il en soit, avec ses défauts ce film noir comme le charbon reste une étape importante parmi les coups de boutoir à la censure dans l'histoire du cinéma... Et la rencontre entre Mankiewicz et Liz Taylor reste une source d'autres étapes importantes, et d'aventures incroyables, sur lesquelles nous reviendrons très prochainement!!!