La "tempête", c'est la révolution Russe... Tempest est un film d'aventures romanesque dans lequel on assiste aux changements de la Russie entre 1914 et 1917; un genre à part entière en somme, en même temps qu'un moyen de ne pas vraiment prendre parti dans le Hollywood de 1928... Le film, un véhicule pour John Barrymore et l'un de ses meilleurs films, a semble-t-il une histoire encore plus tumultueuse que son intrigue. Si le film porte la signature de Sam Taylor, l'ancien collaborateur de Harold Lloyd, deux autres metteurs en scène ont participé à la confection, et c'est tout un symbole, puisque aussi bien Victor Tourjansky, un émigré qui avait tourné en France (Michel Strogoff, 1926, avec Ivan Mosjoukine!) que Lewis Milestone (Un protégé de Howard Hughes) étaient Russes... Pourtant aucun des deux ne restera sur le film... Joseph Schenck, qui à la United Artists tentait semble-t-il de diversifier sa production avant de lâcher son poulain Buster Keaton à la MGM, avait mis les petits plats dans les grands pour ce film, dont le scénario avait là aussi traversé plusieurs états. On sait que parmi les scénaristes qui se sont succédés, il y avait un certain Erich Von Stroheim... Il y aurait travaillé à la demande de Schenck suite à sa mise à l'écart du montage de The wedding march, et le script aurait du être une collaboration entre Stroheim et Milestone, destinée à être mise en scène par ce dernier; donc, dès le départ le film est un projet de Schenck, dans le cadre du contrat de trois films avec John Barrymore. Le fait est que dans la version finale du film, on retrouve quelques touches de l'oeuvre de Stroheim, mais diluées, et le résultat est un film d'aventures, sans prétentions, qui se joue des conventions avec insouciance... Pas de leçon d'histoire, donc.
Russie, avant la guerre; le sergent Ivan Markov (Barrymore) travaille d'arrache-pied pour obtenir un grade d'officier, ce qui n'est pas acquis, puisqu'il est d'extraction paysanne; lorsqu'il l'obtient grâce à un général bienveillant (George Fawcett), les autres officiers parmi lesquels un capitaine (Ulrich Haupt) qui le méprise ouvertement, lui font sentir qu'ils ne l'accepteront jamais comme un égal. Fin saoul, Markov se retrouve par erreur dans la chambre de la princesse Tamara (Camilla Horn), fille du général, dont il est amoureux. Elle donne l'alerte, il est arrêté, dégradé, et finalement mis en prison. Pendant ce temps, la guerre intervient, puis la révolution. Un personnage que Ivan a souvent croisé, un agitateur (Boris de Fast) socialiste, le fait libérer pour faire de lui un leader du peuple... De son côté, Tamara qui a toujours aimé Ivan 'depuis la première minute' tente de survivre à la "tempête"...
Idéologiquement, le film se situe dans un no man's land parfaitement inoffensif: les officiers Tsaristes, et avec eux Tamara, élevée dans le principe d'une aristocratie souveraine, pratiquent un ostracisme de classe particulièrement virulent; seul le général semble avoir été épargné dans ces circonstances, qui tente d'intégrer un paysan dans son état-major. Mais les révolutionnaires, menés par un agitateur et manipulateur qui ressemble encore plus à Raspoutine qu'à Lénine ou Trostki, sont bien sur sales,vulgaires et prompts à massacrer tout ce qui bouge. La seule solution dans ces circonstances est bien sur la fuite pour Ivan (une fois qu'il se sera sorti du sac de noeuds de péripéties dans lesquelles il se trouve, cela va sans dire...). On est loin d'un film comme The last command (Dont le propos n'était pas non plus politique, mais dont la thématique était bien plus complexe, en effet), ici, et c'est le romanesque qui prévaut. Mais le film est un splendide effort esthétique, du à un afflux de techniciens, parmi lesquels William Cameron Menzies et Charles Rosher (Les prises de vues en prison sont superbes, notamment); l'apport des deux réalisateurs Russes a pu jouer un rôle important, la première séquence étant un brillant travelling qui pourrait sans trop de problème être une idée de Milestone... Mais le film final est enlevé, probablement un brin gratuit aussi, sans qu'on songe à s'en plaindre. Barrymore est égal à lui-même, Camilla Horn joue la noblesse pincée avec une certaine conviction sans risquer sa peau à chaque plan comme c'était le cas durant le tournage de Faust, et on a la chance de voir aussi le grand Louis Wolheim (un complice de Milestone) dans le rôle du copain d'Ivan, qui lâche tout pour le suivre...
L'apport principal de Stroheim dans ce film, c'est son sens du détail, la façon dont l'action progresse à travers des objets symboliques de passage: médailles, tampons qui signifient un arrêt de mort, ou épaulettes de grade. L'importance accordée dans le film à ce genre de broutilles trahit une implication du metteur en scène qui a toujours aimé faire jouer les différences sociales en utilisant le détail des bijoux, vêtements, et signes d'appartenance aussi bien sociale qu'à l'armée. Le film ne manque donc pas de ces éléments. Mais si on voit ici le même mouvement que dans The merry-go-round, c'est-à-dire d'une société de classes antagonistes vers une société bouleversée par la guerre et la destruction, ces conflits de classe annihilés par la noblesse de coeur (Notamment bien sur celle d'Ivan ou de Bulba, le brave compagnon interprété par Wolheim) sont surtout un élément décoratif, une convention de mélodrame.
...Cela ne doit pas pour autant nous gâcher le plaisir, non?