Le dernier
film de Michael Curtiz est donc un Western, dominé par un John Wayne en forme ! C’est si je ne dis pas de bêtise le septième western d’un auteur touche-à-tout, qui a su trouver dans les
paysages du sud Texan (et les contreforts magnifiques de Monument Valley) un décor lyrique à souhait. Chez lui, le western a toujours été plus le théâtre des passions (Santa Fe trail,
Virginia City, Bright Leaf, Proud Rebel...) que le conte de civilisation... En coulisses, un étrange ballet a eu lieu. John Wayne, qui n’allait pas
tarder à se laisser rattraper par le cancer, a remplacé au pied levé un Curtiz qui souffrait de plus en plus, et qui allait décéder à la fin du tournage. Cet échange venait en plus d’une longue
période de préparation qui avait vu le film et les rôles principaux passer de main en main. Ni Wayne ni Curtiz n’étaient présents sur le projet à la base, ils vont toutefois marquer le film tous
les deux…
1843, Galveston Bay, Texas. Le Texas Ranger Jake Cutter (Wayne) arrête un homme, Paul Regret (Stuart Whitman) : il a tué un homme, le fils d’un notable, au cours d’un duel en Louisiane. Cutter tente de ramener le jeune homme, avec lequel il sympathise, mais il s’évade. Quelque temps après, alors que Cutter tente d’infiltrer une bande de Comancheros, des bandits ayant fait alliance avec les Comanches, il tombe de nouveau sur son prisonnier. Il va désormais s’allier avec lui afin de mener à bien sa mission…
Bien sur, John Wayne tire la couverture à lui. Texan jusqu’au bout des ongles, il est présenté comme un homme déjà acquis à la cause de l’union (Le Texas n’en fait pas encore partie à cette époque, et est une république indépendante); il est patriote, le dit, et a à cœur de respecter et faire respecter la loi avec droiture, quitte à faire de petits arrangements le cas échéant, mais tout cela reste bon enfant. Wayne est déjà en train de peaufiner ses futurs rôles de patriarche bourru, même si une idylle enfouie semble surgir à la faveur d’une pause, ce que ne manque pas de relever Regret. Le film anticipe donc sur les productions de McLaglen…
…mais il reste un film de Curtiz, même si celui-ci a sans doute eu des difficultés bien compréhensibles sur ce tournage. Si le Texas romantique est bien celui de Wayne, si le décor magnifique renvoie à Ford (Bien que Monument Valley soit vu souvent d’un autre angle, des collines environnantes notamment, avec de la pelouse !!), et si une scène d’approche renvoie encore plus directement à The searchers, Curtiz a fait du parcours de Paul Regret l’itinéraire d’un dandy, un gentleman, qui a tué un homme, parce qu’il était provoqué en duel, mais avoue qu’il a mal visé! Un gentleman Sudiste, pris malgré lui dans une lutte qui ne le concerne pas, et qui le moment venu fera les bons choix, c’est bien du Curtiz. Du reste, avec un Texas ranger qui accepte de le laisser filer à la fin, la cavale de Regret n’est pas finie, loin de là… Le choix d'ouvrir en Louisiane donne d'ailleurs un relief qu'il n'aurait pas eu à regret si le film avait commencé à Galveston Bay, et une fois de plus renvoie au propre exil de Curtiz, qui a marqué tout son cinéma. On remarquera aussi la présence de Guinn Williams, qui a joué dans plusieurs de ses westerns, ainsi que chez Borzage et Ford à la fin du muet.
Bien qu’il soit violent, et qu’on touche avec les "Comancheros" à des tortures graphiques (ils adorent laisser rôtir leurs prisonniers au soleil…), le film est totalement distrayant, plein de péripéties. Wayne doit se déguiser, mais oui, et l’épisode avec Lee Marvin en matamore brutal et alcoolique est un mélange de suspense et de picaresque qui bénéficie d’une mise en scène brillante: à une table de poker, magnifiquement éclairée, Cutter va de nouveau rencontrer son prisonnier évadé. A coté, les scènes d’action pêchent un peu par leur mollesse et le fait qu’on en voit un peu trop les coutures, sans parler de ses gens qui tombent de cheval de façon un peu trop chorégraphiée. Même s’il faut être indulgent avec le capitaine du navire, on se dit quand même qu’on est clairement à la fin d’une carrière. Ces scènes sont l’œuvre de metteurs en scène de seconde équipe, pas de Curtiz ni de Wayne. Un autre problème est que le film est marqué par les anachronismes: Les armes utilisées n'existaient pas en 1843, et les costumes du western traditionnel renvoient plutôt à 1885. La première scène située en Louisiane détonne, tout comme Wayne fait tâche dans le bateau à aubes... Mais une fois qu'on est dans l'Ouest, on se laisse aller, tant pis pour les dates...
Néanmoins, le film a l’étoffe d’un petit classique, ce qui n’est pas rien, compte tenu de la fin de carrière souvent problématique de l’immortel auteur de Casablanca… il peut donc rejoindre le cercle fermé des autres réussites de Curtiz dernière manière, auprès de King Creole: un autre film Fox! Wayne a refusé d'être crédité au générique pour sa contribution, afin de rendre hommage au grand réalisateur, un geste fort, qui scelle la réussite d'un film qui ne bouleverse rien, mais qui est un plaisir qui n'a rien de coupable.