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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 08:32

Prenant une fois de plus le contre-pied de son film précédent, Chaplin utilise une structure beaucoup plus complexe, des décors variés, une importante distribution et une figuration conséquente. Si on compare avec les autres films Mutual, on constate qu'il y a un lieu emblématique ici, avec son salon bourgeois doté d'un parquet ciré pour la danse, auquel Chaplin et son complice Eric Campbell vont faire honneur. Pourtant, les cinq premières minutes sont un peu en trompe l'oeil: l'histoire à beau commencer chez un tailleur ou Chaplin est assistant, il ne s'appelle pas The tailor pour autant... Chaplin s'occupe d'une cliente pendant que dans l'arrière-boutique, Eric Campbell, affublé de sa plus belle fausse barbe, repasse. Mais on apprend très vite que Chaplin n'est que l'employé, et Campbell le vrai tailleur, à plus forte raison lorsque celui-ci licencie son subalterne. Une fois seul, Campbell fouille les poches d'un costume, et trouve une lettre: adressé à Mrs Moneybags, un message du comte Broko pour lui dire qu'il ne pourra se rendre à une fête ou il devait rencontrer la fille de la millionnaire. C'est une deuxième indication du rang social dans une comédie qui en comporte beaucoup: Moneybags, bien sur, ce sont des "sacs d'argent", et Broko, ça vient de broke, c'est à dire fauché...

Les coïncidences, ça peut parfois aider: on retrouve Chaplin qui s'apprête à entrer dans une maison, par la porte de service: c'est celle de Mrs Moneybags, dont il fréquente la cuisinière; une fois de plus, Chaplin sépare la société en deux, et nous situe son personnage dans les coulisses. mais un quiproquo avec un autre flirt de la cuisinière force l'assistant tailleur à s'enfuir, par un monte-plats, et se retrouver.... dans la bonne société. Il tombe nez à nez avec Campbell, qui s'est invité en se faisant passer pour le comte Broko, et lui propose de participer à l'entourloupe en se faisant passer pour l'assistant. Chaplin inverse de lui-même le dispositif, et s'amuse comme un fou, en particulier avec Edna Purviance, qui joue Miss Moneybags...

Identité falsifiée, une fête gâchée par l'intrusion d'indésirables, et quiproquos nombreux sur les personnages, avec l'arrivée de l'inévitable Leo White en vrai comte (il a manifestement changé d'avis, c'est sans doute pour cela qu'il n'avait pas posté sa lettre...), sont les ingrédients aisément reconnaissables de ce film, et tous proviennent en droite ligne de la Keystone. Mais Chaplin, on l'a vu, les mêle avec bonheur à un commentaire social sur ce petit homme qui décide de lui-même de ne pas respecter les conventions, et va ensuite se comporter comme chez lui dans la bonne société ou son statut de comte lui confère un droit absolu de se comporter comme un butor...

Et comme si ces éléments n'étaient pas suffisants, le film est empreint d'une bonne dose d'humour physique, les gags portant beaucoup sur l'agressivité, mais d'un genre bien plus raffiné. certains plans montrent un degré de précision très important. On est sûr, pour avoir vu les chutes assemblées par Kevin Brownlow dans son Unknown Chaplin, que Chaplin à la Mutual travaillait énormément sur ses films, répétant prise après prise. Le film fini nous prouve que ce n'était pas en vain: The count est exactement à l'intersection entre le burlesque façon Chaplin, et la sophistication de ses longs métrages; il représente un grand millésime parmi ses films Mutual.

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet