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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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14 juillet 2016 4 14 /07 /juillet /2016 00:38

"Some people are born to sit by a river, some get struck by lightning, some have an ear for music, some are artists, some swim, some know buttons, some know Shakespeare, some are mothers, and some people dance."

L'étrange conclusion poétique de ce film met l'accent sur la place de chacun et le fait que certains parmi les êtres humains sont obsédés par l'idée de se faire une place, de se trouver. Le principal enjeu, pour eux, est de maîtriser le temps, d'arriver à leur objectif avant qu'il soit trop tard. Vivre serait donc se mettre en coulisses pour bondir sur l'opportunité au bon moment... de la fable de Fitzgerald qui sert de point de départ au film, Fincher et ses scénaristes ont retenu l'étrange présupposé: un jour, un homme naît vieux, et va rajeunir jusqu'à sa mort. Le reste est propre au film, déplacé à New Orleans, et articulé sur 80 ans, de 1917 à 2005, de la participation Américaine à la première guerre mondiale à l'ouragan Katrina...

L'ouragan menace New Orleans, quand dans un hôpital de la ville Daisy Fuller, une veuve atteinte d'un cancer, se prépare à mourir. A son chevet, sa fille Caroline découvre un journal attribué à un certain Benjamin Button: elle le lit à haute voix, et découvre la destinée étrange de celui qui était son vrai père, mais qu'elle n'a jamais connu. Né déjà difforme par la sénilité, il a été abandonné par son père affligé d'avoir perdu son épouse en couches et ne parvenant pas çà surmonter le choc de sa découverte de l'état du bébé. placé sur l'escalier d'une maison de retraite, il est recueilli par Queenie, une Afro-Américaine qui travaille à la maison de retraite, et élevé parmi les personnes âgées. il rencontre assez vite la petite Daisy, qui fait de cet étrange garçon son compagnon de jeux, puis les deux grandissent éloignés l'un de l'autre; Benjamin rencontre son père, devient marin, file le parfait amour avec Elizabeth, la femme d'une diplomate anglais à Mourmansk, participe à la seconde guerre mondiale, et de son côté Daisy devient danseuse, participe à la vie très libérée des coulisses du ballet, et a un accident qui l'éloignera d'une carrière prometteuse. Vers le milieu de leurs vies, parvenus à une certaine égalité dans leurs développements respectifs, ils tombent dans les bras l'un de l'autre et vivent un amour bref mais intense. A la naissance du bébé, Benjamin s'éloigne, comprennent qu'un moment viendra qui obligera Daisy à s'occuper de lui comme d'un enfant....

C'est un film très difficile à résumer, auquel le spectateur doit immédiatement adhérer, en faisant sienne une certaine forme de foi: à aucun moment une explication ne viendra polluer le film, qui ne dispose que d'un petit prétexte cosmique poétique et finalement assez satisfaisant: en 1918, un horloger aveugle qui a perdu son fils à la guerre a honoré la commande de la ville qui voulait une nouvelle horloge pour la gare, en donnant une horloge qui marche à l'envers; ainsi, pense-t-il, on laisse une chance au temps de revenir en arrière et à son fils de ressusciter. De fait, il va y avoir une conséquence inattendue en la naissance absurde d'un bébé vieux qui marche à l'envers. Mais soyons franc: il vaut mieux faire comme tous les protagonistes de ce film, et accepter: personne ne semble questionner la raison d'être de cet étrange vieillissement paradoxal. C'est donc un vieux garçon de 10 ans qui rencontre Daisy, c'est un vieillard de 16 qui se fait déniaiser sous le fier contrôle d'un capitaine Ecossais pittoresque, et c'est un vieil homme de 35 ans qui rencontre une quadragénaire désoeuvrée à Mourmansk, avec laquelle il a une aventure. Tout du long de ce film, David Fincher reconstitue avec une gourmandise et un savoir faire d'orfèvre le siècle qui passe, de New Orleans à Paris, en passant par New York. Il appuie sa recréation maniaque d'un clin d'oeil appuyé au cinéma, avec des images craquelées en 1918, et occasionnellement, un gag récurrent filmé à la façon des courts films d'Edison, en noir et blanc saccadé : un homme qui raconte à Benjamin à chaque fois qu'il le voit l'un de ses sept rencontres avec la foudre... Mais la reconstitution d'un monde sous toutes ses coutures n'est pas la première expérience de ce genre pour le réalisateur: Zodiac présentait déjà ce voyage hallucinant dans le temps, dont la rigueur de l'intrigue trouvait en la fidélité de la recréation de la ville et des circonstances de chaque scène un pendant parfait. De même, The Social Network le fait avec la dernière décennie, pour replacer dans son contexte l'histoire récente et la création de Facebook par Mark Zuckerberg.

C'est à partir de cette fascinante résurrection d'un monde disparu, ou en constante évolution, que l'on peut voir ce qui est le but du film, au-delà de cette poésie pure de l'image liée à cette invention géniale, l'idée d'un homme qui rajeunit en mourant. Il nous parle du temps, de son emprise sur tout ce que nous sommes, sur chacun d'entre nous. Il met l'accent sur la nécessité de trouver vite ce que nous sommes censés faire, mieux, de ne pas chercher, on le saura bien assez tôt. Et le film se permet en plus de donner à une histoire d'amour, par le biais de son paradoxe interne, sa représentation parfaite: Daisy doit attendre que Benjamin soit assez jeune, Benjamin que Daisy soit assez vieille. Benjamin s'amuse de se sentir chaque jour plus vaillant, mais Daisy a peur de la vieillesse qui l'envahit, dont elle sait qu'un jour ou l'autre Benjamin de plus en plus jeune se lasserait.

Ainsi, Fincher, l'homme des fins tragiques (Il a reconnu qu'il n'est en aucun cas porté sur les happy ends, et un coup d'oeil rapide à tous ses films le confirme) trouve-t-il en cette étrange histoire le vecteur parfait pour nous conter une histoire d'amour parfaite, à sa façon: un parcours à deux qui ne peut se résoudre que dans la tristesse, parce que c'est comme ça... En choisissant de le faire par le biais de ce moment doublement dramatique d'une fille venue au chevet de sa mère mourante alors qu'un ouragan meurtrier menace, il aurait pu élever le drame personnel et privé de Daisy et Benjamin au rang de tragédie; mais en montrant les gens qui trouvent le temps de faire ce dont ils ont envie, le meilleur exemple étant la traversée de la Manche par cette ancienne amoureuse de Benjamin (Tilda Swinton), qui a 68 ans a trouvé le courage d'accomplir son rêve, relayée par la télévision... par la puissance visuelle de sa réalisation, sa maîtrise technique absolue, le génie de ses collaborateurs, et par la grâce de ses interprètes, absolument tous géniaux, en choisissant enfin de finir son film sur une vision de l'eau qui envahit à New Orleans un grenier dans lequel on aperçoit une horloge qui marche à l'envers, Fincher se situe en droite ligne dans le cinéma du miracle, celui des Borzage, Kieslovski, et d'autres, et son film est une merveille. Il affirme paradoxalement, avec ce film qui nous rappelle l'inéluctabilité de la mort, sa foi en l'existence.

 

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Published by François massarelli - dans David Fincher Criterion