Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 juillet 2013 2 02 /07 /juillet /2013 08:45

Deux hommes qui ne se connaissent de nom, qui auraient très bien pu devenir amis tant leurs vies sont complémentaires, deviennent par la folie de l'un d'eux ennemis jurés, bien qu'ils fassent tous deux partie de la même armée: voilà la base du premier film de Ridley Scott, une fête visuelle dans laquelle le talent esthétique du metteur en scène, qui avait longtemps été décorateur, saute aux yeux à chaque plan. Scott est ici plus Britannique que jamais, ne reniant pas ses racines: il agit d'abord en metteur en images, installant ses personnages (Interprétés par Keith Carradine et Harvey Keitel) dans des décors naturels situés dans le centre de la France, en particulier en Dordogne.

1800: Lors d'un hiatus entre deux batailles, le lieutenant Armand D'Hubert (Carradine) reçoit pour mission d'aller chercher le lieutenant Féraud (Keitel) qui s'est rendu coupable d'un duel de trop. Et lors de leur confrontation, les deux hommes se querellent, Féraud s'emportant jusqu'à provoquer D'Hubert en duel. A partir de ce moment, les deux hommes vont se rencontrer plusieurs fois en 16 ans, Féraud toujours désireux de continuer la confrontation là où elle a été abandonnée la fois précédente... Pendant ce temps, l'histoire avance et les deux hommes montent en grade, participent aux campagnes victorieuses, puis de plus en plus désastreuses. D'Hubert, marqué par la vie (Et les duels avec son ennemi juré) est estropié, et se marie avec une jeune femme d'obédience royaliste à la Restauration, pendant que le bouillant Féraud est arrêté et condamné à mort...

 

L'inspiration de Scott, évidemment, est à prendre du côté de Barry Lyndon; le somptueux film de Kubrick l'a en particulier influencé au niveau graphique, et on retrouve dans ce film une tentative de transcrire dans un univers cinématographique la peinture d'époque, ce qui est d'ailleurs souvent souligné par de nombreuses représentations de natures mortes tout au long du film; ces images généralement qui sont souvent situées en début ou en fin de séquences, permettent de mettre en évidence le passage du temps, mais contrastent aussi avec certaines scènes, et on pourrait les mettre en parallèle avec l'anecdote de l'orange: avant de se mettre en route pour le duel final, le désormais général D'Hubert mange des quartiers d'orange, et ramènera d'aileurs un fruit à son épouse inquiète, suite à l'issue de la confrontation, une façon de montrer le triomphe de la vie; quant à la probabilité de trouver ou manger des oranges en Dordogne en cette saison, je ne sais pas si on se situe ici du côté du réalisme, mais peu importe: ce qui compte, c'est de montrer le triomphe, fut-il tardif et au prix de  blessures, du plus humain des deux soldats; c'est d'ailleurs relayé par la dernière séquence, qui voit Féraud contempler une crue de la Dordogne, juché sur un promontoire, laissé enfin à ses obsessions maladives, à l'écart du flot de la vie. Une image qui renvoie inévitablement au grand absent du film, fauteur de troubles et bouillonnant va-t-en-guerre autant que personnage incontournable de l'Histoire: Napoléon, dont on sait que les Anglo-saxons ne le portent pas dans leur coeur.

Ils ont d'ailleurs parfaitement raison.

 

Le film est adapté d'une nouvelle de Joseph Conrad, The duel; mais à l'histoire de grandeur et décadence contée par le film de Kubrick, adapté d'un roman de William Makepeace Thackeray, Scott substitue une ironique chronique du temps qui passe et des attitudes contrastées des deux soldats, l'un essayant désespérément de s'accrocher au passage du temps et d'évoluer, bref de vivre décemment, l'autre ruinant tous ses efforts en revenant constamment à la charge de manière à aller au bout de son obsession: les duels. Scott a pris un malin plaisir à recréer, comme il sait si bien le faire, un univers dans ses moindres détails: éclairages, boiseries, vêtements, uniformes, habitudes sociales (Les pipes de D'Hubert, la reconstitution minutieuse d'un bordel, mais aussi les façons bien dissemblables dont D'Hubert et sa maîtresse d'une part, puis D'Hubert et son épouse quinze ans plus tard, passent le temps ensemble: débraillés et proche du corps de l'autre, ou habillés et sagement installés l'un à côté de l'autre, lui fumant, elle lisant.). La narration est faite de vignettes liées aux progressions de la grande armée, mais aussi de l'histoire, strictement chronologique, excepté pour des flash-backs brusques, qui durent à peine une seconde, et qui sont toujours des points de vue de D'Hubert, dont la rage est motivée par le fait qu'il subit de plein fouet les obsessions de Féraud: des courts moments de leur premier duel vont donc être aperçus de temps à autres lors des confrontations ultérieures.

 

Superbe reconstitution comme le seront tant d'autres films de Scott, ce premier effort cinématographique (De grande envergure du moins, puisque le metteur en scène a aussi tourné un court métrage dans les années 60 avant de devenir décorateur) est d'une indéniable splendeur visuelle, en plus d'être un bel effort foncièrement humaniste, comme le seront à leurs manières, et avec des degrés différents de réussite, les films Blade Runner, Thelma & Louise, Gladiator et Kingdom of Heaven. La métaphore du duel convient bien à Scott pour s'intéresser à la façon dont les hommes s'affrontent, pour des riens, voire comme ici des reflets de rien.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Ridley Scott