Situé au tout début de l'aventure du Cinémascope, The Egyptian a tout d'un film sacrifié. Sacrifié sur l'autel de sa propre légende, colportée d'abord par l'un de ses protagonistes, l'acteur Peter Ustinov, dont l'humour est bien connu. Il a propagé l'idée que le film était un monument de kitsch, et de fait cette impression a fini par devenir quasi officielle... Ensuite, sacrifié par rapport à la carrière de Michael Curtiz, dont tous les films réalisés après Mildred Pierce sont considérés avec suspicion, à plus forte raison ceux qui ont été faits en dehors de la Warner, ou il avait passé il est vrai 28 ans. Et s'il avait eu, après 28 ans, l'envie de voir ailleurs, tout simplement? L'offre de la Fox était alléchante, et peut-être que les films familiaux et commémoratifs dans lesquels il était cantonné lui donnaient un gout de trop peu. Peut-être enfin avait-il envie de retourner au genre qui l'avait révélé dans les années 20, en Autriche comme aux Etats-Unis?
The Egyptian conte l'histoire de Sinhoué, un homme né dans le mystère et recueilli, c'est une manie, sur les eaux du Nil, par un homme sage et bon, médecin de son état. une fois devenu adulte, Sinhoué envisage de donner son temps aux pauvres, à la suite de son père adoptif, mais les circonstances vont le précipiter au palais, chez un pharaon bien inattendu, monothéïste militant, et comme de juste menacé par tous: ses soldats, sa famille, ses prêtres. de son coté, Sinhoué passe son temps à questionner sa propre place dans le monde, ne comprenant pas ce qu'il est venu faire sur terre...
Un peplum philosophique et religieux, rien d'étonnant... quoique le parcours de Sinhoué, anti-héros et instrument du destin soit particulièrement original. face à l'émergence d'une religion monothéiste, un aspect rarement relaté sur l'Egypte, Sinhoué doit lui aussi choisir son camp, se frayer un chemin et donner corps à ses idéaux... mais Curtiz ne fait évidemment pas Casablanca avec ce film. Toutefois il n'a aucune raison d'avoir honte, il a fait du très bon travail, réussissant à donner une vérité à cette antiquité, plutôt bien jouée si on excepte la contre-performance d'Edmund Purdom (Si on en croit Patrick Brion, il remplaçait Marlon Brando...) en Sinhoué, et l'abominable Bella Darvi, dont on espère sincèrement qu'elle a été fusillée sur place à la fin du tournage. Zanuck partageait en effet avec Curtiz un penchant pour les jeunes starlettes, mais Curtiz n'avait pas pour habitude de les faire jouer, Zanuck si! On appréciera les thèmes sous-jacents du réalisateur, incorrigible pessimiste, qui met en avant chaque aspect de ce film comme si c'était la fin d'un monde, et qui s'attache à montrer avec méthode les pires comploteurs en architectes du crime, comme il l'a toujours fait. Sinon, on notera dans ce qui est inexplicablement présenté systématiquement comme un ratage un sens toujours aussi aigu de la composition dopé par le Scope, et une belle tendance, une fois de plus grâce à l'écran large, à utiliser le plan-séquence. Sinon, en 1954, Curtiz n'est plus le maitre qu'il a été, ce n'est pas nouveau; il sait malgré tout rendre un film intéressant, et celui-ci est peu banal.