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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 10:24
Bien qu'il soit sorti en avril 1921 après d'autres deux-bobines, c'est le premier film de Buster (Et Eddie Cline, son alter ego-assistant-coréalisaeur), qu'il a trouvé suffisamment insatisfaisant pour le mettre de coté pendant un an. On sait qu'avec son passage à la réalisation Keaton reprenait en fait le flambeau de Roscoe Arbuckle, qui était parti pour tourner des longs métrages. Ce passage de témoin était naturel, puisque Arbuckle a toujours laissé ses partenaires mettre la main à la pâte dans ses courts, mais Keaton a d'emblée choisi un sentier moins franchement chaotique que son mentor et ce petit film est un début plus qu'encourageant. Bien qu'il se cherche encore, et n'a pas encore fixé sa "troupe" (L'actrice Barkine Burkett, par exemple, ne retournera pas avec lui, et l'imposant Joe Roberts, qui reviendra souvent pour jouer les "heavies", jusqu'à 1923, avec un rôle aussi important que, disons, l'immense Eric Campbell dans la série des films Mutual de Chaplin, n'est pas encore là), le film est nettement plus cohérent que pouvaient l'être la plupart des 2 bobines de Roscoe. 
High sign tourne autour d'une intrigue délirante basée sur le quiproquo suivant: Buster est engagé à la fois par une "mafia" (Les Blinking Buzzards) qui envisage la suppression du riche Nickelnurser qui les a déçus en refusant de payer un tribut, et par la victime potentielle elle-même, les deux parties étant persuadées d'avoir affaire à un tireur d'élite. Aux sempiternelles deux parties des courts d'Arbuckle, Keaton oppose un film construit à la façon d'un mini-long métrage, dans lequel les digressions surréalistes (Y compris des jeux langagiers, dans les intertitres: les "Blinking buzzards" sont un prétexte à un festival de mots en B, qui trouve un écho dans le nom de l'homme riche qui est leur cible, avec son évidente alitération en N.) s'intègrent bien mieux.
 Keaton est déja parfaitement à son aise en matière de mise en scène: pour lui, tourner un film, c'est utiliser l'écran en pliant le cadre à ses exigences; il pense ses séquences autour d'un décor, et dans ce film il intègre la profondeur de champ à ses gags, lorsqu'il fait courir un personnage vers le fond du champ par exemple. Chaplin en 1920/21 pensait encore en terme de déplacements horizontaux, mais Keaton utilisait tout l'espace, et se libérait des entraves du studio en baladant ses acteurs de terrain vague en fête foraine: il en résulte le sentiment d'une grande liberté dans ce film (pourtant encore sage): on voit de plus ses singuliers talents d'ingénieur déjà à l'oeuvre lors du final de ce film, une bagarre généralisée entre les bandits et la famille de la victime dans une maison entièrement truquée, truffée de trappes et de pièges divers. Un ballet magnifiquement réglé. Mais Keaton n'était pas content, estimant avoir abusé de gags faciles, alors il a tourné One Week pour qu'on voie de quoi il était capable. Si One week sera en effet un grand film, celui-ci vaut bien mieux que l'auteur voulait nous faire croire. Son principal problème, avec ce film, tenait dans son impression d'avoir escroqué le spectateur en lui faisant croire qu'il allait glisser sur une peau de banane, la scène se concluant sur un pied de nez de l'acteur à son public. Pour moi le gag non seulement fonctionne, mais est aussi très Keatonien, relayé dans ce film par les nombreuses occurences du signe cabalistique enfantin, par lequel les Blinking Buzzards se reconnaissent (et à en croire le film, les trois quarts de Los Angeles faisaient partie du groupe!), mais aussi dans ses autres films par diverses private jokes, tel le retour du chapeau porté par Keaton en 1920-23, dans une scène de Steamboat Bill Junior en 1928... Donc en mettant ce film de coté, l'auteur-acteur a probablement pêché, comme d'habitude, par excès de perfectionnisme...
Pour finir, une scène établit un lien, quasi ombilical, avec la série des courts de Roscoe Arbuckle par le biais d'un "cameo" (apparition non créditée): lorsqu'il s'entraine au tir, Keaton blesse accidentellement Al St-John, l'autre "poulain" d'Arbuckle, en fait son neveu, qui trainait avec son oncle sur les tournages depuis 1914, et qui se lançait dans une carrière solo lui aussi. Bien sur, il n'y a pas lieu de comparer les deux comédiens, mais ce genre de petit clin d'oeil amical nous rappelle qu'en plus d'être un cinéaste, Keaton était, aussi, un type formidable.
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Published by François Massarelli - dans Buster Keaton Muet