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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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9 juin 2024 7 09 /06 /juin /2024 21:25

Londres, milieu des années 20. Dans le quotidien bien agencé de ses habitants, un monstre vient tout gâcher, et assassine des jeunes femmes, toutes blondes. La psychose s'empare de la ville, en particulier des jeunes femmes qui travaillent tard, comme par exemple les chorus girls du spectacle "Golden Curls (Boucles blondes)". Le meurtrier opère dans un quartier bien délimité, et laisse sur les cadavres de ses infortunées victimes un petit papier sur lequel il a dessiné un triangle, avec une inscription en guise de signature: The avenger (le vengeur)...

C'est dans ce contexte que dans une modeste bâtisse tenue par un couple de retraités, les Bunting, vient s'installer un mystérieux étranger. L'homme qui a décidé de louer la chambre est secret, peu bavard, mais surtout il tranche sur la petite famille simple par son air torturé et sa réaction d'horreur devant la décoration de la chambre: il fait tout de suite enlever les jolies images un peu polissonnes de beautés blondes déshabillées qui ornaient sa chambre. Par contre il s'entend très bien avec Daisy, la jolie fille blonde des Bunting, qui travaille comme mannequin, ce qui n'est pas du goût du fiancé auto-proclamé de celle-ci, un policier qui travaille sur l'affaire de l'Avenger; aussi, lorsqu'il devient de plus en plus clair que l'étranger non seulement est lié à l'affaire, mais pourrait bien être le meurtrier lui même, les choses se compliquent pour tout le monde...

Bien que le film soit déjà son troisième, après The pleasure garden et le film perdu The mountain eagle, on a coutume de référer à The lodger comme étant le "premier Hitchcock picture", selon les mots du Maître lui-même. Ca s'explique et se justifie très bien en effet: c'est pour commencer le seul de ses films muets (Si on considère l'hybride Blackmail, 1929, comme un film parlant) à traiter d'une histoire criminelle, et à se situer dans un Londres contemporain marqué par les petites histoires quotidiennes de sa classe ouvrière: de fait, Daisy (Interprétée par le mannequin June) travaille, le policier joué par Malcolm Keen est aussi un homme occupé, et on a le sentiment ici que le réalisateur est dans un milieu familier, ce qui sera confirmé par la plupart de ses films Anglais, situés le plus souvent dans le petit peuple Anglais plus que dans la gentry... 

Mais évidemment, si on peut comprendre le plaisir du metteur en scène à se plonger enfin dans l'Angleterre telle qu'il l'aime et la connait après deux films tournés en Allemagne, l'aspect criminel du film est le plus notable, compte tenu du tournant que prendra bientôt sa carrière. Et dès ce premier exercice policier, le metteur en scène est parfaitement à l'aise avec un genre qu'il va contribuer à définir: il manie avec dextérité les formes héritées du cinéma Allemand, l'utilisation des ombres, l'installation d'une atmosphère quotidienne envahie par l'angoisse, la brume, et sait à merveille donner à voir les sensations: la peur, mais aussi le bruit (Les scènes qui nous montrent des gens qui écoutent, tout en réussissant à visualiser le bruit entendu, sont nombreuses, et les intertitres ne sont pourtant pas sollicités.). Hitchcock, précurseur de Welles à cet égard, manipule aussi avec talent les images pour donner à voir le sentiment d'urgence et la propagation médiatique de la terreur, en intercalant les images de découvertes du corps d'une femme, les réactions du peuple de Londres, les débuts de l'enquête, puis la façon dont la presse se met en branle. Les intertitres sont également utilisés pour compléter cette information plus que pour la relayer, et le texte est parfois utilisé comme image, ou réciproquement, ainsi le leitmotiv de l'enseigne néon "Tonight, golden curls", qui rappelle d'une part la continuation des activités (the show must go on!), mais aussi effectue un renvoi à l'obsession du tueur pour les blondes.

Et puis, il y a bien sûr dans The Lodger des thèmes qui font une première apparition, ou d'autres qui auront une résonance intéressante dans le reste des films d'Hitchcock. je prends conscience ici de manipuler une information qui est supposée rester une surprise dans le film, mais que la plupart des fans du metteur en scène ou des cinéphiles s'accorderaient à ne considérer que comme un secret de polichinelle: le héros, joué par la star du film Ivor Novello, n'est pas le coupable. C'est un faux coupable, comme tant de héros Hitchcockiens futurs, mais qui prend toute la place, à tel point que l'arrestation du vrai Avenger a lieu hors champ, sans qu'on s'y intéresse plus avant. Ce qui compte dans ce film, c'est non pas qu'on détermine si le héros est bien le serial killer, mais plutôt qu'on puisse le soupçonner de l'être, comme le font la plupart des protagonistes. D'ailleurs, le parallèle entre les deux est frappant, et souvent souligné, à commencer par le nom du tueur: c'est précisément par désir de vengeance contre l'assassin qui se surnomme lui-même le vengeur que Novello vient s'installer en plein dans le quartier des meurtres, car sa soeur était la première victime. Donc le vrai Avenger, c'est bien lui...

Dans le quotidien d'une ville généralement considérée comme relativement paisible, tout en étant industrieuse, Hitchcock a lâché son premier meurtrier, mais il a aussi peint un amour inattendu, relevé dans son quotidien, amour naissant entre le héros et Daisy. Celle-ci, jeune femme indépendante et suffisamment intelligente pour ne pas céder à la panique contrairement au reste de la ville, a su reconnaître en ce bel étranger un idéal amoureux, qui va d'ailleurs la pousser à s'installer très vite dans le quotidien du jeune homme: sans être nécessairement érotique, leur complicité est vite affichée, assumée, physique, ce que confirme une scène durant laquelle le jeun homme veut lui parler, alors qu'elle prend un bain. Entre la nudité de la jeune femme (Pudiquement représentée), l'eau, la vapeur du bain et la porte qui les sépare, les obstacles à l'intimité sont nombreux, mais ne les gênent pas pour communiquer. Par opposition, les tentatives du policier de provoquer une complicité avec Daisy sont gauches et peu probantes... Par contre, Novello et l'actrice June sont à plusieurs moments surpris dans les bras l'un de l'autre. Mais la jeune femme, victime potentielle évidente, ne sera jamais autre chose qu'un refuge, une protection pour le jeune homme, à plus forte raison pendant la tentative de lynchage que la population exerce sur lui; c'est elle qui le recueille, l'aide même à s'enfuir, comme plus tard madeleine Carroll (The 39 steps) ou Eva Marie-Saint (North by Northwest). Bien sûr, la figure féminine principale évoluera de film en film, jusqu'à assumer des formes beaucoup plus complexes...

On peut aussi regretter que dans ce film, contrairement à ce qui deviendra souvent la règle chez Hitchcock, on ne parvient pas à ressentir de façon très claire le danger dans lequel l'héroïne est supposée se trouver. Ca en affaiblit quelque peu la portée, sans pour autant complètement gâcher la fête.

 

The Lodger est sans doute le plus intéressant des films muets de son auteur (Même s'il ne faut en négliger aucun!), et c'est un film dont le style comme la thématique anticipe le mieux sur les festivités à venir. et surtout c'est un manifeste totalement Anglais dans la peinture tendre du quotidien d'un Londonien, qui doit faire attention à sa consommation de gaz, louer une chambre pour joindre les deux bouts, qui vit dans un quasi sous-sol, et doit parfois avoir de la petite monnaie sur soi pour faire marcher certains appareils (Chauffage, gaz, voire ici un coffre-fort dans la chambre du héros)... Un endroit ou les gens qui sont réunis autour d'un fish and chips sont pour certains des gens qui auront à défendre chèrement leur peau lors du blitz quelques 15 années plus tard. Tout ça, en plus, du sempiternel "faux coupable", de l'amour entre un mystérieux homme et une jolie blonde, d'une impression que votre voisin pourrait bien être Jack L'Eventreur, à moins que ce ne soit vous même, est enrobé dans une mise en scène à la virtuosité admirable. ...Vous avez dit "Hitchcockien"?

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Alfred Hitchcock Criterion **