Donc, Keaton et Cline, et toute leur troupe, s'apprêtent à dire adieu au court métrage... Joe Schenck allait dans ce sens, il savait que pour promouvoir Keaton, il était nécessaire de changer de classe, et c'était clairement le sens dans lequel la comédie burlesque se devait d'aller; non que ce soit évident pour tout le monde, d'ailleurs: à cette époque, seuls Chaplin, Larry Semon et Lloyd se sont lancés, Arbuckle a tourné quelques comédies légères, éloignées de son style d'avant, et est empêtré dans les suites du fameux scandale, Langdon n'est pas encore là, et les productions Hal Roach, à l'exception de la "vitrine" représentée par Harold Lloyd, ne veulent pas s'aventurer sur ce terrain. Bref, pour tout le monde, la comédie burlesque se doit de rester confinée au format court, et d'ailleurs en cette année 1923, Chaplin prépare un film d'un tout autre genre. Difficile en effet de considérer que A woman of Paris soit un film burlesque.
Avec The love nest, on est en revanche en terrain connu, et le film bénéficie grandement de tout ce qui a précédé: le personnage de Keaton, lunaire et décalé, est bien le même petit homme rejeté qu'il a mis au point, et beaucoup malmené dans ses derniers films, le scénario est très cohérent, comme si Keaton soignait sa sortie, et comme par hasard, l'intégralité du film se situe sur l'eau, dans un certain nombre de bateaux: parce que sa fiancée a rompu, une jeune homme décide de se couper du monde, et s'installe sur un bateau, seul avec des vivres, pour dériver. Il croise, après plusieurs jours, un baleinier, dont les marins le recueillent; ils sont gouvernés par un capitaine ultra-brutal (Joe Roberts) qui se débarrasse de ses coéquipiers en les jetant à la mer, ajoutant, touche personnelle, une couronne mortuaire à chaque fois. Bien sur, Keaton va souffrir...
Le ton est résolument loufoque, dans la mesure ou dans son esprit, on le verra bientôt, Keaton ne pouvait pas traiter ses longs métrages de la même manière que ses courts, cet adieu à la brièveté regorge de gags idiots, petites touches visuelles, raccourcis et ellipses qui ont tout du cartoon. Mais comme toujours, avec Buster, la thématique du rejet est troublante, et on est un peu choqué de voir, dans ce film, le sort qu'il réserve une fois de plus à son personnage... mais c'est une fausse fin. En attendant, le film apporte, c'est le cas de le dire, de l'eau au moulin des supporters d'un thème aquatique: Buster se frotte à l'eau, symbole de vie et de mort, parfaite menace dans ses films; ici, on est servis. Et Buster Keaton y reviendra bientôt avec un long métrage, l'un de ses meilleurs, The Navigator (1924).