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23 décembre 2018 7 23 /12 /décembre /2018 15:49

Juste une petite note au passage, pour rappeler qu'il existe, dans l'ombre de Citizen Kane, un film fascinant et hélas aujourd'hui mutilé de façon irréversible, mis en scène par le même réalisateur certes, mais un Orson Welles qui a décidé de ne pas jouer dans ce deuxième opus. Le film est certes connu des cinéphiles, mais méconnu par ailleurs, et si on en avait une copie complète, on serait devant un film dont beaucoup pensent qu'il serait sans doute supérieur à son aîné...

The magnificent Ambersons se voulait une saga intimiste au vitriol qui se promène dans l'âme américaine du début du siècle, en utilisant toutes les ressources de la mise en scène de la même façon que Citizen Kane, mais sans passer d'une époque à l'autre. Au contraire, la chronologie est totalement respectée. En revanche, un narrateur (Welles lui-même) s'implique jusqu'à commenter de façon ironique certains éléments du début. Le film part sur un ton badin, sur un rythme de comédie également, en établissant les aventures peu glorieuses de Gene Morgan (Joseph Cotten), amoureux depuis toujours d'Isobel Amberson (Dolores Costello), jusqu'au jour ou une mauvaise idée de sérénade l'a ridiculisé aux yeux de tout le quartier. Une scène dont découlera toute la descente aux enfers qui suivra, mais cette scène-clé, séminale même, est traitée volontairement dans les trois premières minutes, comme un aparté comique. 

Du coup, la belle a consacré son coeur à un autre, et Gene est parti se faire voir ailleurs... De l'union d'Isobel Amberson et Wilbur Minafer, un fils est né, un odieux personnage qui une fois adulte a croisé le chemin de Lucy, la fille d'Eugene Morgan... Et à partir de là, le film se pare de couleurs de plus en plus sombres, et les rancoeurs, malentendus, malédictions sociales, vengeances de vieilles filles (Agnes Moorehead, géniale dans le rôle ingrat et fascinant de la tante Fanny, éternel second couteau derrière la belle Isobel) et comportements plus ou moins égoïstes vont hélas prendre le dessus sur la vérité des sentiments.

La mise en scène de ce film, faite de plans au plus près des personnages, de plans-séquences ahurissant, d'une composition étonnante mêlant des avant-plans sombres et des arrière-plans lumineux (Après Gregg Toland sur Kane, Stanley Cortez est à la manoeuvre), utilisant le son off comme jamais, est aussi incroyable que celle de Citizen Kane, mais la virtuosité est ici plus concentrée sur l'objectif linéaire d'une histoire à conter. Il n'y a pas tant un puzzle à résoudre ici, qu'un ensemble de scènes familiales ou sociales dans lesquelles les conflits se font jour, se résolvent, et engendrent des brisures et des drames personnels. Un poison méchant fait ça et là son apparition, mais on a pourtant la capacité de s'attacher à tous les personnages, y compris à l'insupportable George Amberson Minafer (Tim Holt), dont dans un premier temps on attend qu'il reçoive sa correction, mais dont la correction sera tellement cruelle qu'on en souffre pour lui... Je rejoins les nombreux critiques qui pensent que Welles ici agit comme un Stanley Kubrick qui aimerait, exceptionnellement, ses personnages!

Le destin du film sera cruel aussi, peu éloigné de celui de Greed, un autre film dont la mutilation est célèbre. Testé devant un public inapproprié, le film a été remonté par Robert Wise, trahi par rapport à la fin choisie par Welles, et resserré. Quarante minutes précieuses en ont été retirées, détruisant une structure ingénieuse sur laquelle Welles, mais aussi Bernard Herrman, avait basé leur travail respectif: le metteur en scène avait pensé à tout un enchaînement d'échos, qui suivait une évolution précise... Certaines scènes ont été retournées, voire ajoutées, et donc tournées par d'autres, Welles étant à l'époque absent. Hélas, comme pour le film de Stroheim (un autre film inclassable sur une certaine Amérique), on n'a pas retrouvé les éléments manquants, et il à peu près certain qu'on ne les retrouvera plus. En attendant, il faut pouvoir voir, en l'état, ce film superbe de temps en temps, et rêver qu'un jour, dans le grenier d'un collaborateur de la RKO, on trouve... Mais non.

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Published by François Massarelli - dans Orson Welles Criterion