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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 18:31
The new world (Terrence Malick, 2005)

Avec ce qui n'était que son quatrième film, Malick a repris avec bonheur l'histoire rabachée et généralement apocryphe de Pocahontas et du capitaine Johnny Smith, aussi loin que possible des clichés lénifiants, mais tout en préservant un certain nombre des légendes qui ont fait le sel de l'histoire. Celle-ci, avec un grand H, part de l'arrivée au "nouveau monde" d'un groupe de pionniers, des soldats et des marins, en Virginie, ou ils fondèrent Jamestown en 1607. Très vite, la présence d'une tribu de natifs, les Powhatan, a posé un certain nombre de problèmes. Parmi eux, la fille du chef a vite pris ses habitudes dans la colonie, jusqu'au moment ou elle s'est installée parmi les colons. Le capitaine John Smith, officier de fortune rien que par l'anonymat de son nom, était bien de la partie, mais on n'en sait que peu sur lui. Quand à la princesse, dont on a perpétré la légende sous le nom de Pocahontas, elle a bien eu une vie amoureuse avec un colon Anglais, s'étant mariée avec un riche noble de la cour, Rolfe, qui l'a même amenée à Londres ou elle est morte en 1616. A ce contexte vient s'ajouter la romance supposée avec le capitaine John Smith, qui sert si bien l'âme Américaine de par son extraction roturière, mais n'en déplaise à tous les amoureux de la légende, ce ne serait que pure spéculation...

Malick a pourtant délibérément choisi de faire en sorte, au sein de cette histoire, que le fil rouge soit précisément l'amour de Smith et "Pocahontas", jamais nommée. Smith est d'abord amené à faire la première incursion en terre "Indienne", prenant contact avec la tribu et développant très vite une complicité avec les habitants du village mais surtout avec la jeune femme; puis, revenu à Jamestown, il en devient le dirigeant pendant que tous attendent le retour du commandant de la colonie, parti chercher d'autres colons et du ravitaillement. Grâce à la complicité entre Smith et les Indiens, ceux-ci menés par la princesse ravitaillent des colons affamés pendant un hiver très rude, mais les rapports se dégradent très vite, jusqu'à ce que les colons incendient purement et simplement le village Indien. A son retour, le commandant dispose de Smith en l'envoyant sur une mission loufoque, et Pocahontas est réduite à errer dans le village, comme d'autres survivants de sa tribu. Elle est ensuite amenée à croire que Smith est mort, et accepte Rolfe en mariage...

Le but de Malick n'était pas de conter une jolie histoire d'amour, plus sans doute de souligner ce qui est un rendez-vous manqué, et un fâcheux symbole de la naissance de la nation Américaine: dès les premiers plans, le proverbial génie de Malick pour la peinture d'une nature saisie dans toute sa générosité et son talent singulier pour le montage se mêlent, en montrant à loisir les "natifs" dans leur communion permanente avec la nature, "Pocahontas" n'étant pas en reste. Cette communion se traduit chez elle par un recours constant à une voix intérieure qui interroge une mère, nourricière et protectrice, qui est bien sûr la terre. Le contraste entre la façon dont les Indiens ont créé leur campement, en harmonie, et celle dont les Anglais ont créé leur fort, fermé et envahi de vermine et d'eau croupie, mais aussi le contraste entre les scènes lyriques de Smith et de la jeune femme, en pleine nature, et les scènes finales dans un jardin aux arbres sans vie, sans formes, domptés et rassemblés en des labyrinthes ironiques, en dit long sur le propos de Malick ici, qui continue à écrire avec sa caméra des poèmes sublimes nous contant l'inscription d'êtres humains dans la nature comme s'il devait s'agir d'un viol de cette dernière...

Une fois de plus, on est confondu d'admiration devant un film qui est pensé dans ses moindres détails -on devrait même dire repensé, tant le montage a été difficile, repris trois fois- et devant sa splendeur esthétique, due à Malick et bien sur à Emmanuel Lubezki, son directeur de la photo. Les acteurs sont excellents, et l'intrigue, soumise à la méditation et au vagabondage poétique de son créateur (Il digresse, il se situe à l'écart de la chronologie, il évoque...) prenante dans son classicisme même. La façon dont après avoir suivi largement le point de vue de Smith (Colin Farrell), qui va être pendu dans les premières scènes, puis est gracié, devenant du même coup un nouveau né, un homme qui doit tout à son arrivée dans ce "nouveau monde", on passe ensuite au point de vue de la jeune femme (Q'Orianka Kilcher, impressionnante du haut de ses quatorze ans), qui va tout perdre de son lien avec la "mère nature", et se consumer dans l'amour pour ce bel homme venu de nulle part, est aussi un superbe moyen de maintenir le spectateur en haleine. Le message écologique (Au sens large, bien sur) se double de fait d'une méditation sur la naissance de l'Amérique, dans le sang et la bêtise; cette naissance s'incarne de fait dans cette princesse, fêtée par ceux qu'elle nourrit, puis laissée à se traîner littéralement dans la boue par les mêmes qui regardent ailleurs, puis invitée devant le roi et la reine, revêtue d'un étrange costume qu'elle a adopté sans même s'en apercevoir, entourée d'autres natifs, dont son oncle (le grand Wes Studi, déjà de la partie dans Dances with wolves et Last of the Mohicans), avant de mourir sans laisser grand chose de plus que des souvenirs pour ceux qui l'ont aimée, une pierre tombale, et une légende...

Le dernier plan du film montre un arbre, filmé depuis sa base. Sur la gauche, une feuille tombe...

The new world (Terrence Malick, 2005)
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Published by François Massarelli - dans Terrence Malick Criterion