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28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 08:48

Grâce à l'arrangement trouvé par Chaplin et la First National autour de ce film, il a pu enfin profiter de la United Artists, le dernier de ses fondateurs à tourner pour le distributeur. L'arrangement était simple: au lieu de deux courts métrages, Chaplin a proposé de livrer un film de quatre bobines, ce qui fait quand même une bonne comédie de luxe, qui peut générer des revenus. Comme en prime le film est très soigné, tout le monde a été content... Chaplin ne bâcle en aucune façon ce dernier film (relativement) court, et convoque une certaine quantité de thèmes et de figures déjà évoquées. Il le fait avec son sens fabuleux de l'économie visuelle, et dans un cadre westernien, la seule et unique fois...

Un bagnard évadé a volé les vêtements d'un pasteur, et se retrouve à prendre sa place auprès d'une petite communauté du sud du Texas. Avant d'être repéré pour ce qu'il est, il a le temps de faire un office religieux, de participer à un thé auprès de certaines personnages du village, et de tomber amoureux d'une jeune fille (Edna Purviance); mais surtout il tombe par hasard sur un ancien 'camarade de l'université', un pickpocket (Chuck Reisner) qui comprend vite le parti qu'il peut tirer du costume et de la supercherie de son copain. Il va donc falloir l'empêcher d'escroquer toutes ces petites gens, sans se faire pincer...

Le costume sied bien à Chaplin, qui a toujours défendu l'idée qu'un habit ne fait pas le moine, mais que l'apparence est une illusion qui trompe forcément les autres. C'est ce qui arrive, avec cet étrange pasteur, et ce dès le début du film. Quatre plans suffisent à tout expliquer: 1 - Un gardien de prison colle une affiche à l'entrée de la bâtisse. 2 - Gros plan de cette affiche, un avis de recherche d'un bagnard évadé, il a une moustache, et un uniforme rayé. 3 - Un homme en maillot de bain sort d'une rivière, prend des vêtements, et constate qu'ils ne sont pas les siens: c'est un uniforme de bagnard. 4 - Notre héros, en habit de pasteur, et avec la mine compassée qui va avec, marche tranquillement vers une gare. Après, ça se gâte: un couple qui vient de fuir pour se marier lui demande de l'aide, et il est bien incapable de pourvoir leur prêter assistance, mais ça y est, aux yeux du spectateur, nous savons que cet homme est un bagnard, et le reste de l'humanité le prend pour un prêtre.

L'interprétation de ce film est marquée par les apparitions de fidèles acteurs, qui reviennent de ses derniers films. Henry Bergman, de moins en moins présent (Il avait un restaurant à gérer), apparaît dans deux courtes scènes au début, Albert Austin n'est nulle part, ou je l'ai manqué; par contre, Edna Purviance joue pour la dernière fois à ses côtés, et on voit aussi Sydney Chaplin dans deux rôles, Loyal Underwood en doyen à barbe, Chuck Reisner en exccroc (Quelle trogne!), et surtout le grand Mack Swain. Chaplin employait ses acteurs comme des pantins parfois, les laissant réagir de façon neutre à son jeu, comme Edna Purviance va souvent devoir jouer le témoin inactif dans certaines scènes. Mais quand il reconnaissait un grand acteur, il pouvait lui donner une place importante, c'est ce qui arrive avec Swain ici, qui du reste reviendra dans The gold rush. Dans le rôle du chef spirituel de cette petite communauté, il est merveilleux: alcoolique, mais en secret, qui désapprouve des agissements pour le moins étranges de ce pasteur bizarre, mais qui sait si bien se parer du masque de l'impénétrabilité lorsqu'il y en a besoin. La scène qui les voit tous deux marcher de dos, l'un et l'autre persuadé que la bouteille d'alcool qui vient de se briser par terre provient de sa poche, est un grand moment de collaboration burlesque.

Parce que ce ne sont pas tant les corps constitués qui sont la cible de Chaplin. non, ce serait plutôt les comportements des individus qui les composent: ici, il nous montre l'intolérance des braves gens devant l'excentricité de ce jeune pasteur (le fameux sermon de David contre Goliath, qui donne lieu à une pantomime parfaite, sera applaudi par un gamin qui auparavant s'ennuyait à l'église, alors que tous les braves gens sont indignés), avec une justesse étonnante. Et puis il y a Sidney, et sa tête d'hypocrite, derrière sa grosse moustache. C'est étonnant aussi de voir à quel point il pouvait s'enlaidir: quand on le voit dans sa première apparition, il est un jeune homme assez corpulent, mais pas vilain, qui fuit avec une jeune femme pour se marier... Le même, trois bobines plus loin, est un morse à moustache, les cheveux luisants et bien peignés, qui reste bouche ouverte d'indignation devant le fait que les invités du thé allaient... manger son chapeau.

Non, le seul qui soit épargné, à part Edna et sa mère dans le film, c'est le shérif (Tom Murray), qui voit à la fois en Chaplin un bagnard évadé, et un brave homme qui s'est conduit avec honneur. Hésitant à faire son devoir, il le conduit à la frontière, ou Chaplin fera l'amère expérience du fait qu'il ne sera tranquille nulle part. le final, qui le voit cavaler symboliquement une jambe aux Etats-Unis et l'autre au Mexique est après tout un reflet de toute sa vie. Une fois de plus, après The adventurer, Chaplin quitte un studio sur une fuite.

Le western est esquissé dans ce film, mais sans trop d'insistance. On constatera un hold up et une fusillade finale... On retrouve par contre une fois de plus (Après Police et The adventurer la dynamique de l'ancien prisonnier. Dans The adventurer, il était aux prises avec la société seule, mais dans Police et celui-ci, il est soumis çà la tentation de replonger par l'intermédiaire d'un autre malfrat, un vrai! Lloyd Bacon et Chuck Reisner sont donc les méchantes fées de ces deux films, qui invitent Chaplin à s'interroger sur sa loyauté. Quand il s'agit de rester fidèle à Edna Purviance, le choix est vite fait...

Bref, un film riche, drôle, qui apporte encore du nouveau tout en recyclant avantageusement des idées qui marchent bien, et qui montre aussi au public, une fois de plus, qu'il n'y avait pas besoin de vagabond: les costumes dans ce film sont totalement éloignés des habitudes, et Chaplin se contente finalement de sa moustache, ses cheveux frisés toujours aussi indomptables, et de sa démarche pour affirmer la présence de son personnage... Peut-être dans ce qu'il croyait être la dernière fois.mais le sort et le public en ont décidé autrement. Au fait, ce film a eu un gros succès.

...Pas le suivant.

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Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1922 **