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28 décembre 2010 2 28 /12 /décembre /2010 11:08
Essayons un peu de nous mettre à la place de Billy Wilder au moment de commencer ce film commémoratif, commande effectuée pour le producteur Leland Hayward, et film entièrement soumis à la gloire d’un héros américain, Lindbergh, lui-même interprété par un autre genre de héros Américain, James Stewart, dont la bonhomie légendaire très premier degré sied a priori mal à l’univers de notre cinéaste. Il est probable que comme souvent notre metteur en scène désormais libre a eu envie de s’essayer à un projet fédérateur, à titre d’exercice, en attendant des projets plus propres à éveiller son esprit légendaire. Ou peut-être a-t-il vraiment été amené à honorer cette commande par amitié, comme il le prétendait. Ou bien a-t-il été pris au piège d’un contrat… On l’imagine assez mal. Quoi qu’il en soit, avec ce film, Wilder signe le film le moins personnel de sa carrière. Pas le pire, j’en ai peur, au contraire d’ailleurs, c’est un bon film, ce n’est juste pas un film de Billy Wilder. Néanmoins, il faut raison garder : Wilder a mis la main au scénario, et ça se voit un peu. La tentation de confronter ce Charles Lindbergh qui lui aurait échappé aux autres héros de Wilder, rien que pour voir, et là encore, on n’est pas devant un personnage si éloigné de ses préoccupations. Et ion pourrait même aller jusqu’à dire que ce film est un précédent dans l’œuvre de Wilder tellement j’y vois de points communs avec un autre film, l’un de mes préférés celui-ci… Mais chaque chose en son temps.

Le film, après un texte pompeux et commémoratif, commence par un matin de 1927, dans un hôtel New Yorkais. Lindbergh, appelé « Lindy » ou « Slim » suivant les interlocuteurs, tente de trouver le sommeil à la veille de son exploit, et des journalistes par dizaine s’activent dans le hall. Une atmosphère d’effervescence qui s’intègre tout à fait dans la remarquable reconstitution de l’époque, une constante de Billy Wilder. Il se remémore les circonstances qui l’ont amené là, depuis sa conviction, dont nous ne verrons pas la mise en forme ni la naissance : dès la première scène, il répète à qui veut l’entendre qu’il fera cette traversée. La deuxième partie du film le voit rompre avec la chronologie, dans la mesure ou le fil narratif est entièrement consacré à la traversée, il fallait des digressions sous forme de flashbacks, et c’est le « Stream of consciousness » de Lindbergh qui pense pour s’occuper, qui va permettre ces constants recours au passé. L’histoire, l’Histoire et le personnage se rejoignent ainsi dans un même mouvement.
Outre ces intéressants recours au passé, qui structurent le récit et lui donnent du corps, sans parler de gags parfois salutaires (le passage à l’armée, qui vire au comique troupier, sans pour autant que ça soit lourd), Wilder a aussi agi sur le scénario (par ailleurs du à Charles Lederer et Wendell Mayes, d’après Lindbergh lui-même) : on remarque ses petites balises, ses petits « cailloux » : la mouche qui sert de compagnon à Lindbergh, et qui lui permet en particulier d’entamer un dialogue, puis soliloque qui permettra au spectateur d’accepter ce personnage qui parle tout seul ; sinon, la médaille de St-Christophe, probablement dans le scénario sans qu’elle ait été apportée par Wilder, est traitée avec le soin qui lui est du par un réalisateur qui aime ces astuces fédératrices. D’autre part, la mise en scène est très soignée, intégrant décidément sans problème le Scope, dont Wilder tire un grand parti : après tout, rien de tel pour dépeindre les grands espaces, et l’histoire d’un avion qui doit aller d’Ouest en Est (on remarquera d’ailleurs à ce sujet un respect systématique de la géographie dans le sens de la marche !!) est tout à fait le type de film qu’il faut voir sur écran large… Enfin, j’ai déjà mentionné la splendide reconstitution d’une Amérique des années 20 qui est plus rurale qu’autre chose, le parcours de Lindbergh, du Minnesota à la Californie, étant on le rappelle, incarné par un James Stewart, qui accentue le coté ordinaire et tranquille du héros Lindbergh, ici un cousin de ce brave Sergeant York.

Lindbergh ne commet qu’un seul péché, dans ce film, celui de croire qu’il pouvait se substituer à Dieu. C’est le rôle de la médaille de St-Christophe de nous le rappeler : c’est un des nombreux accessoires dont le pragmatique Lindbergh choisit de ne pas s’encombrer afin de ne pas alourdir l’avion. Mais l’objet, envoyé par un prêtre qui a appris à voler auprès de lui, est glissé à l’insu de Lindbergh dans le sac qui contient ses sandwiches. Lorsqu’il souhaite manger, il la découvre, et accepte de bonne grâce sa présence. Et lors d’un ultime coup de mou, juste avant l’arrivée, il s’adresse à Dieu, lui demandant de l’aider dans la dernière ligne droite. Cette abdication de l’humain, il ne me semble pas l’avoir vue ailleurs, chez Wilder, un metteur en scène peu enclin à laisser le religieux prendre le pas sur le mortel… Mais le paradoxe, c’est bien sur que la mise en forme de cette anecdote est très dans sa manière justement…

Lindbergh est un homme bien sous tous rapports, d’autant que c’est quand même James Stewart, ici aussi charismatique que d’habitude. Sa volonté aussi tranquille que ferme lui permet de déplacer des montagnes, et il fait un Lindbergh qu’on a envie de suivre. Mais c’est aussi un obsédé, un monomaniaque, dont il existe finalement une large proportion dans l’oeuvre, depuis le vieux cochon Osgood Fielding III incarné par Joe Brown dans Some like it hot, jusqu’à Victor Clooney dans Buddy Buddy. Sabrina, déterminée à conquérir David Larrabee, les sergents prisonniers de Stalag 17 décidés à trouver le traître et à s’évader (ainsi qu’Animal, obsédé par Betty Grable), et bien sur l’alcoolique de Lost week-end… Tous ces obsédés sont l’univers de Billy Wilder, et Lindbergh, déterminé à tout faire pour atteindre son but, les rejoint, mais il na aucune incidence néfaste sur son entourage. Les seuls drames du film, sont ceux qui rejaillissent sur lui : les morts successives des autres aviateurs tentant le même exploit, qui risquent soit d’être un mauvais présage, soit de le faire abandonner, sont les seuls autres écueils que la fatigue ou les risques immédiats (Givre, perte de contr^pole de l’avion, panne de carburant…) que le film se permet ; on est bien en plein individualisme, l’homme doit s’assumer seul, et risquer sa seule peau, s’il veut réussir quelque chose. Ainsi Lindbergh et Stewart avancent-ils le pion d’un héros Américain, individualiste avant tout, mais dont le parcours assumé de bout en bout, et la volonté poussée jusqu’au bout permet de déplacer les montagnes… Pas sur que ce coté droitier ait totalement plu à Wilder, un réalisateur plutôt apolitique et volontiers narquois… Néanmoins le réalisateur reviendra à une légende presque vivante, avec l’un de ses films les plus personnels. Oui, bien sur, Sherlock Holmes est un personnage de fiction, mais la façon dont il a été traité dans The private life… me fait penser à ce Lindbergh, un personnage presque dénué de substance, qui laisse ses obsessions le conduire, et conduire son univers, dans la direction qu’il a choisi. Le fait que l’un (Holmes chez Wilder) se soit trompé, et que l’autre (Lindbergh) ait eu raison, impose une limite sérieuse à cette comparaison. Mais au moins, tout cela prouve que Wilder avait parfois envie de tâter du personnage célèbre. Ajoutons la présence dans son oeuvre de Rommel, Norma Desmond (Gloria Swanson), Cecil B. DeMille, ou encore Fedora-Greta Garbo… Tous autant d’étranges reflets d’une vérité qu’on croirait extérieure au petit monde de Billy Wilder.

Donc le film est désormais une sorte de vilain petiot canard dans le corpus des films de Wilder. On sait qu’il avait envie de réaliser The Emperor Waltz, qu’il a assumé la plupart des films qui suivront celui-ci, y compris le film de commande The front page, ou le très controversé Buddy buddy . Mais ce Lindbergh, Wilder le déboulonnera très vite, parlant tout simplement d’un film qu’il n’aurait pas du faire. Difficile en effet d’y retrouver sa patte, ses thèmes, son univers, mais bon, le fait est que c’est un film qui se laisse voir avec plaisir, et qui offre à James Stewart un rôle en or… Même teint en blond ! La façon dont se clôt le film, une fois l’exploit accompli, sur des images d’archives hâtivement mises bout à bout, nous renseigne par ailleurs sur deux points ; la volonté de parer au plus pressé, de se débarrasser du film et de ne pas aller jusqu’à tourner une séquence qui aurait été coûteuse d’une part ; d’autre part, la volonté de rappeler que c’est de l’histoire d’un héros du siècle qu’il s’agissait ; et pour ce faire, les images de Lindbergh fêté à New York ont fait le tour du monde…
The spirit of St-Louis (Billy Wilder, 1957)
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Published by Allen john - dans Billy Wilder