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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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26 mars 2012 1 26 /03 /mars /2012 18:29

On peut se demander, dès le début extrêmement déstabilisant de ce film, qui est qui: Hannah McGill, l'actrice sensée interpréter le rôle de Meryl Burbank, par exemple, n'est autre que Laura Linney. Ou encore, Christof, le créateur du show de télé-réalité dont le film adopte sans problème le titre, n'est autre que Ed Harris; c'est ainsi: Peter Weir commence par déstabiliser le spectateur, en le confrontant plus qu'à l'émission de télévision, à son univers dès le départ, à travers des tranches promotionnelles d'interview des acteurs et protagonistes. La déstabilisation du spectateur se prolonge lorsque on assiste à un début de journée pour Truman (Qui est-il, que fait-il là, quel est son rôle?), qui va vite nous révéler le principe de cette émission: The Truman show est le premier soap-réalité, un feuilleton qui organise autour d'un homme filmé depuis sa naissance un univers totalement factice, mais lui est le seul à l'ignorer. Ses parents ne sont pas ses parents, ils en jouent le rôle; son meilleur ami est payé depuis la maternelle pour être là dans les cas de coups durs, mais aussi pour lui servir de faire-valoir (Marlon n'est pas à proprement parler Einstein...), chaque personne de son environnement est placée là à dessein par le créateur Christof, et son épouse Meryl n'est qu'une actrice payée pour être son épouse. on évite à ce sujet les questions gênantes, et le fait que Truman vive dans un univers aseptisé et très années 50 permet d'éviter le sujet, mais une photo prouve bien que Meryl ne souhaitait pas se marier avec Truman: elle croise les doigts... Quant à leur vie conjugale, elle laisse carrément Truman dubitatif: il rêve de Lauren ou Sylvia, cette étrange jeune femme aux deux noms dans les yeux de laquelle il se serait bien noyé, mais qui est partie, dit-on, pour Fidji...

Durant 55 minutes, Weir maintient la pression, montrant in vivo le début de la réalisation pour Truman, qui commence à comprendre, peu de temps après le spectateur, de quoi il retourne. Comme le dit Christof, justifiant ainsi de fait toute la série (Qui en est bientôt à son 11 000e jour), on accepte la réalité à laquelle on est confronté, il suffit de ne laisser à Truman aucune chance de voir l'extérieur: ainsi, le show est filmé en cercle fermé dans un gigantesque studio qui recrée tout une région, côtière de surcroît. De plus, on a forgé avec talent des phobies irrémédiables pour le clouer au sol: aqua-phobie, peur des chiens, etc. on notera sur les médias locaux (exclusifs à l'île, bien sur), l'insistance sur le fait que voyager, c'est s'exposer à tous les dangers... Les seules incursions à l'extérieur du monde du show, ce sont les visions souvent satiriques des spectateurs accros de The Truman show, un panel de fanatiques venus de tous les coins du monde... ainsi, la récapitulation offerte par Weir aux spectateurs du film est-elle surtout la réponse à des questions qui ne pouvaient être résolues avant: comment la production peut faire face aux imprévus, comment Truman a commencé sa carrière involontaire... Ces questions sont évoquées dans un faux programme qui voit un journaliste interviewer Christof. Mais le plus important, c'est bien sûr que nous intervenions en tant que spectateur dans la partie de l'émission durant laquelle Truman est enfin confronté à la vérité, si aberrante soit-elle...

On imagine bien que des cas aigus de paranoïa existent, qui voient les sujets aux prises avec l'illusion d'être le jouet de manipulation à grande échelle. De même, beaucoup d'enfants un peu couvés doivent concevoir le monde comme tournant autour d'eux... Pas Truman, aussi normal, bien qu'un peu excentrique, qu'il puisse être: c'est sans doute la dernière pensée qui lui serait venue naturellement. Weir et son scénariste Andrew Niccol ont donc adroitement inversé cette notion de paranoïa: la réalisation d'un univers qui tourne autour de Truman, le fait qu'il est bien le jouet d'un complot sont sans doute pour lui les derniers recours en matière d'explication de tous ces petits détails hallucinants qui lui posent problème... Pourquoi son épouse se met-elle à vanter des produits en pleine discussion, pourquoi son père disparu en mer réapparaît-il sous une autre identité, pourquoi surtout cette jeune femme, Lauren (une militante d'une association visant à faire libérer Truman, qui a réussi à se faire engager comme figurante) lui dit-elle qu'il est le jouet de tous, qu'il n'existe pas? Truman va comprendre, et se jouer à son tour de la production, de ses "amis" et "famille", et fuir... A ce titre, la fin est forte, symbolique et ironique: enfin libéré de cette angoisse de la mer une fois qu'il a compris qu'on la lui avait imposé, il tente de fuir l'univers clôt de Seahaven, et va voir dans une scène très forte la preuve de ses soupçons: son bateau se heurte littéralement aux murs du studios... Ensuite, défait, le producteur tente une dernière carte, en parlant à Truman au moyen d'un système de sonorisation: sa phrase "je suis le créateur (Pause) d'une émission de télévision...", la réverbération, la présence d'un soleil artificiel qu'il commande à volonté, et son refus de laisser à Truman le libre-arbitre depuis le début sont à mon sens un commentaire fabuleux sur le pouvoir de nuisance de la religion; la réaction de Truman, de refuser justement cette présence divine qui se veut rassurante, est un confort rare en ces temps de retour à l'obscurantisme...

Qui est Truman, dont le nom a été imposé là encore par la production, qui vit comme dans les années 50 (Vêtements, philosophie assez conservatrice, musique, conformisme petit-bourgeois, on sent que Christof a sciemment créé un monde rassurant pour l'Américain moyen)? Le problème, c'est qu'on ne lui a pas laissé la chance de l'exprimer, mais comme il le dit enfin à Christof: "vous n'avez pas de caméra dans ma tête". On lui a non seulement tout volé, à commencer par une chance d'être heureux (Il voulait faire le tour du monde, et est tombé fou amoureux de Lauren-Sylvia), on lui a même empêché d'exister... A la fin de ce film, il vient non seulement de voir toutes ses pires craintes se réaliser, son monde s'écrouler, il a aussi rencontré son Dieu, l'a tout bonnement envoyé paître, et en prime, il fait une révérence d'une superbe élégance avant de quitter à tout jamais son public pour enfin affronter son destin. Joué par un Jim Carrey génial de bout en bout, Truman, enfin, est un héros, un vrai, un grand, un beau. Et le monde jusqu'au-boutiste de la télévision présenté dans ce film futuriste est sans doute exagéré, mais après tout, The Truman Show est une fable.

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Published by François Massarelli - dans Peter Weir Science-fiction Andrew Niccol