Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 16:35

Avec son troisième film pour la Mutual, Chaplin quitte le domaine bourbeux du slapstick grossier de son précédent film, heureusement; il se paie même le luxe d'une entrée en matière très soignée, qui nous fait nous poser la question: cette introduction est-elle la trace d'un film inachevé de Chaplin? On constate que la plupart des films Mutual tournent autour d'un décor, d'un objet souvent (l'escalier roulant et la rampe de la caserne des deux films précédents sont deux exemples), et dans les quatre premières minutes de ce film, Chaplin se lance dans des variations autour des battants de porte du saloon: il est un musicien itinérant, et il fait la manche. Ces quatre minutes se concluent par une bagarre généralisée, due au mécontentement d'un orchestre de musiciens qui estiment que Chaplin leur pique leurs sous quand il fait la quête. Chaplin s'amuse à créer un ballet avec ses portes à battants, puis quitte le décor de saloon, qu'on ne verra plus de tout le film...

http://photo.charliechaplin.com/images/photos/0000/0730/The_Vagabond_1916_Mutual_big.jpg?1238419337

L'étape suivante, c'est l'irruption du mélodrame. avec son introduction, le metteur en scène a déjà établi que le héros est un très modeste musicien de rue, et a défini un contexte on ne peut plus populaire. la séquence suivante voit donc un intérieur bourgeois, dans lequel une dame d'âge moyen (Charlotte Mineau) se lamente sur la photo de son enfant disparue... Le plan suivant nous montre Edna Purviance, en souillon, présentée en "Cendrillon", qui est exploitée par des gitans. Du mélodrame, on retourne vers le grotesque, sans quitter une certaine gravité pour autant: le couple de gitans qui ont "recueilli" Edna sont caricaturaux, pires que ceux de Griffith en 1908 dans Adventures of Dollie... Lui, c'est Eric Campbell, donc il est TRES menaçant. L'arrivée de Chaplin dans ce petit monde va déclencher une tempête de gags, et l'évolution de l'intrigue: le vagabond sauve la jeune femme maltraitée par les gitans et la prend sous son aile. ils vont, pour toute la seconde bobine, cohabiter, et de fait le film se pose en précurseur de The kid.

La jonction du mélo et de la comédie Dickensienne s'effectue donc dans cette deuxième partie, plutôt avare en gags, mais fascinante par la façon dont Chaplin montre la cohabitation entre les deux exclus: lui dort dehors, mais donne des leçons tendres de propreté à la jeune femme. Il prend le temps des gestes du quotidien, et le film est, comme d'habitude, une leçon de pantomime. Un peintre va précipiter l'inévitable dernière partie: se promenant dans la campagne, il voit la jeune femme, décide de la peindre. Elle a un faible pour lui, ce qui est très embêtant pour le héros. Après le départ du jeune homme, il s'essaie à la peinture... en vain. De son coté, le jeune homme présente son tableau dans une grande galerie; la mère y reconnaît, sur le bras de la jeune femme, une tache de naissance, et elle vient avec le peintre pour récupérer sa fille. le film aurait pu se terminer sur les adieux, comme ce sera la cas dans The circus par exemple. D'ailleurs, même s'il le fait bien ostensiblement, le vagabond prend le départ de la jeune femme avec grandeur d'âme... Mais elle revient le chercher, pour un très rare Very happy ending.

Ce film marque donc le retour de Chaplin à la tentation du mélo, du film classique. Il le joue avec beaucoup d'énergie, mais son personnage est doté cette fois non seulement de sentiments, mais aussi d'une dignité qui est assez nouvelle. Le cinéaste Chaplin continue ainsi à raffiner son univers, tout en maintenant son légendaire sens de l'économie de l'espace cinématographique. On notera par contre un travelling arrière, centré sur le portrait exposé dans la galerie: la caméra s'éloigne pour nous laisser découvrir le beau monde qui se presse à l'exposition: un plan relativement sophistiqué pour contraster avec le décor rustique de la roulotte en pleine campagne que nous venons de quitter. Le film est l'un des meilleurs Mutual, un film tendre et riche, dans lequel certes Chaplin paie sa dette, aussi bien à Griffith qu'à Dickens, mais il en profite aussi pour faire du cinéma comme il l'entend, entrant ainsi en interaction avec Edna purviance et Eric Campbell dans des scènes à l'énergie burlesque communicative.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin