C'est inattendu de trouver dans la filmographie de John Ford cette comédie Columbia, dont le style visuel et le rythme nous renvoient d'ailleurs à Capra; cela n'a rien d'étonnant pourtant: ce dernier préparait alors son film Mr Deeds goes to town, avec Jean Arthur qui joue aussi dans ce film... Mais la comédie de Ford n'est pas aussi "sociale" que les oeuvres contemporaines de Capra: il s'agit ici de partir d'une intrigue liée à une ressemblance frappante entre deux hommes, et les quiproquos qui s'ensuivent lorsque cette ressemblance est rendue publique... En effet, Arthur Jones (Edward G. Robinson) est un employé de bureau minable, falôt, effacé, et qui a le malheur de ressembler trait pour trait à "Killer" Mannion, un bandit de la pire espèce qui vient de s'évader de prison dans le but de faire la peau à celui qui l'a doublé... Une fois Jones arrêté par erreur, le bruit se répand, et Mannion fait irruption chez lui pour profiter de la situation et s'installer dans son ombre.
Ce qui prime ici, c'est le plaisir communicatif des acteurs, et du metteur en scène, devant une histoire qui passe en revue les différentes sortes de confusion, et les péripéties liées à la différence essentielle entre Mannion et Jones (A un moment crucial, Jean Arthur ne reconnait Jones que parce qu'il s'évanouit!), l'un dur, voire ultra-violent, l'autre plus doux et naïf qu'un agneau. Pas de fable à la Deeds ou Smith pourtant ici, même si Ford se plait à peindre, une fois n'est pas coutume, une monde citadin qui n'est pourtant que fort rarement son univers... et on ne s'étonnera pas que les héros, quand on leur demande quelle est leur aspiration profonde, émettent le désir de voyager, pour s'échapper de cet asile de fous qu'est la ville montrée par John Ford.
Et un autre aspect sur lequel je m'en voudrais de ne pas passer, c'est bien sur la prouesse de la double interprétation de Robinson, caricature de Little Caesar d'une part, et pauvre nigaud dépassé par les évènements, qui nous convie lors d'une scène à voir l'effet que font sur lui son premier verre de whisky, et ...son premier cigare! Et mentionner cette prouesse ne serait rien si on n'y ajoutait pas un rappel de l'exceptionnelle photographie de Joseph August qui a eu à mettre au point des effets spéciaux absolument parfaits pour renre crédibles ces allées et venues de deux sosies, souvent ensemble à l'écran. The whole town's talking est un film rare, et honnêtement on se demande bien pourquoi; si ce n'est pas à proprement parler un film dans la tradition de John Ford, c'est un excellent divertissement.