Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 juin 2013 4 20 /06 /juin /2013 07:19

La dame prend vraiment son temps, en particulier depuis sa consécration il y a vingt ans avec The piano: Jane Campion n'a tourné que quatre longs métrages seulement, et comme de juste, a manifesté un refus catégorique de refaire son plus grand succès sous une forme ou une autre; les accusations d'incohérence, d'éparpillement, d'académisme n'y ont rien fait, elle trace sa route au gré de ses envies... Ce qui ne l'empêche pas de retourner vers ses thèmes de prédilection aussi souvent qu'elle le souhaite. C'est donc cette fois à une mini-série, dont elle est l'instigatrice, qu'elle s'est attelée, avec bonheur; secondée par Garth Davis (Pour trois épisodes sur les six que compte l'ensemble), elle est le co-auteur (Avec Gerard Lee, vieux complice des années 80), la productrice, et la "créatrice", toujours avec Gerard Lee, poste hautement stratégique quand il s'agit d'une série. Et l'univers qui nous est montré dans cette série située en Nouvelle-Zélande est de toute évidence celui de Jane Campion... Les acteurs sont venus d'horizons divers: l'Américaine Elizabeth Moss prend sur elle le rôle difficile de Robin Griffin, la jeune inspectrice de police revenue de Sydney, qui tente de garder la tête haute dans le pays de son enfance ou elle a vécu vers 18 ans un épisode traumatisant; Peter Mullan, acteur et réalisateur Ecossais, a la lourde charge d'incarner Matt Mitcham, l'homme qui concrétise la figure du mal ici; David Wenham, le supérieur hiérarchique de la jeune femme, est Australien, ainsi que Genevieve Lemon (Déjà vue dans Sweetie, entre autres); enfin, on notera la réapparition de Holly Hunter, dans le rôle d'une gourou inattendue, avec une longue chevelure blanche, qui nous rappelle la propre coiffure arborée actuellement par la réalisatrice, un clin d'oeil à n'en pas douter.

A Laketop, en Nouvelle-Zélande, on retrouve une jeune fille de douze ans, Tui Mitcham, qui fait une tentative de suicide en se baignant dans les eaux glacées de l'imposant lac de montagne qui donne son nom à la localité. Elle est enceinte mais refuse de donner l'identité du père. C'est à la jeune inspectrice Robin Griffin que l'enquête est confiée; elle va souffrir, puisque ses collègues passent leur temps à la bizuter, pour au moins deux raisons: elle est bien jeune, et c'est une femme... De plus, tout le monde est plus ou moins au courant qu'elle a subi quelques années auparavant un viol en réunion, et dans la société terriblement machiste de Laketop, ça ne pardonne pas. L'enquête va bien vite tourner autour d'une figure locale, le propriétaire Matt Mitcham, un homme dangereux et impulsif, qui utilise la loi et la contourne à sa guise. Il est aussi le père de Tui... Mitcham est d'ailleurs très irrité par une autre affaire, l'installation d'une communauté "new age" de femmes sur les bords du lac, sur un terrain qu'il convoite: les femmes sont toutes en dépression, en instance de divorce ou en deuil, et "G.J.", une Américaine énigmatique, les a réunies ici pour les aider à se reconstruire. L'agent immobilier local qui a cédé le terrain à cette communauté a négligé un détail important: sur le terrain désormais occupé par cet étrange groupe, se trouve la tombe de la mère de Matt. La réponse de celui-ci ne tardera pas:avec ses deux grands fils, ils tuent l'agent Immobilier Bob Platt.

Impossible de résumer aussi facilement les six heures de l'intrigue, mais disons qu'on n'est pas très loin de Twin Peaks, dans l'atmosphère en tout cas. Pas d'éléments surnaturels dans Top of the lake, en revanche, l'essentiel de l'intrigue repose sur les découvertes de quelques squelettes dans quelques placards, sur les soupçons de corruption de la police et de collusion entre Matt Mitcham et Al, le supérieur de Robin, et enfin sur les tensions entre les hommes tout-puissants et des femmes décidées à résister contre le chauvinisme masculin, faisant de ce nouvel exercice de Jane Campion un manifeste féministe bien de sa manière. Tout, ou beaucoup, tourne autour de la femme, depuis les secrets enfouis (Le vrai père de Robin, un secret bien gardé par la mère mourante de celle-ci), jusqu'à l'inévitable accouchement de Tui, qui viendra donner le signal de fin de la série, en passant même par diverses tentatives inattendues de rébellion, comme Bunny, la mécène de GJ, qui contourne la "loi" masculine en payant des hommes pour coucher avec elle, 'sept minutes pas plus' pour ne pas s'attacher!

Nouvelle venue dans l'univers de Jane Campion, Robin Griffin est une cousine de bien des héroïnes de ses longs métrages "traditionnels": elle porte en elle des failles (L'absence d'un père, la mort programmée de sa mère atteinte d'un cancer), des traumatismes (le viol), des désirs (Se faire accepter par des hommes absolument pas prêts à valider son autorité, qui peuvent expliquer la violence contenue qui va parfois exploser, notamment dans une scène durant laquelle elle sera confrontée à l'un de ses violeurs). Elle va aussi trouver une échappatoire dans ses relations parfois tendues avec Johnno Mitcham, le fils de Matt qui s'est éloigné de son père, et qui fut un témoin du viol. Lui aussi porte ses blessures en lui, comme s'il était marqué par ses nombreux tatouages, et il vit dans une tente: contrairement aux autres hommes, il s'est refusé à coloniser le sol et les êtres...

Robin et Top of the lake renvoient à toutes les névroses et toutes les femmes des films de Campion, y compris les deux adolescentes de Two Friends qui se perdent en chemin en grandissant de 9 mois; le refus de l'affection par Kay dans Sweetie, la crise d'autorité de Holly (Holy Smoke), l'envie de se frotter au mal de Fran dans In the cut, la jeune détective est un personnage riche en rappels, tous tournant autour de cette féminité mise à mal qui essaie de triompher. La lutte, ici, prend assez vite l'aspect d'une combat contre le Mal, incarné par le dangereux Mitcham, bien sur, et sa tendance à faire ce que bon lui semble, et à considérer sa terre, ses enfants, ses désirs, comme la loi la plus forte. Mais il n'est pas la seule incarnation du mal; disons qu'il en est la plus visible, un Satan aux cheveux longs et à la voix cassée, qu'on retrouve parfois en caleçon en pleine nature, se flagellant devant la tombe de sa mère avec une ceinture...

Riches en émotions, rythmées par les mouvements prudents et méthodiques de Robin, ces six heures qui nous entrainent parfois comme si de rien n'était dans des à-côtés troublants, nous donnant à voir dès le premier épisode des moments de complicité louche qui font immanquablement monter le soupçon sur tel ou tel personnage, Top of the lake est une mini-série qui fera date, et pas seulement pour rappeler l'existence d'une cinéaste bien discrète: comme toutes les séries réussies, on s'y attache, et on en consomme le venin avec délectation.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Jane Campion