Ce film muet tardif est le plus ancien des films de Naruse à être parvenu jusqu'à nous, un rescapé de nombreuses catastrophes comme tous les quelques pauvres films muets survivants de Mizoguchi, Shimizu, ou encore Ozu. Il reflète particulièrement l'époque durant laquelle il a été filmé, en termes cinématographiques: Naruse s'amuse à enchainer les ruptures de ton, et à utiliser le montage afin de donner des illustrations, digressions et contrepoints. L'influence d'un cinéma bouillonnant et expérimental, du cinéma Européen des années 1925-1930 notamment, se fait sentir dans un montage qui part dans tous les sens et qui donne une grande énergie à ce film court.
L'histoire est à la base une comédie, ce qui surprendra bien sur un peu les familiers de l'oeuvre du cinéaste, et qui plus est, cette comédie est centrée sur un homme, père de famille et modeste employé d'une compagnie d'assurance. Le film le voit à la fois travailler (ni avec un grand talent, ni grande efficacité) à essayer de placer ses assurances, et échapper à sa condition d'adulte. Il essaie d'être un père modèle, encouragé par sa femme, mais se cache lorsque le propriétaire vient réclamer son loyer, et joue à saute-mouton avec les enfants d'une cliente pendant qu'un concurrent réussit à embobiner cette dernière et lui refourgue une assurance-vie... Bref, un enfant, coincé dans une vie mal partie; mais jusqu'à un certain point, la vie reste belle, et le personnage principal réussit même à retourner la situation en sa faveur, et se rend ainsi capable de réaliser son (petit) rêve, acheter un jouet à son fils. C'est à ce moment que ce dernier est impliqué dans un accident très grave...
Le passage délicat de la comédie de caractères à un drame très noir, c'est sans doute la caractéristique la plus notable du film. Du reste, le drame inspire Naruse, qui déploie les grands moyens du clair-obscur dans les scènes d'hopital, absolument magnifiques y compris dans cette copie bien malade. De même, le morceau de bravoure le plus commenté du film, le moment ou on apprend la sale nouvelle au héros, brille-t-il par une séquence de 20 secondes en montage rapide qui nous montre les associations d'idées, souvenirs et regrets à cent à l'heure du personnage. Le film n'est pas, évidemment, comparable à ces grands drames familiaux et pessimistes qui s'attachent à décrire des personnages féminins en lutte quotidienne avec les éléments, mais il est une introduction plus que plaisante à l'univers d'un très grand cinéaste. Il faut remercier Criterion et Eclipse d'avoir une fois de plus permis l'accès à des films rares avec ce coffret des films muets de Mikio Naruse.
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