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12 septembre 2011 1 12 /09 /septembre /2011 10:44


Acte I: Walking down Broadway

Walking Down Broadway est donc le nom du film tourné par Stroheim pour la Fox en 1932. Il semble qu’il ne s’agisse pas pour lui d’un film important, mais plutôt d’une de ces marques bizarres de sa bonne volonté, effectuées afin de prouver aux studios que contrairement à la légende, il peut faire ce qu’on attend de lui (The Merry Widow) … ou d’un metteur en scène sous contrat (Walking down Broadway). En choisissant cette histoire urbaine, moderne, située à New York en pleine crise économique (Elle est citée par les personnages), Stroheim ne fait pas vraiment du « Stroheim », mais il se situe dans la ligne des comédies dramatiques de la Fox d’alors, et son film ne détonne pas énormément avec la production moyenne du studio. Il accepte même de tourner avec des jeunes acteurs sous contrat à la Fox, qu’il n’a donc pas formés: James Dunn et Minna Gombell sont en effet des jeunes pousses du studio (Ils ont notamment tous les deux tourné dans Bad Girl, de Borzage). Boots Mallory n’en est pas exactement à son coup d’essai, ayant tourné un ou deux films, mais on constate que c’est la moins expérimentée qui rafle le rôle principal. Quant à Zasu Pitts, on ne la présente plus. Elle a un rôle pivot dans l’intrigue concoctée par Erich Von Stroheim (Telle que racontée par Herman G. Weinberg, dans son Stroheim : a pictorial record of his nine films, Dover books, 1975): Deux provinciales naïves (Mallory, Pitts) débarquent à New York ou elles peinent à se faire des amis, et grâce à l’aide d’une jeune femme installée depuis longtemps (Et qui se prostitue assez ouvertement) elles prennent confiance en elles et sortent afin de rencontrer des hommes. Lors d’une sortie sur Broadway, elles rencontrent deux hommes, joués par James Dunn (Le gentil Jimmy, délicat et timide) et Terence Ray (« Mac », entreprenant, faux-jeton et aux mains baladeuses). Celui-ci jette son dévolu sur Peggy (Mallory), la jolie fille, et Jimmy se retrouve plus ou moins contre son gré coincé avec Millie (Pitts), qui à partir de là fait une fixation sur celui auquel elle se croit liée pour l’éternité. Après une journée à Coney Island, les quatre rentrent chez les filles, ou Mac a un geste déplacé, qui provoque la colère de Peggy. Jimmy vient la consoler, et ils finissent par tomber dans les bras l’un de l’autre, réalisant qu’ils sont faits l’un pour l’autre, ce que Millie constate très vite: elle va s’acharner sur le couple, afin de les séparer, mais sans succès. Au moment ou elle réalise qu’elle s’apprêtait à détruire un couple d’amoureux sincères et innocents, qui attendent un enfant et vont se marier, elle décide de se suicider avec le gaz, et provoque l’explosion de la maison. Jimmy, qui vient de rompre avec Peggy suite aux mensonges de Millie, accourt pour sauver sa fiancée, dont il ne sait pas qu’elle est hors de danger, et sauve Millie juste à temps pour l’amener à l’hôpital, ou elle meurt après une confession sincère. 

On le voit, si le couple principal reste les gentils Jimmy et Peggy, qui ont droit à leur romance, leur poésie (ils aiment à ouvrir le vasistas, regarder dehors la tête sous les étoiles), leur destin (Ils attendent un enfant), le rôle joué par Millie est très important, et on le mesure d’autant plus que Stroheim l’a confié à Zasu Pitts. Il va même jusqu’à prendre acte que dans l’esprit du grand public, Pitts est une comédienne, qui a déjà été vue dans des courts chez Roach, mais on a sans doute oublié la Cecilia et la Trina de Stroheim, ainsi que son rôle de mère tragique dans le Lazybones de Borzage. Elle est donc au départ une fantasque excentrique (Au moment de rencontrer les garçons, elle se lance dans une diatribe enthousiaste sur les enterrements, sa passion…) , avant de jouer la vengeance et de devenir une figure tragique: Stroheim avait besoin de distance et de longueur pour faire passer la mutation. De même, là ou les films pré-code de la fox ou de la Warner auraient privilégié un début énergique, avec le plus de mouvement possible, Stroheim installe ses héroïnes à New York, afin de les doter d’une personnalité : il sait que le public aura tôt fait d’assimiler ses personnages à des prostituées si il ne prend pas le temps de montrer le contraire. Enfin, il joue sur un grand nombre de ses petites habitudes, opposant les personnages (Mac / Jimmy, ou le retour de Danilo et Mirko), reposant sur ses petits cailloux (Lorsque Millie prend congé de Peggy, elle prend bien soin d’allumer la lumière, un geste manique annonçant son suicide à la fin du film) et sur ses obsessions : le final permet à Stroheim de ressortir son alerte de pompiers de Foolish Wives. Les femmes sont peintes de façon complexe, avec leurs spécificités, de Millie la fantasque à Peggy la romantique (Oui, mais en cette période Pré-code, on peut être romantique et enceinte…) en passant par la très attachante prostituée Mona qui veille sur ses copines et qui mène moralement tout ce monde.

Acte II : Hello sister

A la fin, Stroheim peut donc donner à la Fox un film certes long (On parle de 14000 pieds, soit environ deux heures et demie), mais moderne, mouvementé, agrémenté d’ingrédients épicés, avec des personnages pas trop complexes, mais suffisamment riches pour soutenir l’intérêt. Le final cut lui est malgré tout retiré, et Stroheim se désintéresse du projet. Les raisons, encore aujourd’hui sont mal connues, il y a néanmoins deux théories : les luttes d’influence commencées à la Fox au moment de l’éviction de William Fox, considéré comme incontrôlable, et qui fait peur à l’industrie toute entière avec ses coups de poker permanents, ont laissé en la Fox un studio fragile sans vrai capitaine, et les dirigeants se succèdent, et la bagarre fait rage entre Winfield Sheehan et Sol Wurtzel. Sheehan, lors d’une période ou il contrôlait la production, a permis à Stroheim de faire son film, Wurtzel prenant le contrôle va détruire le travail de Sheehan (et donc le film de Stroheim). La deuxième théorie repose dans le fait que c’est un film de Stroheim, et suivant la vision de Weinberg, Eisner ou Langlois, le studio va forcément casser le film. Il me semble que c’est un peu court, d’autant que c’est la Fox qui lui a confié le film, mais c’est la version communément admise. Peut-être faut il prendre en compte la durée du film: rares sont les films de la Fox qui fassent plus de 90 minutes; et pour la majeure partie des petits films (parce que Walking down Broadway est un petit film !) qui sortent à l’époque, on est plus près de 60 minutes que de deux heures… Le film sera coupé (et partiellement re-tourné) afin de le raccourcir d’une part, mais aussi de changer certains aspects: notamment le personnage de Millie qui va devenir moins important. Un nouveau personnage est inventé, un poivrot que personne ne prend au sérieux, et qui ramène du début à la fin du film des quantités impressionnantes de dynamite, permettant à la nouvelle version d’exempter Millie de son destin tragique. C’est désormais Peggy qui risque sa vie dans l’immeuble en flammes et c’est Millie qui dit la vérité à Jimmy, lui permettant d’arriver à temps et de sauver sa fiancée. Les deux amants se pardonneront sur les toits, près des étoiles, au lieu de finir le film à l’hôpital au chevet de leur amie. Le rôle de Mac prend du même coup plus d’envergure, puisqu’il devient le principal responsable de la brouille entre les deux amoureux. Il n’a aucune envergure, et dans la version exploitée, il est difficile de le prendre au sérieux. Le début du film est aussi coupé, on commence dès l'introduction par la fameuse marche dans Broadway après une courte introduction du personnage de poivrot fatal...

Pourtant, un grand nombre de touches Stroheimiennes demeurent, et l’une des plus spectaculaires reste la tentative de viol dans un placard (C’est Mac qui brutalise Peggy), qui débouche sur une confrontation violente entre Mona et Mac, la prostituée volant allègrement au secours de son amie. La prostitution, justement, est traitée avec une franchise, sans que la morale bourgeoise trouve son compte; ce n’est pas Stroheim seul qui veut ça, il suffit de voir les films que la Warner concoctait à l’époque ; mais c’est la preuve qu’une cohabitation est possible dans le système Hollywoodien des années 1930/1934 entre Stroheim, ses producteurs et le public. Le metteur en scène n’est pas venu les mains vides, et a construit son film en y intégrant ses thèmes favoris: c’est de nouveau d’une histoire de femmes qu’il s’agit, je pense l’avoir prouvé; sinon, la peinture de l’Amérique moderne se double d’un intérêt pour les gens les plus modestes, qui nous rappelle que Stroheim verra toujours les Just plain Danilo Petrovitch derrière toutes les altesses sérénissimes: il n’y a pas de richesse ni de réussite phénoménale dans ce New York qui nous est montré. Les décors de la version actuelle, largement retournée, ne brillent pas par leur véracité ou l’abondance de détails chers à Stroheim, mais la pluie lors de la rupture, l’épreuve du feu à laquelle est soumis Jimmy, ou encore les touches festives à l’approche de noël qui sont disséminées dans le décor New Yorkais, nous renvoient droit à l’univers du symboliste qu’était le metteur en scène.

Pour finir, le titre qui avait été choisi par Stroheim fait écho à la première séquence durant laquelle Mona suggère à ses deux copines de marcher sur Broadway, elles seront sures de trouver des hommes, ce qui enfonce le clou quant à l’identité de la prostituée, mais qui montre l’importance de situer l’histoire en un lieu suffisamment chargé en sens (Les paillettes, mais aussi la vie fourmillante de la grande ville). Le titre finalement choisi pour la version finale renvoie à une phrase prononcée par Mac au retour de Coney Island lorsqu’il aperçoit Mona. D’une part, c’est une phrase courante du parler familier, d’autre part, c’est une allusion du titre au personnage de prostituée, ce qui tend à prouver que décidément ce n’est pas toujours Stroheim qui a mis en valeur le graveleux dans ses films, et que ce n'est sans doute pas pour des raisons morales que son oeuvre a été mutilée, massacrée, anéantie.

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Pre-code