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8 avril 2012 7 08 /04 /avril /2012 09:32

Dans ce western classique, un avertissement nous est donné: l'histoire va se dérouler en suivant une arme, et on a assez clairement l'impression que c'est cette arme qui sera le personnage principal... ce n'est évidemment pas un documentaire sur un fusil, mais l'importance de l'objet est réelle, et la carabine sera successivement un trophée, le symbole de la convoitise, celui de la valeur, et une médaille accordée au vainqueur d'une lutte sans merci, partagée certes entre le bien et le mal, mais avec des moments durant lesquels la frontière entre les deux est bien mal définie... James Stewart, entamant une collaboration exceptionnelle avec Anthony Mann, est Lin McAdam, un homme mu par la vengeance, et qui va trouver la carabine sur son chemin, mais aussi des compagnons d'infortune et des rivaux dans sa quête d'une justice amère...

 

Lin McAdam arrive à Dodge City, la ville dont Wyatt Earp est le Marshall, sur sa route pour retrouver un homme, dont on comprend qu'il va le tuer, par vengeance. Les motifs nous en seront donnés, au fur et à mesure du film: Matthew, son frère, a tué leur père, qui leur avait à tous les deux enseigné les maniement des armes; mais tandis que Lin restait dans la légalité, Matthew s'est dirigé vers le crime; au moment de leur arrivée, Lin et son compagnon de route "High Spade" Frankie Wilson apprennent qu'un concours de tir est organisé, dont le trophée est une carabine convoitée de tous: une Winchester parfaite. Parmi les participants, Lin repère très vite Dutch Henry Brown, qui n'est autre que Matthew, et le concours devient vite la première partie d'un duel entre eux. Lin gagne, mais "Dutch" lui vole la carabine, qui va désormais passer de mains en mains dans une ronde au gré des rencontres: gagnée au poker par un trafiquant d'armes, prise par un chef Indien, reprise par un homme, un lâche fiancé à une chanteuse (Shelley Winters) rencontrée à Dodge par Lin, puis confisquée par "Waco" Johnny Dean, un psychopathe à la Billy the Kid, enfin redonnée à Dutch peu avant sa dernière rencontre avec Lin...

 

Wyatt Earp, un nom célèbre, est ici interprété par Mann de façon réaliste. Il bénéficie pourtant d'un de ces plans superbes dans lesquels le metteur en scène magnifie des hommes déterminés, glorifiés par leur stature: sur la gauche d'un plan, le buste de trois quarts face, avec derrière eux un arrière-plan mythique. Ici, ce sont les citoyens de sa ville qui servent de décor au shérif, mais souvent (par exemple l'indien pris dans la spirale de la vengeance, interprété par Robert Taylor dans The devil's doorway), Mann privilégie les montagnes. De fait, le relief grandiose, majestueux mais aride, replace les personnages dans des passions extrêmes. Le films, comme tant de films de Mann, va montrer des personnages poussés malgré eux dans leurs derniers retranchements...

 

La façon dont la Winchester est mise en avant, dès le premier plan du film, nous met bien sur en appétit; c'est un rappel que la vie sur la "Frontière", tient finalement à peu de choses, comme viennent de le prouver le colonel Custer et Sitting Bull dans la bataille de Little Big Horn. La référence constante à cet évènement sert moins à établir le conflit sanglant entre les colons et les natifs, qui est finalement anecdotique, qu'à installer l'idée que le fusil qui se recharge instantanément est un progrès vital, crucial, dont les tribus pour une fois alliées lors de la fameuse bataille ont bénéficié. Donc, tout le monde veut cette carabine, et tous sont prêts à tout: la jouer au poker, la voler, essayer de la mériter (Le personnage du lâche, Joe, est d'autant plus complexé de se retrouver avec cet objet, qu'il ne saura pas le garder, ni garder du reste sa fiancée, qui semble voir la mort de son petit ami avec un fatalisme refroidissant...).

 

Seul Lin McAdam la gagne de façon loyale, et la plaque qui orne la crosse a bien failli porter son nom. mais c'est un objet inachevé qui se promène de main en main, le nom n'ayant pas eu le temps d'y être apposé. L'ironie, c'est qu'on en fait d'ailleurs la remarque: après l'affrontement d'une groupe de militaires avec un parti Indien, dont les cavaliers Américains sortent vainqueurs, un sergent ramasse la carabine aux cotés du jeune chef (Rock Hudson) mort, et souhaite la donner à Lin, qui estime-t-il, l'a méritée: une façon de souligner d'une part que dans cet univers, même sans savoir, on attribue automatiquement ce trophée à l'homme qui a le plus de valeur, mais ironiquement, c'est ensuite à un lâche rongé par le doute, et qui est tenté par une vie de bandit qu'on va la confier. Sa lâcheté, dans le film, n'est pas condamnée, elle est soulignée, mais il reçoit malgré tout des encouragements pour sa participation à une bataille. Le problème dans l'ouest, c'est qu'une réputation ne s'embarrasse pas de nuances... On retrouve enfin dans l'affrontement final cette ambiguité, lorsque Lin revient vainqueur, désormais de nouveau propriétaire de "sa" Winchester; pour l'obtenir enfin, il lui a fallu accomplir sa vengeance... C'est à dire choisir son camp, c'est à dire tuer son frère. acquisse dans la douleur, la carabine du progrès est une médaille bien lourde à porter.

 

 

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Published by François Massarelli - dans Western Anthony Mann