Certains films de Peter Weir commencent de façon systématique par une plongée inattendue dans un monde qui prend le spectateur par surprise: Dead poets society, par exemple, se situe dans le cercle très fermé d'une école rigoriste dans le Vermont, The Truman show nous précipite sans aucun avertissement dans la réalité parallèle d'une émission de télévision truquée, dont un personnage et un seul est dupe, Fearless commence par les minutes qui suivent un crash d'avion, et Witness débute par des plans d'un enterrement chez les Amish, cette petite communauté protestante de Pennsylvanie, dont les membres continuent à vivre comme au milieu du 19e siècle. De fait, on a peine à croire le texte qui nous assure qu'il s'agit bien de la Pennsylvanie en 1984... Du reste, il faut prendre cet avertissement comme une provocation. Graduellement, Weir va ensuite "retourner" vers l'Amérique moderne, en suivant le voyage à Philadelphie (En Tilbury, puis en train) d'une jeune veuve Amish (Kelly McGillis), et de son fils Samuel (Lukas Haas). C'est dans une gare que le jeune homme va être le témoin d'un règlement de comptes entre policiers, qui va obliger les deux Amish à collaborer avec la police, alors que leurs lois ne reconnaissent aucune autorité extérieure. Puis ils vont devoir se cacher en compagnie du policier chargé de l'affaire lorsque celui-ci aura découvert qu'ils sont en danger de mort.
Le film est donc structuré en deux parties: l'une, qui voit le voyage puis le drame, vus de fait le plus souvent du point de vue de Rachel et Samuel; une deuxième partie qui inverse le processus, John Book (Harrison Ford) venant se cacher chez les Amish le temps de retrouver ses esprits suite à une blessure. A un "witness" (témoin) correspond, finalement un autre: A l'étonnement de Samuel et la méfiance de Rachel vis-à-vis du monde de ceux qu'ils appellent 'les Anglais', répondent comme en écho les difficultés d'immersion de John Book chez des gens dont il a du mal à faire siennes les règles, même s'il les respecte. Cette immersion totale est également celle qu'on retrouve aussi bien dans The Truman show (le spectateur est présenté de front à une réalité virtuelle dont il lui faut de suite décoder le vrai et le faux afin de comprendre le défi auquel Truman est soumis depuis sa naissance) que dans Dead poets society lorsque le professeur incarné par Robin Williams devient automatiquement le professeur préféré des élèves et l'homme à abattre pour sa hiérarchie, parce que chacune de ses initiatives représente une transgression...
Echange de rôles, échanges de regards, contagion et corruption: on se dit que John Book, à l'issue de cette expérience, ne sera jamais le même. La tentation de rester, et d'aimer Rachel (Qui n'aurait pas dit non) existe bel et bien; Pour Rachel, toutefois, qui a déja été mariée, a aimé, et ne considère pas sa culture comme un carcan, le changement ne semble pas si profond. Mais pour Samuel? Le jeune homme a subi un traumatisme, superbement orchestré dans une scène à la violence soudaine et sauvage, un choc culturel qui ne peut pas le laisser indemne. Comme pour enfoncer le clou, Weir donne un autre écho à cette scène, une autre transgression: à la vision par un petit garçon cloîtré dans les toilettes d'un meurtre, il oppose la vision fugitive d'une femme qui se lave, une image que dans la très puritaine communauté Amish, on s'en doute bien, on ne voit pas tous les jours. Rachel se lave, est surprise par John Book, et au lieu de cacher sa nudité, elle le fixe, avec provocation. Lui ne sait quoi faire, puis part: il sait que s'il avaient laissé libre cours à leur envie commune, le retour en arrière était impossible. Deux images qui risquent, donc, de tout faire basculer; le reste du film insiste beaucoup sur cette notion d'échange culturel, mais les principales différences philosophiques ne seront pas axées sur le sexe ou l'amour: c'est principalement de violence et de mort qu'il s'agit, à travers les difficultés des Amish à accepter la présence d'une arme chez eux, et la gaucherie cocasse de John Book. Le passage du policier chez les Amish est pour lui bien plus qu'une expérience touristique (Par ailleurs, Weir nous montre brièvement les touristes Américains qui viennent en Pennsylvanie rurale comme au zoo, pour apercevoir ces étranges Américains à grand chapeau...): il vit chez eux, les respecte, et va même participer à la construction d'une grange!
Un thriller qui se mue en réflexion philosphique sur la différence, l'interpénétration des cultures: le cinéaste Australien, l'auteur de The last wave sur les rapports compliqués entre Aborigènes et Australiens blancs n'a pas, on le voit, totalement abandonné son univers en venant s'installer à Hollywood. Sous ses dehors atypiques mais pas si rares dans les années 80 (Polar philosophique, méditation sur la violence, le tout agrémenté d'une musique synthétique assez fade, signée de Maurice Jarre), il signe un film qui contient en germe d'autres explorations, qui suivront, et qui font de lui un cinéaste brillant, touche à tout, et volontiers excentrique...