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2 janvier 2011 7 02 /01 /janvier /2011 09:47

Avec Michael Mann, stylistiquement, ça passe ou ça casse. Héritées de la télévision, je suppose, certaines petites manies le rendent parfois irritant, et n'oublions pas que le bonhomme a fait partie des réalisateurs découverts dans les années 80: son Manhunter si riche en émotions, et si influent (Seven en est de l'aveu même de David Fincher très inspiré) est aussi un catalogue d'effets gratuits et énervants, et un réservoir de soupe musicale robotique de la pire espèce, tout en étant beaucoup plus qu'un honnête thriller. The keep pousse le mauvais goût au-delà du ridicule... Son obsession du ralenti, toujours un brin contemplatif, et qu'il n'hésite pas à répéter, le pousse parfois vers la gratuité.

Mais c'est un auteur intéressant, et sur certains films il va bien plus loin, j'en veux pour preuve cette grande date qu'est Heat, ou plus près de nous le splendide Collateral, dans lequel, mais oui, Tom Cruise se révèle un grand acteur. Mon film de Mann préféré, toutefois, celui auquel j'aime à revenir de temps en temps, c'est ce beau, presque anachronique traitement d'une histoire ultra-classique, The last of the Mohicans.  

Lors des conflits Franco-Anglais sur la domination du territoire Nord-Américain, les Anglais qui sentent la partie perdue pour eux doivent faire face à une radicalisation des Français, ceux-ci n'hésitant pas à faire alliance avec des tribus locales peu regardantes sur les moyens à mobiliser, notamment les Hurons, ou les Ottawas du Nord. Les Anglais, pourtant, continuent de considérer la situation sous l'angle de la domination coloniale, et réclament des populations de leurs colonies une obéissance absolue, qui fera long feu. Dans ce contexte, la naissance d'un sentiment anti-Anglais, voire anti-Européen, agite les consciences, et va être largement symbolisée par le personnage de Nathaniel Poe, dit Oeil de faucon (Hawk-Eye), un Anglais recueilli quand il avait deux ans par Chingachgook, un Mohican, qui a tenu à lui donner à lui et à son fils Uncas la meilleurs éducation possible: Mohican ET Anglaise. Ces trois-là ne se préoccupent pas de politique, mais ils agissent selon leur coeur.

Au milieu de cette situation explosive, l'arrivée de deux jeunes femmes, Cora et Alice Munro, venues retrouver leur père,  parce que naïvement elles ne peuvent imaginer le colonel Munro dans un autre contexte qu'une situation civilisée, va précipiter un peu plus les choses, provoquant l'intérêt de Hawk-Eye (Cora, c'est Madeleine Stowe, donc elle est jolie comme tout), mais aussi de Magua, le fourbe Huron allié des Français: celui-ci a un compte à régler avec le colonel Munro. Par la faute du militaire, sa famille a été détruite, il envisage donc de se venger en tuant l'officier et en massacrant sa progéniture...

Le traitement est donc d'abord frontal, pas de second degré ici: l'histoire de James Fenimore Cooper (Qui a fait ses preuves, nous en conviendrons) est prise au pied de la lettre; on assiste donc à cette cavale merveilleuse à travers les bois du nord-est des futurs Etats-Unis, à pied, et pour celà on suit un acteur qui ne s'arrête pas en route pour nous faire des clins d'oeil: Daniel Day-Lewis interprète Nathaniel "Hawk-Eye" Poe, fidèle à lui-même. C'est d'ailleurs très logiquement avec lui et ses deux compagnons, Uncas (Eric Schweig), son frère de sang, et Chingachgook (Russell Means) son père adoptif, que le film commence, la belle photographie de Dante Spinotti nous montrant les trois trappeurs dans leur élément, en pleine forêt, chassant: le ton est donné: le film nous conte précisément les déboires de l'homme dans la nature, un motif obsessionnel, et pas question ici de chevauchées, on est en plein sous-bois, en pleine montagne. 

Donc, c'est physique, et les acteurs jouent d'abord sur ce terrain là; le fait que quatre langues aient été utilisées sur le tournage (Anglais, Français, Mohican, Huron) rend la communication volatile, mais l'essentiel tient du geste, et à ce titre, chaque décision de Nathaniel, chaque crime de Magua (LE méchant du film, interprété par Wes Studi, qui jouait déjà le plus menaçant des Pawnees dans Dances with wolves de Kevin Costner) est un geste d'une précision diabolique. Dans un autre ordre d'idées, Cora Munro ne dira pas à Nathaniel qu'elle l'aime, elle laissera les gestes et son corps prendre sans aucune équivoque la parole, dans une scène de retrouvailles d'une grande beauté; elle a au préalable communiqué à son fiancé officiel, d'une façon très officielle, en choisissant ses mots, qu'elle ne l'aimait pas: choc des cultures...

Un motif traverse le film et lui donne un incroyable dynamisme: le regard des protagonistes; on observe beaucoup dans ce film, à découvert ou non, depuis les embuscades des Hurons, jusqu'aux scènes de l'arrivée des deux jeunes filles, qui découvrent cette sauvagerie du nouveau continent à laquelle elle ne voulaient pas croire, dans une scène anthologique de massacre, durant laquelle Mann multiplie les plans insérant aussi bien le tueur que la victime (on le sait, c'était interdit par le code dans les années 50. Maintenant, on peut!). La violence du film est stylisée, bien sur, mais Mann a moins recours que d'habitude aux plans ralentis, même s'il les utilise à bon escient, notamment dans la scène du second massacre, sans aucun doute le meilleur moment du film, pour nous montrer Nathaniel qui se précipite pour sauver Cora.

Cette scène, au passage, me rappelle la version de Maurice Tourneur et Clarence Brown, tournée en 1920, et qui était déjà une adaptation exceptionnelle: le moment de surprise lorsque, après leur reddition, les Anglais abandonnent le fort aux Français, qui leur ont promis de ne pas les attaquer, alors que les Hurons qui eux n'ont rien promis leur tombent dessus et ne font pas de quartier, est un moment d'anthologie, préparé de façon rigoureuse durant tout le film: la communion fragile de l'homme et de la nature, montrée par les pratiques délicates et les gestes surs des trois Mohicans au début, l'intrusion des Anglais, rouges vifs dans les bois magnifiquement verts de la nature triomphante, les désir de vengeance de Magua, considéré par ses chefs Hurons comme un agaçant caprice précisément dû aux Anglais, tout va vers ce massacre, scène-clé d'un film qui nous conte comment la nature de la Nouvelle-Angleterre appartient à ceux qui savent l'habiter, combien la partie est décidément perdue pour les Anglais qui croient vraiment pouvoir transformer l'Amérique en une succursale de l'Angleterre (Toutes les discussions entre les colons et les militaires vont dans ce sens), et qui nous montre les colons Américains se sentir détachés d'un conflit qui les dépasse, mais dont ils sont les victimes. La révolution Américaine est déjà en marche...

La fin du film, qui se situe en hauteur, forcément, se joue principalement entre Nathaniel, son père et son frère, et Magua. Toutefois, un seul grain de sable va entraîner la mort de deux autres protagonistes: Alice Munro, effacée au cours du film, immature et dans l'ombre de sa grande soeur qui se laisse aller à son coeur, est l'enjeu d'une poursuite: il ne fait aucun doute que Uncas l'a choisie pour femme, et quand Magua la garde avec lui, pour lui faire subir sa vengeance, il joue son va-tout pour la sauver. Dans la lutte qui s'ensuit, Uncas meurt. Laissée à un choix entre la mort et la barbarie de Magua (Qui a fait ses preuves, il faut en convenir), la jeune femme au bord d'un gouffre fait l'inévitable choix de sauter. Mann suspend son action en quelques secondes, donnant à la jeune femme une importance qu'elle n'a jamais eue auparavant. Concession au roman, rappel des convenances contemporaines (Echapper au destin "pire que la mort", comme chez Griffith), mais aussi rituel de mariage entre Uncas et Alice, totalement choisi par la jeune femme. La scène est très belle, et le final reste à un échange entre Chingachgook et Hawk-eye, contemplant leur terre, et philosophant sur le devenir de cette Amérique, surtout Chingachgook, le "dernier des Mohicans": ils sont les derniers représentants d'une autre civilisation. L'avancée de l'histoire, le choc entre la nature et l'imbécillité de l'être humain, dans lequel celui-ci, comme en témoignent les nombreuses morts violentes du film, n'était pas toujours prêt... 

Bref, on l'aura compris, c'est un festival de lyrisme grandiose, superbe et interprété par de grands acteurs, dont en particulier Daniel Day-Lewis, Madeleine Stowe, et Wes Studi sont les plus admirables. Deux heures de bonheur, prises frontalement, dans lesquelles le thème habituel chez le metteur en scène (Voir The insider, ou Collateral à ce sujet) du mélange, de l'échange tortueux, des chocs entre les contraires, trouve à s'exprimer pleinement.

Dans ce contexte, la cerise sur le gâteau, c'est le choix de la nature de caroline du nord pour laisser s'égayer les personnages. Là ou le Canada est souvent choisi, Mann, comme Malick après lui, a choisi les étendues encore sauvages de ces Montagnes, et gagne ainsi en authenticité, le film devenant de fait un espace de liberté et de nature qui donne envie de s'y téléporter sur le champ...

Deux dernières remarques: à une reprise seulement, Daniel Day-Lewis fait allusion à son nom Mohican, le reste du temps, il est Nathaniel Poe, et à une reprise (Chez les Hurons), il se présente comme "Longue Carabine", en Français dans le texte. Le générique de fin le nomme pourtant sans ambiguité Hawk-Eye, comme le nommait le plus souvent James Fenimore Cooper dans le livre.

Par ailleurs, le personnage, qui a bien entendu "le meilleur des deux mondes" selon le souhait de son père adoptif qui l'a envoyé s'éduquer chez les missionnaires mais lui a appris avec efficacité à vivre en harmonie avec la nature, qui aide les Anglais dans leur lutte contre les Français, mais qui aide les Américains dans leur volonté d'échapper au joug Anglais, qui vit chez les Mohicans, mais va parlementer avec les Hurons dans une scène impressionnante, où les coups de hache pleuvent, c'est sans doute le plus Américain de tous.

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Mann