Un film muet Américain d'une durée proche de deux heures, situé pour une large part à Monte-Carlo et qui fustige la corruption morale à l'heure du conflit mondial en représentant un prince Russe exilé qui se sert des femmes pour son plaisir... Ca rappelle forcément quelque chose, sauf que ce n'est en aucun cas Foolish wives! D'ailleurs, contrairement au film de Stroheim, cette production extravagante de William Randolph Hearst a été tournée dans le Sud de la France, d'où l'utilisation de plans splendides des rochers de Monaco et de l'arrière-pays Niçois...
En Russie, avant la première guerre mondiale, le prince Michael Lubimoff (Lionel Barrymore) croit en une supériorité de l'homme sur le femme, et organise des fêtes crapuleuses où il invite ses amis à plonger dans l'égoïsme et la luxure, suivi en particulier par son amie Alicia de Lille (Alma Rubens) qui l'aime en secret. Mais Lubimoff se bat en duel et doit fuir son pays. Avec Alicia, il se réfugie à Mont-Carlo, mais il fait une crise de jalousie à Alicia quand il la surprend au bras d'un très jeune homme (William Collier): ce qu'il ne sait pas c'est que ce n'est pas l'amant, mais le fils secret de son amie...
Lubimoff, avec ses amis Spadoni (Gareth Hughes) et Italio Castro (Pedro de Cordoba), se réfugie dans une villa où ils décident de vivre, désormais, à l'ébri des femmes... mais la guerre et la nécessité de s'engager vont bientôt rattraper ses deux compagnons... Ainsi que Gaston, le fils d'Alicia.
Plus baroque que ce film adapté de Vicente Blasco Ibanez, semble impossible, à moins bien sûr de se précipiter (mais pourquoi???) vers le fameux Salome de Alla Nazimova! Crosland, qui devrait quand même savoir que le code de production dans sa première version a été édicté par Will Hays, mais semble flirter avec la transgression dans sa peinture de la corruption du monde de Lubimoff, attablé face à des dizaines de femmes aux habits suggestifs qui semblent ne danser que pour lui... Mais justement, cet excès, qu'on retrouvera en mode plus ironique dans Don Juan et When a man loves, est justement ce qui fait le sel de ce film, avec le plaisir de retrouver un Lionel Barrymore 'jeune' (il avait quarante-quatre ans, mais en paraît facilement dix de plus, déjà), et l'intrigante mais excellente Alma Rubens. Ils électrisent le film, dont le luxe de détails est insolent, et je le disais plus haut, le cadre splendide. Alors qu'importe que ce ne soit pas très raisonnable?
Comme si souvent la corruption y est de toute façon érigée en contre-exemple, et la guerre va devenir l'exutoire de cet égoïsme militant, offrant aux uns et aux autres la possibilité salutaire d'un sacrifice personnel. Une dialectique qui tranche un peu sur les habitudes des films de 1919-1921 qui eux utilisaient la guerre certes pour glorifier l'héroïsme individuel, mais aussi pour diaboliser les Allemands! Le conflit ici est interne, et puis... la Révolution d'Octobre est passé par là, fournissant au cinéma Américain un nouveau type d'ennemi prêt à l'emploi. Crosland se saisit de cette possibilité lors d'un déplacement de Lubimoff en Russie, où il est confronté aux Bolcheviks, et doit même lutter en corps à corps contre le massif Ivan Linow. Trois ans plus tard, ce sera au tour de Don Juan -John Barrymore contre Montagu Love!
Le film hélas est incomplet, préservé dans une copie privée de deux bobines, et dont une partie des intertitres a disparu aussi. Il fait l'objet d'une restauration à l'heure actuelle, et la localisation des parties manquantes est en cours... Croisons les doigts pour qu'on puisse retrouver ces pièces manquantes d'un puzzle des plus extravagants...
Je ne peux pas me résoudre à comprendre pourquoi René Clair a coupé son premier film, en 1950 (pas le seul d'ailleurs, il a aussi taillé dans Sous les toits de Paris et A nous la liberté), et je ne peux que condamner un geste décidément courant et irritant (Chaplin, Kubrick, Peter Weir) qui tend à nous priver, objectivement, de la réalité physique d'un film en son temps et en son heure. Comme il est de bon ton chez les critiques Français de dire amen à certains réalisateurs, et de condamner les autres, Clair faisant partie de la première catégorie, personne ne semble s'en émouvoir. Maintenant, admettons que le film est un film amateur, ne cherchant pas à être autre chose, et qu'il était peut-être encore pire dans son incarnation originelle... Mais là n'est pas le sujet. D'autant que c'est la version intégrale de Paris qui dort qui est désormais disponible dans une magnifique édition restaurée en 4K, chez Pathé, avec ses qualités, et ses défauts de 1923...
Parfois acteur, souvent journaliste, toujours cinéphile, Clair était à cette époque suffisamment passionné pour se lancer dans un film, pour lequel il décrocha un contrat avec Henri Diamant-Berger. Ecrit et mis en scène par lui-même, avec Henri Rollan et entre autres Albert Préjean, Paris qui dort est une introduction idéale à son univers...
Le gardien de la tour Eiffel (Rollan) se réveille un matin, surpris: là, en bas, plus rien ne bouge... Il descend pour constater et se retrouve seul, tout seul. Les autres Parisiens sont bien là, mais endormis, figés dans un geste: un voleur sur le point d'être attrapé par un agent de police, un homme qui allait se jeter dans la Seine, des clients d'un restaurant: plus personne ne bouge! Mais il est rejoint avant longtemps par le pilote (Préjean) et les passagers d'un avion qui vient d'atterrir: eux non plus n'ont pas été touchés par le phénomène étrange qui a endormi la capitale (Et, incidemment mais ça n'a pas l'air de choquer qui que ce soit, le monde entier)... Ils vont donc se livrer à des pillages en règles, cambriolages faciles, repas gratuits dans les meilleurs restaurants et même vol de Joconde, avant de se rendre compte de l'inévitable: qu'est-ce qu'on s'ennuie quand tout est permis...
Quant à l'étrange phénomène, ils auront bien sûr une explication, définitive et se passant avantageusement de commentaire: savant fou.
L'oeuvre de Clair, à l'époque du muet, est encadrée par la Tour. Son premier et son avant-dernier film des années 20 lui doivent beaucoup, et ici, on retrouve cet émerveillement d'enfant qui est l'essence même du court métrage de 1928 (La Tour, justement), dans la plupart des plans. ces gens, des oisifs de fait, forcés par l'étrange arrêt du monde à ne plus rien faire, sont basés à la Tour Eiffel, s'y amusent, testent leur équilibre, etc... Des vrais gosses, si vous voulez mon avis. C'est sans doute là que se situe le meilleur de ce petit film sympathique mais si mal foutu, dans le plaisir de la transgression légère, du méfait gentiment irresponsable.
Mais le film installe aussi, à sa façon, le style et l'univers d'un metteur en scène lunaire, et bien souvent trop poli: il y aurait eu tant à faire avec ce film, qui a au moins un avantage certains sur les Gance et L'Herbier et consorts (oui, c'est bien à mes yeux un film avant-gardiste): il n'a aucune prétention d'aucune sorte. Juste l'envie de se laisser aller à une rêverie gentiment irresponsable, et située délibérément là-haut, à 300 m de hauteur: autant dire à l'écart du monde...
On a écrit tellement de bêtises sur Rosita (probablement autant que sur Greed, Citizen Kane et Intolerance) que la légende l'a emporté: un film que sa star aurait détesté, sur lequel elle aurait tant affronté son metteur en scène qu'il en aurait été viré, au point qu'un autre (Raoul Walsh) aurait été convoqué manu militari pour finir le film... Au final, un film raté qui aurait été un tel flop qu'il devenait impossible à quiconque de prononcer le nom de Lubitsch devant Pickford!
Du reste, si on lit les commentaires a posteriori de Pickford sur le film et sur le metteur en scène, c'est vrai: elle a en effet pris le film et son auteur en grippe, une fois sa carrière achevée... mais elle a eu tendance à faire d'un film qui ne fut pas un énorme succès, le flop qu'il n'était pas. Et les historiens qui lui ont emboîté le pas ont non seulement contribué (à une époque où il était assez facile de ne pas voir les films dont on parlerait abondamment, dans la mesure où le public ne les verrait pas plus!) à officialiser le film comme étant mauvais, ils ont aussi contribué à sa quasi-disparition. Rosita était virtuellement un film oublié, impossible à voir dans de bonnes conditions depuis des décennies...
C'est Pickford qui a fait venir Lubitsch aux Etats-Unis, une belle idée: si elle ne l'avait pas eue, il est probable que quelqu'un d'autre l'aurait eue... Sinon la face du cinéma Américain eut été changée. Je pense que ce qu'elle voulait était ce cinéma vigoureux, légèrement excentrique, mais au soin remarquable, qui triomphait dans le films les plus spectaculaires du metteur en scène: on ne s'étonnera donc pas trop que Rosita ressemble par certains côté plus aux films Allemands de Lubitsch, qu'à ses futurs films Américains.
Rosita (Mary Pickford) est une jeune femme qui vit à Séville, pendant le règne d'un roi d'espagne (Holbrook Blinn) aussi dépravé que son épouse (Irene Rich) est juste et vertueuse; la jeune femme chante d'une façon provocatrice des chansons qui attaquent la moralité et la corruption de la cour. Quand elle est arrêtée, alors qu'elle vient de chanter en public devant un inconnu fasciné mais masqué, le roi incognito, le noble Don Diego (George Walsh) prend sa défense et tue un garde: il sera condamné à mort. Mais Rosita, protégée par le roi, va au contraire se voir dotée d'une villa luxueuse... Jusqu'à quel point pourra-t-elle échapper aux implications de sa nouvelle condition? ...Et comment sauver Don Diego, l'homme dont elle est instantanément tombée amoureuse?
Ce qui me frappe, c'est de voir à quel point le film est un confluent: si Rosita existe, c'est non seulement par la volonté conjuguée de sa star et de son metteur en scène, mais aussi par le fait que les collaborateurs les plus prestigieux se sont succédé: Hanns Kräly, venu avec Lubitsch, a apporté sa touche au script, le décorateur William Cameron Menzies (qui s'échauffait pour The thief of Bagdad, et ça se voit!) a partagé son crédit avec un autre import, Svend Gade, le cinéaste-décorateur du Hamlet de Asta Nielsen, et on retrouve sa patte dans la façon dont Lubitsch va composer avec des décors imposants mais qui restent étonnamment, si j'ose dire, à taille humaine! Enfin, Charles Rosher, le chef-opérateur attitré de Mary Pickford au cours des années 20, est déjà en place.
Le film est intéressant aussi pour son maniement des foules, un point fort de Lubitsch dans tous ses films Allemands à grand spectacle: ici, il s'amuse de l'atmosphère de quasi-orgie permanente dans Séville... Car ce film de Mary Pickford, assez notable, est en effet la première tentative des années 20 de sortir l'actrice de son rôle d'éternelle petite fille, et Lubitsch a pris cette mission à coeur: tout ce qui tourne autour du personnage de Rosita permet à Pickford de jouer d'une façon surprenante, qu'on n'avait que peu vue jusqu'alors: un rôle d'adulte, de femme aimante, et lors d'une scène, il n'est pas très difficile de comprendre que Rosita a passé une nuit d'amour avec Don Diego (pour information, ils se sont mariés entre-temps, rassurez-vous)... Mary Pickford se joue avec génie de la façon dont Lubitsch fait exploser les frontières du drame et de la comédie autour d'elle, comme dans la scène célèbre du panier de fruits...
Autour d'elle, Holbrook Blinn interprète un roi qui est une insatiable fripouille, donc un rôle fort rigolo à jouer. Il est très Lubitschien, aussi, versant Emil Jannings: pas très éloigné du Henry VIII du film Ann Boleyn (1920), soit un type capable d'aimer avec tendresse la même personne qu'il exécutera deux années plus tard... un rôle de fieffé coquin sympathique, qui va quand même commettre deux trois exactions malfaisantes sans se départir de sa bonne humeur. Ceux qui verront Irene Rich en mère-la-pudeur un peu sèche en seront pour leurs frais à la fin du film, et... George Walsh n'est pas formidable, par contre... C'est amusant quand on apprend que Pickford voulait travailler avec Ramon Novarro, quand on sait que ce dernier a remplacé Walsh dans le rôle de Ben Hur...
Le film n'est pas un chef d'oeuvre, mais un cas intéressant, une sorte de ballon d'essai pour Mary Pickford comme pour Ersnt Lubitsch, qui mélange ici les genres avec maestria, mais se retrouve quand même avec une intrigue finalement assez anecdotique. Restent de belles scènes qui permettent au talent exceptionnel de Mary Pickford de s'exprimer. Mais l'expérience a été de courte durée: l'actrice a vu le succès mitigé du film comme un signe qu'il aurait mieux fallu s'abstenir, et a eu tendance à la fin de sa vie à en blâmer Lubitsch, ce qui est inélégant au possible: je répète que ce n'est pas son plus grand film, mais ce Rosita permet au moins au réalisateur de donner un film qui possède une grande classe. Quant a crédit de Walsh (Raoul, pas George) répété à l'envi par tous les journalistes sous-informés, je pense qu'il faudrait en tracer la source dans le fait qu'en 1923, Walsh était un visiteur fréquent du couple Pickford-Fairbanks, alors qu'il préparait The Thief Of Bagdad avec l'acteur (et incidemment avec William Cameron menzies). Peut-être a-t-il été consulté ça et là, peut-être était-il plus facile de dialoguer avec lui qu'avec Lubitsch, qui ne maîtrisait pas l'Anglais. Peut-être une Mary Pickford âgée a-t-elle souhaité arranger l'histoire en choisissant de donner le beau rôle à un Irlandais, comme elle? ...Ou peut-être que le whisky... Bref. On a enfin une restauration décente de Rosita, et ça, c'est formidable!
Anders Wilhelm Sandberg ambitionnait, lorsqu'on l'avait promu réalisateur dans les années 20, de devenir le maître de la comédie au Danemark... Mais le créneau était déjà pris: Lau Lauritzen occupait de façon incontestable ce terrain. Néanmoins, à la vision de ce film, on peut se dire que l'idée a du avoir du mal à lui sortir de la tête... C'est une comédie policière particulièrement farfelue, dont le succès a dépassé les frontières au point qu'il est plus facile de trouver le film ou des renseignements le concernant sous son titre Anglais: The Hill Park Mystery, ou The Park Hill Mystery, puisque on trouve les deux!
Le journaliste Erik Brandt (Gorm Schmidt) est arrivé à la rédaction de son journal à Copenhague, avec à nouveau la résolution d'une enquête. Grâce à son acharnement, il est venu à bout d'un tueur redoutable... mais n'a pas dormi depuis bien longtemps. Il se rend donc chez lui avec un chèque conséquent, et deux semaines de vacances pour rattraper ses nuits en retard, et comme le dit un intertitre, "n'aurait pas du regarder par la fenêtre".
...Car il y a vu un meurtre, simple, bête et brutal. Dans le parc avenant à sa propriété, un homme est accosté par une femme (Olga D'Org) qui fait tomber ses cigarettes, et quand l'aimable citadin les ramasse, il se prend un coup sur la tête, qui le laisse raide mort pendant que la femme disparaît. La police n'ayant que peu d'envie de le croire, le jeune détective va se lancer aux trousses d'une tueuse qui est d'autant plus redoutable qu'elle est particulièrement avenante, et pas insensible à son charme elle non plus...
Impossible de prendre au sérieux ce film qui lance un détective compétent mais très très fatigué, dans des aventures où le cocasse le dispute à l'absurde. Sandberg s'est clairement énormément amusé, en variant les décors avec un goût certain, une pointe d'extravagance dans le farfelu (on pense parfois au ton particulier du Brasier Ardent, la flamboyance en moins), et bien sûr ne rate aucune occasion de relancer le mystère en prenant systématiquement le point de vue du héros, c'est à dire celui de l'homme qui n'a en réalité rien compris du tout!
Sandberg se paie même le luxe de se placer dans son film, et de chasser sur les terres de Lauritzen dans une jolie séquence à la mer avec ses baigneuses en maillot. Il se dégage de ce film pour le plaisir un parfum enivrant de parfaite carte postale du muet, sans un gramme de drame, ce qui est quand même frappant pour une production Danoise! Bref, ce film oublié du réalisateur de Klovnen est plus que recommandable, il est donc hautement recommandé.
Nancy et Georgina Brent, deux jumelles, sont les filles d'une solide et prospère famille du Devon. Autant Nancy est volage, capricieuse, dynamique et incapable de rester en place, autant Georgina est calme, posée et pleine de retenue. Un jour qu'elle revient de Paris où on imagine qu'elle a été faire les quatre cent coups, Nancy rencontre sur le bateau Robin, un bel Américain. Mais ce serait trop simple u'elle laisse ce dernier faire sa cour comme il l'entend, alors Nancy décide de lui mettre sa soeur dans les pattes sans le prévenir. De quiproquo en quiproquo, le père qui se désespère et la fille qui s'ennuie vont tous deux partir pour changer de vie, laissant Georgina assumer l'identité de sa soeur auprès de Robin... Sauf que bien sûr, Nancy, qui a une vie dissolue à Paris, ne parviendra pas tout à fait à se faire oublier...
C'est un scénario de Hitchcock, le deuxième pour Cutts après Woman to woman, dont la particularité est d'avoir exactement la même équipe: même réalisateur bien sûr, même assistant/décorateur/scénariste (Hitchcock), mêmes stars (Betty Compson et Clive Brook)... Sauf que ce premier film, qui est hélas totalement perdu, a été un énorme succès aussi bien en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis... L'idée de Cutts, qui allait ensuite la transmettre à son génial assistant, était de considérer que si la plupart des films Américains étaient meilleurs que les films Britanniques, alors il fallait voir et savoir comment ils étaient confectionnés. Et de fait ce deuxième film est dans la droite lignée d'un solide mélodrame Américain, et pas les pires: on pourrait aisément, dans cette histoire mélodramatique de deux jumelles dont l'une seulement est dotée d'une âme, voir un film de Rex Ingram, dont le style fait de touches esthétiques et de flamboyance visuelle, est assez proche de celui de Cutts. Mais le scénario, lui, est fermement ancré dans le mélo, et pas de la première fraîcheur!
Mais la mise en scène, sur les trois bobines qui nous restent (les deux premières et la quatrième, sur un total de six), nous montre une certaine assurance, un don pour les ambiances variées (avec un goût affirmé pour les scènes nocturnes bellement éclairées) et une envie de dynamisme, qui placent ce film largement au-dessus de la production Anglaise contemporaine.
Et maintenant, venons-en à la question qui fâche: on passe le plus souvent sous silence la contribution de Cutts, pour faire de ce film "le plus ancien film d'Hitchcock conservé"... Les sites les plus divers mentionnent Hitchcock comme co-réalisateur: de quel droit? J'ai vu deux films de Cutts: celui-ci, du moins les bobines qui restent, et The Rat. Ce dernier film, une comédie policière avec Ivor Novello, a été fait sans la moindre intervention d'Hitchcock. Et surprise: il est bon, voire très bon... Truffaut a fait beaucoup de mal à l'histoire du cinéma, au point de donner des oeillères à à peu près tout le monde et en particulier sur l'histoire du cinéma Britannique. Certes, la place d'Hitchcock est celle d'un géant, pas celle de Cutts. Mis de là à penser que le futur petit génie se soit fait engager par un metteur en scène aguerri auquel il aurait tout appris, c'est un peu fort de café...
Une dernière note en forme de clin d'oeil à un ami: il y a un jeune premier dans ce film, and he's one of us.
On finit quand même par perdre patience devant ces films réalisés la même année que disons, Safety last de Lloyd, ou Our hospitality de Keaton: certes, Diamant-Berger, producteur, avait eu la bonne idée de permettre la même année à René Clair de réaliser son premier film, et certes le metteur en scène des Trois mousquetaires avait effectivement tenu le public Français en haleine sur les douze épisodes d'une adaptation digne du roman de Dumas, en 1921-1922, et l'avait même fait suivre d'un Vingt ans après dont on murmure qu'il était fort réussi...
Mais ce n'est pas suffisant pour accepter tout et n'importe quoi, et si ce Jim Bougne commence par un excellent gag digne de Lloyd (une scène en trompe l'oeil du plus bel effet, dans laquelle on reconnait d'ailleurs Albert Préjean, silhouette fréquente dans les films de HDB), l'intérêt cesse immédiatement: un père soucieux de mélanger l'avenir de sa fille et son intérêt pour la boxe, désire ne la marier qu'à un pratiquant de ce noble art. La belle a donc l'idée de faire passer son amant Maurice (Chevalier, bien sûr) pour un boxeur...
...Et forcément, il devra le prouver sur le ring. Pendant 18 longues, très longues minutes, qui ne feront rire que ceux qui penseront à autre chose pendant le calvaire. La comédie valait mieux que ce pensum.
Maurice (Chevalier) aime Pierrette (Madd) mais comment l'approcher quand elle passe toutes ses journées dans la petite institution pour jeunes femmes très convenables qui lui sert de lieu d'études? Mais il a une idée: on attend Gonzague, l'accordeur, de pianos, dans l'école: sans rien connaître à la musique, le jeune homme sera donc l'accordeur attendu. Sauf que l'affaire se corse lorsque les parents de Pierrette appellent l'institution pour qu'on leur recommande un accordeur de pianos pour la petite réception qu'ils organisent le soir même...
Cette petite comédie burlesque prend racine sur une pièce de boulevard, dont elle ne se détache que rarement... Tout se passe comme si l'esprit d'Henri Diamant-Berger avait été ailleurs: dans l'envie de se concentrer sur Maurice Chevalier, dont c'était l'un des premiers, et rares, rôles cinématographiques, peut-être? Et puis le réalisateur, à cette époque, était plus préoccupé de production, et ça se voit: il manque quelque chose dans ce petit film mal foutu... Il est vrai que Diamant-Berger, avant Les Trois mousquetaires, se voyait plutôt attiré par la production.
Le cinéaste, prenant sans doute appui sur les habitudes des années 10, privilégie les plans larges, et la distance, mais s'interdit aussi souvent que possible de passer par des plans plus rapprochés. Le résultat est sans appel: on perd beaucoup dans ce film où le regard n'est pas attiré par quoi que ce soit. Les acteurs cabotinent, et ne sont pas de la première fraîcheur, malgré la présence de Marguerite Moreno et Albert Préjean, l'un et l'autre gâchés, du reste. Tout ce petit monde fera mieux.
Peu importe la religion: ce film est l'histoire de gens qui trouvent la force intérieure de faire bouger les choses, comme finalement d'autres films du même metteur en scène, Tol'able David (1921) ou le magnifique The winning of Barbara Worth (1926) en tête. Ajoutons pour faire bonne mesure un désastre naturel, ici une éruption, pour appuyer les passions; par ailleurs le fait que dans celui-ci les acteurs principaux soient Lillian Gish et Ronald Colman est évidemment une garantie de qualité, d'émotions, de spectacle enfin. En 2 heures et 20 minutes, on n'est absolument pas déçu... Ce film hors norme, tourné partiellement en Italie sur les lieux même du drame, est sans doute le film Américain le plus proche des inspirations des romantiques Européens, tout en les supplantant allègrement!
Et pour commencer, le film conte dans ce qui ressemble à un mélodrame classique, à Naples, la lente déchéance d'Angela Chiaromonte (Lillian Gish), qui un jour perd son père (Charles Lane); sa demi-soeur (Gail Kane) qui la hait se débrouille pour la déposséder de tout, et elle n'a plus que l'amour de son beau capitaine, Giovanni Severi (Ronald Colman); mais celui-ci est envoyé en mission en Afrique, et vite considéré comme mort. En apprenant la fausse nouvelle, Angela perd tout, et décide bien vite d'entrer dans les ordres. Et bien sûr à ce moment, Giovanni revient, bien décidé à se marier avec sa bien-aimée. Pendant ce temps, le Vésuve gronde, et se prépare à entrer en éruption...
Ce n'était d'ailleurs pas une trop grosse surprise, car parmi les nombreux protagonistes, on trouve le frère de Giovanni : contrairement à ce dernier, le professeur Ugo Severi (Gustavo Serena) s'est entièrement dédié à l'observation de l'évolution du Vésuve, dans le but de réussir à prévoir et surtout éviter un nouveau drame du à une éventuelle éruption. Il a dans son observatoire installé une machine qui enregistre l'activité du volcan, doté de voyants qui vont assez souvent être dans le champ, suffisamment visible pour qu'on puisse voir nous aussi comment évolue la situation : aussi bien volcanique que dramatique car dans ce film on s'en doute, les deux sont liés...
King profite de la longueur du film pour asseoir au maximum sa situation, et profite aussi de ses décors: le film a été tourné en Italie, et ça se voit! Il laisse une grande latitude aux acteurs, ses deux principaux en particulier, et Lillian Gish en profite pleinement, faisant passer son Angela par une évolution profonde, de sa post-adolescence à la maturité d'une femme de caractère. Dans ce qui est sa première aventure post-Griffith, c'est elle qui semble porter le film, d'ailleurs bâti autour d'elle. Le principal propos, une réflexion engagée sur le conflit propre à chaque humain entre le spirituel et le corporel, reste d'ailleurs partie intégrante de l'univers personnel et intime de l'actrice, qui doit ici composer avec une obligation, celle d'embrasser son partenaire dans quelques scènes-clé. On sait (les anecdotes du tournage de La Bohême en attestent) que c'était toujours quelque chose que l'actrice faisait tout pour éviter...
Justement, Colman est fidèle à lui-même, fort et séduisant. C'est Giovanni qui a le plus de mal à avaler la situation à son retour, et la scène ou il découvre la vérité passe par une implication physique formidable: il est venu au couvent retrouver son frère qui y est hospitalisé (Celui-ci a craqué, et risque fort de laisser le volcan se réveiller sans lui). Durant le début de la scène, alors qu'il attend, il ne prète aucune attention à le jeune nonne qui passe, et qui ne le voit pas non plus. Nous qui savons, attendons avec un suspense de plus en plus fort le moment ou ils réaliseront tous deux... La confrontation risque d'ailleurs de tourner à l'avantage de Giovanni: Colman est une force de la nature dans cette scène qui à la fin ne retient plus rien en matière d'émotion. Elle installe le fil rouge de la dernière partie: la volonté de l'un de mener une vie ensemble, à deux, contre le voeu de l'autre de se dévouer à la religion. On retrouve une autre scène forte entre les deux, où Lillian Gish, cette fois, mène la barque: Colman l'a attirée dans un stratagème qui vise à la faire signer un papier dans lequel elle renonce à ses voeux. La soeur, sans presque rien faire, fait comprendre à l'homme que c'est peine perdue...
Pendant ce temps, le vésuve ne menace plus, il attaque: la scène a lieu dans l'observatoire du frère de Giovanni, et un voyant peu discret nous informe de l'évolution dramatique du flot de lave.Bien sûr, comme dans Way down east ou La Bohême, Lillian Gish traduit de façon physique sa force de volonté dans des scènes nocturnes de toute beauté, ou elle affronte de métaphoriques tempêtes, avant de recueillir la confession de sa demi-soeur et de la pardonner avant son dernier souffle.
Renoncement, sacrifice, force intérieure, altruisme, rédemption... les mots ne manquent pas pour désigner les notions qui définissent les personnages et leur parcours. Encore une fois, on est dans le même esprit que pour Tol'able david: il n'est pas nécessaire d'être religieux pour apprécier ce film, habité d'une force peu commune, et d'une cohérence rare : si pas un seul des attributs du mélodrame ne manque, ils ont cette fois tous un sens, un vrai... Et la longueur du film (plus de deux heures) permet à King de prendre son temps et de donner à chaque personnage une vraie substance, en s'abstenant de trop sacrifier au manichéisme : du reste, à part la grande sœur, il n'y a pas vraiment de méchant ici. On appréciera aussi de quelle façon le metteur en scène nous prépare dès la scène de présentation à affronter la crise intérieure et mystique de son héroïne : la première fois que le public « voit » Angela, c'est en fait uniquement pas le biais de ses yeux quand la jeune femme, mi-attendrie, mi-fascinée, assiste aux prières incandescentes de son père très pieux. Cachée derrière une grille, son attitude à peine entrevue (mais la force des yeux de Lillian Gish suffit) tranche radicalement avec celle de sa sœur, qui attend irritée la fin des prières de son père en grillant une cigarette...
Plus tard, il continue en nous montrant un portrait sublimé qui annonce à Angela elle-même que son destin est au-dessus des hommes, mariée à l'au-delà : tel le portrait d'une autre Angela (Janet Gaynor dans Street Angel (1928) de Frank Borzage), le tableau va montrer symboliquement que seule la sainteté lui apportera sa raison d'être. Et dès lors son destin est tracé... Et celui de Giovanni, qui devra trouver une autre raison de vivre ou de mourir, tout en prenant la place de son frère, est scellé.
Et puis comment ne pas parler de deux morceaux de bravoure, situé de part et d'autre de la première partie: dans une scène qui correspond à la fin de son adolescence, Angela qui est allée se promener, et a croisé son beau capitaine, se laisse aller à danser quand elle entend la musique jouée par des gitans qu'elle entend depuis la rue, alors qu'elle est au fond de son jardin en compagnie de sa préceptrice. celle-ci, patiente, la laisse faire... Et Gish se lâche complètement: Angela n'a pas encore fait le deuil de son corps, et dans quelques instants elle escaladera un mur pour mieux voir et entendre les musiciens: debout sur le mur, elle verra son beau capitaine de nouveau, et celui-ci devra faire à son tour une ascension pour la rejoindre... Enfin, la dernière scène très notable est donc située à la fin de la première partie: Angela a appris la fausse nouvelle de la mort de Giovanni, et se laisse complètement aller à une crise d'hystérie mémorable dans laquelle l'actrice rappelle qu'elle interprète une femme-enfant, et où elle convoque à la fois le souvenir d'Elsie Stoneman, et celui de Lucy Burrows. Les connaisseurs apprécieront...
En 1923, ce long métrage documentaire offrait au public Allemand d'un cinéma qui relevait la tête après la situation précaire d'après guerre, une sorte d'état des lieux du septième art. Il contenait un petit historique, des aspects divers de la fabrication d'un film, et pour la dernière bobine au moins, une plongée dans un certain nombre de tournages contemporains, et pas du menu fretin: Die Nibelungen, de Lang, I.NR.I. de Wiene, ou encore Le cabinet des figures de cire de Paul Leni. On y voit Conrad Veidt préparer un plan en compagnie de Leni!
On y voit aussi assez longuement les metteurs en scène "jouer" pour la caméra: Fritz Lang y ajoute un chapitre de la longue litanie autour de sa réputation de tyran, Wiene y est vu calme, marmoréen, concentré... Et on voit aussi Ewald André Dupont, en plein tournage de Das alte Gesetz, tout le contraire de Wiene: agité, mobile, cabotin...
Ce documentaire est pour l'essentiel un film perdu, dont seuls des fragments des deux dernières bobines ont été retrouvés et remontés... Une part d'entre eux servaient de stock-shots pour d'autres documentaires dans les années 80 et 90... Mais aussi futile ce type de document soit-il, ces images n'ont pas de prix, et s'il ne fait aucun doute qu'elles sont à vocation publicitaire, elles ont un charme certain.
Dans le cadre de ses films interprétés pour la First National, la grande "tragédienne de l'écran", Norma Talmadge, a fait à peu près tout. Mais tous ses films, hélas, ne peuvent être comparés aux plus beaux, notamment bien sûr les oeuvres dans lesquelles elle était dirigée par Frank Borzage... Parmi les autres, donc, ce succédané soigné mais sans plus, du Sheik de George Melford, avec Rudolph Valentino...
Dans ce sombre mélodrame, Norma Talmadge incarne Noorma-Hal, une danseuse orientale qui est la coqueluche des Touaregs, en particulier de leur chef Ramlika (Arthur Edmond Carew). En lutte perpétuelle contre l'envahisseur Français, celui-ci va avoir de la concurrence d'un mystérieux étranger, qui va très vite s'avérer être un espion de l'armée Française, Raymon Valverde (Rudolph Schildkraut). Si en découvrant l'identité de son nouvel amant, Noorma-Hal sentira sa fibre nationaliste se réveiller, les sentiments qu'elle a pour lui, vont sérieusement compliquer la chose...
C'est sans aucun second degré qu'il faut se lancer dans l'aventure, pour laquelle Norma Talmadge a une fois de plus interprété un personnage tout de flamboyance vêtue, et sans retenue dans l'émotion. Le cadre est très soigné, l'interprétation vivace, l'intérêt, par contre, très relatif... Sinon, c'est le deuxième film après The love light, qui ait été dirigé au moins partiellement par la grande scénariste Frances Marion. C'est aussi, hélas, le dernier...