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23 novembre 2024 6 23 /11 /novembre /2024 16:49

"Le cinéma est la musique de la lumière" disait Gance. A la vision embarrassée de Lucrèce Borgia, ou pire de La tour de Nesles, deux oeuvres indignes pour ne pas dire infectes de l'auteur de La Roue, on préférera bien sûr pour s'en assurer loucher du côté des années 20, et en particulier de Napoléon. Paradoxal: on a l'impression que ce film, systématiquement cité dans les listes des plus grands films muets de tous les temps (Oui, certains ont du temps à perdre) ou autres bêtises de ce genre, est en réalité surtout cité pour son importance historique, et a priori par des commentateurs qui ne l'ont pas toujours vu... Doublement paradoxal, même car le film est, comme chacun devrait le savoir, inachevé.

Ou plus compliqué encore: prévu à l'origine comme une saga en six films, Napoléon devait profiter de cet amas de métrage pour explorer toutes les facettes du personnages, du révolutionnaire au militaire visionnaire, du stratège et politique à l'autocrate fascisant... Afin de rentrer dans ses frais, le film a du se limiter à une partie seulement, couvrant environ les deux tiers de ce qu'il envisageait pour sa première partie (Qui devait aller de Brienne jusqu'à 1798, et la gloire militaire qui ouvrait toutes grandes les portes à une carrière politique) a du être montré en l'état, victime de la prodigalité ou du génie d'un auteur qui ajoutait une idée, une scène, un nouveau développement, par jour...

Une fois arrêté et montré, le film n'a pas repris, et Gance en a monté une version différente à chaque présentation, ce qui n'a pas arrangé le destin de l'oeuvre. Abandonné, détruit par les remontages incessants, trahi par les tripatouillages infâmes de l'auteur, il a été sauvé par l'historien du cinéma muet Kevin Brownlow, amoureux du film, qui a décidé un jour de tenter une reconstitution. Compte tenu de l'objet cinématographique, on peut dire sans rire que c'est l'oeuvre d'une vie, puisque Brownlow en a monté trois restaurations, et toutes ont elles-mêmes servi à d'autres reconstitutions... L'histoire ne s'arrête évidemment pas là. J'en reparle plus bas.

Revenons au film; pour commencer, rappelons le contexte et les faits: Gance a triomphé en 1919 avec J'accuse, un spectaculaire film d'environ trois heures dans lequel il s'attachait à donner sa vision du conflit qui venait de s'achever, relayé à l'écran par un héros-poète joué par Romuald Joubé. Il osait des images jamais vues auparavant et transcendait le ridicule par de la poésie cinématographique pure, qui lui permettait de nous montrer Vercingétorix en surimpression qui galvanisait les Poilus contre les "boches". Le film n'était pas exempt de patriotisme mal fichu, cette honteuse maladie si répandue durant les catastrophes récurrentes que sont les conflits armés et les coupes du monde de football... Néanmoins, l'inventivité géniale, et le fait d'oser aller très loin dans la fiction et l'allégorie permettaient au cinéaste de sortir un film, en effet, hors du commun.

Gance avait alors mis en chantier un film plus fort et fou encore, La Roue dans lequel il se frottait au mélodrame avec une intensité émotionnelle et une poésie (Le maître-mot, et ce n'est pas fini, il reviendra) cinématographique unique en son genre: en plus de cinq heures, La Roue était une oeuvre capitale, qui prit à Gance trois années et lui imposa bien des sacrifices, mais il était parvenu à occuper la place qui lui revenait: la première.

Lorsque le cinéaste prit la décision de se lancer dans Napoléon, une fresque en six films (Qui ne se feront jamais), il reçut des soutiens de tous les horizons de la production: des cinéastes (dont Viatcheslav Tourjansky, Henry Krauss, et Alexandre Volkoff sur les séquences de Brienne) se mettaient à son service pour être ses assistants, des acteurs de tout le cinéma Français, mais aussi des chanteurs (Vladimir Koubitzky, Damia), des techniciens de tous horizons allaient se mettre à ses ordres, et le rôle principal mettait en compétition Ivan Mosjoukine et Albert Dieudonné... On le sait, c'est ce dernier qui a obtenu le rôle, et le film a eu un tournage chaotique entre janvier 1925 et juin 1926. Le plan initial de six films a comme je le disais plus haut été abandonné au profit d'une oeuvre équivalente à La roue, et dont Gance envisageait de faire essentiellement une célébration du grand homme qu'était Napoléon Bonaparte entre sa participation comme témoin à la Révolution, et la campagne d'Italie qui lui a ouvert les portes du pouvoir. En somme, Gance choisissait de privilégier le héros au politique. Il faisait passer Bonaparte devant Napoléon!

On ne va pas le cacher plus longtemps: à ce titre, c'est ambigu. Gance ne pouvait pas faire dans le raisonnable, et son Napoléon semble lui avoir tourné la tête! Pourtant le metteur en scène avait choisi d'interpréter dans son film le rôle de Saint-Just, un politicien, un vrai, un homme qu'on ne saurait soupçonner de succomber au culte Napoléonien, voire Bonapartiste! Mais dans les mains du cinéaste visionnaire, on voit subtilement le personnage principal évoluer, et changer de bobine en bobine. Et ce changement est d'abord un détachement, celui d'un homme qui se place de plus en plus facilement à l'écart du reste de l'humanité, et à ce titre si Gance raconte son histoire et a donc choisi le jeune général comme héros, il n'oublie pas de nous rappeler par une foultitude de détails que cet homme trahira les idéaux qu'il s'est choisis ou qu'il a été choisi pour défendre... Mais il faut lire entre les lignes pour s'en rendre compte, en l'état, et l'inachèvement du film appuie très fort sur ce point, car le fait d'arrêter son film à la campagne d'Italie fait qu'on n'a qu'une vision parcellaire du personnage. Alors Gance a truffé certaines parties de son film de prémonitions... Mais sans aller jusqu'au bout, donc on reste devant un film qui ne cadre pas avec la vision complexe d'un Napoléon, le petit dictateur manipulateur et revanchard, qui avouons-le a servi l'histoire (Comme l'avait si finement prédit le philosophe Allemand Hegel, qui attendait de pied ferme l'arrivée d'un dictateur Européen qui unifierait enfin l'Allemagne... contre lui) mais qui était surtout motivé par le fait de devenir à sa façon le maître du monde, un autocrate ennemi des valeurs de la révolution, non parce qu'elles apportaient la terreur comme nous prétend Gance, non: parce qu'elles étaient ennemies de la dictature. Le petit général si sympathique, du moins au début, dans ce film ne ressemble en rien à ça... Je pense que Gance (Qui dédiera sa Vénus aveugle à Pétain en 1943) s'est un peu perdu en route. Et il persistera et signera même encore puisqu'il se rendra coupable en 1935 d'une version sonorisée, dialoguée et révisée dont les ajouts impardonnables virent à la débilité et la Napoléonolâtrie pure et simple. En clair, son Napoléon est aussi fictif que le Custer de Walsh (They died with their boots on).

En attendant, voilà qui est donc dit, on va pouvoir se consacrer à chanter les louanges du film, c'est pour ça qu'on est là!

Et pour commencer, Gance a donc retenu un certain nombre d'épisodes pour son film, qui sont tous traités avec une telle cohérence que ce sont autant d'unités, avec évidemment comme fil rouge la présence de Bonaparte (Presque partout, mais pas systématiquement); ces unités sont chronologiques, ont d'ailleurs été tournées en séquence dans l'ensemble sauf celle située à Brienne, et permettent par leur dimension d'appréhender le personnage dans toute la grandeur que Gance souhaite nous communiquer: le film commence ainsi à Brienne (Filmé à Briançon, et ça se voit pour quiconque a mis les pieds dans l'Aube...), là ou le jeune Napoléon (Wladimir Roudenko) a été élève officier. Il y fait preuve d'une science stratégique hors du commun lors d'une impressionnante bataille de boules de neige, et commence son parcours de jeune impétueux contre la meute, aidé par un cuisinier qui le suivra en fanatique toute sa vie, Tristan Fleuri, sans que Bonaparte s'en aperçoive jamais... Puis Gance saute les années, et le spectateur se retrouve dans le vif du sujet: Napoléon, au coeur de la Révolution, se pose en homme qui soutient le principe de la Révolution Française mais en désapprouve la violence et l'injustice. Gance nous propose d'abord une vision hallucinante de l'ambiance révolutionnaire lors d'une scène qui assiste à la naissance de la Marseillaise, en compagnie de Danton, Camille et Lucile Desmoulin, Robespierre et Marat, durant laquelle Rouget De Lisle est présenté à Bonaparte. Ce dernier est ensuite confronté au dilemme de son soutien à une cause trop sanguinaire, et on le voit rejoindre la Corse pour y retrouver sa famille. Lors de son séjour, les tensions nationalistes se déchaînent, et Pozzo di Borgo, un ennemi des Bonaparte tente d'intriguer pour pousser le vieux politicien Joseph Paoli à affilier la Corse à l'Angleterre. Bonaparte, qui a choisi la France, est hors la loi: Gance se permet un petit caprice, une poursuite à cheval échevelée, qui ensuite mène à une séquence célèbre par son montage: la "double tempête". Alors que Bonaparte fuit la Corse dans une toute petite embarcation et affronte une mer déchaînée, la Convention à paris est victime d'une autre tempête, politique celle-ci: les Girondins y sont dénoncés, arrêtés et vont être exécutés. Une scène magnifique nous conte l'assassinat de Marat par Charlotte Corday, et enfin, la première partie se conclut sur la longue séquence, largement nocturne, du siège de Toulon, durant lequel Napoléon Bonaparte, officier en charge de l'artillerie, sauve la mise de la Révolution en remportant une bataille contre l'avis de ses supérieurs, parmi lesquels un ennemi Corse, Salicetti. Celui-ci reviendra se venger en intriguant contre Napoléon aux côtés de Robespierre.

La deuxième partie est moins riche en longues séquences, et part de la terreur, dont Napoléon sera la victime: Gance nous montre l'oeuvre de Robespierre qui fait le vide autour de lui, puis l'influence de Saint-Just. Ensuite, on assiste à l'arrivée de Joséphine de Beauharnais à la prison des Carmes ou les prisonniers restent peu de temps en attendant d'être sélectionnés pour l'échafaud; Il nous montre Tristan Fleuri qui participe à l'escamotage de dossiers pouvant mener des innocents à la guillotine (Lui et un autre mangent littéralement les dossiers d'accusation de Joséphine de Beauharnais, et celui de Bonaparte); on assiste ensuite à Thermidor, une belle scène à la convention, durant laquelle les Robespierristes sont arrêtés, et Saint-Just/Gance fait un discours mémorable. Peinant à se faire accepter comme général, Napoléon rend un service important en défendant la république contre une insurrection royaliste. Il triomphe, et devient l'homme incontournable. Lors d'une fête organisée par les anciennes victimes de la Terreur, le bal des victimes, Napoléon Bonaparte rencontre Joséphine, et la ravit à Hoche. Après une courte période de séduction, il épouse la jeune veuve à la veille de partir pour l'Italie. Enfin, le film s'achève dans un maelstrom d'images qui nous montrent les premiers contacts avec les soldats débraillés de l'armée d'Italie, et leur départ pour la gloire.

Gance développe pour "son" Napoléon l'identité d'un homme visionnaire, qui a toujours raison contre l'ordre établi (Toulon, Paris, l'Italie: à chaque fois, ses visions stratégiques sont prises de haut avant qu'il ne triomphe); un homme qui s'impose par sa force de conviction, et qui marche constamment à l'impulsion. Jamais il ne calcule, jamais il ne complote. Il réagit, envers et contre tous. Si il a tendance à traiter la Révolution Française comme le font ses contemporains Hollywoodiens (Ingram et Griffith) plus influencés par la proximité de la Révolution Bolchévique que par l'histoire, Gance se rachète en quelques séquences fulgurantes: il fait de Danton un authentique orateur, presque un précurseur de "son" Napoléon lorsque il dirige avec l'aide de Rouget de Lisle les bancs de la convention dans une Marseillaise d'autant plus endiablée que c'est la première fois que la chanson est interprétée. Comme dans tant d'autres scènes, Gance utilise avec génie la caméra, ne laissant passer aucune occasion d'enrichir ses plans de façon novatrice, et insère un plan de Damia en liberté guidant le peuple durant une scène muette, mais réglée -et montée- au métronome! Plus loin, la tempête de la convention nous montre le clan de Robespierre qui prend le pouvoir, mais comme en écho, au milieu de la deuxième partie, Thermidor remet les pendules à l'heure: c'est Gance, à travers Saint-Just, qui prononce (Littéralement à l'écran, on peut le lire sur les lèvres du metteur en scène) une justification pour la République des actes de la Terreur. Enfin, Napoléon avant de partir pour l'Italie, visite les bancs vides de la convention, et reçoit des fantômes de tous les grands hommes la mission de continuer et d'exporter la République. Inversement, les petites gens sont représentées par la famille Fleuri: Tristan, l'ancien de Brienne (Nicolas Koline), et ses deux enfants accompagneront Napoléon physiquement ou en pensée, par hasard ou par dessein, dans toutes ses aventures sauf la Corse, et ne parviendront jamais à marquer son regard! Une façon de renvoyer à l'image du grand homme au dessus de tout, et de tous... Par ailleurs, Napoléon est parfois assimilé au héros Gancien de base, le poète ou l'artiste: Séverin-Mars, dans La Xe symphonie, était un compositeur inspiré par Beethoven, ce dernier est le héros d'un autre film, Un grand amour de Beethoven en 1938. Des poètes sont les héros de J'accuse et La Fin Du Monde, et le fils de Sisif dans La roue est un violoniste trop délicat pour affronter les foules, qui se reconvertit en un disciple de Stradivarius, bref un poète de la lutherie...). Toujours cette idée qu'il y a une certaine catégorie de l'humanité qui est au-dessus des autres...

Le film, tourné en séquence, est une occasion pour Gance d'aller plus loin encore dans ses expériences de cinéma émotionnel et total. Il continue à utiliser le montage rapide de façon enthousiasmante, ponctuant en particulier les fins de séquences de giclées d'adrénaline à l'effet encore impressionnant aujourd'hui. Il renouvelle complètement la surimpression, qu'il multiplie (Il a été jusqu'à réutiliser la pellicule 16 fois dans une séquence); il expérimente de nouvelles façons d'utiliser la caméra: à dos de cheval, fixée sur une voiture pour montrer l'armée d'Italie en mouvement ou installée sur un balancier durant les scènes de tempête à la Convention, portée à l'épaule pour s'approcher au plus près des corps gisant après les combats ou des hommes de l'armée d'Italie s'abîmant dans l'inaction: ces scènes ont un faux-air documentaire qui est encore très présent. Il utilise des procédés rares, dont l'iris blanc, qui nimbe de lumière blanche certaines scènes dont le prologue, il diffuse la lumière de toutes les façons, et utilise lors des plans de tempête en méditerranée des images en négatif... Mais surtout, il expérimente avec ce qu'il appellera la "polyvision": tout le tournage semble avoir été influencé par l'envie d'étendre le champ, d'où le recours à un grand nombre de surimpressions. Mais la multiplication d'images à l'intérieur du plan, si elle remplit sa fonction lors de nombreuses scènes, ne pouvait pas rendre cet élargissement extraordinaire de l'espace cinématographique rendu possible par le triple écran: pas disponible dans toutes les versions (Par exemple, la fameuse version de 1983 montrée à la télévision Britannique en était dépourvue). Mais vu avec les triptyques à la fin, le film atteint à une poésie cinématographique, un traitement de l'image à nul autre pareil: le plan du film reste le panneau central, mais il est appuyé à droite et à gauche par des prolongements, soit un élargissement de l'image elle-même dans une sorte d'écran large précurseur du Cinemascope et du Cinerama, soit un élargissement de l'idée directrice des plans, par une illustration qui complète ou apporte un contrepoint. La composition cinématographique en devient démultipliée, et Gance qui maîtrise parfaitement, instinctivement cette technique étonnante, en fait des merveilles. Une façon merveilleuse de terminer un film qui a accumulé tant d'images dans lesquelles le metteur en scène a joué avec l'ombre, la lumière, la vie et son illusion... Il peut, semble-t-il, tout faire avec de l'image. Du moins il le pouvait à l'époque de Napoléon...

J'en parlais plus haut, le film a plusieurs versions en circulation... Kevin Brownlow, historien et admirateur de Gance, amoureux fou du film, a pu aller jusqu'au bout d'une reconstitution qui semble rendre justice au film dans toute sa complexité, et a bénéficié de découvertes de la Cinémathèque Française en recouvrant les teintes du film, d'une part, ses triptyques de fin d'autre part (la fameuse séquence des "mendiants de la gloire"), mais surtout en retrouvant le personnage de Violine Fleuri: la jeune femme, interprétée par Annabella, est donc la fille de Tristan, et elle a pour Napoléon Bonaparte un amour inconditionnel, qui souffrira d'autant plus qu'elle côtoiera Joséphine de Beauharnais dont elle sera l'employée. Ses séquences, souvent coupées du film, permettent d'objectiver un peu plus Napoléon qui acquiert une distance supplémentaire, et une inaccessibilité plus grande encore. Elles donnent au personnage "humaniste" de Napoléon, celui qui motive l'amour de jeunesse de la petite Violine, une dimension de cause perdue, au fur et à mesure que le jeune Bonaparte se détache des autres humains. Et le personnage, qui donne lieu à un mélodrame assez classique, fait glisser le film vers un terrain plus poétique dans lequel l'image du grand homme deviendrait presque celle d'un salaud: un type qui va de l'avant sans se préoccuper de l'effet qu'il fait sur les autres. la jeune actrice de 17 ans est fantastique, et ces scènes cruciales rendent le film encore plus beau... C'est cette version qui fut longtemps la dernière restauration achevée (En 2000), qui fut éditée en blu-ray en Grande-Bretagne (2016) dans l'exigeante collection du British Film Institute...

Mais la Cinémathèque Française a repris en mains le destin du film. George Mourier, responsable de l'inventaire et restauration de La roue dans sa plus longue et compexe version, a commencé à travailler sur le film en 2008 par un inventaire des collections, et nous a donc concocté une restauration impressionnante de la dite "Grande Version", pour une durée de sept heures environ. Le film sortira aussi en format physique... Et a fait une petite carrière notable dans les salles, ce qui dut être compliqué compte tenu de sa durée hors normes...

Devant cette version, on apprécie que la restauration nous restitue de manière plus fournie encore la durée du film, son rythme, ses embardées spectaculaires, ses audaces. Soyons justes: Brownlow n'y a pas passé sa vie pour rien, et il a tant contribué à restituer (parfois dans la spéculation la plus échevelée) sa forme au film, qu'on se retrouve avec cette nouvelle version en terrain vraiment familier. Mais Mourier a tout fait pour retrouver avec rigueur la cohérence interne d'une version parmi d'autres, ce que Brownlow ne pouvait pas faire: son propos était de couvrir tout le film en une seule version... La rigueur de l'inventaire comme de la restauration, nous donne accès à ce que Gance aurait pu, s'il l'avait voulu, établir comme LA version de son film. Et les trouvailles de Mourier sont la preuve que d'y passer tout ce temps valait la peine: en particulier la façon dont la restauration redonne à la séquence de la Marseillaise son rythme et sa musique (il est possible, une fois les scènes montées correctement, d'y adjoindre une version chantée sans aucun décalage) ...

Le cinéma est-il "la musique de la lumière", alors? Disons que si Gance, qui était un visionnaire et un type "convenablement dingo", comme aurait dit Boris Vian, avait le sens de la formule prétentieuse, c'est au moins une façon intéressante de parler d'un film qui tente de trouver de nouvelles façons de faire du cinéma, et le fait de façon encore fascinante aujourd'hui, au point de remplir les salles à chaque fois que ce film si difficile à voir et à connaître sur le bout des doigts est présenté, spectacle total garanti, avec surimpressions, montage festif, "polyvision", triple écran, e tutti quanti, plus de quatre-vingt-quinze années après sa tumultueuse confection. Chapeau!

 

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Muet 1927 **
9 juillet 2024 2 09 /07 /juillet /2024 15:29

La familiarité de l'historien, écrivain, monteur et cinéaste Anglais Kevin Brownlow avec le cinéma muet s'explique par un fait qui va probablement nous ramener vers un temps, "que les moins de vingt ans... " voire de trente, de quarante... ne peuvent pas connaître. Il a découvert les films en les achetant, en bobines de format 9,5mm, et en les collectionnant, les projetant... Puis en rencontrant les auteurs, acteurs et autres techniciens survivants. Et enfin en se lançant dans un projet fou: restaurer le Napoléon (1927) d'Abel Gance...

Ce qu'il a fait, c'est une longue et belle histoire et elle est aujourd'hui finie puisque le film est enfin passée à ceux qui auraient du le faire en leur temps, et qui ont enfin agi en restituant de manière spectaculaire le film à sa vision la plus élaborée, je ne dis pas la plus aboutie car je n'ai pas encore vu cette version. Celle de Brownlow, en revanche, incomplète sans doute mais si belle dans son souffle et dans la précision de sa reconstitution (avec les "tryptiques" mythiques, soit des séquences sur trois écrans), je la connais.

Dans les années, le jeune réalisateur a pu rencontrer Gance, son héros, et l'aider parfois à reprendre un peu le contrôle de son oeuvre, il a même consacré un livre à son expérience sur le film, qui est autant un historique de la restauration, qu'un retour sur le tournage, qu'un intéressant reportage sur les aspects parfois les plus embarrassants de la rencontre d'un enthousiaste, et d'un génie... 

Ce court documentaire, destiné à la télévision Britannique, mais souvent montré en salles lors de festivals, est le pendant visuel de ce livre, qui remet en selle un Gance qui ne fait pas toujours son âge, et dont l'oeuvre muette nous est montrée à travers des extraits qui montrent  la "méthode" de Brownlow en pleine action: des extraits parfaitement choisis, un commentaire didactique généralement très aigu, rempli de précisions et de remarques souvent justes, qui jamais ne se départissent d'un amour profond pour l'image, le cinéma, le montage... et Abel Gance.

Ces quelques 51 minutes ont peut-être pour de nombreux cinéphiles été leurs premières confrontations avec J'accuse (1919), La Roue (1922) et bien sûr Napoléon. L'enthousiasme de Brownlow sera toujours aussi communicatif...

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Kevin Brownlow
6 mars 2024 3 06 /03 /mars /2024 16:05

La Grande Guerre bat son plein: du côté de Douaumont, 12 hommes accomplissent une mission suicide. Mais c'est le 11 novembre, et leur sacrifice paraît bien pâlot. L'un d'entre eux, Jean Diaz (Victor Francen) a survécu, mais il est déterminé à faire son possible pour utiliser son expérience afin de rendre impossible la guerre...

Dans les années 50, Gance survit lui aussi, aussi bien à l'oubli dans lequel il est plus ou moins relégué, qu'à son propre génie et aux idées particulièrement saugrenues qu'il a toujours eues. Son envie d'expérimenter étant la plus forte, il s'est allié à la jeune cinéaste Nelly Kaplan, et les deux vont confectionner un programme appelé Magirama, qui présente des films avec deux procédés nouveaux: l'un, inspiré de la Polyvision utilisée sur certaines copies de son Napoléon en 1927 (trois écrans qui diffusent des images antagonistes ou complémentaires), et l'autre, la Perspective Sonore, qui spatalise le son...

Parmi les éléments montés dans le Magirama, une version raccourcie de J'accuse (de 1938), qui utilise aussi des éléments du J'accuse de 1919, et quelques séquences de La fin du Monde... Sans oublier une Marseillaise chantée avec Damia, qui vient ajouter un soupçon de Napoléon (version 1935) dans la soupe...

C'est situé quelque part entre l'anecdotique et le génial, avec comme toujours chez Gance l'impression qu'il aurait peut-être fallu quelqu'un qui lui dose quand s'arrêter. Mais pour ce qui est de la séquence la plus spectaculaire, celle de la "levée des morts", comment lutter contre cette désespérante poésie... du désespoir?

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Première guerre mondiale
12 juin 2023 1 12 /06 /juin /2023 07:58

Premier film un tant soit peu ambitieux de Léonce Perret, Molière est adapté d'un scénario d'Abel Gance, qui interprète le grand homme dans sa jeunesse. On est encore beaucoup dans un cinéma de tableaux, avec un plan pour chaque scène, sans qu'il faille parler de plans-séquences.

Néanmoins, le film, par ailleurs très académique, est notable pour un certain nombre de choses, notamment la façon dont Perret donne de la vie en demandant à ses acteurs un jeu enjoué, parfois truculent. Son sens de l'espace apparait dans deux plans situés au début de la vie de bohême de Molière: la troupe va tranquillement son chemin, marchant de façon presque guillerette, puis on voit les mêmes gravir une pente raide, sous la brume, avec difficultés; deux plans qui disent en peu de temps tout ce qu'on peut dire sur les bons et les mauvais moments de la vie de théâtre.

Perret utilise aussi, une fois dans ce film, une multiplicité de points de vue au moment de la mort de Molière, dans un théâtre comme il se doit. Il filme d'abord de coté, captant aussi bien la performance que la public, et s'autorise deux autres angles, se rapprochant de Molière, pour nous le montrer surmontant sa souffrance et faisant son travail jusqu'au bout.

Pour le reste, c'est une vignette, résolue en 20 minutes, dans laquelle seuls comptent les moments-clé (si on fait exception bien sûr des deux séquences qui montrent la troupe en voyage): naissance de la vocation, présentation à la cour, et bien sûr la fatale représentation du Malade imaginaire.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Léonce Perret Abel Gance
25 septembre 2021 6 25 /09 /septembre /2021 10:43

Ce court métrage de 15 minutes est particulier à plus d'un titre: d'une part, le titre ne doit pas nous induire en erreur, il ne s'agit pas d'une fiction fantastique mais d'un documentaire sur le cinéma, et plus précisément sur le film La fin du monde qui se tournait entre 1929 et 1931, soit à la charnière du cinéma muet et du parlant... Gance y continuait à encourager la confection de films documentaires qui montraient l'artiste au travail, et comme l'artiste n'était pas vraiment modeste, on comprendra aisément que de son point de vue il s'agissait de capter l'Histoire en marche...

Seulement Eugene Deslaw, cinéaste Ukrainien qui a fui la Révolution de 1917, est un artiste lui aussi, attiré par le pouvoir de surprise du cinéma, et son terrain de prédilection est un cinéma qui confine à l'abstraction en gardant une tendance à montrer au spectateur ce qu'il n'attend pas, en se basant sur la mécanique, l'industrie également... Ce court métrage (dont le générique ne parle pas de mise en scène, mais nous indique "monté par Eugene Deslaw) ajoute à la particularité en se basant sur une généreuse banque d'images tournées par Gance lui-même: des bouts de tournage, des essais, des brouillons... et probablement des images qui n'ont jamais été intégrées au film fini car ce court métrage, sorti en 1930, nous documente en fait le tournage d'un film qui ne sera jamais sorti tel que son auteur l'avait voulu. Et plus encore: La fin du monde est en fait sorti un an après la diffusion (confidentielle) de ce court métrage.

Autre particularité, le film de Gance allait incorporer le son, c'est d'ailleurs un défaut dans la mesure où Gance, pas préparé, a très mal géré cette partie du film: le court métrage, du coup, est mi-muet mi-parlant... Littéralement: quant une scène est sonore, le son fait irruption d'un coup. Quand c'est muet, le son disparaît purement et simplement. Cet aspect joue bien sûr de la stratégie de surprise, et est bien plus séduisant que la bouillie sonore proposée par Gance. Mais il nous permet aussi de voir Antonin Artaud (absent du montage final) interpréter "Malbrough s'en va-t-en guerre" dans un kaléidoscope mal foutu, avec des effets d'écho plutôt terrifiants... Il nous montre aussi des extraits des séquences ouvertement érotiques planifiées par Gance pour son orgie filmique, bien sûr absentes du produit fini, et il finit par nous montrer qu'en 1930, on pouvait en effet prévoir avec La fin du monde un film hors-norme, génial, ou...

Navet.

Vous l'aurez compris, ce court métrage de quinze minutes est bien meilleur que le curieux film de science-fiction raté dont il se fait l'illustrateur.

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance
8 avril 2021 4 08 /04 /avril /2021 11:24

Eprise d'un musicien (Georges Thill), une jeune couturière (Grace Moore) désobéit à ses parents pour vivre avec l'homme qu'elle aime... en chantant.

C'st adapté d'une opérette de Charpentier, qui s'est impliqué dans la production, et dans la supervision de la prestation de Grace Moore, une soprano comme on les aimait dans les années 30 vieillissantes. C'est assez éloigné de Lady Gaga.

J'ai dit un jour que Gance avait fait trois types de films: des chefs d'oeuvre, des films mal foutus mais éminemment sympathiques, et des navets. Je me trompais, il a aussi fait Louise, un gâchis de pellicule sur 85 minutes. C'est au-delà de la dimension du navet.

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Published by François Massarelli - dans Musical Abel Gance Navets
13 janvier 2021 3 13 /01 /janvier /2021 16:27

Abandonnant (presque) toute prétention, soucieux de continuer à travailler dans des circonstances fort dramatiques, Gance avait déjà réalisé un mélodrame baroque, qui n'était sorti qu'en zone prétendument libre, Vénus Aveugle... Son nouveau film est donc une adaptation du roman de Théophile Gautier qui avouons-le a déjà souvent servi: c'est au moins la septième version, les français et les italiens se partageant l'exclusivité de ces adaptations... Nous retrouvons donc le Baron de Cigognac (Fernand Gravey) dans son château en proie au dénuement, qui n'attend plus rien de la vie, et reçoit la visite d'une troupe de comédiens qu'il va suivre, lui rendant la jeunesse, la fortune et l'amour...

On décroche sans doute assez facilement de l'histoire, et il me semble que Gance lui-même ne fait pas trop d'efforts pour nous y ramener... Pourtant il conte et raconte, sans doute parce qu'il y a trouvé le plaisir de réaliser des scènes luxueuses, sensuelles, mystérieuses, dans un décor baroque, et pour trois fois rien. Souvent, il fait parler ses acteurs en vers, et le pire c'est que ça marche! Souvent aussi, il revient au cinéma muet qu'il n'aurait jamais du quitter, et s'amuse de l'étrange ballet de personnages qui s'agitent sur l'écran.

Enfin, c'est l'un de ses plus beaux films esthétiquement parlant: il a défini des décors, construits en studio, et qui sont un sombre enchevêtrement de forêts, vieilles pierres, branchages... La plupart des scènes sont nocturnes, et le metteur en scène se fait plaisir avec toute la palette des nuances de gris dont il dispose depuis l'invention de la pellicule panchromatique! Ne pouvant plus déshabiller ses actrices (les hivers étaient rigoureux, et ce vieux salaud d'ordure rampante de Pétain était aussi frileux en matière de moeurs), il les remplace par des statues drapées...

Bref: il se lâche, pour notre plus grand plaisir... Avait-il vu les films de cape et d'épée de Michael Curtiz? En tout cas, son utilisation inventive des ombres le ferait volontiers penser, et si ça n'est pas un compliment, alors je n'y comprends plus rien!

 

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance
29 décembre 2020 2 29 /12 /décembre /2020 08:17

Clarisse (Vivianne Romance), c'est son vrai nom, celui sous lequel elle aimerait bien qu'on l'appelle. Mais tout le monde, en particulier les hommes, l'appelle Vénus, en rapport avec la publicité pour laquelle elle a accepté de poser. Comme elle le dit elle-même, en prêtant sa jolie bobine à la marque de cigarettes Vénus, c'est comme si tout le monde l'achetait et l'embrassait... Une métaphore, la première d'un film riche en symboles et en détournements. 

Vénus, donc, dès la première scène de ce film, constate en consultant son médecin que la cécité est en route, et risque bien d'être irréversible. Ce qui est embêtant: elle a deux métiers; l'un, chanteuse dans un beuglant où elle envoute son auditoire, l'autre plus tranquille, elle retouche des clichés, un travail de précision qui requiert une vue sans faille... Le destin la pousse donc vers l'admiration, le désir, de là à dire la concupiscence, des hommes, il n'y a qu'un pas. Et si ça reste une métaphore, c'est quand même de moins en moins...

Donc la cécité devrait empêcher la jeune femme, à terme, d'exercer son activité "noble" par opposition à celle qui l'assimile à une prostituée. Mais il y a pire: elle ne veut pas être une charge pour Madère (Georges Flamant), son amant. Celui-ci, ombrageux et poète à ses heures, retape une épave, le Tapageur, pour en faire un bateau. Clarisse décide qu'il est préférable de le quitter plutôt que de lui dire la vérité, et qu'elle devienne donc un boulet pour son homme...

Elle le quitte, il ne comprend pas et se réfugie dans les bras de Gisèle (Lucienne Le Marchand), qui n'attendait que son heure: ils vont se marier, et avoir un enfant, une fille qui s'appelle Jeannette. Et si Clarisse ne va pas se marier, elle, en revanche, elle aura bien un enfant, ce que Madère (le père, évidemment), ignorera un temps. D'ailleurs la petite mourra... Puis Clarisse deviendra irrémédiablement aveugle... Et c'est là que les copains, tous les copains (ceux du Bouchon rouge, l'estaminet un peu louche où elle a chanté, Ulysse le second du Tapageur, Mireille la soeur de Clarisse, qui est paralytique, etc...) vont avec la complicité de Madère qui a divorcé, lui inventer une réalité parallèle autour d'elle, avec l'arrivée d'un bel inconnu qu'elle ne verra jamais...

Il y a des choses qui fâchent dans ce film, j'ai gardé le pire pour la fin... Mais il y a aussi de quoi déposer les armes: certes, c'est un film déraisonnable, à l'image de la carrière délirante de son metteur en scène, qui l'a signé fièrement ("Ecrit, composé et mis en scène par") et habite chaque image, chaque ombre, chaque surimpression, chaque passage au négatif, chaque plan symbolique de phare dans la brume... Vénus Aveugle, c'est comme le retour de Gance au cinéma muet, mais un Gance qui a retenu la leçon du réalisme poétique, et sa tendance à l'atmosphère. Non que ce soit "réaliste", loin de là! D'ailleurs on ne sait pas où ça se situe toute cette histoire! Mais en s'appropriant l'ambiance portuaire, l'omniprésence de la mer, les bars à marins, et les épaves rouillées, Gance rejoint le cinéma des Sternberg, des Borzage, qu'il a forcément vus. Et il le fait pour un pur mélodrame avec une héroïne qui glisse vers la cécité comme on se sacrifie... Et pourtant, cette "tragédie des temps modernes" (ce n'est pas moi qui le dit c'est lui) est un film optimiste, qui vise vers l'avenir! La preuve dans ces quarante-cinq dernières minutes consacrées à la renaissance de Clarisse, portée par l'amour de tous ses copains...

Gance a déjà parlé de la cécité dans La roue, puisque Sisif devenait aveugle au fur et à mesure du film; le cinéaste a aussi traité de la surdité de son héros dans Un grand amour de Beethoven avec Harry Baur, dont la venue de son affliction était prétexte à de grandioses expérimentations... C'est un peu la même chose ici, la menace puis l'arrivée de "la nuit" comme Clarisse l'appelle, sont des appels pour Gance à dépasser son simple savoir-faire. Et c'est enthousiasmant de retrouver ce cinéma sans limites, même si le prétexte du mélo est assez piteux, Gance le transcende sans problèmes... Son but est de montrer que contrairement à ces deux exemples qui mouraient métaphoriquement par leur handicap avant une mort réelle, "Vénus", elle, va réussir à atteindre le bonheur à travers le changement de trajectoire imposée par la cécité.

L'interprétation est bouillonnante, et il y a de tout: Flamand s'en sort plutôt bien, avec ses faux airs de Carl Brisson cabossé; d'autres moins, à commencer par Sylvie Gance aussi infecte que d'habitude (elle joue sous le pseudonyme de Mary-Lou, mais on l'a reconnue!). Par contre, avec un film taillé pour sa gloire, Viviane Romance est splendide dans le rôle, et Gance n'a de cesse que de la magnifier dans des gros plans impressionnants. Il la fait chanter aussi, ce qui me pousse à penser que le film doit sans doute beaucoup au modèle de Marlene Dietrich. Il y a du Lola-Lola dans Clarisse-Vénus, mais une Lola qui souhaiterait rester à l'écart du sexe! Toujours la vieille contradiction de Gance, qui souhaite à la fois déshabiller ses actrices et l'a fait plus souvent qu'à son tour, et en faire sinon des nonnes, en tout cas des saintes: le complexe de Marie-Madeleine... Il y a une imagerie religieuse dans le film, comme il y en a dans toute l'oeuvre de Gance, du reste: c'est l'éducation, que voulez-vous. Mais comme ses inspirations Américaines, il s'en sert pour des motifs plus ou moins profanes.

...Et puis la religion le sert bien, lui qui est appelé à la prudence en ces années d'occupation. Le film a été fait et sorti (dans un premier temps, puisqu'il sortira finalement sur Paris en 1943) en zone non occupée (je me refuse à dire "libre"); Gance, comme beaucoup de cinéastes, s'est réfugié du côté de Nice, et il sait qu'il est en sursis, puisque Gance est sur "la liste Juive", soit soupçonné d'être d'origine juive. Ce qu'il n'était pas, mais les dénonciateurs de l'époque le désignaient comme tel... C'est donc avec un dessein un rien opportuniste que le metteur en scène a choisi de dédier son film au maréchal Pétain, une exergue qu'il regrettera sans doute jusqu'à la fin de ses jours: les mots en sont d'une confondante naïveté: "C'est à la France de demain que je voudrais dédier ce film, mais puisqu'elle est incarnée en vous, M. le maréchal, permettez que très humblement je vous le dédie". De même, le film est sorti sous l'égide d'une société qui n'a pas laissé plus de traces, France Nouvelle: un nom sans ambiguité. Il est regrettable que le cinéaste ait souhaité donner des gages d'amabilité à la société de Pétain, mais il fallait, j'imagine, bien survivre. Et si le cinéaste a été maréchaliste, il n'a ni collaboré, ni été pétainiste, contrairement à Le Vigan... De toute façon, rien de politique ne vient salir ce film, à l'exception de cette dédicace embarrassante.

Même avec cette embarrassante entrée en matière, le film reste un grand moment de l'oeuvre du cinéaste, qui ne retrouvera plus jamais ce niveau d'inspiration. Certes, ça part dans tous les sens, et certaines scènes échappent de peu au ridicule, mais c'est le style même de Gance de tout risquer, de laisser l'émotion prendre le dessus dans une poésie tellement personnelle qu'le risque en permanence de vous exclure. mais lorsque au moment d'une scène d'orage, la jeune femme aveugle filmée en très gros plan reçoit sans le savoir la visite de son amant qui réalise son état, le film emporte tout sur son passage, avec ses qualités comme ses défauts.

Maintenant j'espère être le seul à avoir fait l'acquisition d'une copie désynchronisée sur la dernière demi-heure... 

 

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance
27 décembre 2020 7 27 /12 /décembre /2020 19:14

Ce film fait partie de la charrette impressionnante de films réalisés par Gance entre La folie du Dr Tube (qui va scandaliser ses producteurs au point qu'ils ne le sortiront pas) et J'accuse (qui va sceller son triomphe)... La plupart de ces films appartiennent aux genres soit du mélodrame soit des films d'aventures, mais le droit à la vie appartient à la première catégorie, et est à rapprocher de Mater Dolorosa et La Xe symphonie par son style.

Nous faisons la connaissance de quatre personnages:  Veryal (Paul Vermoyal), banquier et boursicoteur fanatique, ne vit que pour s'enrichir; son collaborateur Jacques Alberty (Léon Mathot) lui est un honnête homme, et il aime Andrée Maël en secret; Cette dernière (Andrée Brabant) ignore l'amour de Jacques et accepte à la mort de sa grand-mère, sa seule famille, d'épouser Veryal qui la convoite. Enfin, Marc Toln (George Paulais) est le secrétaire de Veryal, encore plus véreux que lui...

C'est le drame d'un égoïsme, celui de Veryal, combiné à sa propre cupidité et à celle de Toln. Gance ne fait donc pas dans la dentelle, et affiche sans vergogne les deux affreux comme d'abominables corrompus. Les deux tourtereaux, de leur côté, ont du mal à faire le poids! Sinon, au-delà du délire mélodramatique, le metteur en scène affine son style proche de celui de DeMille, dans des scènes nocturnes aux compositions recherchées, un style qu'il achèvera de maîtriser avec Mater Dolorosa... 

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Published by François Massarelli - dans Muet Abel Gance 1917
14 juillet 2020 2 14 /07 /juillet /2020 15:21

Le marquis Maxime Hauterive de Champcey (Pierre Fresnay) est ruiné, et va devoir travailler: il entend bien ne pas priver sa jeune soeur, qui ignore tout de leur infortune, de la possibilité d'un mariage en apothéose. De même qu'il dissimule à sa famille l'étendue de la situation, il va trouver un travail qui lui permettra aussi de dissimuler sa véritable identité. Il devient régisseur d'une riche famille de plus ou moins parvenus habitant en Bretagne, les Laroque. Une mère que son romantisme pousse à regretter de ne pas être pauvre, un grand père complètement cinglé et hanté par des fantômes peu glorieux, et enfin, surtout, une jeune demoiselle à marier qui va le mettre au devant d'un dilemme: la courtiser ouvertement et prendre le risque de passer pour un coureur de dot, ou se tenir à l'écart et perdre l'amour avec un grand A... Pour couronner le tout, plusieurs gêneurs vivent à la résidence: une tante fofolle, un prétendant noble, mais fortuné, lui, et surtout une jeune dame de compagnie qui a reconnu Maxime et va lui attirer de solides ennuis quand il l'éconduira...

Ce roman d'Octave Feuillet semble sorti du fond des âges, avec sa méfiance pour les bourgeois devenus riches, opposé à la vertu d'un noble authentique. Avec la raideur de Pierre Fresnay, qui est comme de juste parfait en marquis droit comme un I, Abel Gance joue le jeu à fond; ce film fait partie d'un ensemble d'oeuvres que le cinéaste a souvent regretté d'avoir signées, ces "films que j'ai faits non pour vivre, mais pour ne pas mourir"... Mais ô surprise, il est bien meilleur, au hasard, que La fin du monde, ou son deuxième J'accuse!

Certes, il faut se coltiner l'infect style de jeu de Marie Bell ("Oh, par exemple, c'est tout à fait étonnnnnant!") mais pour le même prix, on a deux excentriques de premier choix, puisque la tante fofolle est interprétée par Pauline Carton, et que le prétendant est quant à lui incarné par l'immense Saturnin Fabre. Et il faut le voir, en peaux de bêtes pour incarner dans une fête de charité une catastrophique pièce de théâtre où le grand acteur joue un homme qui est un acteur mauvais comme un cochon. 

Bref, ce film où l'ombre du grand Gance plane parfois, mais bien haut dans le ciel, est distrayant.

 

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Published by François Massarelli - dans Abel Gance Comédie