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9 mai 2024 4 09 /05 /mai /2024 20:02

Sorti en février 1918, c'est un cas d'école: un film de guerre, certes patriotique et réalisé puis sorti alors même que les conflits faisaient rage, c'est donc assurément l'un des premiers films d'un genre nouveau, ceux qui depuis ls Etats-Unis, observaient les combats sur les fronts Européens, et dans des intrigues plus ou moins mélodramatiques, opposaient d'un côté les alliés, principalement les Américains bien entendu, et de l'autre les Allemands... Un genre à part entière, dont font partie des films comme Hearts of the world de Griffith, The hearts of humanity d'Allen Holubar, mais aussi sorti plus tardivement, The four horsemen of the Apocalypse, de Rex Ingram. Tous ces films ont en commun une vision férocement binaire, dans laquelle les Allemands sont présentés comme des monstres... 

Ici, le point de vue est celui d'une famille Américaine, dont le fils est parti se battre parce que l'attraction et le glamour des marines l'avaient attiré... Les parents, inquiets, voient partir un garçon immature, qui ne croit pas en Dieu, et a une attitude de dédain pour les classes qu'il considère comme inférieures. C'est lui, le non-croyant du titre... Mais le front, nous dit un intertitre, c'est la forge dans laquelle on va tester un homme... Sur le front en Belgique, il va se conduire en héros, constater que la fraternité ignore les classes, et apprendre à croire en des valeurs plus importantes que celles qui l'ont jusqu'à présent motivé...

En même temps, nous verrons dans le film les exactions de certains officiers Allemands, dont Erich Von Stroheim dans son premier rôle du genre: un sadique, attaché à son décorum, et qui exige d'un peloton d'exécution réticent et dégoûté l'assassinat pur et simple d'une grand-mère et de son petit-fils... Quand le héros se réveille sur un lit d'hôpital, et constate que le lit à côté de lui est occupé par un Allemand, il s'emporte... avant de constater que le soldat n'est finalement qu'un homme blessé qui a peur de la mort. D'ailleurs, dans le prologue du film, le jardinier d'origine Allemande, qui vient d'apprendre la mort de son fils sur le front, est confronté par la mère du héros.

Bref: ce film tranche particulièrement sur l'absurde sentiment cocardier et chauvin des autres films de la même période. Il est riche, et jamis excessivement démonstratif. Le metteur en scène (qui n'est pas n'importe qui, même s'il a parfois été amené à tourner n'importe quoi, c'est le paradoxe du système des studios) s'est même plu à utiliser de façon innovante le montage ultra-rapide lors de la scène de l'exécution mentionnée plus haut. Gance n'a pourtant tourné ni j'accuse, ni La roue, dont les sorties Américaines seront relativement condidentielles, de toute façon. Ce film de grande qualité, avec bien sûr un esprit exalté, bien typique d'un film de la décennie qui a vu les sorties de Civilization, Intolerance et Joan the Woman, est sans doute le dernier film sorti par Edison, qui s'est lassé de faire du cinéma.

 

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18 décembre 2022 7 18 /12 /décembre /2022 13:40

Le petit Jackie Rabinowitz se fâche avec son père (Warner Oland), qui lui reproche de gâcher sa jeune voix en chantant du rag-time et du jazz; il faut dire qu'il est hazzan dans le ghetto, c'est-à-dire cantor ou chanteur à l'office religieux, et en tant que tel, très respecté... et très rigoureux sur les traditions! Après une bonne correction, le jeune garçon s'enfuit avec la complicité de sa mère (Eugenie Besserer)... Devenu adulte (Al Jolson), il chante et obtient un grand succès sous le nom de Jack Robin. Se réconciliera-t-il avec ses parents et sa culture?

Commençons par une mise au point: venant des Etats-Unis, le pays de Donald Trump et de Walt Disney, ce film qui a sauvé la Warner en 1927 a la réputation d'être le premier film parlant, et d'avoir inauguré la vogue de ce qu'on appellerait les Talkies, en opposition aux Movies, à savoir un cinéma populaire et 100% parlant et sonore... Sauf que The jazz singer n'est pas un film parlant, mais un film dans lequel on a utilisé la bande son pour des chansons synchronisées (environ une demi-heure du film y est consacrée), et de courts dialogues qui bout à bout n'excèdent pas 3 minutes... Le reste? Du cinéma muet: tourné sans besoin sonore et agrémenté ensuite au cours du montage, d'intertitres et de musique en boîte, la vocation première des productions Vitaphone étant de fournir aux cinémas des films avec de l'image ET une bande-son, permettant aux exploitants de se passer de la présence d'un orchestre. Le fait que ces trois minutes aient décidé de la suite des événements et poussé le public à en vouloir plus, n'empêche pas que ces quelques minutes de borborygmes en font, au mieux, un film hybride, à mi-chemin entre le muet (qui avait encore quelques beau jours devant lui) et le parlant (qui ne deviendrait majoritaire qu'en fin 1929)...

Sinon, le film est un mélodrame de facture assez classique, qui tient bien la route quand il n'est pas dominé par le chant de Jolson, ce dernier étant si vous voulez mon avis un abominable cabotin bien plus quand il chante du "jazz" (je mets les guillemets parce que je crois que je connais le jazz, et cette musique là n'en est absolument pas) que quand il joue... L'un des intérêts du film est de mettre en avant la culture Juive, ce que peu de films faisaient à l'époque des grands studios, dont les patrons, souvent des juifs fraîchement naturalisés, souhaitaient se fondre dans la masse. Mais le conflit du film, déguisé en un tragique combat entre père et fils, est bien le dilemme d'un homme entre son assimilation par le milieu du spectacle, et la tradition de s communauté. Un sujet là encore peu présent à cette époque, en particulier dans le cinéma Américain! Et Crosland, qui a bien mesuré l'enjeu du film, a pris la décision de planter ses caméras et ses acteurs dans les quartiers Juifs de New York, pour une poignée de scènes, avant de rentrer en Californie...

Quant à juger la performance sonore, on peut quand même dire que le système Vitaphone sur disques est assez efficace. Dommage qu'il ait fallu commencer par mettre en valeur la voix de Jolson, et ses chansons, qui sont toutes plus ou moins insupportables quand il les chante...

Et tout ça sans aucun mot sur le maquillage...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Alan Crosland **
10 novembre 2019 7 10 /11 /novembre /2019 12:01

Alan Crosland, après avoir été un metteur en scène important à la Warner (il avait un rôle similaire à celui de Curtiz dans les années 30 et 40, pour situer: l'efficace réalisateur de projets ambitieux, en premier lieu desquels bien sûr trône son magnifique Don Juan), a sérieusement perdu du crédit et de l'influence. Ce film tarif le voit s'attaquer à un problème social pas beaucoup exploité dans le cinéma de l'époque, celui des Indiens. Mais le film peine à convaincre...

Joe Thunderhorse (Richard Barthelmess) est assimilé, jusqu'à l'extrême; il fait partie d'une troupe de spectacle équestre, et signe autographe sur autographe... Si des blancs, dont une riche snob (Claire Dodd) le renvoient facilement à sa condition d'Amérindien, il ignore tout de son identité sioux. Jusqu'à ce qu'il rentre à la réserve à l'occasion de l'agonie de son père: il y retrouve son peuple, exploité et en situation de quasi expropriation par des anglo-saxons sans scrupules, et il va prendre les choses en main quand sa petite soeur de quinze ans est violée par un croque-mort le jour de la mort de leur père...

La dernière phrase donne l'une des raisons du ratage du film: l'excès de zèle, qui donne parfois l'impression que ce film a surtout pour la WB une valeur de pulp... Difficile après de croire en la véritable portée sociale du film, quand on voit justement à quel point celui-ci schématise. On se prendrait à rêver d'une version par Lloyd Bacon (qui aurait su harmoniser le rythme du film), William Dieterle (Qui aurait su tempérer les incohérences ou carrément glisser du côté baroque), Curtiz bien sûr (son film Black Fury l'année suivante est une grande date du cinéma Rooseveltien) ou carrément William Wellman. Et surtout, si on est toujours content de voir Ann Dvorak (son rôle de jeune Amérindienne est hélas très convenu), faut-il méchamment encore dire à quel point ce pauvre Barthelmess est mou?

Donc si le film n'est pas indigne, il n'est pas, loin s'en faut, beaucoup plus qu'un prétexte à se donner bonne conscience tout en se permettant quelques licences...

 

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Published by François Massarelli - dans Alan Crosland Pre-code
9 novembre 2019 6 09 /11 /novembre /2019 16:42

Un film muet Américain d'une durée proche de deux heures, situé pour une large part à Monte-Carlo et qui fustige la corruption morale à l'heure du conflit mondial en représentant un prince Russe exilé qui se sert des femmes pour son plaisir... Ca rappelle forcément quelque chose, sauf que ce n'est en aucun cas Foolish wives! D'ailleurs, contrairement au film de Stroheim, cette production extravagante de William Randolph Hearst a été tournée dans le Sud de la France, d'où l'utilisation de plans splendides des rochers de Monaco et de l'arrière-pays Niçois...

En Russie, avant la première guerre mondiale, le prince Michael Lubimoff (Lionel Barrymore) croit en une supériorité de l'homme sur le femme, et organise des fêtes crapuleuses où il invite ses amis à plonger dans l'égoïsme et la luxure, suivi en particulier par son amie Alicia de Lille (Alma Rubens) qui l'aime en secret. Mais Lubimoff se bat en duel et doit fuir son pays. Avec Alicia, il se réfugie à Mont-Carlo, mais il fait une crise de jalousie à Alicia quand il la surprend au bras d'un très jeune homme (William Collier): ce qu'il ne sait pas c'est que ce n'est pas l'amant, mais le fils secret de son amie...

Lubimoff, avec ses amis Spadoni (Gareth Hughes) et Italio Castro (Pedro de Cordoba), se réfugie dans une villa où ils décident de vivre, désormais, à l'ébri des femmes... mais la guerre et la nécessité de s'engager vont bientôt rattraper ses deux compagnons... Ainsi que Gaston, le fils d'Alicia.

Plus baroque que ce film adapté de Vicente Blasco Ibanez, semble impossible, à moins bien sûr de se précipiter (mais pourquoi???) vers le fameux Salome de Alla Nazimova! Crosland, qui devrait quand même savoir que le code de production dans sa première version a été édicté par Will Hays, mais semble flirter avec la transgression dans sa peinture de la corruption du monde de Lubimoff, attablé face à des dizaines de femmes aux habits suggestifs qui semblent ne danser que pour lui... Mais justement, cet excès, qu'on retrouvera en mode plus ironique dans Don Juan et When a man loves, est justement ce qui fait le sel de ce film, avec le plaisir de retrouver un Lionel Barrymore 'jeune' (il avait quarante-quatre ans, mais en paraît facilement dix de plus, déjà), et l'intrigante mais excellente Alma Rubens. Ils électrisent le film, dont le luxe de détails est insolent, et je le disais plus haut, le cadre splendide. Alors qu'importe que ce ne soit pas très raisonnable?

Comme si souvent la corruption y est de toute façon érigée en contre-exemple, et la guerre va devenir l'exutoire de cet égoïsme militant, offrant aux uns et aux autres la possibilité salutaire d'un sacrifice personnel. Une dialectique qui tranche un peu sur les habitudes des films de 1919-1921 qui eux utilisaient la guerre certes pour glorifier l'héroïsme individuel, mais aussi pour diaboliser les Allemands! Le conflit ici est interne, et puis... la Révolution d'Octobre est passé par là, fournissant au cinéma Américain un nouveau type d'ennemi prêt à l'emploi. Crosland se saisit de cette possibilité lors d'un déplacement de Lubimoff en Russie, où il est confronté aux Bolcheviks, et doit même lutter en corps à corps contre le massif Ivan Linow. Trois ans  plus tard, ce sera au tour de Don Juan -John Barrymore contre Montagu Love!

Le film hélas est incomplet, préservé dans une copie privée de deux bobines, et dont une partie des intertitres a disparu aussi. Il fait l'objet d'une restauration à l'heure actuelle, et la localisation des parties manquantes est en cours... Croisons les doigts pour qu'on puisse retrouver ces pièces manquantes d'un puzzle des plus extravagants...

 

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Published by François Massarelli - dans Alan Crosland Muet 1923
8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 13:10

On ne présente plus Alan Crosland, un vétéran de chez Griffith qui a roulé sa bosse avant de finir par entrer de façon inattendue dans la cour des noms souvent mentionnés du cinéma muet, en devenant le metteur en scène de The Jazz Singer pour la Warner, en 1927... Un poste qu'il a eu en étant, avant l'intronisation de Michael Curtiz à ce poste, LE metteur en scène des grands projets de la firme: il avait, l'année précédente, réalisé le superbe Don Juan pour la WB. Mais si Crosland est un vétéran, c'est aussi et surtout un artisan, un home de métier qui ne s'embarrasse pas de passer pour un artiste.

Le film, une production Selznick de 1920, n'est donc pas une révélation ni une révolution, juste une excellente comédie dans laquelle Olive Thomas incarne une adolescente un peu pressée de sortir de sa minorité et de jouer dans la cour des grands. Il est vrai qu'il n'y a pas grand chose à faire à Orange Springs, la petite ville de Floride où elle vit avec ses (riches) parents. Alors quand elle va se retrouver en pension, elle va tout faire pour apprendre la vie, le plus vite possible...

C'est une comédie charmante, pétillante, menée par une actrice adorable et dynamique, qui est une préfiguration de Clara Bow, en bien moins prolétaire bien entendu. Et surtout, c'est presque un chaînon manquant: en 1920, les "flappers", ces jeunes femmes en quête d'indépendance qui se plongeaient avec délices dans ce que leurs parents considéraient comme une vide débauche, sont encore une curiosité, elles ne sont pas encore une mode... Et Olive Thomas, qui dans vraie vie n'avait sans doute pas attendu très longtemps avant de s'encanailler, a le second degré nécessaire pour le rôle. Elle est vraiment excellente, et sa mort cette année là, a vraiment été une grande perte... Sinon, au rayon des curiosités, on fait grand cas de la présence de la jeune Norma Shearer (voir photo en haut) dans les figurantes, mais on pourrait aussi signaler le fait que ce film nous présente dans le rôle sobre d'un malfrat, le grand Arthur Housman, avant qu'il ne devienne un ivrogne professionnel...

 

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Published by François Massarelli - dans 1920 Alan Crosland Muet Comédie *
6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 16:01

Après quelques films pour Warner Bros, dont le célèbre et excellent Don Juan d'Alan Crosland, John Barrymore a signé pour trois films avec Joseph Schenck, qui faisait distribuer ses films par United Artists. Donc l'idée était de donner plus d'indépendance, donc de contrôle, à la star... Du moins sur le papier, comme Buster Keaton, que Schenck venait de lâcher sans trop d'élégance, en a fait l'amère expérience...

Le "beloved rogue" du titre n'est autre que François Villon. Le vrai, auteur d'un certain nombre de poésies, était aussi un monte-en-l'air, un escroc, un voyou, un moins-que-rien, bref: un bandit. Celui de John Barrymore l'est aussi, mais fort brièvement, le film se limitant à une série d'aventures autour d'une anecdote totalement apocryphe de la vie de celui dont on sait quand il est né (en 1431), mais dont on perd totalement la trace 30 années plus tard...

Sous Louis XI, le Roi risque de tomber sous la coupe de Charles de Bourgogne, son ennemi juré qui convoite sa place. Il s'apprête pourtant à donner la pain de sa pupille Charlotte au lieutenant de Charles, en guise de geste de bonne volonté; par cette union, Charles entend briser les derniers obstacles qui l'empêchent d'accéder au trône. Mais Charlotte qui ne souhaite pas se marier avec n'importe qui, trouve refuge auprès de Villon, qui n'est pas insensible à ses charmes. Il va réussir, par la ruse, à s'attirer les bonnes grâces de Louis XI. Mais le temps presse, car Charles de Bourgogne n'a pas dit son dernier mot...

J'ai volontairement laissé de côté les noms des acteurs, tant la distribution est impressionnante: outre Barrymore, on trouve en effet Conrad Veidt en Louis XI, Marceline Day dans le rôle de Charlotte, et si W. Lawson Butt n'inspire pas grand chose (à part dans les possibilités les plus sombres de moquerie immature autour de son patronyme) dans le rôle de Charles, que penser des apparitions de Mack Swain ou encore Slim Summerville, voire de Nigel de Brulier (en astrologue, ce qui manquait dans son impressionnante collection de sorciers, prophètes, évèques, cardinaux Vendéens et autres prêtres) ou de Dick Sutherland qui ici interprète un bourreau au faciès... de Dick Sutherland, justement... On s'attend à passer un très bon moment, surtout si on a vu Don Juan et When a man loves... 

Crosland et Barrymore étaient sans doute partis pour récidiver leurs exploits, en faisant construire toute une ville médiévale alambiquée, et louchaient aussi probablement sur la couronne de Douglas Fairbanks, roi cabossé du film d'action depuis le manque de succès de The thief of Bagdad et des films qui l'avaient suivi... Mais le mélange de comédie débridée (beaucoup plus marquée que dans ses films précédents) et d'aventures, mâtiné de sadisme pour une séquence de torture dans laquelle Barrymore à demi-nu est plongé dans les flammes et lardé de coups de fouet, peine parfois à convaincre.

Conrad Veidt compose pour sa part un Louis XI convenablement dingo, dont on a l'impression qu'il ne lui en faudrait pas beaucoup pour tripoter tout ce qui bouge, et le style baroque du film époustoufle dans un premier temps, marque le film comme étant factice (au même titre, tiens, que The thief of Bagdad était littéralement incroyable) ensuite, et finalement lasse un peu... Surtout quand on a parfois l'impression d'assister à un démarquage de The hunchback of Notre-Dame...

Il n'était pas Douglas Fairbanks non plus, même si l'équipe fait tout pour tenter de nous le faire croire! Ca virevolte, c'est rythmé, et c'est souvent assez vain. Bref: Barrymore ferait mieux, bien mieux avec son film suivant, le flamboyant Tempest...

Je termine en vous laissant une petite énigme de rien de tout, dont je sais qu'elle va certainement motiver au moins une personne: il y a trois futurs acteurs de Freaks dans le film, j'ai bien sûr fait exprès de ne pas les mentionner. Bonne chasse!

 

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Published by François Massarelli - dans John Barrymore Alan Crosland Comédie Muet 1927 **
10 août 2018 5 10 /08 /août /2018 09:42

Don Juan est à Rome, et c'est le pur produit d'une éducation prodiguée par un père trompé, et impétueux: Don José de Marana a en effet prodigué la leçon la plus décisive de toute sa vie à son fils Juan, le jour où il a répudié son épouse infidèle, et emmuré au passage son amant... Vingt ans plus tard, Juan (John Barrymore) consomme les femmes, sans jamais s'enivrer dans la moindre histoire d'amour. 

...Et il les lui faut toutes! Et comme il vit dans la Rome très corrompue de l'époque de Borgia, il est plutôt à son aise. Sa rédemption viendra de Donna Adriana (Mary Astor); la pureté angélique même. Dans un premier temps, il la convoitera comme les autres, et s'étonnera qu'elle lui résiste. Puis il cherchera sa présence afin de gagner son affection. Puis il la sauvera des griffes de l'abominable Giani Donato (Montague Love), homme de main de Lucrèce (Estelle Taylor) et César Borgia (Warner Oland)... 

Ce n'est pas par son intrigue que ce film se distingue. Celle-ci, signée par Bess Meredyth, qui n'allait pas tarder à devenir Michael Curtiz, est une excellente utilisation d'une formule raffinée de film en film, et qui allait souvent donner des splendides swashbucklers dans les années 30 ou 40: voilà où je voulais en venir avec mon allusion au ménage Meredyth-Curtiz! En voyant Don Juan, film luxueux dans un studio qui n'avait pas forcément les moyens en 1926 de se permettre de telles excentricités, on constate que le terrain est en voie de préparation pour les films de Curtiz Captain Blood ou The sea hawk...) Seulement en attendant, c'est Alan Crosland qui était préposé aux grosses machines de ce genre.

Et Don Juan est une splendide réussite dans le genre: le héros est à la fois suffisamment sympathique, et suffisamment fripon pour garantir le spectacle, les méchants (des Borgia qui ont été taillés sur mesure pour le public Américain de 1926: aucun lien avec la papauté, ils sont juste 'les maîtres de Rome': a-t-on besoin de plus? Si on est un historien, oui. Sinon...) sont parfaitement adéquats, les seconds rôles sont à foison: John George, silhouette inquiétante dans le prologue, symbolisant l'âme tortueuse du père de Don Juan; Warner Oland, au naturel, en César Borgia inquiétant, mais pas autant qu'Estelle Taylor qui est la véritable reine de la famille; Montague Love dans son rôle préféré: un homme de main libidineux qui se fait tuer à l'avant-dernière bobine... Myrna Loy dans un rôle inhabituellement développé de dame de compagnie-espionne, et le grand Nigel De Brulier, qui joue un mari trompé qui fait basculer l'histoire de Don Juan depuis la comédie vers la tragédie: au naturel, lui aussi, son rôle est crucial, et le personnage qui se lance dans un pétage de plombs intensif, nous change des bons pères et des Richelieu tout en manoeuvres feutrées, deux types de personnages qu'il avait l'habitude de jouer... Et puis il y a, dans le rôle d'un bourreau, Gustav Von Seyffertitz, l'inénarrable sadique dont Barrymore aimait tant copier les traits (voir son Mr Hyde, c'est troublant), et qu'il imite ici dans une scène située vers la fin...

On ne s'ennuie jamais, et on en prend plein les yeux: la photo de ce film, ses décors, le cadrage (avec un certain nombre de cascades jouées en plan large, et rendues plus spectaculaires encore) et les costumes, tout y contribue au plaisir. C'est que la Warner avait une idée derrière la tête: le Vitaphone. On lit souvent que Don Juan était le film par lequel la compagnie WB avait expérimenté ce système de synchronisation qui allait ensuite mener la compagnie à insérer 2 minutes parlantes dans The jazz singer. Sauf que pour une fois, c'est rigoureusement exact. Jack Warner jouait son va-tout avec Don Juan, dont le succès allait précipiter la révolution du cinéma sonore. D'où les précautions, et le soin apporté à la production. Et du même coup, ceci est le meilleur film de Crosland, et ce de très loin. Le principal atout du film, je pense, est son montage formidable, qui nous permet de toujours nous situer du bon côté de l'action (c'est à dire en prenant parti pour Don Juan, y compris avant qu'il n'entame une rédemption ô combien nécessaire!)... Mais franchement, il n'y a là-dedans que des motifs de satisfaction, et tant qu'à faire ce long métrage d'excellente facture est aussi à mes yeux le meilleur film de John Barrymore. 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Alan Crosland *
21 juin 2018 4 21 /06 /juin /2018 09:12

Sur un scénario de Darryl F. Zanuck, Dolres Costello est la star de ce petit film bien de son temps à tous points de vue, qui prend prétexte d'une histoire située à San Francisco d'avant le cataclysme de 1906, pour faire bouillir la marmite de la Warner! Après Don Juan, When a man loves et The better 'ole, ce film d'aventures est l'un des premiers programmes Vitaphone, et comme ses prédécesseurs le son n'y est utilisé que pour la musique et l'ambiance.

La famille Vasquez est venue s'installer dans la baie de ce qui deviendra San Francisco avec les premiers arrivants Espagnols, et elle a maintenu une certaine aisance... Jusqu'à la ruée de 1849. En 1906, c'est donc une vieille famille hispanisante qui tente tant bien que mal de conserver son statut, et qui a fort à faire pour contrer les spéculateurs de tout poil qui en veulent à leur terre, notamment l'étrange Chris Buckwell (Warner Oland), qui cache un secret inavouable, un secret qui pourrait bien se révéler au contact de la belle Dolores Vasquez (Dolores Costello)...

Autant vous le dire tout de suite: "Chris Buckwell" n'est pas blanc, mais c'est un métis, fils d'un blanc et du'ne chinoise. Alors on va le dire tout de suite: oui, le film est raciste, d'un racisme ordinaire et dégueulasse qui se cache derrière un respect des communautés, tant qu'elles restent chacune de leur côté. Le principal pêché de Buckwell est bien sûr de convoiter celle à laquelle il n'a pas le droit de rêver... Mais au-delà de cette identité gênante, et convention mélodramatique passe-partout qui n'a fait sourciller personne, le film est un long métrage d'obédience classique, avec ses péripéties absurdes, sa visite de Chiinatown (avec So-Jin et Anna May Wong, mais aussi Angelo Rossito en couleur locale) et... sa vengeance divine. Consultez les livres d'histoire si vous voulez savoir comment Dieu, décidément bien taquin, a opéré cette fois-ci! ...Ou voyez ce film.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Alan Crosland *
4 août 2015 2 04 /08 /août /2015 18:25

Alan Crosland mérite mieux que le sort qui est actuellement le sien, celui d'une notule dans une histoire du cinéma qui en prime s'avère fausse: oui, il est bien le réalisateur de The jazz singer, sorti d'ailleurs quelques mois après ce film d'aventures, mais non, ce n'est pas un chef d'oeuvre, ni, bien sur, un film parlant: tout au plus un film muet et musical dans lequel on peut entendre une minute et cinquante secondes de dialogues... Et Crosland, après ça, a plus ou moins disparu des radars. Rappelons les faits: quand on fait appel à lui pour diriger les films de prestige de la Warner, Crosland est à la plus prestigieuse Paramount. Il réalise donc avec Don Juan un petit chef d'oeuvre d'exubérance, avec un John Barrymore qui semble avoir trouvé une nouvelle jeunesse. La mise en scène est splendide, et le film obtient un succès certain grâce à l'attraction de sa nouvelle technique de restitution du son: il est accompagné de musique enregistrée, parfaitement synchronisée. C'est le prélude au déferlement du cinéma sonore tel qu'il aura lieu deux ans plus tard. When a man loves, tourné et sorti un an plus tard, est la suite logique. Il s'agit d'une adaptation de Manon Lescaut, de l'Abbé Prévost.

Le film suit donc les aventures de Manon Lescaut et du chevalier Fabien Des Grieux, qui se sont rencontrés à la croisée des chemins, au moment où l'un s'apprêtait à entrer dans les ordres et l'autre au couvent. De quiproquo en coup de théâtre, de farce en attrape, et jusqu'au naufrage du navire qui les emmène aux Etats-Unis, le film déroule comme le faisait Don Juan le tapis rouge à une certaine amoralité joyeuse: c'est essentiellement pour des motifs égoïstes que Don Juan et Manon cherchent la liberté absolue, et leur amour fou leur fait provoquer des catastrophes dans lesquelles d'autres périront... On est loin du parcours de rédemption à la Fairbanks, par contre Barrymore, saute, se bat, virevolte, sans un temps mort. La photo de Byron Haskin est très belle, riche en texture, et les nombreuses scènes nocturnes sont fort réussies. Le scénario est du à Bess Meredyth, la future Mrs Curtiz, ce qui me fait émettre une hypothèse...

Crosland en avait encore pour un an avec ce statut particulier de metteur en scène de prestige à la WB, qu'il allait pourtant perdre: C'est à Lloyd Bacon qu'on confie l'important défi de tourner la suite logique de The Jazz Singer, The singing fool. Puis Curtiz, arrivé dans le but précis de réaliser des oeuvres ambitieuses, va hériter de Noah's ark, dont Dolores Costello, la vedette de When a man loves, mais aussi de Old San Francisco, un autre film de Crosland, sera l'héroïne. Et si Curtiz n'était pas venu, peut-être Crosland aurait-il pu continuer à tourner ses films extravagants, dont celui-ci est sans aucun dote possible l'un des meilleurs... La richesse de l'intrigue, le nombre impressionnant des figurants, la beauté des décors et la vitalité du montage, en font facilement un précurseur des Captain Blood, Sea Hawk, Robin Hood et autres chefs d'oeuvre... Haut la main.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Alan Crosland *