Au moment d'entrer dans ce film, il convient d'abandonner une grande part de nos habitudes de spectateur tant il est difficile de considérer Pandora comme les films contemporains de sa sortie. de plus, le quatrième film d'Albert Lewin est le plus représentatif des six qu'il a réalisés, étonnants mélanges souvent admirables (The picture of Dorian Gray) mais parfois bien déroutants (Saadia) pour ne pas dire risibles (The living idol) de film sentimental ou d'aventures, de fantastique à tiroir, et d'imagerie surréaliste. Le metteur en scène est connu pour son oeuvre de producteur, aussi, et de fait, on a toujours l'impression avec lui de voir des films faits en marge: du système, de sa vraie carrière, des studios, même si trois d'entre eux ont été faits à la MGM, et surtout des genres établis et des sentiers battus. Tourné avec des capitaux Anglais, mais aussi l'appui de la MGM qui prêtait Ava Gardner à Lewin, tout en distribuant le film, Pandora est aussi le premier film complètement en couleurs du metteur en scène, qui avait jusqu'à présent inséré dans ses oeuvres en noir et blanc des séquences (The moon and sixpence) et des plans (The picture of Dorian Gray, The private affairs of Bel-Ami) en Technicolor, qui tous tournaient autour de la découverte par le spectateur d'un tableau ou groupe d'oeuvres, qui devaient nécessairement trancher sur le reste de l'oeuvre par le biais du
soudain, et brutal, changement de couleurs. On retrouve dans Pandora cette notion d'une oeuvre picturale qui est au centre du film, ou en cristallise certains aspects, mais elle s'insère bien plus dans l'étrangeté globale de l'intrigue, d'une part, et Lewin bénéficie en plus du talent exceptionnel de Jack Cardiff dont le talent pour la couleur permet au metteur en scène de pouvoir avoir le sentiment constant d'évoluer dans des tableaux... Autre constante de l'oeuvre ici dûment respectée, un narrateur choisi parmi les protagonistes s'adresse directement à nous, et va nous diriger sur l'ensemble du film, nous offrant parfois une grille de lecture souvent un peu décalée. Après Herbert Marshall et George Sanders, c'est à un autre Anglais, Harold Warrender, que cette tâche incombe.
Des pêcheurs au large d'une petite plage méditerranéenne ont ramené deux cadavres, celui d'un homme et d'une femme enlacés. Geoffrey Fielding, un archéologue Britannique résidant dans les parages, qui admet avoir prévu cette macabre découverte, se souvient: la femme s'appelle Pandora (Ava Gardner), et elle est le centre d'une bande d'amis, mais elle est surtout la proie du désir de tous les hommes: un ami commun (Marius Göring) s'est suicidé lors d'une soirée un peu trop arrosée, après que Pandora ait résisté à ses avances. Elle est aussi aimée de Stephen, un pilote automobile obsédé par un record de vitesse. Mais elle attend mieux: jusqu'au jour ou elle a décidé d'aller, à la nage, rencontrer le mystérieux inconnu (James Mason) dont le yacht mouille à quelques mètres du rivage; lorsqu'elle se rend dans la cabine de l'homme, elle le trouve en pleine activité: il est justement en train de la peindre... Très vite, Fielding soupçonne Hendrik Van Der Zee, le très aimable mais aussi très secret inconnu, d'être le fameux "Hollandais Volant", cet homme qui selon la légende survit entre la vie et la mort depuis 400 ans pour expier le meurtre de son épouse, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée, ou remplacée par une femme qui daigne mourir pour lui...
Forcément, on reconnait les obsessions surréalistes, à travers cette histoire d'amour fou qui emporte tout sur son passage, à commencer par la logique. Et de fait, le film est entièrement soumis à cette lecture surréaliste du monde, aussi bien dans son intrigue que dans les efforts picturaux fascinants: on le voit dès le début, après que le prologue du film nous ait montré l'anecdote des marins: un plan de la plage montre un amas de filets dont émergent deux mains, qu'on croirait en bois, et qui sont toutes deux dirgées vers un livre ouvert... Hendrik Van Der Zee représente pour Pandora, fatiguée de n'éveiller le désir qu'à des hommes trop petits pour elle, un absolu qui justifiera tous les sacrifices, et elle ne s'encombrera de rien (Pas même de vêtements, d'ailleurs) le moment venu. L'oeuvre d'art qui est au centre du film, et qui en est la clé, semble être située à l'origine de toute cette histoire, tout en étant un aboutissement du film. D'ailleurs le tableau apparait dans deux scènes qui se font écho: la première rencontre entre Pandora et Hendrik, puis la dernière: les deux sont faites dans les mêmes circonstances, pandora arrivant nue sur le bateau, puis découvrant le tableau. La première se conclut par l'effacement des traits de la jeune femme du tableau, la deuxième par l'acceptation de son destin par la jeune femme qui a enfin compris qui elle était, et ce qu'elle venait faire là... Le retour à la réalité pour le spctaceteur s'effectue par le biais d'un plan de sablier qui éclate littéralement...
De plus, les anecdotes proches du rêve abondent: la mort d'un toreador qui est distrait parce qu'il vient de voir, dans le public, l'homme qu'il a tué la veille, ou encore les joyeux fêtards qui prolongent leur soirée arrosée avec jazz de circonstance (On est en plein à la fin des années 20) sur une plage au milieu de statues qui ont été repêchées et entreposées là, occasionnant des visions inattendues de musiciens qui jamment avec les statues... Le film joue beaucoup sur ces superpositions et collages inattendus, parfaitement dosés. Les interprêtes sont parfaits, James Mason en tête. Autant d'aspects qui facilitent l'adhésion pour le public, qui a d'ailleurs fait du film un véritable succès, le dernier de la carrière erratique de son réalisateur.
Pour finir, qu'il me soit permis une remarque très personnelle: ici, on tue un toreador, un petit plaisir qui ne se refuse pas tant ces petits êtres qui gesticulent en tenue ridicule devant les taureaux me semblent détestables...