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6 février 2021 6 06 /02 /février /2021 11:17

1936, Salamanque, le film commence au moment où la junte militaire des « insurgés » contre la république installe tranquillement la loi martiale. Sous les yeux de Miguel d'Unamuno (Karra Elejalde), un universitaire qui a été un fervent républicain mais qui est déçu de la tournure des événements, parce qu'il pense que l'allégeance des socialistes et des communistes à la Russie de Staline fait du tort à l'espagne, les militaires commencent à gérer la région et se mettent en œuvre pour gagner le pays entier.

Nous allons assister à l'installation d'un état fasciste, avec de plus en plus de privations de liberté, les exécutions sommaires (au nom d'un sempiternel « oui mais les autres le font aussi », ce qu'on ne verra d'ailleurs jamais), la reprise en mains de l'Espagne et des Espagnols par des grenouilles de bénitier revancharde, et l'ascension de Franco (Santi Prego), général mais surtout politicien. Pendant ce temps, les dernières traces de liberté sont incarnées par des débats entre les amis d'avant, et par la mauvaise humeur militante du vieux Unanumo, qui ne tarde pas à se rendre compte qu'il a soutenu le début d'un régime qui installe lentement mais sûrement une dictature à l'instar des nazis et des fascistes, dont l'obsession de l'épuration cache mal un racisme maladif et aveugle...

On a connu à plusieurs reprises Amenabar en pourfendeur d'un catholicisme à l'Espagnole, dont il a subi les foudres dans les pensions où il a grandi... The others, mais aussi Agora, ne se gênaient absolument pas pour explorer à leur façon les aspects les plus noirs du Christianisme. La religion, ce ne sera pas une surprise, joue donc encore une fois un rôle central dans ce film, mais Amenabar s'il rappelle que l'église Espagnole s'est trempée et pas que du bout des doigts, dans un système fasciste qu'elle appelait de toute façon de ses vœux, ce n'est pas la seule option. En témoigne le personnage formidable de ce vieil universitaire qui choisit d'abord de soutenir la junte parce qu'il pense qu'elle va rétablir la république après ce qu'il considère comme les crimes des républicains.

Tout est affaire d'un dosage subtil, Amenabar n'assène pas l'histoire, il la distille... Et le discours pro-militaire de Miguel Unamuno s'accompagne aussi d'un vraie tolérance à l'égard de ses amis : un pasteur protestant, qu'il apprécie bien que lui-même soit catholique, et qui sera arrêté parce qu'il est franc-maçon; un professeur de l'université, auquel il s'oppose politiquement, parce qu'il est socialiste, mais qu'il compte fermement parmi ses amis. Seulement lui aussi sera arrêté, et toutes ces arrestations mèneront à la mort...

Le film est donc didactique, voire académique, mais il fait mouche parce que le mécanisme de l'installation du fascisme est là, sous nos yeux, à nous qui le voyons partout aujourd'hui, sauf là où il est vraiment: tapi dans l'ombre, prêt à bondir au moindre signe de fatigue des instances légitimes, à l'affût de la moindre contrevérité à monter en épingle. Devant ce film qui fait un portait du danger tapi derrière le plus affable des généralissimes, sous la forme d'un général rassis, borgne (c'est une manie, chez les fascistes?), qui nous est montré voulant faire un discours et qui n'en a, justement, pas, de discours. Juste des imprécations de haine... C'est parce qu'ils ont vu le terrorisme à l'oeuvre, la montée des partis fascistes (pourquoi les appeler autrement?) de Salvini, Orban, Le Pen, Dupont-Aignan, Asselineau, des mouvements populistes de tout poil qui envahissent les rues pour tout condamner, et le retour au plus haut de l'état de l'ignorance et de la dangereuse duplicité, que ce soit aux Etats-Unis, en Hongrie, en Russie ou au Brésil, qu'Amenabar et ses collaborateurs ont fait ce film...

 

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar
24 février 2018 6 24 /02 /février /2018 16:30

Le premier long métrage du réalisateur Hispano-Chilien ne nous déçoit pas, et se situe vraiment au coeur de ses préoccupations et de sa vie: il y est question de tourner, de voir, de la mort et de la responsabilité criminelle... Ca commence par une énigmatique introduction, dans laquelle le personnage principal, Angela (Ana Torrent) sort d'un métro mi-horrifiée, mi-fascinée: elle sait que devant la rame de tête, se trouve le corps déchiqueté d'un homme qui s'est jeté sur les rails. On lui recommande de ne pas regarder, mais...

Elle est étudiante en cinéma et communication, et est arrivée au stade de la thèse. Elle souhaite la consacrer à la violence dans les médias, mais a du mal à trouver de la matière première. Quand son directeur de thèse est troué mort, devant un écran vide, alors qu'il visionnait une cassette pour lui venir en aide, elle "emprunte" la chose, et se retrouve devant un authentique "snuff movie", un genre qui fascine les uns (dont son ami Chema, interprété par Fele Martinez), et fait très peur aux autres. Angela est entre les deux, et commence une enquête personnelle qui la conduira très loin...

D'une part il est difficile de prendre le film au sérieux, et du reste ce long métrage a un énorme défaut: tous ces gens, Angela en tête, n'ont pas beaucoup d'humour, et comme si souvent dans les films de genre Européens, ils ne se parlent pas: ils s'invectivent en permanence; mais Angela, finalement, met en jeu bien plus que la fin de ses études dans cette histoire. C'est la première fois qu'elle sort le nez de ses livres, et le fait d'enquêter autour d'un trafic crapuleux de snuff movies, va lui apporter une excitation qu'elle n'attendait pas.

Et puis, peu importe d'y croire ou non, car le film nous entraîne dans un dédale fascinant de couloirs, de portes closes, d'entrepôts secrets et de garages interlopes. Amenabar s'amuse à donner du sens, brièvement, aux objets et aux lieux les plus anodins, et nous le suivons, car il a bien compris que s'il fait semblant de dénoncer, il se promène avec cette histoire de films qui tient les gens, au plus profond de l'inconscient de ceux qui sont fascinés par les images. Comme Angela, on nous dit de ne as regarder, mais...

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar
19 février 2016 5 19 /02 /février /2016 17:00
Vale (Alejandro Amenabar, 2015)

Je n'aime pas la pub, à plus forte raison la publicité pour le vin ou l'alcool, ces produits pour sous-développés du bulbe. Mais lorsqu'une marque de bière propose à Amenabar de réaliser un film à vocation publicitaire, et que celui-ci décoche un court métrage de plus de dix minutes sous forme de comédie, on en redemande. Oui, vous avez bien lu: une comédie... L'auteur de The others a de l'humour, mais ce n'est pas ce à quoi il nous a habitués, ces derniers temps...

Une touriste Américaine (Dakota Johnson) visite l'Espagne, et se lie avec un groupe d'autochtones. On pourrait s'attendre à ce qu'elle soit larguée durant les conversations, mais en fait c'est un jeune homme de la bande (Quim Guttierez), ne parvenant pas à baragouiner le moindre mot d'Anglais, qui est perdu. D'autant qu'il en pince pour la belle.

C'est tendre, finement observé, et en plus c'est conclu par une fin ouverte. Sur laquelle je ne dirai rien, mais la bière semble y jouer un rôle important... Pour ceux que ce breuvage pour touristes en short ne rebute pas, c'est un plus...

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar Espagne Comédie
18 février 2016 4 18 /02 /février /2016 09:30

Une vague impression de gâchis, quand même... La finesse des travaux précédents d'Alejandro Amenabar ne nous faisait pas toujours oublier la tendance bavarde de son cinéma, son côté malin, et une obsession de tout contrôler qui finissait par envahir les scripts. Mais tous ses films s'en sortaient, par le fait qu'on avait toujours envie d'y retourner. Là, honnêtement, je ne me vois pas revoir ce thriller qui aurait très bien pu faire un épisode extrêmement médiocre de X-files, avec des personnages qui doivent réciter un texte tellement plat qu'il donne l'impression d'avoir été écrit pour un téléfilm des années 90. Dommage, car le début soulève l'intérêt. A moins que... Et si le début ne soulevait de l'intérêt que parce que c'est un film du réalisateur de Tesis et The Others? En le voyant s'attaquer à une intrigue qui tourne autour d'une supposée affaire de satanisme, avec Ethan Hawke en policier-à-qui-on-ne-la-fait-pas, Emma Watson en victime ambiguë, et David Thewlis en psychologue-qui-sait-tout, ça suscite un peu notre curiosité... Hélas, oui, comme d'habitude il y aura des énigmes, des retournements de situation... Mais contrairement au reste de l'oeuvre, les gros sabots se voient comme le nez au milieu de la figure. Et les cibles habituelles (Excès de religion, famille je vous hais, homophobie galopante) irritent.

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar thriller
29 octobre 2015 4 29 /10 /octobre /2015 17:05
Ouvre les yeux (Alejandro Amenabar, 1997)

Ce film est décidément bien curieux. Il est à la fois un gadget sans nom, un de ces films entièrement basés sur un coup de théâtre qui a tout de la tricherie, ce qui explique qu'un réalisateur de films de mauvais gout s'y soit attaché au point d'en faire un fort vomitif remake (Vanilla Sky, l'un des plus mauvais rôles de Tom Cruise, ce qui vous donne une idée de l'insondable) et en même temps un film totalement en phase avec la thématique de son auteur, celui-ci ayant sauvé le tout du naufrage par quelques bonnes idées... et par de véritables provocations. L'intrigue est irracontable, d'autant qu'il est délicat de ne pas en dévoiler les contours.

Pour résumer toutefois, sachez que Cesar (Eduardo Noriega) est un jeune homme tout ce qu'il y a de riche, qui a tout: le luxe, la beauté, les femmes, et un penchant pour la solitude. Jusqu'au jour où il rencontre Sofia (Penelope Cruz). Il tombe amoureux, mais ne profitera pas très longtemps de la félicité du coup de foudre, puisque le même jour il est victime d'un accident de voiture provoqué par une femme jalouse, Nuria (Najwa Nimri). si cette dernière y restera, Cesar survit mais il est affreusement défiguré. C'est pour lui la fin de la période dorée: Sofia l'évite... Jusqu'au moment ou elle revient vers lui et le soutient dans son nouvel espoir: Cesar va expérimenter un miracle de chirurgie... Mais il va aussi avoir des visions, de la confusion mentale, et ça va mal finir... ou pas.

Disons que le film est bien une oeuvre d'Amenabar, on voit son penchant pour une mise en scène qui inclut le contrôle absolu du spectateur. Le script, bien que basé sur une intrigue qui est rendue logique par son pesant d'explications rationnelles au moment adéquat, inclut en particulier l'obsession pour le passage vers la mort, un thème récurrent dans les cinq premiers longs métrages du metteur en scène. On regrette bien sur de ne pas pouvoir aimer le personnage principal, un goujat particulièrement imbu de lui-même, mais le film possède suffisamment de péripéties pour que son parcours lui soit au moins désagréable... Et Amenabar, on ne doit pas l'oublier, possède un humour vachard qui se manifeste ici aux moments les plus inattendus. Il en fallait pour faire passer la pilule de l'intrigue d'ailleurs. Pour en savoir plus... voyez le film.

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar Espagne Science-fiction
28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 19:08

Avec son cinquième long métrage, Amenabar ne rend pas son chef d'oeuvre, mais un objet filmique ultra-cohérent dans lequel, fidèle à ses convictions, il assène une thèse rare dans un film sur l'antiquité: la religion, c'est mal. Partout où il y en a, ça fiche tout en l'air, c'est incompatible avec la science et les avancées humaines, et ça ne rapporte que du proto-fascisme, donc il vaut mieux s'en débarrasser, même si ça part parfois d'idées généreuses.

A Alexandrie, au quatrième siècle de l'ère dans laquelle nous vivons, la ville vivait un équilibre fragile, dans un empire Romain qui avait profondément changé; l'un des changements les plus perceptibles était la tolérance nouvelle, voire l'encouragement à l'égard de la Chrétienté. Autour de la bibliothèque, et de l'université, lieux de tolérance oecuménique symbolisée par Hypatie, la philosophe, les derniers païens, les Juifs et les Chrétiens s'affrontent. Parmi les protagonistes du film, deux hommes qui vont finalement se convertir au Christianisme tournent autour d'Hypatie, incarnée avec talent par Rachel Weisz dans un rôle plutôt délicat. Oreste (Oscar Isaac), amoureux de longue date de celle qui reste son professeur, deviendra un préfet Romain tolérant dont la tolérance va finalement se heurter à l'obscurantisme d'un Chrsitianisme de plus en plus fondamentaliste, s'en prennent aux païens, à la science, et aux Juifs. Et Davus (Max Minghella), ancien esclave d'Hypatie venu au Christianisme par dépit, va rejoindre une fois libre les rangs des soldats de la nouvelle religion.

Une scène d'affrontement d'orateurs au début du film ne laisse pas présager de la violence que la lutte va prendre au cours du film. De fait, le cours de l'histoire est le plus souvent tourné autour de l'idée que la Chrétienté a épousé une certaine forme de progrès, et le talent d'Ammonius, le plus zélé des fous de Jésus dans le film, emporte presque l'admiration... Sauf qu'il va s'avérer dangereux, extrémiste, manipulateur, pillard... Et le propos d'Amenabar, qui n'a pas caché dans The others le peu d'amour qu'il a pour la religion, nous montre au contraire que son développement en ce cas précis va à l'encontre du progrès, désignant la science comme un ennemi en la personne d'Hypatie, la femme qui a enseigné aux hommes ne pouvant être qu'une sorcière. Il affirme par ailleurs dans sa mise en scène l'obsession du cercle, forme parfaite, trop parfaite, admirée des scientifiques égarés avant qu'Hypatie ne révèle dans une scène splendide l'orbite de forme elliptique de la terre autour du soleil... Le cercle, reproduit par ces nombreuses vues aériennes de la bibliothèque (au fait, on ne la quitte quasiment jamais), relayé par ces scènes de foule organisées de façon concentriques, avec ces foules qui suivent le premier venu du moment qu'il parle plus, et lance mieux les cailloux que son voisin...

Le personnage le plus symbolique du film est sans doute Davus, l'esclave amoureux, qui a suivi la Chrétienté parce qu'il a compris que c'était là le sens de l'Histoire. Il a admis la science, l'a pratiquée par amour, mais l'a rejetée lorsque son amour lui a été refusé. Il est sauvé par Amenabar, qui le montre empêchant le martyre d'Hypatie d'une façon assez radicale, mais il faut se rendre à l'évidence, après le sac de la bibliothèque d'Alexandrie (une scène filmée comme un viol avec toute la science d'un grand cinéaste), après la prise de pouvoir d'une caste intolérante, les reniements de ses propres convictions scientifiques par un homme qui a choisi de se laisser aller au dépit ne sont que la preuve que l'histoire ne marche pas toujours droit...

Le classicisme de la mise en scène est une garantie de clarté, et on ne regrette pas le souffle épique d'un film majestueux qui s'inscrit merveilleusement dans l'oeuvre d'Alejandro Amenabar.

 

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar
13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 11:53

Au beau milieu des cinq longs métrages du réalisateur Hispano-Chilien, son premier film en Anglais trône, imperturbable, oeuvre à mi-chemin entre un film de genre, référentiel et soigné, et un film d'auteur, qui se jouera de toutes les impressions fausses; devant ce genre de film dont l'essentiel de la narration repose sur une énigme, comme chez Shyamalan, mais aussi comme Les Diaboliques ou Psycho pour citer les plus nobles, on a coutume de penser qu'une fois le film vu, il n'a plus aucun intérêt. Bien sur, c'est prévu: tous les réalisateurs un tant soit peu compétents savent donner plusieurs dimensions à ce genre de film, et The others n'est pas une exception. Il pourra être accusé d'une certaine froideur, aussi, impression qui est contredite par la forte personnalité des protagonistes, et par le fait qu'ici, certains se trompent, et entrainent d'autres personnes dans leur erreur, mais les circonstances l'expliquent, voire l'excusent. Enfin, il est de bon ton, dans une critique qui juge beaucoup sur les intentions et est parfois mal à l'aise devant le savoir-faire technique, de discréditer ce film en arguant du fait qu'il est réalisé par un "malin", entendre un virtuose sans âme. C'est stupide, et Amenabar est l'un des plus intéressants réalisateurs d'aujourd'hui. 

Raconter The others sans trop en dévoiler, c'est possible. Cela va être un peu plus difficile de l'analyser, mais on va essayer: l'enchainement des découvertes et des coups de théâtre sont un des plaisirs (Coupables, oui, oui) les plus vénéneux de ce beau film. Grace, une jeune Anglaise Catholique rigoriste (Nicole Kidman), vit à Jersey, en 1945, après la guerre. Son mari mobilisé n'est pas rentré, et le manoir dans lequel elle réside est plongé dans l'obscurité pour deux raisons: d'une part, l'électricité a été coupée durant l'occupation (Oui, Jersey, comme toutes les îles Anglo-Normandes, a été occupée par les nazis), et Grace s'y est faite, et d'autre part, ses enfants (Anne et Nicolas) souffrent d'un mal incurable, qui les rend extrêmement photosensitifs: il ne peuvent être exposés à la lueur du soleil, et une lumière plus forte les tuerait. Leur mère doit non seulement s'occuper d'eux, mais aussi prendre toute leur éducation en charge; de plus, elle s'impose une gymnastique cruciale: en plein jour, elle est obligée de superviser les déplacements de ses enfants dans la maison, s'assurer que les endroits ou ils se rendent soient saufs, c'est à dire que les lourds rideaux omniprésents soient fermés...

Au moment ou commence le film, le manoir est pris dans une brume tenace, et trois domestiques font leur apparition. Grace, déjà nerveuse par les circonstances, leur fait visiter la maison, mais ils la connaissent. Bertha Mills, la gouvernante, Mr Tuttle le jardinier et Lydia la bonne à tout faire muette, ont en effet déjà vécu et travaillé sur les lieux. Mais le principal événement qui va bouleverser la vie déjà mouvementée de la maisonnée, c'est l'apparition d'une présence qui terrorise les enfants, de quatre entités fantomatiques qui mettent à mal le Catholicisme aveugle de Grace... Celle-ci n'est pas au bout de ses peines. 

Alors que le moindre dessin animé traditionnel se barde d'effets spéciaux spectaculaires (Sorti la même année, Les aventures de Tigrou possédait une séquence de sauvetage assez énergique. On ne peut même plus avoir confiance en Disney...), les références de ce film sont plutôt tournées vers les classiques. par le pouvoir de la suggestion, on est dans un territoire proche de Tourneur (Cat people)... la maison, espace privilégié et inquiétant, nous renvoie à The haunting, de Robert Wise dans lequel plutôt qu'une maison hantée, c'était la demeure elle-même qui était le fantôme. Enfin, la référence obligatoire, surtout si on s'amuse à comparer Nicole Kidman avec Deborah Kerr, c'est The innocents, de Jack Clayton, d'après The turn of the screw de Henry James. La croisade de Kidman dans le film d'Amenabar renvoie bien sur à la décision de Kerr de s'attaquer à la possession démoniaque dont les deux enfants du film de Clayton sont victimes. Mais Amenabar, qui a déjà deux hauts faits d'arme à son actif, n'est pas là seulement pour faire un film référentiel et "malin", donc: il a aussi des choses à dire. D'une part, les deux films qui précèdent (Tesis, sur le voyeurisme extrême, et Ouvre les yeux, sur un étrange choix effectué pour ne pas mourir) ont abordé le sujet de la mort, dont ils offrent deux visions: la mort à laquelle on assiste, et les notions de voyeurisme et de culpabilité liées à la mort de l'autre; la mort "contournée" afin de s'assurer une chance d'immortalité. Ensuite, le film qui suivra (Mar Adentro) raconte le combat d'un homme qui souffre pour mourir de son propre choix. Avec ses histoires de fantômes, et ses discussions sur l'endroit ou vont les âmes lorsqu'on meurt (Une de ces conversations, savoureuses, voit la mère au catholicisme très fondamental prise en défaut par ses propres enfants), le film s'inscrit dans cette thématique. 

En prime, une fois qu'on a vu le dernier film en date du réalisateur, Agora, on constate aussi que la réflexion extrêmement acide sur le catholicisme de Grace abordée dans ce film est un sujet que le réalisateur a décidé de poursuivre, en contant à l'inverse des peplums habituels (Ben Hur et Quo Vadis en tête) l'arrivée de la religion Chrétienne comme un recul dans la marche de l'humanité. Une provocation? Une vengeance d'un ancien élève de pensions sévères, menées par des prêtres suspects? Je vous laisse juges, mais disons que la scène durant laquelle, confrontée à une inattendue disparition de tous les rideaux de la maison, Grace protège ses enfants du danger en déplaçant un tableau noir, sur lequel des préceptes religieux sont écrits en lettres aussi visibles que discrètes, ne manque pas de sel: la religion, dans ce film, après tout, est le principal moyen de ne pas laisser la lumière entrer...

Comme en plus le film est excessivement bien fait, le suspense laissé entre les mains d'un expert, et qui plus est l'osmose entre le réalisateur, ses acteurs, le chef-opérateur (Toute l'équipe du film est celle d'Amenabar en Espagne), et surtout entre le réalisateur Alejandro et le compositeur Amenabar, on peut passer outre tout sens, toute thématique pour se laisser aller à la peur contenue dans ce film... Qui en prime n'est pas dépourvu d'humour: on peut aussi s'amuser à compter les faux fantômes, les vrais reflets, Amenabar s'amusant à truffer ses scènes de draps suspects, et de robes blanches... malin, mais admirable.

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Published by François Massarelli - dans Alejandro Amenabar Criterion