Un jeune garçon perd ses parents, et trouve refuge auprès de sa grand-mère... Qui va lui apprendre à se méfier des sorcières car elles sont partout! Justement, le garçon a fait une mauvaise rencontre dans le quartier, et la grand-mère prend la décision de partir se réfugier dans un hôtel, plus au Sud: manque de chance, on y attend un congrès d'une association caritative bidon, qui est en fait un rassemblement de sorcières décidées à se débarrasser de leur ennemi juré: les enfants... en les transformant en souris!
Le scénario a donc fait se déplacer l'intrigue de la Grande-Bretagne ers les Etats-Unis, plutôt vers le Sud, et les héros sont Afro-américains... Mais si l'espace d'un instant, on croit qu'il va y avoir une métaphore, on se trompe. Je pense d'ailleurs qu'il serait assez malaisé de s'amuser à vouloir tripatouiller Roald Dahl dans un sens qui confinerait à l'anti-racisme ou à un traitement parabolique de l'histoire de la ségrégation, vu son indécrottable antisémitisme assumé jusqu'à la nausée... Pas dans ses écrits apparemment. Zemeckis a néanmoins joué sur la couleur locale, avec notamment un superbe accent sudiste magnifiquement reproduit par la grande (hum) Ellen Chenoweth, qui interprète l'une des "souris". Le, film, d'ailleurs coécrit et coproduit par Guillermo Del Toro, est surtout une histoire pour enfants, assumée comme telle, avec de purs moments de plaisir. C'était, en tout cas, l'intention!
C'est du Zemeckis, ce qui veut dire que nous avons, aux commandes, un sorcier de l'image qui a pour profession de foi qu'on peut tout faire, et parfois avec lui, le principal problème est qu'il s'emploie généralement à le démontrer. Mais ses plus grands films, même Forrest Gump, réussissent à transcender cet aspect. Ses pires s'y vautrent et s'y engluent. The witches, d'ailleurs également coproduit par Alfonso Cuaron, est au milieu, souvent drôle, et très retenu dans ses 39 premières minutes qui sont une exposition exemplaire au premier degré (si ce n'est une brillante introduction à la Dahl où la narration, par Chris Rock, est véhiculée par une voix off souvent très drôle), mais quand les effets spéciaux sont de la partie, on peut faire confiance à Zemeckis pour d'une part en faire trop, et d'autre part bâcler un peu, en usant et abusant de la motion capture.
Reste une histoire simple comme bonjour, et quatre prestations impeccables: Stanley Tucci en gérant d'hôtel obséquieux à l'extrême; Octavia Spencer en grand-mère pleine de ressource; Ellen Chenoweth, déjà citée; et bien sûr Anne Hathaway qui s'est fixé comme mission d'aller au bout d'une interprétation qui tire la couverture à elle, fidèle à la loi Hitchcockienne: un méchant réussi, ça peut vous sauver un film. Mais ici, on reste quand même, bien fermement, au milieu...
La vie dans la Colona Roma, un quartier assez aisé de Mexico, à travers le quotidien d'une famille de sept personnes, d'origine Européenne: le père est médecin, et au début du film, on apprend qu'il est appelé à passer du temps au Quebec pour des recherches. C'est un mensonge. sinon, la mère, assistée par la grand-mère maternelle,gère la vie au foyer avec ses quatre enfants, et est aussi aidée de trois domestiques: un chauffeur, une cuisinière (Adela) et surtout Cleo, la petite nourrice/bonne à tout faire, d'origine Indigène (Yalitza Aparicio). C'est elle qui est le centre du point de vue, et nous assisterons à tout par son biais, la déchéance relative de la famille, une grossesse malencontreuse, et des troubles armés dans les rues de la ville...
Au moins trois couches de sens dans ce film très imposant: d'une part, Cuaron est parti directement de ses souvenirs et a teinté son film d'une forte dose autobiographique, même si le point de vue est détourné. Mais cette domestique Indigène, aimante, patiente et dévouée, est modelée sur la femme qui a mené le plus clair de l'éducation du metteur en scène... La chronique des jours et des nuits en est d'autant plus savoureuse, émouvante et parfois poignante. Ensuite, cette famille finit par incarner toutes les familles Mexicaines à travers ce qui est une évocation d'une grande richesse, à la vie palpable, du début des années 70 au Mexique, à travers petits et grands événements: que ce soit la traversée d'une mare par un enfant botté, d'une bouteille de Coca qu'une personne attrape pour la vider, ou d'une soudaine irruption de miliciens dans un magasin, c'est toute la vie du Mexique de l'époque qui nous est contée. Et enfin, en montrant ces personnages qui évoluent entre rire et larmes dans le Mexique de 1971, Cuaron nous montre l'éternel contraste entre ceux qui n'ont rien et les gens aisés, un évident fil rouge de son film: par exemple, il va utiliser le fait que la mode est à l'espace (on est assez peu de temps après le triomphal alunissage, et la mode culturelle le suit de très près) et que les enfants jouent pour singer ce qu'ils voient à la télévision. Chez les riches, on verra donc un enfant déambuler dans les bois et traverser une petite mare, habillé d'une très élaborée panoplie de cosmonaute... Mais dans le bidonville, un paquet de lessive découpé aux bons endroits servira de costume pour un gamin, qui patauge dans les trous de la route.
Son sens du détail fonctionne une fois de plus en parfaite harmonie avec un sens de la composition, et une maîtrise rare dans l'art du plan long, qu'il s'agisse de plans-séquences (on se rappelle de l'extraordinaire premier plan de Gravity) ou de master shots particulièrement étudiés. Il se sert souvent aussi de ces atouts pour souligner les différences sociales et la richesse du contexte, mais n'hésite pas non plus, pour souligner de façon péremptoire et on ne peut plus claire la dégradation des liens familiaux des patrons de Cleo, à montrer en gros plans l'un des innombrables monticules fécaux laissés par un chien dans la propriété, régulièrement écrasés par une roue de la voiture. Du trivial au service de la thématique, car une large part du film est consacrée à opposer le sale au confortable, les riches et leur tour d'ivoire à la multitude...
Et il y a le contexte, non seulement social mais aussi et surtout politique: mine de rien, ce n'est pas la première fois qu'on peut voir chez Cuaron que le Mexique est passé très près, trop près d'une dictature: dans Y tu Mama Tambien, nombreuses étaient les séquences dans lesquelles au détour d'un plan, la présence militaire, policière et répressive se faisait douloureusement sentir, même si ce n'était en aucun cas le sujet. Dans The children of men, Cuaron recréait des conditions proches du Mexique de sa jeunesse, ce qui servait efficacement la dystopie du scénario. Dans Roma, les militaires sont là, captés au hasard d'une parade (même s'il n'y a pas de hasard dans un film où absolument tout est là par la volonté de son metteur en scène), ou encore présents en témoins, du moins le croit-on, dans une gigantesque leçon d'arts martiaux à destination des jeunes des bidonvilles... avant que leur présence n'éclate au grand jour dans une scène de violence qui donne l'impression d'avoir été vécue plus que mise en scène, car Cuaron n'a pas son pareil pour donner l'illusion de la vérité au détour d'un plan, en demandant aussi souvent à ses acteurs d'être avant de jouer. Dans ces conditions, on ne peut qu'approuver le recours au noir et blanc, jamais factice, qui empêche en permanence la reconstitution de briller des feux de ses mille couleurs. Une façon d'éloigner le passé de notre présent, une condition indispensable à la démarche du souvenir... Tout comme le recours à une narration qui privilégie la domestique rend possible pour Cuaron l'exposé des blessures et drames de la vie de famille, rendue ici presque objective par le biais narratif.
Yalitza Aparicio lui lui permet d'aller au bout d'un projet difficile, car ce petit bout de bonne femme, Indienne qui est arrivée au cinéma par la grâce d'un casting hasardeux, qui n'a jamais joué de rôle au cinéma avant ce film, atteint une vérité extraordinaire, des premières minutes du film jusqu'à une singulière et figurative montée au ciel, qui clôt une expérience unique de cinéma; aisément, Roma est un nouveau film majeur d'un cinéaste qui semble décidément infaillible, à voir et à revoir en liberté...
C'est une affaire entendue: ce film, dit-on partout, est le meilleur de la saga Harry Potter. Meilleur que les deux films inauguraux, dus à Chris Columbus, et qui peinent à se situer au-dessus d'un téléfilm de noël moyen pour une chaîne de télévision qui appartiendrait à Disney! Meilleur aussi que les films de David Yates (bien que celui-ci ait eu à l'occasion de fort bons moments), engagé et gardé sur toute la série en raison de la façon dont il se fond dans le projet de J. K. Rowling. Ses films sont bons, mais pas du tout personnels... Meilleur enfin que la contribution du vétéran Mike Newell, dont The goblet of fire de bonne tenue est de loin le meilleur film. Non, Alfonso Cuaron a réalisé avec The prisoner of Azkaban un modèle d'adaptation, qui prend le meilleur du roman et du script de Steve Kloves, et ajoute énormément, par des idées de mise en scène, de direction d'acteurs, de montage et de raccourcissements ingénieux. Et dans une saga qui est marquée par la volonté obsessionnelle de balisage de sa créatrice (au point que la lecture peut en devenir énervante tellement ça se voit), les choix de Cuaron de privilégier seulement certains signes cinématographiques pour en tirer un effet en même temps qu'une piste narrative, sont toujours bien vus: par exemple, le film utilise énormément la carte magique confiée par les jumeau Weasley, sans trop en préciser la provenance, car ça aurait alourdi le film, et le spectateur peut aisément faire ses propres hypothèses à ce sujet. Ou encore, le refroidissement de l'atmosphère à l'approche des Dementors est un signe cinématographique digne de figurer aux côtés du M tracé à la craie de Fritz Lang, ou des rides sur l'eau dans Jurassic Park de Spielberg!
On rappelle ici l'intrigue de ce qui est le troisième film de la saga: Harry Potter grandit, et l'adolescent qu'il est se satisfait de moins en moins de sa condition familiale, obligé de rester les étés en compagnie des Dursley, les abominables oncles et tantes que la providence lui a collé dans les jambes. C'est donc après un clash mémorable qu'il est obligé de passer du temps à Londres, seul: mauvais timing, car un prisonnier s'est échappé d'Azkaban, la prison du monde sorcier, et est recherché partout par les dementors, des créatures terrifiantes qui semblent particulièrement s'intéresser à Harry, dont la vie intérieure effrayante les inspire. Après quelques péripéties, le jeune sorcier arrive à Hogwarts, pour une nouvelle années d'études marquée par des découvertes personnelles, des querelles futiles ou plus graves avec ses ennemis personnels, et surtout une confrontation avec le passé à travers la menace représentée par l'omniprésent mais insaisissable prisonnier évadé Sirius Black (Gary Oldman)...
Avec ce film, comme avec le roman du reste, on s'éloigne du côté propret et bien rangé des deux premiers chapitres. Désormais, les jeunes personnages ont treize ans, et si les hormones mettent du temps à se déclencher, reste qu'ils s'affirment. Parmi les décisions cruciales de Cuaron, l'une des plus signifiantes a été de proposer à ses jeunes acteurs de porter leurs propres vêtements le plus souvent possible, et de les pousser au naturel. Ils sont pour la plupart excellents... Certes, Tom Felton, qui joue une fois de plus Draco Malfoy, est mauvais comme un cochon, mais son rôle est limité à l'essentiel grâce à un scénario qui est surprenant dans l'efficacité de ses choix.
Toutes les redites et traditions ont été remises au placard, et Cuaron inaugure une version plus"adulte" de Harry Potter, dans laquelle la victoire finale éventuelle, dans les derniers moments du film, est une victoire privée, et l'occasion de faire les comptes de ce qu'on a découvert, mais aussi perdu; on n'aura pas ici de grande célébration dans laquelle tout le monde se réjouit de côtoyer le héros Harry Potter, et désormais le combat est intérieur: qui est un ami? Où Potter peut-il vivre? les meilleurs humains sont ils fiables à 100%? Les personnages qui arrivent sont formidables, Sirius Black bien sûr, dont Gary Oldman sait bien rendre aux yeux des spectateurs les deux visages, avant et après les révélations sur son personnage, mais aussi et surtout le formidable David Thewlis excelle dans le rôle du professeur maudit Remus Lupin. Cet homme fondamentalement bon est aussi le plus dangereux personnage du film, affligé de lycanthropie...
Et non seulement le metteur en scène a présidé à la création d'un scénario sans aucune matière grasse, il assure une mise en scènes impeccable, dans laquelle il rappelle son art consommé du plan-séquence (de Y tu mama tambien à The prisoner of Azkaban, même combat!). Et il se tire des pires difficultés, lorsqu'il doit rendre lisible une manipulation temporelle impliquant des redites, un passage qui occasionne sans doute les plus belles quarante minutes de toute l'histoire cinématographique de Harry Potter. Seul ou au milieu de la saga, le film est constamment irrésistible, rempli de touches d'humour, d'un esprit adolescent de camaraderie, et de petits moments qui, volontairement ou non, montrent des facettes encore inconnues du monde de Harry Potter. En premier lieu, Cuaron pousse Rupert Grint et Emma Watson dans les bras l'un de l'autre... Le film acquiert ainsi une grande cohérence, alors qu'au dehors la transformation reste le maître mot: loups-garous et autres magiciens aux doubles vies d'animaux sont comme un écho ironique de la transformation des corps des jeunes protagonistes.
Pour finir, je ne sais pas ce qui a poussé Cuaron dans cette direction (gagnante à 100%): il est probable qu'il a été approché par les gens de la production après le succès de ses deux premiers films Américains (A little princess et Great expectations). Avaient-ils vu son magnifique quatrième film Y tu mama tambien, qui là aussi s'intéresse aux émois post-adolescents, mais avec un peu moins de magie, un peu plus de drogue qui fait rire, du sexe, et une grande dose de masturbation par-dessus tout ça? Si oui, chapeau; si non, on peut toujours leur refiler le DVD. Ou suggérer une double programmation, ça serait assez rigolo...
Tournant le dos à son film précédent et son univers, une fois de plus, Alfonso Cuaron a donc réalisé cette oeuvre de science-fiction post-apocalyptique entre The prisoner of Azkaban et Gravity (Si on excepte sa participation au projet Paris je t'aime, pour s'en tenir à ses longs métrages). Le projet prend appui sur un roman récent de P.D. James, et non content d'en livrer une adaptation majeure, Cuaron va étendre l'histoire et l'univers en réalisant une fois de plus un tour de force: un film de science-ficion dystopique tourné comme un documentaire, dont l'essentiel est livré au spectateur via le point de vue de son héros. Celui ci, Theo, est interprété par Clive Owen, et le cadre du film est la Grande-Bretagne du futur, située en 2027 exactement. Le monde est désormais apparemment, stérile, et le Royaume-Uni est l'un des derniers pays à ne pas avoir totalement sombré dans le chaos. mais il est aussi aux mains d'un gouvernement d'extrême-droite qui fait une chasse féroce aux migrants, tout en faisant face à une menace terroriste forte, qui vient d'un peu partout. Il n'y a pas eu de naissance depuis 2009, et lorsque le film commence, c'est un jour triste pour l'humanité puisqu'on vient d'apprendre le décès du dernier né des humains, agé de 18 ans.
Theo (Clive Owen) est un ancien activiste, dont les idées n'ont pas résisté au passage des ans et à son cortège de mauvaises nouvelles; en particulier, il a tout plaqué suite au décès de son fils Dylan, survenu lors d'une épidémie en 2008. Depuis, il s'est séparé de sa compagne Américaine Julian (Julianne Moore) qui elle a continué en revanche à lutter contre le gouvernement au sein d'un groupe considéré comme terroriste, les "fIshes". Ceux-ci visent le soulèvement et la libération de la Grande-Bretagne, et espèrent asez clairement mobiliser les migrants, victimes désilgnées d'une idéologie lourdement répressive. Mais Theo préfère la vie rangée d'un employé de bureau, et aime à se réfugier dans les bois chez son vieux copain Jasper (Michael Caine), un ancien journaliste qui vit retiré en compagnie de son épouse paralysée, et de ses plants de cannabis avec lesquels il se débrouille pour organiser des petites combines au jour le jour. C'est dans ce contexte que Theo est contacté par Julian qui lui demande de convoyer une immigrante illégale hors du pays. Theo accepte, mais la mission prend très vite une tournure dramatique: la voiture contenant Theo, l'immigrante Kee, Miriam, une mystérieuse femme d'age mur, Julian et un de ses compagnons d'arme, Luke, est attaquée; Julian meurt des suites de l'agression, et Theo se réfugie avec Luke dans une maison tenue par les "fishes". C'est là qu'il va apprendre un certain nombre de choses: d'une part, que c'est par le groupe lui-même que le convoi a été attaqué; ensuite que Luke (Chiwetel Ejiofor) a lui-même commandité l'assassinat de l'emblématique Julian afin de mobiliser les consciences et soulever le pays; enfin que Kee (Claire-Hope Ashitey) est d'autant plus importante qu'elle est enceinte de huit mois... Theo va donc fuir avec elle, dans le but de la placer sur un bateau libre, le Tomorrow, qui doit ensuite l'emmener se réfugier aux Açores...
Spectaculaire, le film ne nous ménage pas: dès le début, nous sommes plongés en plein chaos, avec un coffee-shop Londonien dans lequel aux côtés de Theo nous apprenons le décès de "Baby Diego", le dernier enfant de la planète, qui manifestement se comportait comme une rock-star surcocaïnée en raison de son statut unique. Lorsqu'il sort pour se rendre à son travail, Theo entend derrière lui une explosion qui ravage l'établissement! Le Londres de 2027 est, à l'imitation du Washington de Minority report, une ville assez similaire à ce qu'elle est maintenant, mais la saleté en plus, et avec de discrètes touches de technologie de pointe, comme des déroulants publicitaires en vidéo numérique un peu partout. Cuaron va maintenir durant tout le film cette vision d'une Angleterre qui n'est qu'une variation cauchemardesque du pays contemporain, avec ses riantes campagnes salies par des charniers de vaches mortes, ses routes envahies de feuilles mortes car plus personne ne s'y risque, etc... Et la trace du fascisme est partout: à Londres, Theo longe des camps de réfugiés dans lesquels des cages contiennent des gens entassés qui attendent leur déplacement pour un ailleurs qu'on imagine pas vraiment reliusant... On n'aura pas longtemps à imaginer du reste, le denier acte se situe principalement dans un camp de réfugiés qui est en fait une zone de non-droit cauchemardesque. A l'entrée de ce "refuge" situé en bord de mer (Très précisément à Bexhill, une riante cité balnéaire du Sussex, localisée sur l'Est de la côte de la Manche) où les immigrants doivent survivre les uns par dessus les autres, le gouvernement opère un tri entre les postulants, et manifestement beaucoup sont directement exécutés au sortir de bus spéciaux qui les amènent.
La façon de procéder pour le cinéaste, du début à la fin, consiste en une mise au coeur des évènements pour Theo, le vecteur choisi pour la narration. Puisqu'en raison du choix de tourner à la façon d'un documentaire, il n'y a aucune possibilité pour Cuaron de décrocher de sa narration pour qu'une voix off ou un déroulant nous éclaircisse la situation, il utilise les médias à travers leur omniprésence: la télévision qui au début à travers la nouvelle de la mort de Diego nous apprend aussi la date et le contexte, les nombreux textes, déroulants, première pages de journaux vus dans le film, mais aussi les archives parfois présentes: Jasper est un ancien journaliste et a collectionné les coupures de presse au sujet de la situation mondiale depsui 20 ans, et les a ensuite afichées sur un mur. De plus son épouse est une ancienne photographe de presse. Et en suivant Theo, nous sommes assez rapidement au courant de la vraie situation, mais aussi du désespoir ambiant, avec un gouvernement dont la préoccupation essentielle semble être de maintenir la pression et la terreur en faisant en sorte que le public se croie sous la menace permanente. Parmi les menaces, on l'a vu, une faction de 'résistants' aux armes politiques assez efficaces et dont Julian elle-même, leur inspiratrice, croit qu'ils ont renoncé à la violence, mais aussi des groupes Islamistes, évoqués et entrevus à la fin dans le camp de réfugiés. Mais d'après certains personnages du film, le gouvernement organiserait lui-même la terreur en provoquant des attentats, comme celui du début du film selon Julian. Enfin, Cuaron cède ici à un de ses péchés mignons, qu'il a expérimenté avec un grand succès dans Y tu mama tambien: le plan-séquence, qui cristallise cette impression d'urgence dans laquelle vivent les protagonistes et qui renforce cette impression de vérité (Au point de laisser à la fin des gouttes de sang gicler sur l'objectif de la caméra, un truc certes impossible à justifier mais qui agit de façon très efficace sur le spectateur pour le plonger dans l'illusion d'être au coeur de l'action...). Il reviendra au plan-séquence avec son court métrage de Paris Je t'aime qui n'est justement qu'une seul plan de 8 mn, et bien sur avec le spectaculaire début de Gravity. Mais déjà il en maitrise parfaitement les codes, les raisons et les contraintes.
Dans ce film qui laisse peu de place à l'espoir, il était important que Kee soit bien interprétée, et qu'elle soit spéciale. Parfaitement candide et naturelle, c'est donc Claire-Hope Ashitey qui va incarner dans le film à la fois l'espoir et l'ouverture vers le conte. Car dans ce contexte ou le futur est désormais impossible (Le gouvernement a par exemple laissé une firme fournir la possibilité du suicide en créant le médicament "Quietus", qui vous aide à partir en douceur...), la présence d'une femme enceinte, prompte à rire, encore pleine de vitalité, et qui s'en remet instinctivement à Theo lorsqu'elle le recontre, permet au moins la renaissance d'un espoir. Elle permet aussi de retrouver, à travers ce nouvel espoir, la possibilité d'une dimension spirituelle. Dans un monde en proie au chaos Kee (Key?) est la seule source d'espoir, de convoitise aussi: très vite, autour de Theo et de la jeune femme (Qui va accoucher dans des conditions particulièrement dramatiques bien entendu) le chaos va se faire de plus en plus insistant... Et l'enfant, une fois née (Oui, c'est une fille), va cristalliser auprès de tous ceux qui la verront, l'espace d'un instant, l'émerveillement... Avant que les affaires ne reprennent: le film est particulièrement pessimiste en ce qui concerne la capacité de l'être humain à se sortir de la panade, et Cuaron nous montre, dans ce film-coup de poing, comment les gens finissent par s'endormir en se choisissant des contes de fées de seconde zone (Les Anglais tous unis dans l'abêtissement autour du deuil national ressenti pour la mort d'un sale gosse) mais devenus incapables de réagir et de'inverser la tendance. Comme Cuaron a choisi de tourner dans les conditions de la vérité, sans effets spéciaux si on excepte les fameuses vidéo-publicités évoquées plus haut, ce monde terrifiant est en vérité si proche du nôtre...
La Floride, dans les années 1970; Finn Bell, un garçon d'une dizaine d'années, fait la rencontre la plus inattendue de toute sa vie: il marche dans un lagon à la recherche de poissons qu'il va ensuite dessiner, lorsqu'il se fait agresser par un homme dissimulé sous l'eau. C'est un évadé, il lui intime l'ordre de l'aider et de lui ramener de la nourriture. Finn s'exécute, et aide l'homme à quitter les lieux et rejoindre le Mexique, mais il sera vite repris. Le jeune homme retourne à sa triste vie, auprès de sa soeur Maggie et du compagnon de celle-ci, Joe, un brave homme qui pèche et survit de petits boulots dans la fragile communauté locale. Finn est "convoqué" par l'excentrique et richissime Nora Dinsmoor pour tenir compagnie à sa petite nièce Estella, et Finn obéit, tombant vite sous le charme vénéneux de la jeune fille, qui déjà bien délurée. Ils vont passer des années à se fréquenter sous le patronnage de la vieille dame, et essentiellement danser pour elle au son de Besame Mucho. Il est de notoriété publique que Nora Dinsmoor s'est retirée du monde lorsque son fiancé l'a quittée juste avant le mariage, et il semblerait que cet évènement ait laissé quelques traces. Le temps passe, et Finn, devenu un jeune adulte, est de plus en plus amoureux d'Estella. Un jour, pourtant, celle-ci part à New York, et le jeune homme cesse immédiatement ses visites chez la vieille dame, pendant sept ans. Au bout de cette période pourtant, Finn qui a plus ou moins cessé de peindre, reçoit une étrange invitation pour se rendre à New York, ou on l'invite à exposer son art... Il soupçonne que Nora Dinsmoor est celle qui a payé l'avocat qui l'a contacté et fourni les moyens nécessaires à son déplacement. Il se rend donc à new York...
La structure en feuilleton riche en péripéties, la thématique d'un jeune homme qui devient le jouet des revanches et desseins plus ou moins noirs des autres d'une part, et de son propre destin farceur de l'autre, tout ça vient bien sûr du Great Expectations de Dickens, mais c'est transposé en Floride, dans les années 80 et 90... Cuaron, qui avec son deuxième film (Little Princess) avait réalisé un conte de fées modernes, semble s'amuser ici à donner une sorte de vérité aux délirantes aventures de Finn. Le rôle principal a été confié à Ethan Hawke, qui s'en sort assez bien tant qu'il ne devient pas trop le moteur de l'action, en revanche il peine à nous faire accepter son passage à l'âge adulte, tant y compris à 26 ans, Hawke ne parvient pas à en faire plus de 18! Face à lui, Gwyneth Paltrow joue avec retenue le rôle de la garce lasse qui se joue de Finn parce que sa tante lui a confié la mission de venger le traitement qu'elle a subi des hommes, et C'est Robert De Niro, forcément fantastique dans un tel rôle, qui a la charge d'incarner le condamné évadé qui va déclencher l'appel du large chez le jeune Finn... Si on ajoute à ce casting rien moins que Anne Bancroft (Dinsmoor), Chris Cooper (Joe) et Hank Azaria (Walter, le fiancé d'Estella à New York), on voit que Cuaron et la Fox ont mis toutes leurs chances du bon côté...
Le cinéaste tisse sa toile à sa guise, à l'écart de Dickens, finalement: il sait nous montrer comme souvent, la trace vivace du passé et en partie de l'enfance dans le passage à l'âge adulte, la part d'un être humain qui ne bougera pas et qui retournera toujours sur ses pas. Il est aussi dans son élément en nous montrant à travers un plan-séquence magistral, l'historique d'un moment-clé de l'histoire de Finn et Estella: comment ils vont, le soir de l'inauguration de son exposition, partir pour, enfin, concrétiser leurs liens, pour un moment d'oubli qui se terminera en quenouille...
Pourtant, on a aussi le sentiment devant ce film que la compagnie avait en tête de faire à Dickens ce que Baz Luhrmann avait fait à Shakespeare avec son abominable Romeo and Juliet! Et subsiste, devant ce film souvent totalement délirant, une nette impression d'assister à un conflit entre une production qui va dans un sens (Adapter Dickens à la sauce 90s en essayant de faire en sorte que les héros de Dickens fonctionnent exactement comme des gens des années 90) et un auteur qui va dans un autre (Explorer avec une mise en scène faite d'un sens aigu du détail et un don pour explorer et exploiter la sensualité, tout en donnant un arrière-plan onirique inattendu au film). Si les traces 90s du film perdurent, on est surpris par l'étrange beauté vénéneuse de conte initiatique cruel dans lequel force reste à la vérité du rapprochement des corps...
Tenoch et Julio, interprétés respectivement par Diego Luna et Gael Garcia Bernal, sont deux jeunes Mexicains à l'aube de la vingtaine. Ils sont très copains, au point d'avoir un code d'honneur idiot mais auquel ils croient obéir, et ont semble-t-il surmonté une inégalité sociale: Tenoch est le fils d'un homme important et au bras long, alors que Julio vit seul avec une mère qui a du se battre pour leur vie quotidienne; au moment ou le film commence, leurs petites amies partent en Europe pour un séjour assez long, et les deux garçons s'apprêtent à passer un été à ne pas faire grand chose... Ils rencontrent à la faveur d'un mariage auquel ils sont tous deux invités une jeune femme, l'Espagnole Luisa (Maribel verdu) qui se trouve être l'épouse d'un cousin de Tenoch. Ils la draguent mollement, et lui parlent d'une plage mythique où elle pourrait découvrir toute la beauté du Mexique. C'est purement et simplement du baratin, mais quelques jours plus tard, elle rappelle Tenoch et lui demande de l'emmener vers cette plage, la "Bouche du paradis", dont ils lui ont vanté les mérites. Les deux adolescents partent donc pour un périple en voiture vers la mer, en compagnie d'une femme qui va leur apporter beaucoup, leur prendre un peu, et leur apprendre énormément sur eux-mêmes...
Un road-movie étant fondamentalement un film qui va d'un point A à un point Z en montrant des gens aller d'un point A à un point Z, on peut après tout considérer que le mouvement est l'essence du cinéma, c'est la raison pour laquelle je me tiens à l'écart de cette appellation; par ailleurs, ce film commençant par la vision de Tenoch et de sa petite amie, qui font allègrement du sexe sous nos yeux, va parfois d'un point A à un point G aussi; mais si il est vrai que Y tu mama tambien possède une dimension sexuelle et sensuelle assumée, ce n'est pas là on plus la principale caractéristique. Le film est en effet une comédie ensoleillée, dont le constraste le plus spectaculaire réside sans doute entre la santé et l'énergie des trois acteurs formidables qui l'interprètent, et la distance froide d'une narration qui interrompt souvent la bande-son (On n'entend plus rien, et après une seconde, la voix distanciée de Daniel Gimenez Cacho, l'acteur principal de Solo con tu pareja, resitue ce qui se passe sous nos yeux, assène froidement un développement futur de la situation ou des personnages, ou nous donne un angle différent de la scène en nous livrant la pensée ou les émois intérieurs des protagonistes)... Et si les personnages voyagent et passent du temps en voiture, ils semblent ne pas se soucier du décor, et à mon sens ils perdent quelque chose, mais j'y reviendrai.
Tenoch et Julio, les deux ados militants qui fument des joints et se cachent derrière des hymnes à la masturbation (Dont nous savons qu'ils la pratiquent parfois en duo, puisque nous les voyons le faire!) ou des serments d'amitié qu'ils ont déjà trahi, sont en effet aux portes de leur vie d'adulte, déterminés à poursuivre leur jeunesse aussi longtemps qu'ils le pourront. A ce titre, Luisa qui est mariée à un homme qui la trompe et qui n'a semble-t-il aucun intérêt, adopte elle aussi un point de vue hédoniste le long de ce voyage, assez rapidement déterminée à goûter avec une curiosité gourmande au fruit défendu d'expériences sexuelles avec ces deux jeunes hommes auprès desquels elle se sent bien. Elles prend même en main (Si j'ose dire) une partie de leur vie future, en leur donnant des conseils suite à des relations qui ne dépassent pas les dix secondes, pour l"un comme pour l'autre... Mais contrairement à eux, elle revient en arrière, et cache un secret douloureux qui, s'il nous est livré à la fin seulement, a été clair dès le départ: une visite chez le médecin pour recevoir les résultats de tests, une décision drastique de quitter son mari sur un coup de tête, et une fois la plage mythique trouvée (Mais oui!! elle existe, à la grande surprise de Julio et Tenoch...) Luisa va rester sur place... Elle est atteinte d'une maladie grave, et vit ses derniers moments. Une présence de la mort qui est relayée du début à la fin du film par des événements croisés par les jeunes gens insouciants, et il est vrai qu'au Mexique, la mort est partout, infitrée dans la culture depuis tant d'années que ni Julio ni Tenoch n'y font attention. Pour eux, la conclusion du film est amère, leur jeunesse meurt avec Luisa, ils n'y étaient pas préparés.
Et puis, forcément, il faut fouiller cette fameuse différence entre les deux héros, le fait que l'un soit d'extraction modeste, et l'autre un gosse de riche. Ils sont ensemble, mais pour combien de temps? Et le Mexique est-il un pays d'égalité, dans lequel une famille comme celle de Tenoch ouvrira tous grands ses bras à Julio? Le film nous renseigne à travers un grand nombre d'anecdotes: rencontrés à la fin, le pêcheur Chuy et sa famille, dont nous informe le narrateur, le destin ne sera pas rose, mais aussi tous les paysans, Indiens, habitants pauvres de villages traversés en route, complètent la vision impitoyable d'une société à deux vitesses, dans laquelle les riches reçoivent pour un mariage somptueux la visite du Président de la République, auquel ils donnent la place d'honneur, tout en vantant hypocritement sa largesse d'esprit... Et autour d'eux, Julio et Tenoch habitués ne remarquent plus, sur la route, l'omniprésence policière d'un pays corrompu, dans lequel Tenoch sait pourtant que son père n'est pas pour rien, lui qui a été obligé de s'installer à Vancouver pendant quelques mois afin d'éteindre l'incendie d'un scandale de corruption. Sans jamais le clamer haut et fort, Cuaron fait le procès d'un pays aux bords d'un totalitarisme larvé, et soutenu par une industrie, une vie politique, et une diplomatie corrompues...
Mais force reste aux personnages: après le passage de Luisa dans leur vie, Julio et Tenoch qui ont grâce à elle été jusqu'au bout de leur amitié, une extrémité qu'ils ne soupçonnaient pas, n'ont plus grand chose à se dire, et vont partir vers un autre destin. La fin apparait logique, ne s'épanche pas sur l'amitié perdue, sur les grands sentiments, tout comme les deux garçons ne savent pas quoi faire de la mort de Luisa, de la découvertes de leur attirance l'un pour l'autre, ni du changement politique amorcé dans le pays: ils vont se rendre à l'université, et partir vers de nouvelles aventures. Mais pas de misérabilisme dans Y tu mama tambien, ni de tragédie, le film reste un hymne à la vie... Aus rires de trois amis qui blaguent sur tout, boivent à leurs tromperies mutuelles (Le titre, "Et ta mère aussi", provient d'une scène durant laquelle les deux garçons révèlent qu'ils ont tous deux couché avec la petite amie de l'autre, et même pour l'un d'entre eux, avec la mère de son copain, ce qui n'est pas forcément vrai), leurs mensonges, et parfois même à leur médiocrité rigolarde! Cuaron les filme en pleine vie, privilégiant les plans-séquences du début à la fin, faisant confiance comme toujours à ses acteurs, et laissant le génial chef-opérateur Emmanuel Lubetzki mettre en boîte des images d'une beauté sensuelle, gorgées de soleil, des tableaux captés souvent caméra à l'épaule, tant il faut être mobile pour mettre en boîte les mouvements de ces trois-là; les nombreuses scènes des héros, en voiture, jouant à trois un ping-pong verbal de haute volée, sont autant de moments d'anthologie, au vocabulaire riche, inventif, parfois limite pornographique dans son lexique mais toujours pétant de santé dans ses images. On s'en souviendra longtemps, on y reviendra souvent: c'est un des meilleurs films de ce début de nouveau siècle.
Sorti discrètement, à une période de crise du cinéma Mexicain, avant un carton dans plusieurs festivals, le premier film d'Alfonso Cuaron a beaucoup de qualités. La première, c'est qu'il est une comédie joyeuse, tout en touchant (Un peu, ce n'est pas l'essentiel du film) à un sujet brûlant qui ne prêtait en rien à rire: le SIDA. Tomas Tomas est un publicitaire coureur, capable de partir d'une noce avec la mariée pour une petite escapade en souvenir du bon vieux temps, au nez et à la barbe du marié. Il se tape tout ce qui bouge, y compris sa patronne et la jolie infirmière qui travaille au cabinet de son ami et voisin Mateo, un médecin. Et un soir, il a justement rendez-vous avec les deux femmes simultanément, et tente de les honorer tour à tour en passant d'un appartement à l'autre, et... c'est là qu'il va découvrir une nouvelle raison de vivre: il passe d'un appartement à l'autre en parcourant une corniche qui fait la jonction entre les fenêtres, et entre les deux logis distincts ou il est supposé filer le parfait amour avec deux femmes différentes, un autre appartement lui réserve une vision angélique: une femme d'une beauté absolue, qui le subjugue par une gestuelle étrange. Tomas Tomas l'obsédé sexuel est enfin tombé amoureux... Mais il n'est pas au bout de ses peines! en effet, Sylvia Silva, l'infirmière déçue, lui a joué un tour pendable en trafiquant une feuille qui contient les résultats d'un test H.I.V. Un coup de machine à écrire, et il devient positif...
On est dans la comédie de moeurs bien sûr, mais on voit que le film tend à adopter une posture ironique dès le titre. Si comme moi vous n'êtes en rien familier avec la langue de Cervantes, sachez que Solo con tu pareja signifie "avec ta/ton partenaire seulement", une morale rassurante qui est loin d'être observée par tous les protagonistes.
Parmi les bonnes surprises réservées par le film, il y a bien sur la beauté de la photographie, signée par Emmanuel Lubetzki, le complice qui reviendra sur les cinq films suivants. Le script malin de Carlos Cuaron est un modèle de mélange entre provocation, situations de comédies (Louchant beaucoup sur les classiques de la "screwball comedy", dont il partage le soin et la lisibilité), et ironie relativement gentille, qui réussit à pousser l'exagération (Avec ces touristes Japonais qu'on trimbale partout), sans que ça vire au n'importe quoi. Un regret, un seul, mais de taille: l'interprétation, pas toujours à la hauteur, et tendant à casser le rythme. Dommage... Mais ce film a ouvert à Cuaron les portes du cinéma mondial, toutes grandes. Qui s'en plaindra?
Le carton mondial de Cuaron, qu'on a déjà connu génial mais rarement aussi inspiré, est un film de science-fiction, qui nous rappelle deux choses: d'une part, que la science fiction a toujours été un domaine de dépassement des limites dans l'histoire du cinéma. Ensuite, que c'est encore le cas, à une époque où on est saturé d'images qui en d'autres temps auraient été hallucinantes. Car même le plus blasé des fans de film d'action vibrera aux 90 minutes de cette miniature spatiale, et le plus chevronné des spectateurs de films générés sur ordinateur écarquillera les yeux devant ce qui est un superbe film, en effet... Mais pas que ça: car c'est la cerise sur le gâteau. Quoique, on le sait depuis la découverte enfiévrée de Y tu mama tambien en 2001, Cuaron est un réalisateur qui s'attache à des êtres humains. Et son idée de montrer un cafouillage humain lors d'une mission spatiale, et le devenir physique des survivants de ladite catastrophe en un temps très court, nous permet de nous attacher à des personnages, justement: le docteur Ryan Stone (Sandra Bullock), novice en matière de mission spatiale, est occupée avec deux de ses collègues, le commandant Kowalski (George Clooney), et Shariff (Phaldut Sharma) à des réparation sur le télescope spatial Hubble, lorsqu'ils rencontrent un nuage de débris spatiaux. Shariff est touché et tué, et Stone et Kowalski doivent rester ensemble, ce qui n'est pas une mince affaire, et rejoindre la station spatiale internationale...
On va en parler tout de suite: Cuaron installe l'ambiance de son film en un plan-séquence de 13 mn, qui est sans doute l'une des séquences les plus virtuoses que j'aie vues. Totalement justifiée à tous points de vue, elle permet d'entrer dans le timing particulier du film, fait d'illusion de temps réel et d'impression d'urgence. Et elle nous rappelle la vanité de vouloir se repérer dans l'espace, un endroit où il n'y a ni haut, ni bas, ni gauche, ni droite, ni sol, ni repère pour un novice; et justement, le point de vue principal du film reste du début à la fin celui de Stone, joué par une Sandra Bullock absolument extraordinaire, à la présence physique impressionnante. Elle joue une personne qui ne sait pas faire mais veut survivre à tout prix, et qui a du se plier aux exigences compréhensibles de Cuaron, qui voulait de la vérité: pas de maquillage, donc. Clooney en vieux de la vieille protecteur et doté d'un sens du sacrifice est lui aussi époustouflant, même si pour des raisons que je ne souhaite pas exposer ici, il est moins présent. Disons juste que Jonas et Alfonso Cuaron, les deux scénaristes (Père et fils), ont su trouver une opportunité de leur donner une scène en interaction, sans les lourdes combinaisons spatiales. Dans ce qui est essentiellement un film à deux personnages, le metteur en scène nous a ménagé une construction exemplaire, en trois actes, dominés par un suspense à tomber par terre, en s'agrippant à son siège.
Après, on peut bien sur discuter de la vraisemblance de telle ou telle scène, mais comme le disait volontiers Hitchcock, si on faisait ça tout le temps, on ne ferait jamais de cinéma. Son film fonctionne sans aucune restriction durant les 90 minutes de son déroulement, fédère les spectateurs dans une même angoisse positive, flanque la trouille, donne espoir, et au final nous dépose sur terre comme une fleur. J'ai l'air enthousiaste? Je le suis. Gravity est une très grande date dans l'histoire du cinéma. Un film essentiel, au sens ou tout ce qui s'y passe tend vers un but et un seul: vivre. Et ça passe bien sur par une (re) naissance, en direct.