Frenzy avait tout pour être le bouquet final d'une des plus impressionnantes carrières de cinéaste: un résumé de toute l'oeuvre en même temps qu'une réactualisation de la plupart des thèmes, une replongée dans l'univers des premiers films qui bénéficiait de l'art, de l'exigence et de l'efficacité acquises en tant d'années de travail, et une mise en danger pour Hitchcock qui en privilégiant le tournage en extérieurs, loin des studios Universal, sortait de façon spectaculaire de sa zone de confort...
Mais on n'arrête pas l'envie de tourner, et c'est à mon avis la seule justification pour ce dernier long métrage. Il a été tourné en Californie, avec des acteurs de second plan, il est Américano-Américain, le ton est un mélange de film policier, de comédie, et c'est saupoudré d'un soupçon de comédie qu'on trouvera embarrassante ou charmante, mais pour choisir, il faudra tout simplement se baser sur l'humeur du moment. Car ce Complot de famille n'a pas grand chose pour lui...
Blanche (Barbara Harris) est une medium, qui se sert des talents de détective de son petit ami George (Bruce Dern), qui par ailleurs est chauffeur de taxi, afin d'avoir des renseignements sur ses "clients" (Généralement, plutôt des clientes), pour les convaincre de la véracité de son don. Elle est tombée sur une affaire intéressante: une dame qui cherche à entrer en contact avec sa soeur défunte pour que celle-ci lui pardonne. Quarante ans auparavant, elle lui a "volé" son enfant illégitime et l'a fait adopter par des inconnus, afin d'étouffer le scandale. Elle souhaite retrouver son neveu pour lui léguer sa fortune avant qu'il ne soit trop tard.
Pendant ce temps, nous assistons aux agissements de deux malfrats peu ordinaires: ils kidnappent des sommités, et réclament des rançons impressionnantes, en diamants. Une femme (Karen Black), blonde (A moins qu'il ne s'agisse d'une perruque) et un homme (William Devane), habillé d'une façon très élégante, et qui doit bien avoir à peu près quarante ans...
C'est long, et souvent inutilement. C'est mal foutu de bout en bout, même quand Hitchcock tente d'insérer une scène de suspense. Mais aucune, selon moi, ne fonctionne... Il faut quand même être sacrément indulgent pour accepter ces scènes interminables de tribulations en voiture sabotée dans les montagnes Californiennes, avec les acteurs qui s'agitent devant des incrustations sur fond vert, qui sont tellement mal faites qu'on jurerait un épisode de Police Squad! les héros sont à la mode des seventies: des gens comme vous et moi, qui survivent plus ou moins, et qui sont loin de la sophistication habituelle. Pourquoi pas, après tout? c'était déjà le cas dans Frenzy. Mais Blanche et George ne fonctionnent pas vraiment comme couple, et elle, supposée être le personnage principal, est irritante au possible.
C'est un peu mieux avec les deux autres, une fois qu'on aura accepté la coupe "1976" de Devane, et son insupportable sourire sous une moustache qui le rend proche d'une vision d'enfer: un mannequin pour le chapitre des cabanes de jardins, du catalogue de La Redoute 1973... Mais leur dynamique est intéressante. D'abord Devane joue un homme qui s'est construit seul en pratiquant une impressionnante politique de la terre brûlée, et possède une certaine sophistication. L'idée d'un passé qu'on tente de retrouver, et qui s'avère empoisonné (Ce type n'en est pas à son premier meurtre) est séduisante, mais pas assez développée. Et cet intrigant joaillier attire sa compagne dans ses filets, en dépit des réserves de cette dernière, qui se font de plus en plus pressantes au fur et à mesure de l'évolution du film.
Mais bon, il faut quand même tenir deux heures devant ce qui reste du niveau d'un téléfilm comme Universal en concoctait à la même époque. Certains, tournés avant son succès de Jaws par Spielberg, étaient d'un autre calibre. Ca s'appelle la relève...
Il y a une filiation inévitable entre cet avant-dernier film d'Hitchcock et The Lodger, le troisième long métrage de ce géant du cinéma: la boucle est bouclée, Hitch est enfin revenu à Londres, sans faire semblant, comme avec ses films "Anglais" réalisés aux Etats-Unis (Rebecca, Suspicion), où avec Stage Fright dont les scènes d'extérieurs avaient certes été tournées dans la capitale Britannique, mais le rôle principal, celui d'une aspirante comédienne Britannique, était interprété par Jane Wyman! Non, Frenzy, c'est du British pur jus, tourné sur place, intérieurs comme extérieurs, avec des acteurs du cru, un sujet local et un scénariste dégoté sur place: Anthony Shaffer.
On doit à ce dernier Sleuth, une pièce supposée être un chef d'oeuvre, qui a donné lieu à une adaptation par Mankiewicz, l'un des films les plus ennuyeux que j'ai vus de ma vie, probablement. Mais il y était question d'une confrontation entre deux hommes, dans laquelle hiérarchie, classe sociale, et rapport complexe (et comique, paraît-il) à la femme jouaient un rôle. Autant d'ingrédients qu'on retrouve ici, mais comme chacun sait, à chaque fois qu'il le pouvait, Hitchcock s'il n'écrivait pas ses scripts, les pilotait. Il convoquait des conférences, des réunions préparatoires, et finissait toujours par modeler le script - à distance... Ici, c'est flagrant.
Hitchcock, devenu selon ses propre dires "pâtissier" à Hollywood ("Certains films sont des tranches de vie, les miens sont des tranches de gâteau", disait-il...), revient donc sur les lieux où il a tourné tant de grands films de sa période Anglaise, et renoue avec le petit peuple Londonien, ces gens qui travaillent, qui vont au pub, qui parlent avec un accent qu'aucun film Américain n'a jamais su s'approprier. Et dans ce petit monde du petit matin, qui sent la bière (le pub) et les légumes (le marché de Covent Garden), Hitchcock insère un meurtre. Mieux: une série de meurtres, comme dans... The lodger.
On se souvient de la tendance du metteur en scène à ne jamais faire oublier au spectateur le lieu où se situe l'action, en passant autant par un rappel des endroits emblématiques (Plaza Hotel, New York; Statue de la Liberté; Mont Rushmore...) que par des clichés-clins d'oeil (dans Secret agent, on est en Suisse, il y aura du chocolat; dans Foreign correspondent, la Hollande sera représentée par des parapluies et des moulins). Ici, pour insister sur le fait qu'il s'agit de Londres, on a droit à une conversation dans un pub entre deux gentlemen bien sous tout rapports, qui rappellent le caractère fondamentalement Anglais du crime sexuel!
Donc, à Londres au début des années 70, on découvre une fois de plus le cadavre d'une femme, laissée nue, une cravate autour du cou. La police est sur les dents, mais on suit plutôt les aventures assez lamentables d'un homme, Richard Blaney (Jon Finch): ancien capitaine dans l'armée de l'air, le héros n'a pas été capable de se reconvertir dans la vraie vie et traîne son alcoolisme de petit boulot en petit boulot. Au début du film, il est viré de son travail de barman dans un pub situé à deux pas du marché de Covent Garden. Un ami, le négociant en fruits et légumes Bob Rusk (Barry Foster), lui propose de l'aide, mais Blaney refuse, par fierté. Il va trouver son ex-épouse Brenda (Barbara Leigh-Hunt), qui elle aussi tente de l'aider... Sans succès.
Le lendemain, Brenda qui tient une très digne agence de rencontres, reçoit la visite de Rusk, qu'elle connaît sous un autre nom. Elle tente de se débarrasser de lui (Ce n'est pas la première fois que "Mr Robinson" vient, et ses motivations pour trouver l'âme soeur sont entachées de demandes perverses que l'agence ne souhaite pas honorer. Mais il l'attaque, la viole, et... l'étrangle avec sa cravate. Et bien sûr, entre le départ de Rusk et le moment où sa secrétaire revient de son déjeuner, Blaney sera venu, aura frappé à la porte et sera reparti... juste le temps pour lui d'être aperçu quittant les lieux d'un crime dont la terre entière jurera que c'est lui qui l'a commis...
Blaney n'est pas un type sympathique. Il est considéré plus ou moins comme un minable par tout le monde: son ex-patron, un propriétaire de pub le considère comme un voleur (Il l'a surpris en train de se servir dans les réserves), son épouse a surtout pitié de lui... Mais deux personnes semblent vraiment l'apprécier: sa collègue Barbara (Anna Massey), qui est plus ou moins sa petite amie, et son "copain" Bob Rusk, qui est sincère quand il lui propose de l'aide au début du film. Mais le personnage traîne sa rancoeur jusqu'à son procès, et s'évadera pour régler son compte au vrai coupable! Toujours cette idée que la justice quand elle se trompe finit toujours par créer des authentiques coupables à partir des pauvres types qu'elle a dans ses griffes. Je maintiens le "pauvre type", cela dit, ça reste une assez bonne description de Blaney. Pour une fois, Hitchcock qui n'est pas lié par les conventions Hollywoodiennes, nous permet de soupçonner un peu son personnage principal (Un faux coupable, 100% Hitchcock, recette inchangée depuis 1926), comme on l'a si souvent fait au début de ses films criminels, mais ne nous fera jamais l'accepter totalement.
Par contre, Rusk est sympathique (tant qu'on ne connaît pas ses penchants du moins), serviable, et même, mais oui, drôle: Hitchcock, y compris après nous avoir révélé le pot-aux-roses, nous montre une scène durant laquelle Foster discute avec le patron du pub qui a incriminé Blaney, et se paie sa tête, mettant immédiatement le public des rieurs de son côté. Il nous le montre en pleine panade aussi, comme Norman Bates tentant de faire disparaître les traces de la victime de sa maman dans Psycho: il a assassiné une fois de plus, et se rend compte qu'il a mis un cadavre de femme nue dans un vieux sac de patates, portant dans une de ses mains un objet qui l'incrimine. La scène qui en découle, une virée nocturne d'un homme habituellement si propre sur lui, se débattant dans un camion avec une femme si nue et si morte, et des tubercules sales, est une nouvelle variation brillante sur le suspense tel qu'Hitchcock le pratiquait si bien... Et nous rend sacrément proche de ce personnage! Pour en finir avec Rusk (Et son accent cockney), Hitchcock a semé quelques indices qui en font un peu le petit cousin de Norman Bates, déjà mentionné, mais aussi de ce magnifique meurtrier qu'était Bruno dans Strangers on a train. Un homme qui va au bout de ses pulsions, y compris si elles impliquent le meurtre, qu'il assume pleinement. mais aussi un homme flamboyant, bien habillé, qui se plierait en quatre pour un copain, mais qui n'aime de la femme que ce qu'il peu lui tirer de force... Et pour finir, comme ses deux "petits cousins" de crime, Rusk est doté d'une mère, une brave et terrienne dame qu'on n'a aucun problème à imaginer étouffante.
La police est présente aussi, et là encore, Hitchcock s'est amusé à remettre les pendules à l'heure: les fonctionnaires de police sont des braves gens, un peu lents, qui bien sûr (Ca va souvent avec la fonction en particulier à l'aube des années 70) sont totalement en phase avec la morale conservatrice qui les emploie. Ils ont des petits appartements, des fins de mois difficiles, et des calvities... Eux aussi, on les trouvera à l'occasion au pub, avec le peuple. C'était déjà le cas dans The lodger, dans Blackmail, dans Sabotage, et Hitchcock ne l'a pas oublié. Mais surtout, il réussit le tour de force de multiplier les gags (Tous liés à la vie quotidienne) autour de son inspecteur Oxford (Alec McCowen), l'homme en charge de l'enquête, tout en le maintenant dans les faveurs du public... Il faut dire que le pauvre n'est pas aidé: son épouse a des idées de grandeur, elle veut faire de la Cuisine avec un C majuscule... Et ce n'est pas très ragoûtant!
Alors, finalement, un faux coupable, un meurtrier maniaque dans Londres, et des petites gens qui oscillent entre médiocrité et petite vie quotidienne sans histoire? On se dit qu'il n'y a pas tant de nouveauté que ça, dans ce film d'Hitchcock... Mais on aurait tort. D'une part parce que s'il échappe de façon spectaculaire au style élégant développé par le metteur en scène dans les années 50, mais dont les derniers films avaient tourné à vide après les fulgurances de Psycho, le film n'est pas pour autant du cinéma-vérité: la mise en scène est du pur Hitchcock, en pleine possession de ses moyens, mêlant des mouvements de caméra virtuoses et efficaces, des plans-séquences magnifiquement intégrés et un dosage impressionnant des sons et de la musique. Il passe souvent par des scènes muettes, et par le regard des personnages secondaires, tous plus moralistes les uns que les autres. Il promène son regard et le nôtre dans un monde tangible, fait d'accents, de comportements, de petites habitudes et manies, de monnaies au décompte étrange, magnifiquement reproduit... Londres ne lui est pas du tout étranger même s'il n'y vit plus depuis 30 ans...
Il laisse aussi son style se laisser envahir par les audaces et la crudité du cinéma de l'époque, sans jamais en abuser. Elle est insupportable, mais la scène de viol et de meurtre se justifie pleinement: comme avec les meurtres de Psycho et Torn curtain, Hitchcock appelle un chat un chat, et cesse de tourner autour du pot. Son propos est de sonder le comportement humain, il n'a pas de fausse pudeur (On notera que si Anna Massey, l'héroïne potentielle, disparaît bien tôt dans le film un peu à la façon de Marion Crane, on n'aura que des bribes de la scène de sa mort: on l'a déjà vécue avec Barbara Leigh-Hunt, inutile d'y retourner), pas non plus d'excès. Et la vision de l'humanité proposée dans ce film, l'un des plus personnels de son auteur, fait une fois de plus très très froid dans le dos. Frenzy est son dernier chef d'oeuvre.
Mais il y a quand même un point sur lequel on peut râler, sans pour autant, ce serait naïf, s'en étonner outre mesure: résumons donc en quelques points:
Brenda Blaney a quitté son mari (dont elle garde le nom maintenant que sa boutique a pignon sur rue) et lui a concocté un divorce aux petits oignons, avec "cruauté mentale" pour aller plus vite.
Barbara soutient son amant, mais à la première occasion elle vient chez Rusk, et avant de finir étranglée, aura probablement des rapports consentants avec lui (aucune trace de lutte dans l'appartement, au contraire: des bouteilles de jus de fruits sur la table basse témoignent du fait qu'il y a du avoir conversation à bâtons rompus...): bref, elle a probablement trompé Blaney, avec lequel elle s'apprête pourtant à fuir.
Blaney trouve refuge chez un copain, mais l'épouse de celui-ci fait tout pour l'éloigner, imposant à son mari de virer son copain.
Enfin, l'inspecteur est marié à une femme gentille comme tout, mais qui le met en danger permanent avec sa cuisine.
"Misogyne", dites-vous? Pas une surprise, en même temps, non?
Essayons peut-être dans un premier temps, de trouver des excuses à ce film... C'est vrai que dans la carrière du maître, depuis The birds, ça ne va plus très fort; c'est vrai que tout en étant indépendant, on ne peut pas forcément toujours faire exactement ce qu'on veut... Et c'est vrai que si c'est bien une erreur d'avoir lancé une telle production, le maître du suspense n'était aidé ni par son état de santé, ni par le script de ce film trop long, ni par un certain nombre de ses acteurs et enfin, ouf, ni par le livre qu'il adaptait: Topaz, de Leon Uris, un de ces romans d'espionnage qui s'immergeait dans la guerre froide et ses amusants particularismes. Des livres de ce genre, il a du en fleurir 15 par mois au début des années 60. Mais en 1969, qui intéressaient-ils encore?
Pas Hitchcock, en tout cas! Tout commence pourtant bien, par une séquence de défection à l'ouest d'un agent du KGB en résidence à Copenhague, et ça continue avec une histoire d'espionnage propice à bien des rebondissements: une scène de suspense dans un hôtel de Harlem où une délégation Cubaine invite toute une faune locale, de journalistes ou de militants... Quelques notations poétiques dans une séquence Cubaine qui obéit aux lois Hitchcockiennes (Elle présente les spécialités locales, mais ce ne seront pas que des cigares: foule, discours fleuve du lider maximo et torture sont en effet au menu)... mais voilà, le but de Leon Uris était politique. Il prenait parti, ce que Hitchcock n'a jamais fait. Et j'imagine qu'il a tenté d'insuffler de l'ironie là-dedans, mais... C'est raté. D'abord parce qu'on s'ennuie ferme, ensuite parce que les acteurs semblent avoir des infos contradictoires, certains adoptant un certain cynisme de bon aloi et d'autres jouant la carte du premier degré total.
Et puis il y a toute la partie française, les quarante minutes les plus ennuyeuses de la filmographie d'Hitchcock depuis au moins Juno and the Paycock! et ces personnages enfoncés dans des coucheries et autres histoires extra-conjugales, mais pas un d'entre eux ne nous donne envie de le soutenir ou d'avoir ne serait-ce que pitié de lui ou elle.
Pouah.
Bref, dans ce film qu'il n'avait pas envie de faire, avec des acteurs qu'il n'avait pas envie de diriger (Le personnage de Frederick Stafford mériterait de se faire assassiner sous la douche dans les trois premières minutes si vous voulez mon avis: l'acteur est nul. Mais alors nul. Sourcil inquisiteur, et une gamme d'expressions qui est réduite à une seule grimace, du début à la fin), il tente de mettre un peu de suspense, et d'atténuer la charge violemment anti-communiste qui est tellement ridicule que même McCarthy et Hoover ont du la trouver excessive. mais loin de sa partie, même Hitchcock ne peut pas tout.
Le rideau qu'on a déchiré, dans le titre de ce film, est bien entendu le rideau de fer. Torn curtain naît de la présence occasionnelle, dans les journaux de l'époque, d'anecdotes contant la défection de scientifiques de l'Ouest... Entre la fin de la seconde guerre mondiale et le début des années 60, Hitchcock s'est très prudemment tenu à l'écart de la politique, et n'a jamais eu besoin de nommer ses espions (Ou ses commerçants en secrets, comme le fameux et excellent van Damme de North by northwest). C'est pourquoi l'apparition de deux films qui se vautrent dans le dur de la guerre froide (Par souci de suivre la mode du "réalisme"?) font tâche au milieu de son oeuvre... Mais ce n'est pas la seule raison. Le meilleur des deux reste bien sûr celui-ci, remarquez...
Le professeur Michael Armstrong (Paul Newman) et son assistante et fiancée Sarah Sherman (Julie Andrews) participent tous deux à un congrès en Scandinavie, mais le comportement de Michael intrigue de plus en plus Sarah: il n'était pas franchement emballé face à la décision de la jeune femme de l'accompagner, reçoit des messages intrigants et doit retirer un colis suspect dans une étrange librairie à Copenhague. Sans prévenir, il rompt avec Sarah, et annonce se rendre à Stockholm... En fait, c'est à Berlin Est que Michael, suivi de Sarah qui ne digère pas la situation et veut la comprendre jusqu'au bout, se retrouve, et annonce devant un parterre de journalistes, qu'il a décidé d'offrir ses services aux "démocraties populaires"... Mais on va se rendre très vite compte, bien entendu, que la vérité est beaucoup plus complexe.
Le film est raté à plus d'un titre, et pour commencer, bien sûr, il est trop long. Bien que divisé en trois parties distinctes, il est mal foutu et souffre d'un déséquilibre qui est essentiellement du à une scène longue, mais longue... Je veux parler du voyage en bus, motivé par la nécessité de "sortir" les deux Américains d'Allemagne de l'Est. Si on apprécie l'arrivée de Julie Andrews dans l'univers d'Hitchcock, qui campe une jeune femme "moderne" mais pas trop, on peut quand même faire remarquer qu'elle n'est que l'assistante du professeur Armstrong... En matière de modernité, on peut sans doute faire mieux!
C'est malgré tout son personnage qui va nous fournir le point de vue nécessaire à la compréhension de la première partie (durant laquelle elle doit croire à la défection de son fiancé), même si on peut la juger bien naïve au départ. Et elle acquiert une noblesse qui reste valide jusqu'à la fin du film... Mais Paul Newman est antipathique au possible, par exemple lorsqu'il manipule un professeur Est-Allemand pour lui soutirer des secrets, ce qui est rappelons-le le but de sa mission!
Quelques passages surnagent vraiment, à commencer par l'accumulation de mystères autour du personnage de Michael, vus par Sarah qui a peur de comprendre... Les moments durant lesquels le film ressemble à un petit thriller, au début, sont rendus d'autant plus intrigants par l'absence de musique... La scène la plus célèbre est celle durant laquelle le policier qui suit Michael partout se fait tuer... par un universitaire Américain et une fermière est-Allemande, et ni l'un ni l'autre ne savent y faire, alors Hitchcock nous montre, enfin, à quel point il est difficile de tuer un homme! Une jolie scène, muette et vue à distance, durant laquelle Michael révèle enfin à Sarah qu'il est en fait en mission pour les Etats-Unis, est gâchée par le fait qu'il est impossible que les Est-Allemands qui regardent eux aussi la scène ne se doutent pas de ce qui est en train de se passer...
J'ai fait allusion plus haut à l'absence occasionnelle de musique. L'histoire est connue: Bernard Herrmann a bien composé une partition pour le film, mais elle fut refusée. Hitchcock lui a substitué une bande originale de John Addison, fonctionnelle mais sans plus... Une page se tourne. Et le film suivant sera encore pire.
Avec ce film, nous abordons le dernier chapitre de la carrière d'Hitchcock, qui ne s'est peut-être jamais totalement remis de la mauvaise réception de The birds. La plupart des films qu'il va faire dans ce dernier tronçon de son oeuvre n'auront pas de succès public, et la critique va beaucoup trouver à redire sur eux, à l'exception notable de Frenzy.
Marnie a essuyé beaucoup de reproches, et de fait, on peut y déceler des défauts: c'est un film long, souvent bavard, un peu trop démonstratif parfois. C'est aussi la deuxième fois, après Spellbound, que le metteur en scène base une intrigue sur la psychanalyse, mais cette fois on est en plein dans les années 60, et Hitchcock ne s'arrête pas à la porte de la chambre. C'est l'une des qualités de ce film, même naïvement, qu'il aborde ainsi la sexualité d'une façon plus frontale que jamais, et le fait avec son style inimitable. C'est aussi la dernière fois que Bernard Herrmann et Robert Burks travaillent avec le metteur en scène, donc décidément, plusieurs pages se tournent.
Le film commence par un carton joli mais austère, qui fait penser à un napperon, présentant le générique, accompagné par une musique passionnée, fougueuse, en trois parties, de Bernard Herrmann, suggérant passion, mais aussi refus et enfin abandon. Un beau, très beau motif, pour une héroïne paradoxale qui nous est ensuite dévoilée... ou presque, dans la première scène. D'abord, le silence règne sur le premier plan qui nous montre une femme avançant, de dos, sur un quai de gare, vers son train. Elle est brune, habillée d'un ensemble gris, porte d'élégants escarpins, et porte sous son bras un sac à main jaune pale: on ne risque pas de le manquer, puisque c'est en gros plan que nous le voyons au tout début du plan. Cet accessoire symbolisant si facilement à la fois la personnalité, le bagage, et les secrets d'une femme reviendra, bien sur, mais ce ne sera pas souvent le même, car Margaret "Marnie" Edgar change souvent: de sac à main, de couleur de cheveux, de vêtements, de carte de sécurité sociale, et de nom: elle en effet pour habitude de dérober des sommes colossales chez ses employeurs après quelques mois, avant de disparaître dans la nature. On découvre d'ailleurs son visage, celui de Tippi Hedren, au gré d'une de ces métamorphoses, lorsqu'elle se teint les cheveux en blond... Et ce, juste avant une visite à sa maman (Louise Latham) qui habite près des quais à Baltimore. Les visites sont amères pour l'une comme pour l'autre: Bernie Edgar trompe sa solitude en faisant du baby-sitting pour les enfants des voisines, et Marnie, qui donne beaucoup d'argent à sa mère, estime qu'elle pourrait se passer de cette activité. A la vérité, elle est aussi jalouse...
L'intrigue est lancée lorsque la jeune femme vient pour répondre à une offre d'emploi à la compagnie Rutland, tenue par Mark Rutland (Sean Connery), un jeune patron qui a reconnu tout de suite la jeune femme comme cette mystérieuse voleuse qui a disparu de l'entreprise de l'un de ses partenaires après avoir dévalisé les coffres... Il l'engage, tout en se doutant qu'il va avoir des problèmes avec elle. Et assez rapidement, il tombe amoureux d'elle, elle le lui rendrait bien, si elle n'avait pas autant de réticences à laisser un homme la toucher. Car Marnie est totalement, farouchement décidée à ne pas se laisser approcher par les hommes, comme elle l'admet volontiers à sa mère, qui l'approuve totalement sur ce point. Marnie se rattrape de ce refus de la sexualité en aimant passionnément les chevaux: tout son argent lui sert à soigner un cheval, son principal compagnon. Mais Mark, qui sait désormais tout des activités illégales de Marnie, la piège en lui imposant le mariage. Il va donc devoir essayer de comprendre de quel traumatisme souffre la jeune femme, à partir de quelques indices récurrents, et va devoir le faire avant que sa belle-soeur Lil (Diane Baker), jalouse, ne flanque tout par terre...
L'intrigue du film est dénuée, de façon intéressante, de la moindre confrontation avec la police, à l'exception d'une courte séquence de comédie, située au tout début; alors qu'on n'a vu Marnie que de dos, sous une épaisse chevelure brune, et se dirigeant mystérieusement vers son train, on passe à une scène au cours de laquelle Mr Strutt (Martin Gabel), partenaire de Rutland, reçoit deux inspecteurs pour leur faire part d'un vol; quand il lui demandent si il peut décrire la voleuse, il se lance dans une description détaillée, à tel point qu'elle en devient comique: Strutt, c'est manifeste, avait vraiment beaucoup regardé sa dactylo! Mais ce n'est pas pour la présence de policiers que la scène est intéressante. Elle établit d'une part le mode de fonctionnement de Marnie la voleuse, que nous verrons plus tard à l'oeuvre, tout en nous donnant à voir un personnage qui reviendra, et sera d'ailleurs accompagné d'une petite prouesse de mise en scène bien dans la manière d'Hitchcock. Donc, l'absence d'enquête de police dans cette histoire pourtant riche en matière criminelle, avec cette névrose obsessionnelle qui conduit Marnie à devenir voleuse, semble être un signe qu'il faut considérer que le vrai théâtre des opérations, ici, est d'ordre privé...
Tout en étant assez austère dans sa mise en scène (Et on fait souvent le reproche à ce film d'être faible techniquement avec ses matte paintings statiques (Le quartier portuaire à Baltimore), ses transparences embarrassantes (La scène de la chasse, pourtant cruciale, en est purement et simplement gâchée, et qu'on ne vienne pas me dire comme on le lit parfois qu'Hitchcock a fait exprès de bâcler ses effets, c'est complètement idiot!), il y a (Outre l'ouverture intrigante et magistrale) quatre scènes qui retiennent l'attention: le vol chez Rutland dans lequel Hitchcock s'adonne à son péché mignon, nous donner à voir un criminel à l'oeuvre et nous mettre d'autorité de son côté, en introduisant un grain de sable. Ici, pendant que Marnie vole adroitement les sous de son employeurs, une femme de ménage s'affaire dans la pièce à côté... une scène silencieuse et bien menée. Ensuite, bien sûr, la scène de la nuit de noces qui vient tardivement durant le mariage, et pour cause, Marnie avait des réticences. Mais comme elle en a toujours, Sean Connery se sent obligé de se livrer à ce qu'on est en doit de considérer comme un viol. Hitchcock utilise le cadrage pour nous cacher bien sur ce qu'il n'a pas le droit de montrer, mais la scène est rendue inattendue par le silence, et l'immobilité complète de Tippi Hedren... Une réception chez les Rutland se transforme en scène à suspense car Lil, la belle-soeur jalouse, s'est renseignée sur la nouvelle Mrs Rutland, et a invité Mr Strutt. On le découvre dans un magnifique plan, un travelling avant en plongée, sur une porte qui s'ouvre, et Mr Strutt qui entre. Dans le cadre, Lil, la seule des personnes de la réception à porter une robe orange de couleur vive... Ce type de plan a déjà servi avec bonheur dans Young and innocent et Notorious. La dernière scène notable, parfois un peu gauche (Tippi Hedren montre ses limites lorsqu'il lui fait interpréter une femme adulte qui se prend pour une enfant de cinq ans!) est la révélation finale sur la source du trouble de Marnie, une histoire que seule sa mère peut rappeler. Un tour de force sur certains points, avec flash-backs, du sang, et Louise Latham qui est purement extraordinaire.
Le film ouvre plus de portes qu'autre chose; la façon dont les personnages se saisissent du traumatisme et le résolvent, sans aide extérieure, est probablement naïve, l"idée aussi qu'un refus de la sexualité, donc de se plier à un diktat masculin, soit nécessairement du à un traumatisme, peut embarrasser ou faire sourire. Mais si on passera sur le fait que sans Mark Rutland, ni Marnie ni sa mère n'auraient été capables de résoudre l'énigme, il est gonflé pour Hitchcock de donner au jeune acteur un rôle risqué, qui pouvait tout à fait le faire passer pour un violeur. Mais Sean Connery n'a aucune difficulté à faire passer l'ambiguïté de son personnage, et Marnie ouvre ainsi une nouvelle page dans la liste des coups de boutoir à la censure perpétrés par Alfred Hitchcock, en même temps qu'il fournit un film attachant, ce que les deux suivants ne seront pas, mais alors pas du tout.
Souvent labellisé un peu n'importe comment, taxé de 'film d'horreur', ce qui ne veut plus rien dire aujourd'hui, de 'film catastrophe', le successeur de Psycho déroute aujourd'hui bien des publics, qui lui trouvent un certain nombre de défauts, notamment le fait que le film ne cadre absolument pas avec les types d'intrigues auxquelles le cinéma de genre contemporain nous a habitués. Et pour commencer, autant le dire immédiatement: bien des personnes sont déçus par ce film qu'ils trouvent tout simplement inachevé. En clair, ce qu'on appelle en temps normal une "fin ouverte" est jugé comme une négligence par une grande partie du public. Et le fait qu'à aucun moment il ne survienne un spécialiste pour tout nous expliquer, joue en défaveur du film, toujours selon les commentateurs en question. Pourtant, cette fable de science-fiction (encore une appellation hasardeuse) est un film majeur d'Alfred Hitchcock, ne serait-ce que parce qu'elle ouvre des voies cinématographiques inédites, parce que le metteur en scène a su rebondir de façon spectaculaire après l'un de ses plus grands succès dont il prend le contrepied, mais aussi pour le culot d'avoir fait en quelque sorte une synthèse de son cinéma, un film à suspense qui débouche sur une fable apocalyptique, située dans un environnement tellement quelconque qu'il en devient baroque, le tout assorti avec une mini-crise familiale et amoureuse qui fait finalement appel autant à Freud (La sexualité et ses à-cotés joue un rôle fort dans ce film), qu'au Catholicisme... Enfin, peut-être lui reproche-ton aussi son personnage principal, joué par une actrice pas vraiment expérimentée, mais comme avec Vera Clouzot, Tippi Hedren fait ce qu'elle peut, et ça passe ou ça casse: d'une certaine manière, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, elle EST melanie Daniels.
Melanie Daniels (Tippi Hedren), enfant gâtée, rencontre le fringant avocat Mitch Brenner (Rod Taylor) dans une animalerie de San Francisco. Il feint de la prendre pour une vendeuse, elle se laisse faire, mais c'est un piège: la belle a l'habitude de faire parler d'elle dans la presse à scandale, mais le jeune homme désapprouve sa conduite. Piquée dans son amour-propre, elle décide de se renseigner sur lui, et de venir à son domicile lui apporter les oiseaux qu'il voulait acheter, un couple de 'love birds', des "inséparables". Elle se rend donc à Bodega Bay, à une centaine de kilomètres au nord de San Francisco, pour aller y clouer le bec de l'avocat, qui y vit avec sa mère (Jessica Tandy) et sa très jeune soeur (Veronica Cartwright) dont c'est l'anniversaire, et à laquelle les oiseaux étaient destinés. Au beau milieu de cette situation de comédie sentimentale, pourtant, une série incompréhensible d'attaques d'oiseaux va semer la panique, puis la mort, à Bodega bay, en une escalade de violence inattendue...
L'intrigue sentimentale est simple: Brenner et Melanie se chamaillent parce qu'au fond ils sont tombés fous amoureux l'un de l'autre, et les réserves de Brenner (Le sentiment que la conduite indigne, relayée par la presse, de la jeune femme lui interdit de s'en approcher) vont être accompagnées de celles de sa mère, qui surveille d'un oeil jaloux toute femelle qui approche de 'son' Mitch. Pourtant l'attirance est bien là, et plus le danger va se préciser, plus leur complicité va être affichée.
En plus de ces personnages, une autre femme est là, qui a été un temps elle aussi une épouse potentielle pour Mitch, l'institutrice Annie Hayworth (Suzanne Pleshette): elle a suivi Mitch à Bodega Bay, mais a fini par abandonner ses rêves à cause de Lydia, la mère de son ex-fiancé... Le film, d'une certaine manière, va se concentrer sur l'évolution de Melanie dans l'estime de Lydia, confondant parfois les épreuves physiques et nerveuses causées par les attaques d'oiseaux avec l'exigence aveugle de Mme Brenner, l'un des exemples les plus extrêmes finalement de mère abusive dans l'oeuvre d'Hitchcock! elle va la jauger, la juger, et la condamner presque dans un premier temps, assimilant sa conduite à une sexualité débridée, qu'elle réprouve totalement, et dont elle ne veut surtout pas pour son fils...
Mais comment parler de ce film sans parler de ces oiseaux, ces trouble-fêtes qui viennent s'installer dans ce film en Technicolor et qui vont en déranger la quiétude auto-satisfaite? Hitchcock a donc décidé de trouver une catastrophe naturelle d'un genre nouveau, un évènement qui a des arrières-plans bibliques aussi, ce qui est souvent relayé avec humour dans le film (Notamment par ce soiffard, dans un café, qui va lamper verre après verre en citant la bible et en lâchant des 'It's the end of the world!'). Il a donc lâché ses oiseaux dans l'environnement salin et vivifiant de ce petit port de pèche, image d'Epinal, et va comme il savait le faire structurer son film en fonction des attaques, graduées dans leur intensité, d'oiseaux. Mais si il va aussi les montrer comme une plaie qui s'abat sur la ville (Et si on en croit aussi la radio, qui s'étend à toutes la Californie du Nord), il concentre surtout son film sur la famille fragile qui est au centre, une façon là encore de faire relayer la confrontation entre Mitch, Melanie et Lydia par une autre confrontation, celle avec les oiseaux, dont bien sûr aussi bien Annie (Qui n'en réchappera pas) que Melanie (Qui va manquer de peu d'y passer) seront les principales victimes. Les attaques d'oiseaux deviennent ainsi des métaphores de la désapprobation de Lydia, qui n'acceptera Melanie qu'une fois que celle-ci aura versé son sang (Un symbole fort de l'hymen, donc, qui tendrait à démentir le soupçon d'une sexuélité hors-mariage...) à la fin du film. Celle-ci, aussi, va trouver en Lydia une seconde mère, elle qui à un instant montre sa principale faille, l'éloignement de sa propre mère, à Mitch, qui comprend alors que toutes les frasques de fille de riche sont là pour masquer son manque. Ces éléments sont disséminés dans le film, et permettent de saisir l'évolution des rapports entre Lydia, Annie et Melanie. celle-ci, du reste, subira la pire épreuve du film dans une chambre de la maison Brenner, qui est très probablement celle de Cathy, la soeur de Mitch une chambre de petite fille pour y verser le sang et être acceptée par un substitut de mère... ouf!
Mais il fallait aussi que les oiseaux aient une réalité physique pour Hitchcock, qui a choisi de consacrer beaucoup de temps à l'élaboration d'effets spéciaux, et d'utiliser absolument toutes les ressources des truquages photographiques alors en vigueur. Le résultat, pour lépoque comme pour maintenant, est superbe, bluffant et diablement efficace. Et le metteur en scène laisse de moins en moins le spectateur souffler au fur et à mesure de l'évolution de l'emprise des oiseaux sur Bodega Bay: il sait aussi doser avec tact les à-cotés graphiquement violents et perturbants, le plus célèbre étant bien sûr la vision par Jessica Tandy dans une scène au découpage exemplaire (forcément...) d'un fermier mort, les yeux mangés par les oiseaux. Au passage, la scène est liée à l'un des motifs les plus importants du film, et du cinéaste, le regard; tout passe par cette notion: Lydia a-t-elle vraiment envie de voir ce qu'elle va voir, lorsqu'elle entre dans une chambre, et voit d'abord une mouette morte coincée dans le trou d'une fenêtre qu'elle a probablement brisée, puis d'autres oiseaux par terre, enfin les pieds ensanglantés de l'homme dont le reste du corps est caché? Oui, elle en a envie, et nous aussi. Ce que nous regrettons tout de suite après... pourtant cette exemplaire séquence située après une attaque, n'est que l'une des premières scènes, destinée à confirmer la présence des oiseaux sans qu'ils s'attaquent trop à notre petit cercle intime et familial...
Le manque d'explications n'est pas un défaut de la fin du film. C'est une cause célèbre, en revanche, puisque cela a été pour Hitchcock un choix fort et affirmé et pour le public un facteur de désamour du film... Pourtant le metteur en scène a tout fait pour l'installer au coeur du film: une scène qui voyait Melanie et Mitch deviser gaiement de la mouche qui piquait les oiseaux, a été enlevée; trop terne, mais aussi embarrassante? De fait, toutes les scènes qui confrontent Melanie et les habitants de Bodega Bay dans la deuxième partie du film débouchent sur l'impossibilité justement de comprendre ce qui se passe, avec en particulier la vieille ornithologue insupportable qui dit à des gens qui viennent de se faire effectivement attaquer par des oiseaux qu'ils ont rêvé puisque c'est impossible... un message subliminal peut-être, en forme d'autocritique pour Hitchcock qui regrettait sans doute d'avoir un peu gâché la belle rigueur de Psycho en laissant un psychiâtre prendre la parole et se livrer à une explication. Ici, la spécialiste finira par avouer son incapacité à expliquer quoi que ce soit, et participera elle aussi à l'inévitable lynchage symbolique: puisque les oiseaux n'attaquaient pas avant l'arrivée de Melanie, c'est donc de sa faute! Si on rapproche évidemment cette absurde (Mais si humaine...) conception superstitieuse d'un côté de la litanie des 'It's the end of the world' du poivrot, et de la désapprobation morale et puritaine ressentie par Lydia de tout ce que Melanie représente, on comprend qu'Hitchcock a su de main de maître faire en sorte que tous les motifs et thèmes explorés dans le film se rejoignent. On comprend aussi qu'il ait choisi de nous laisser à nos propres angoisses, et explications!
Reste la terreur, ou l'angoisse véhiculée par le film. Symbolisée par des scènes superbes et d'une rigieur exemplaire là encore, elles passent par le suspense (L'accumulation des oiseaux dans le dos de Melanie Daniels pendant que celle-ci attend la sortie des enfants de l'école, la façon dont les oiseaux s'attaquent de l'extérieur à une porte en bois, dont Mitch se rend vite compte qu'elle ne tiendra pas longtemps, etc...). mais surtout, on prend ici le contrepied du film précédent: le Technicolor au lieu d'un noir et blanc cauchemardesque, le grand air salin au lieu d'un motel situé en plein sud-ouest, des demeures sainement Américaines, faites de bois, au lieu d'une maison gothique... Mais dans ce film, malgré tout, on verra des enfants souffrir, des mères avoir peur pour leur progéniture (la maman qui craque, au café, devat Melanie, a justement deux enfants: un garçon, et une fille, comme Lydia!), et on verra ausi le sacrifice d'une intitutrice pour les enfants qu'elle a pour mission d'éduquer. Au meurtre fou, rapide, succède ici la mort aveugle et atroce, qui peut frapper n'importe qui et sans raison, en particulier les enfants. C'est à porter au crédit d'Hitchcock qu'il ait réussi à adresser ce thème dans ce film, sans pour autant tomber dans l'indignité, ni déclencher des tempêtes: cela sonne juste. Et le fait que le film ne s'accompagne d'aucune musique, si ce n'est les bruits angoissants des oiseaux, finit par entériner la leçon de morale cinématographique délivrée par l'un des plus grands spécialistes. Malgré tous les attraits du film, il en a fait une austère expérience à la rigueur déroutante (mais aussi mâtinée d'une grande dose d'humour très personnel, soyons juste!), mais totalement justifiée.
Pour revenir à l'absence d'explication, Hitchcock qui avait un temps envisagé d'ouvrir le film sur la fin à une plus grande exploration des effets des attaques, montrant que toute la Californie était touchée, a choisi d'en faire justement la fin du film, dans un plan magnifique, et qui a été une source de complications à n'en plus finir: voyant les Brenner et Melanie partir de Bodega Bay vers un ailleurs incertain, au milieu d'une marée d'oiseaux, tous semblant attendre tranquillement le signal de la prochaine attaque, débouche inévitablement sur une angoisse qui ne peut que se poursuivre longtemps après être sorti du film. Lâcher une explication, c'est s'exposer au danger de faire retomber le soufflé... Il a fait le bon choix, donc. Et le film, aujourd'hui comme hier, est énigmatique, monté avec génie par un cinéaste qui bat à l'époque le record du nombre de plans dans son film, et qui donne à voir dans un cadre de film fantastique une catastrophe, somme toute, plausible...
C'est le seul épisode de la série Alfred Hitchcock hour, qui fait suite (on pourrait parler en quelque sorte d'un spin-off) à Alfred Hitchcock presents à avoir été réalisé par le maître lui-même... Le principe est assez similaire à la série initiale: une présentation humoristique par Hitchcock, qui revient également à la fin... La principale différence est que comme son nom l'indique, c'est une "heure" de télévision, soit 48 minutes, de quoi accommoder 12 minutes de temps de publicité...
L'intrigue est basée sur un accident: un délit de fuite, par un conducteur qui vient de heurter un homme. L'incident a été vu par de nombreux témoins... Un homme (John Forsythe) se rend à la police et annonce être le conducteur. Il dit aussi qu'il va se défendre seul lors de son procès. Mais au moment où celui-ci commence, on annonce la mort de l'homme qui a été heurté par la voiture...
C'est donc un film de procès, qui repose sur un début intrigant, dans lequel sans nous montrer l'accident, ou alors de très loin, Hitchcock nous invite dans le film en nous montrant le moment où chaque témoin aperçoit l'accident. Il utilise des arrêts sur image, ce qui est une première dans son oeuvre (et certainement exclusif à ce film). L'essentiel du film sera justement lié au défilé des témoins, qui sont tous persuadés d'avoir 'tout vu', d'où le titre, mais le principal personnage va s'efforcer de démontrer lors de sa propre défense qu'ils n'ont en fait pas vu l'accident tel qu'il s'est déroulé...
Les témoins ici sont évidemment un panel représentatif de "braves gens", insoupçonnables de la moindre vilénie, qui accusent du haut de leur irréprochable normalité un homme d'un crime qu'ils n'ont pas forcément vraiment vu.
Et à sa façon, ce petit film particulièrement stimulant revient à ce qui reste le thème de prédilection d'Alfred Hitchcock: le faux coupable... Un exercice évidemment assez casse-cou, pour un homme qui vient de s'accuser, précisément, du crime dont il pourrait bien ne pas être le perpétrateur. Le film va donc établir le rapport entre la morale, la justice, la notion de culpabilité, et la horde des braves gens...
Pour le dernier film qu'il réalise pour la série qui porte son nom, Alfred Hitchcock se livre à un exercice de style dans un cadre qu'il affectionne: la vie quotidienne, et son cortège de ptits riens, comme un enfant qui joue dans le quartier de banlieue aisé, ou le retour au pays d'un oncle qui vient de vivre des aventures en Afrique, ou le tranquille début de soirée d'un couple ultra-conventionnel...
C'est donc dans ce cadre banlieusard, typique de l'Amérique (blanche) des trente glorieuses, que l'on rencontre Jackie, un garçonnet bien de son âge, fasciné par l'Ouest, les westerns, et... les armes à feu. Quoi de plus innocent qu'un pistolet en plastique, meme bien imité? Sauf que quand les adultes laissent trainer un vrai revolver, ainsi que les munitions, Jackie ne peut pas résister, et il prolonge son jeu en allant d'un adulte à l'autre, son "jouet" entre les mains, et il tourne le barillet de l'arme partiellement chargée, imitant le bruit de l'arme sans se rendre compte qu'il risque de tuer toutes les personnes qu'il vise...
Nous sommes, bien sûr, les seuls au courant au début, mais très vite les adultes sauront. La scène de la révélation est une petite merveille, qui nous montre avec l'usage de gros plans (notamment des mains) un homme qui se rend compte par le poids de l'arme qu'il vient de ranger, qu'il s'agit d'une arme en plastique... Cet usage du gros plan, déjà abodamment illustrée chez Hitchcock (voir Spellbound ou Suspicion, ou tellement d'autres exemples pertinents), est utilisée par le découpage, à chaque fois que Jackie ajoute une balle, invitant le public à compter et angoisser de plus en plus, et bien sûr, pour chaque nouvelle manipulation de l'arme, pendant que Jackie, ange exterminateur potentiel et inconscient, continue son périple et son jeu.
Le film n'est pas à proprement parler un pamphlet anti-armes, comme on aurait pu l'imaginer (la même intrigue aujourd'hui irait évidemment dans cette direction... du moins je l'imagine), mais bien un exercice dans lequel Hitchcock se fait plaisir: ajouter du suspense à ces scènes de vie apparemment sans intérêt, et placer un grain de sable dans les conventions d'un quartier deséspérément normal... Ou comment rappeler que le suspense, comme le mal, se niche absolument partout.
Le père Amion (Claude Rains) est le prêtre Cathlique d'une paroisse bien mal partie: l'église prend l'eau, et on estimme les réparations à un tel prix que le prêtre se dit qu'on risque bien de mettre la clé sous la porte. Mais à la quête, un mystérieux donateur laisse des sommes plus fortes que le commun des paroissiens... Il se fait connaître, c'est un homme qui parie sur les chevaux, et qui révèle qu'il est reconnaissant envers l'église, car il a prié pour gagner, et à chaque fois qu'il mise, il gagne gros... La tentation va bientôt gagner le pèr Amion...
Il est assez rare qu'Hitchcock se réfère aussi explicitement à sa religion... Il l'a surtout fait en mettant en scène les dilemmes moraux et "professionnels" d'un prêtre confronté aux conséquences de la confession dans I confess. Pour son avant-dernière contribution à sa série télévisée, Alfred Hitchcock presents, il s'attaque donc, l'air de ne pas y toucher, à la notion de tentation. Le brave M. Sheridan, l'homme qui vient tenter le bon prêtre, n'a rien de diabolique, loin de là.
Mais d'une part sa sympathie, sa naïveté et sa simplicité vont d'une part finir par tenter vraiment le prêtre catholique... Et un détail retient notre attention, lorsqu'un bedeau entend l'homme parler d'un cheval, il le nomme Red devil, soit Diable rouge. Mais malin, Hitchcock ne nous livrera pas le fin mot de l'affaire, se contentant... de nous tenter.
Mrs Bixby est l'épouse d'un dentiste... Avant de se rendre chez sa tante qu'elle aime tant et à laquelle elle consacre deux jours par mois elle rend une petite visite à son mari, qui lui fait comprendre qu'il aimerait qu'elle reste avec lui. Mais la tante n'existe pas, c'est un amant, un riche colonel à l'ancienne... Pourtant il la quitte, en lui laissant pour tout souvenir un manteau de fourrure. Elle décide de le laisser chez un prêteur sur gages, et de monter un bobard pour que son mari puisse accepter la présence du vêtement: elle aurait trouvé le reçu, et n'aurait plus qu'à feindre la merveilleuse surprise en "trouvant" le manteau...
C'est une fois de plus, et ce sera la dernière, que le metteur en scène adapte Roald Dahl pour la série Alfred Hitchcock presents... Cette fois le ton est sardonique, rigolard... Et un rien misogyne, ce qui ne nous étonnera qu'à moitié. Je ne parle évidemment pas d'Hitchcock, ici, pais de Dahl... Par ailleturs, la série a souvent reposé sur une sorte de conflit conjugal pris pour argent comptant, et ce petit film mineur n'est pas en reste...