Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

9 mars 2025 7 09 /03 /mars /2025 16:20

Avec ce film, nous abordons le dernier chapitre de la carrière d'Hitchcock, qui ne s'est peut-être jamais totalement remis de la mauvaise réception de The birds. La plupart des films qu'il va faire dans ce dernier tronçon de son oeuvre n'auront pas de succès public, et la critique va beaucoup trouver à redire sur eux, à l'exception notable de Frenzy.

Marnie a essuyé beaucoup de reproches, et de fait, on peut y déceler des défauts: c'est un film long, souvent bavard, un peu trop démonstratif parfois. C'est aussi la deuxième fois, après Spellbound, que le metteur en scène base une intrigue sur la psychanalyse, mais cette fois on est en plein dans les années 60, et Hitchcock ne s'arrête pas à la porte de la chambre. C'est l'une des qualités de ce film, même naïvement, qu'il aborde ainsi la sexualité d'une façon plus frontale que jamais, et le fait avec son style inimitable. C'est aussi la dernière fois que Bernard Herrmann et Robert Burks travaillent avec le metteur en scène, donc décidément, plusieurs pages se tournent.

Le film commence par un carton joli mais austère, qui fait penser à un napperon, présentant le générique, accompagné par une musique passionnée, fougueuse, en trois parties, de Bernard Herrmann, suggérant passion, mais aussi refus et enfin abandon. Un beau, très beau motif, pour une héroïne paradoxale qui nous est ensuite dévoilée... ou presque, dans la première scène. D'abord, le silence règne sur le premier plan qui nous montre une femme avançant, de dos, sur un quai de gare, vers son train. Elle est brune, habillée d'un ensemble gris, porte d'élégants escarpins, et porte sous son bras un sac à main jaune pale: on ne risque pas de le manquer, puisque c'est en gros plan que nous le voyons au tout début du plan. Cet accessoire symbolisant si facilement à la fois la personnalité, le bagage, et les secrets d'une femme reviendra, bien sur, mais ce ne sera pas souvent le même, car Margaret "Marnie" Edgar change souvent: de sac à main, de couleur de cheveux, de vêtements, de carte de sécurité sociale, et de nom: elle en effet pour habitude de dérober des sommes colossales chez ses employeurs après quelques mois, avant de disparaître dans la nature. On découvre d'ailleurs son visage, celui de Tippi Hedren, au gré d'une de ces métamorphoses, lorsqu'elle se teint les cheveux en blond... Et ce, juste avant une visite à sa maman (Louise Latham) qui habite près des quais à Baltimore. Les visites sont amères pour l'une comme pour l'autre: Bernie Edgar trompe sa solitude en faisant du baby-sitting pour les enfants des voisines, et Marnie, qui donne beaucoup d'argent à sa mère, estime qu'elle pourrait se passer de cette activité. A la vérité, elle est aussi jalouse...

L'intrigue est lancée lorsque la jeune femme vient pour répondre à une offre d'emploi à la compagnie Rutland, tenue par Mark Rutland (Sean Connery), un jeune patron qui a reconnu tout de suite la jeune femme comme cette mystérieuse voleuse qui a disparu de l'entreprise de l'un de ses partenaires après avoir dévalisé les coffres... Il l'engage, tout en se doutant qu'il va avoir des problèmes avec elle. Et assez rapidement, il tombe amoureux d'elle, elle le lui rendrait bien, si elle n'avait pas autant de réticences à laisser un homme la toucher. Car Marnie est totalement, farouchement décidée à ne pas se laisser approcher par les hommes, comme elle l'admet volontiers à sa mère, qui l'approuve totalement sur ce point. Marnie se rattrape de ce refus de la sexualité en aimant passionnément les chevaux: tout son argent lui sert à soigner un cheval, son principal compagnon. Mais Mark, qui sait désormais tout des activités illégales de Marnie, la piège en lui imposant le mariage. Il va donc devoir essayer de comprendre de quel traumatisme souffre la jeune femme, à partir de quelques indices récurrents, et va devoir le faire avant que sa belle-soeur Lil (Diane Baker), jalouse, ne flanque tout par terre...

L'intrigue du film est dénuée, de façon intéressante, de la moindre confrontation avec la police, à l'exception d'une courte séquence de comédie, située au tout début; alors qu'on n'a vu Marnie que de dos, sous une épaisse chevelure brune, et se dirigeant mystérieusement vers son train, on passe à une scène au cours de laquelle Mr Strutt (Martin Gabel), partenaire de Rutland, reçoit deux inspecteurs pour leur faire part d'un vol; quand il lui demandent si il peut décrire la voleuse, il se lance dans une description détaillée, à tel point qu'elle en devient comique: Strutt, c'est manifeste, avait vraiment beaucoup regardé sa dactylo! Mais ce n'est pas pour la présence de policiers que la scène est intéressante. Elle établit d'une part le mode de fonctionnement de Marnie la voleuse, que nous verrons plus tard à l'oeuvre, tout en nous donnant à voir un personnage qui reviendra, et sera d'ailleurs accompagné d'une petite prouesse de mise en scène bien dans la manière d'Hitchcock. Donc, l'absence d'enquête de police dans cette histoire pourtant riche en matière criminelle, avec cette névrose obsessionnelle qui conduit Marnie à devenir voleuse, semble être un signe qu'il faut considérer que le vrai théâtre des opérations, ici, est d'ordre privé...

Tout en étant assez austère dans sa mise en scène (Et on fait souvent le reproche à ce film d'être faible techniquement avec ses matte paintings statiques (Le quartier portuaire à Baltimore), ses transparences embarrassantes (La scène de la chasse, pourtant cruciale, en est purement et simplement gâchée, et qu'on ne vienne pas me dire comme on le lit parfois qu'Hitchcock a fait exprès de bâcler ses effets, c'est complètement idiot!), il y a (Outre l'ouverture intrigante et magistrale) quatre scènes qui retiennent l'attention: le vol chez Rutland dans lequel Hitchcock s'adonne à son péché mignon, nous donner à voir un criminel à l'oeuvre et nous mettre d'autorité de son côté, en introduisant un grain de sable. Ici, pendant que Marnie vole adroitement les sous de son employeurs, une femme de ménage s'affaire dans la pièce à côté... une scène silencieuse et bien menée. Ensuite, bien sûr, la scène de la nuit de noces qui vient tardivement durant le mariage, et pour cause, Marnie avait des réticences. Mais comme elle en a toujours, Sean Connery se sent obligé de se livrer à ce qu'on est en doit de considérer comme un viol. Hitchcock utilise le cadrage pour nous cacher bien sur ce qu'il n'a pas le droit de montrer, mais la scène est rendue inattendue par le silence, et l'immobilité complète de Tippi Hedren... Une réception chez les Rutland se transforme en scène à suspense car Lil, la belle-soeur jalouse, s'est renseignée sur la nouvelle Mrs Rutland, et a invité Mr Strutt. On le découvre dans un magnifique plan, un travelling avant en plongée, sur une porte qui s'ouvre, et Mr Strutt qui entre. Dans le cadre, Lil, la seule des personnes de la réception à porter une robe orange de couleur vive... Ce type de plan a déjà servi avec bonheur dans Young and innocent et Notorious. La dernière scène notable, parfois un peu gauche (Tippi Hedren montre ses limites lorsqu'il lui fait interpréter une femme adulte qui se prend pour une enfant de cinq ans!) est la révélation finale sur la source du trouble de Marnie, une histoire que seule sa mère peut rappeler. Un tour de force sur certains points, avec flash-backs, du sang, et Louise Latham qui est purement extraordinaire.

Le film ouvre plus de portes qu'autre chose; la façon dont les personnages se saisissent du traumatisme et le résolvent, sans aide extérieure, est probablement naïve, l"idée aussi qu'un refus de la sexualité, donc de se plier à un diktat masculin, soit nécessairement du à un traumatisme, peut embarrasser ou faire sourire. Mais si on passera sur le fait que sans Mark Rutland, ni Marnie ni sa mère n'auraient été capables de résoudre l'énigme, il est gonflé pour Hitchcock de donner au jeune acteur un rôle risqué, qui pouvait tout à fait le faire passer pour un violeur. Mais Sean Connery n'a aucune difficulté à faire passer l'ambiguïté de son personnage, et Marnie ouvre ainsi une nouvelle page dans la liste des coups de boutoir à la censure perpétrés par Alfred Hitchcock, en même temps qu'il fournit un film attachant, ce que les deux suivants ne seront pas, mais alors pas du tout.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
18 février 2025 2 18 /02 /février /2025 15:12

Souvent labellisé un peu n'importe comment, taxé de 'film d'horreur', ce qui ne veut plus rien dire aujourd'hui, de 'film catastrophe', le successeur de Psycho déroute aujourd'hui bien des publics, qui lui trouvent un certain nombre de défauts, notamment le fait que le film ne cadre absolument pas avec les types d'intrigues auxquelles le cinéma de genre contemporain nous a habitués. Et pour commencer, autant le dire immédiatement: bien des personnes sont déçus par ce film qu'ils trouvent tout simplement inachevé. En clair, ce qu'on appelle en temps normal une "fin ouverte" est jugé comme une négligence par une grande partie du public. Et le fait qu'à aucun moment il ne survienne un spécialiste pour tout nous expliquer, joue en défaveur du film, toujours selon les commentateurs en question. Pourtant, cette fable de science-fiction (encore une appellation hasardeuse) est un film majeur d'Alfred Hitchcock, ne serait-ce que parce qu'elle ouvre des voies cinématographiques inédites, parce que le metteur en scène a su rebondir de façon spectaculaire après l'un de ses plus grands succès dont il prend le contrepied, mais aussi pour le culot d'avoir fait en quelque sorte une synthèse de son cinéma, un film à suspense qui débouche sur une fable apocalyptique, située dans un environnement tellement quelconque qu'il en devient baroque, le tout assorti avec une mini-crise familiale et amoureuse qui fait finalement appel autant à Freud (La sexualité et ses à-cotés joue un rôle fort dans ce film), qu'au Catholicisme... Enfin, peut-être lui reproche-ton aussi son personnage principal, joué par une actrice pas vraiment expérimentée, mais comme avec Vera Clouzot, Tippi Hedren fait ce qu'elle peut, et ça passe ou ça casse: d'une certaine manière, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, elle EST melanie Daniels.

Melanie Daniels (Tippi Hedren), enfant gâtée, rencontre le fringant avocat Mitch Brenner (Rod Taylor) dans une animalerie de San Francisco. Il feint de la prendre pour une vendeuse, elle se laisse faire, mais c'est un piège: la belle a l'habitude de faire parler d'elle dans la presse à scandale, mais le jeune homme désapprouve sa conduite. Piquée dans son amour-propre, elle décide de se renseigner sur lui, et de venir à son domicile lui apporter les oiseaux qu'il voulait acheter, un couple de 'love birds', des "inséparables". Elle se rend donc à Bodega Bay, à une centaine de kilomètres au nord de San Francisco, pour aller y clouer le bec de l'avocat, qui y vit avec sa mère (Jessica Tandy) et sa très jeune soeur (Veronica Cartwright) dont c'est l'anniversaire, et à laquelle les oiseaux étaient destinés. Au beau milieu de cette situation de comédie sentimentale, pourtant, une série incompréhensible d'attaques d'oiseaux va semer la panique, puis la mort, à Bodega bay, en une escalade de violence inattendue...

L'intrigue sentimentale est simple: Brenner et Melanie se chamaillent parce qu'au fond ils sont tombés fous amoureux l'un de l'autre, et les réserves de Brenner (Le sentiment que la conduite indigne, relayée par la presse, de la jeune femme lui interdit de s'en approcher) vont être accompagnées de celles de sa mère, qui surveille d'un oeil jaloux toute femelle qui approche de 'son' Mitch. Pourtant l'attirance est bien là, et plus le danger va se préciser, plus leur complicité va être affichée.

En plus de ces personnages, une autre femme est là, qui a été un temps elle aussi une épouse potentielle pour Mitch, l'institutrice Annie Hayworth (Suzanne Pleshette): elle a suivi Mitch à Bodega Bay, mais a fini par abandonner ses rêves à cause de Lydia, la mère de son ex-fiancé... Le film, d'une certaine manière, va se concentrer sur l'évolution de Melanie dans l'estime de Lydia, confondant parfois les épreuves physiques et nerveuses causées par les attaques d'oiseaux avec l'exigence aveugle de Mme Brenner, l'un des exemples les plus extrêmes finalement de mère abusive dans l'oeuvre d'Hitchcock! elle va la jauger, la juger, et la condamner presque dans un premier temps, assimilant sa conduite à une sexualité débridée, qu'elle réprouve totalement, et dont elle ne veut surtout pas pour son fils...

Mais comment parler de ce film sans parler de ces oiseaux, ces trouble-fêtes qui viennent s'installer dans ce film en Technicolor et qui vont en déranger la quiétude auto-satisfaite? Hitchcock a donc décidé de trouver une catastrophe naturelle d'un genre nouveau, un évènement qui a des arrières-plans bibliques aussi, ce qui est souvent relayé avec humour dans le film (Notamment par ce soiffard, dans un café, qui va lamper verre après verre en citant la bible et en lâchant des 'It's the end of the world!'). Il a donc lâché ses oiseaux dans l'environnement salin et vivifiant de ce petit port de pèche, image d'Epinal, et va comme il savait le faire structurer son film en fonction des attaques, graduées dans leur intensité, d'oiseaux. Mais si il va aussi les montrer comme une plaie qui s'abat sur la ville (Et si on en croit aussi la radio, qui s'étend à toutes la Californie du Nord), il concentre surtout son film sur la famille fragile qui est au centre, une façon là encore de faire relayer la confrontation entre Mitch, Melanie et Lydia par une autre confrontation, celle avec les oiseaux, dont bien sûr aussi bien Annie (Qui n'en réchappera pas) que Melanie (Qui va manquer de peu d'y passer) seront les principales victimes. Les attaques d'oiseaux deviennent ainsi des métaphores de la désapprobation de Lydia, qui n'acceptera Melanie qu'une fois que celle-ci aura versé son sang (Un symbole fort de l'hymen, donc, qui tendrait à démentir le soupçon d'une sexuélité hors-mariage...) à la fin du film. Celle-ci, aussi, va trouver en Lydia une seconde mère, elle qui à un instant montre sa principale faille, l'éloignement de sa propre mère, à Mitch, qui comprend alors que toutes les frasques de fille de riche sont là pour masquer son manque. Ces éléments sont disséminés dans le film, et permettent de saisir l'évolution des rapports entre Lydia, Annie et Melanie. celle-ci, du reste, subira la pire épreuve du film dans une chambre de la maison Brenner, qui est très probablement celle de Cathy, la soeur de Mitch une chambre de petite fille pour y verser le sang et être acceptée par un substitut de mère... ouf!

Mais il fallait aussi que les oiseaux aient une réalité physique pour Hitchcock, qui a choisi de consacrer beaucoup de temps à l'élaboration d'effets spéciaux, et d'utiliser absolument toutes les ressources des truquages photographiques alors en vigueur. Le résultat, pour lépoque comme pour maintenant, est superbe, bluffant et diablement efficace. Et le metteur en scène laisse de moins en moins le spectateur souffler au fur et à mesure de l'évolution de l'emprise des oiseaux sur Bodega Bay: il sait aussi doser avec tact les à-cotés graphiquement violents et perturbants, le plus célèbre étant bien sûr la vision par Jessica Tandy dans une scène au découpage exemplaire (forcément...) d'un fermier mort, les yeux mangés par les oiseaux. Au passage, la scène est liée à l'un des motifs les plus importants du film, et du cinéaste, le regard; tout passe par cette notion: Lydia a-t-elle vraiment envie de voir ce qu'elle va voir, lorsqu'elle entre dans une chambre, et voit d'abord une mouette morte coincée dans le trou d'une fenêtre qu'elle a probablement brisée, puis d'autres oiseaux par terre, enfin les pieds ensanglantés de l'homme dont le reste du corps est caché? Oui, elle en a envie, et nous aussi. Ce que  nous regrettons tout de suite après... pourtant cette exemplaire séquence située après une attaque, n'est que l'une des premières scènes, destinée à confirmer la présence des oiseaux sans qu'ils s'attaquent trop à notre petit cercle intime et familial...

Le manque d'explications n'est pas un défaut de la fin du film. C'est une cause célèbre, en revanche, puisque cela a été pour Hitchcock un choix fort et affirmé et pour le public un facteur de désamour du film... Pourtant le metteur en scène a tout fait pour l'installer au coeur du film: une scène qui voyait Melanie et Mitch deviser gaiement de la mouche qui piquait les oiseaux, a été enlevée; trop terne, mais aussi embarrassante? De fait, toutes les scènes qui confrontent Melanie et les habitants de Bodega Bay dans la deuxième partie du film débouchent sur l'impossibilité justement de comprendre ce qui se passe, avec en particulier la vieille ornithologue insupportable qui dit à des gens qui viennent de se faire effectivement attaquer par des oiseaux qu'ils ont rêvé puisque c'est impossible... un message subliminal peut-être, en forme d'autocritique pour Hitchcock qui regrettait sans doute d'avoir un peu gâché la belle rigueur de Psycho en laissant un psychiâtre prendre la parole et se livrer à une explication. Ici, la spécialiste finira par avouer son incapacité à expliquer quoi que ce soit, et participera elle aussi à l'inévitable lynchage symbolique: puisque les oiseaux n'attaquaient pas avant l'arrivée de Melanie, c'est donc de sa faute! Si on rapproche évidemment cette absurde (Mais si humaine...) conception superstitieuse d'un côté de la litanie des 'It's the end of the world' du poivrot, et de la désapprobation morale et puritaine ressentie par Lydia de tout ce que Melanie représente, on comprend qu'Hitchcock a su de main de maître faire en sorte que tous les motifs et thèmes explorés dans le film se rejoignent. On comprend aussi qu'il ait choisi de nous laisser à nos propres angoisses, et explications!

Reste la terreur, ou l'angoisse véhiculée par le film. Symbolisée par des scènes superbes et d'une rigieur exemplaire là encore, elles passent par le suspense (L'accumulation des oiseaux dans le dos de Melanie Daniels pendant que celle-ci attend la sortie des enfants de l'école, la façon dont les oiseaux s'attaquent de l'extérieur à une porte en bois, dont Mitch se rend vite compte qu'elle ne tiendra pas longtemps, etc...). mais surtout, on prend ici le contrepied du film précédent: le Technicolor au lieu d'un noir et blanc cauchemardesque, le grand air salin au lieu d'un motel situé en plein sud-ouest, des demeures sainement Américaines, faites de bois, au lieu d'une maison gothique... Mais dans ce film, malgré tout, on verra des enfants souffrir, des mères avoir peur pour leur progéniture (la maman qui craque, au café, devat Melanie, a justement deux enfants: un garçon, et une fille, comme Lydia!), et on verra ausi le sacrifice d'une intitutrice pour les enfants qu'elle a pour mission d'éduquer. Au meurtre fou, rapide, succède ici la mort aveugle et atroce, qui peut frapper n'importe qui et sans raison, en particulier les enfants. C'est à porter au crédit d'Hitchcock qu'il ait réussi à adresser ce thème dans ce film, sans pour autant tomber dans l'indignité, ni déclencher des tempêtes: cela sonne juste. Et le fait que le film ne s'accompagne d'aucune musique, si ce n'est les bruits angoissants des oiseaux, finit par entériner la leçon de morale cinématographique délivrée par l'un des plus grands spécialistes. Malgré tous les attraits du film, il en a fait une austère expérience à la rigueur déroutante (mais aussi mâtinée d'une grande dose d'humour très personnel, soyons juste!), mais totalement justifiée.

Pour revenir à l'absence d'explication, Hitchcock qui avait un temps envisagé d'ouvrir le film sur la fin à une plus grande exploration des effets des attaques, montrant que toute la Californie était touchée, a choisi d'en faire justement la fin du film, dans un plan magnifique, et qui a été une source de complications à n'en plus finir: voyant les Brenner et Melanie partir de Bodega Bay vers un ailleurs incertain, au milieu d'une marée d'oiseaux, tous semblant attendre tranquillement le signal de la prochaine attaque, débouche inévitablement sur une angoisse qui ne peut que se poursuivre longtemps après être sorti du film. Lâcher une explication, c'est s'exposer au danger de faire retomber le soufflé... Il a fait le bon choix, donc. Et le film, aujourd'hui comme hier, est énigmatique, monté avec génie par un cinéaste qui bat à l'époque le record du nombre de plans dans son film, et qui donne à voir dans un cadre de film fantastique une catastrophe, somme toute, plausible...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Science-fiction
17 février 2025 1 17 /02 /février /2025 22:20

C'est le seul épisode de la série Alfred Hitchcock hour, qui fait suite (on pourrait parler en quelque sorte d'un spin-off) à Alfred Hitchcock presents à avoir été réalisé par le maître lui-même... Le principe est assez similaire à la série initiale: une présentation humoristique par Hitchcock, qui revient également à la fin... La principale différence est que comme son nom l'indique, c'est une "heure" de télévision, soit 48 minutes, de quoi accommoder 12 minutes de temps de publicité...

L'intrigue est basée sur un accident: un délit de fuite, par un conducteur qui vient de heurter un homme. L'incident a été vu par de nombreux témoins... Un homme (John Forsythe) se rend à la police et annonce être le conducteur. Il dit aussi qu'il va se défendre seul lors de son procès. Mais au moment où celui-ci commence, on annonce la mort de l'homme qui a été heurté par la voiture... 

C'est donc un film de procès, qui repose sur un début intrigant, dans lequel sans nous montrer l'accident, ou alors de très loin, Hitchcock nous invite dans le film en nous montrant le moment où chaque témoin aperçoit l'accident. Il utilise des arrêts sur image, ce qui est une première dans son oeuvre (et certainement exclusif à ce film). L'essentiel du film sera justement lié au défilé des témoins, qui sont tous persuadés d'avoir 'tout vu', d'où le titre, mais le principal personnage va s'efforcer de démontrer lors de sa propre défense qu'ils n'ont en fait pas vu l'accident tel qu'il s'est déroulé...

Les témoins ici sont évidemment un panel représentatif de "braves gens", insoupçonnables de la moindre vilénie, qui accusent du haut de leur irréprochable normalité un homme d'un crime qu'ils n'ont pas forcément vraiment vu.

Et à sa façon, ce petit film particulièrement stimulant revient à ce qui reste le thème de prédilection d'Alfred Hitchcock: le faux coupable... Un exercice évidemment assez casse-cou, pour un homme qui vient de s'accuser, précisément, du crime dont il pourrait bien ne pas être le perpétrateur. Le film va donc établir le rapport entre la morale, la justice, la notion de culpabilité, et la horde des braves gens...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock TV Alfred Hitchcock presents
17 février 2025 1 17 /02 /février /2025 13:30

Pour le dernier film qu'il réalise pour la série qui porte son nom, Alfred Hitchcock se livre à un exercice de style dans un cadre qu'il affectionne: la vie quotidienne, et son cortège de ptits riens, comme un enfant qui joue dans le quartier de banlieue aisé, ou le retour au pays d'un oncle qui vient de vivre des aventures en Afrique, ou le tranquille début de soirée d'un couple ultra-conventionnel...

C'est donc dans ce cadre banlieusard, typique de l'Amérique (blanche) des trente glorieuses, que l'on rencontre Jackie, un garçonnet bien de son âge, fasciné par l'Ouest, les westerns, et... les armes à feu. Quoi de plus innocent qu'un pistolet en plastique, meme bien imité? Sauf que quand les adultes laissent trainer un vrai revolver, ainsi que les munitions, Jackie ne peut pas résister, et il prolonge son jeu en allant d'un adulte à l'autre, son "jouet" entre les mains, et il tourne le barillet de l'arme partiellement chargée, imitant le bruit de l'arme sans se rendre compte qu'il risque de tuer toutes les personnes qu'il vise... 

Nous sommes, bien sûr, les seuls au courant au début, mais très vite les adultes sauront. La scène de la révélation est une petite merveille, qui nous montre avec l'usage de gros plans (notamment des mains) un homme qui se rend compte par le poids de l'arme qu'il vient de ranger, qu'il s'agit d'une arme en plastique... Cet usage du gros plan, déjà abodamment illustrée chez Hitchcock (voir Spellbound ou Suspicion, ou tellement d'autres exemples pertinents), est utilisée par le découpage, à chaque fois que Jackie ajoute une balle, invitant le public à compter et angoisser de plus en plus, et bien sûr, pour chaque nouvelle manipulation de l'arme, pendant que Jackie, ange exterminateur potentiel et inconscient, continue son périple et son jeu.

Le film n'est pas à proprement parler un pamphlet anti-armes, comme on aurait pu l'imaginer (la même intrigue aujourd'hui irait évidemment dans cette direction... du moins je l'imagine), mais bien un exercice dans lequel Hitchcock se fait plaisir: ajouter du suspense à ces scènes de vie apparemment sans intérêt, et placer un grain de sable dans les conventions d'un quartier deséspérément normal... Ou comment rappeler que le suspense, comme le mal, se niche absolument partout.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
16 février 2025 7 16 /02 /février /2025 22:08

Le père Amion (Claude Rains) est le prêtre Cathlique d'une paroisse bien mal partie: l'église prend l'eau, et on estimme les réparations à un tel prix que le prêtre se dit qu'on risque bien de mettre la clé sous la porte. Mais à la quête, un mystérieux donateur laisse des sommes plus fortes que le commun des paroissiens... Il se fait connaître, c'est un homme qui parie sur les chevaux, et qui révèle qu'il est reconnaissant envers l'église, car il a prié pour gagner, et à chaque fois qu'il mise, il gagne gros... La tentation va bientôt gagner le pèr Amion...

Il est assez rare qu'Hitchcock se réfère aussi explicitement à sa religion... Il l'a surtout fait en mettant en scène les dilemmes moraux et "professionnels" d'un prêtre confronté aux conséquences de la confession dans I confess. Pour son avant-dernière contribution à sa série télévisée, Alfred Hitchcock presents, il s'attaque donc, l'air de ne pas y toucher, à la notion de tentation. Le brave M. Sheridan, l'homme qui vient tenter le bon prêtre, n'a rien de diabolique, loin de là.

Mais d'une part sa sympathie, sa naïveté et sa simplicité vont d'une part finir par tenter vraiment le prêtre catholique... Et un détail retient notre attention, lorsqu'un bedeau entend l'homme parler d'un cheval, il le nomme Red devil, soit Diable rouge. Mais malin, Hitchcock ne nous livrera pas le fin mot de l'affaire, se contentant... de nous tenter.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans TV Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents
16 février 2025 7 16 /02 /février /2025 21:54

Mrs Bixby est l'épouse d'un dentiste... Avant de se rendre chez sa tante qu'elle aime tant et à laquelle elle consacre deux jours par mois elle rend une petite visite à son mari, qui lui fait comprendre qu'il aimerait qu'elle reste avec lui. Mais la tante n'existe pas, c'est un amant, un riche colonel à l'ancienne... Pourtant il la quitte, en lui laissant pour tout souvenir un manteau de fourrure. Elle décide de le laisser chez un prêteur sur gages, et de monter un bobard pour que son mari puisse accepter la présence du vêtement: elle aurait trouvé le reçu, et n'aurait plus qu'à feindre la merveilleuse surprise en "trouvant" le manteau...

C'est une fois de plus, et ce sera la dernière, que le metteur en scène adapte Roald Dahl pour la série Alfred Hitchcock presents... Cette fois le ton est sardonique, rigolard... Et un rien misogyne, ce qui ne nous étonnera qu'à moitié. Je ne parle évidemment pas d'Hitchcock, ici, pais de Dahl... Par ailleturs, la série a souvent reposé sur une sorte de conflit conjugal pris pour argent comptant, et ce petit film mineur n'est pas en reste...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
6 février 2025 4 06 /02 /février /2025 21:54

Note indispensable: ce texte, qui suit la chronologie des événements en particulier pour les premières 45 minutes du film, ne cache pas grand chose des mystères que dévoile le film, et s'adresse donc à ceux qui l'ont déjà vu... 

Tourné à la fin de son parcours avec Paramount, en collaboration avec Shamley productions, le studio qui produisait à l'époque les films d'Hitchcock pour la télévision, Psycho contraste apparemment de façon spectaculaire avec les somptueux films réalisés auparavant, notamment Vertigo (1958), ou bien sur North By Northwest (1959, réalisé pour la MGM). Après un générique formellement novateur, du au talent de Saul Bass, accompagné de l'extraordinaire musique de Bernard Herrmann, le film d'Hitchcock commence par un recours inattendu à un titre: Phoenix, Arizona, suivi de la mention du temps aussi inutile qu'exact. Cela sert bien entendu à indiquer un sens factuel, qui est aussi factice, première d'un certain nombre de fausses pistes.

Mais de fait, l'ensemble de cette première partie de Psycho se déroule en effet dans cet état, et la lumière intense qui y règne y met en valeur un monde bien réaliste dans lequel évoluent des petites gens sans histoires, ou du moins sans belle histoire: Marion Crane (Janet Leigh) et Sam Loomis (John Gavin) s'aiment, et veulent vivre leur amour en toute tranquillité, mais comme lui est divorcé et pas encore suffisamment prospère pour la faire vivre tranquillement, il attend le moment propice... Dans un film antérieur, on aurait sans doute eu affaire à des gens qui se seraient occasionnellement rencontrés dans un café ou un restaurant; eux se voient dans une chambre d'hôtel, et ont consommé leur amour, comme en témoigne leur intimité dévoilée, les sous-vêtements, la nudité partielle, puis leur conversation permet d'établir leur petite vie, leurs désirs, leurs rencontres furtives, en cachette pour sauver les apparences. On est devant un film à petit budget au réalisme sordide... deuxième fausse piste. Quant au relâchement de l'habillage (Soutien-gorge, le torse nu de John Gavin) plus le lit, et la situation en elle-même, on peut dire qu'il s'agit de la première transgression du film...

Après cela, bien sur, Marion Crane va commettre une faute, en subtilisant de l'argent qui lui a été confiée à une banque ou elle travaille... En attendant, elle aura participé à une discussion avec sa collègue (Patricia Hitchcock), très bavarde, qui dit des horreurs sur le mariage (On y apprend qu'elle a pu supporter sa nuit de noces grâce à un tranquillisant que lui a donné sa mère)... le genre de comportement qui justifie sans doute l'extrême prudence avec laquelle Sam et Marion assument les relations sexuelles extra-conjugales dans leur chambre d'hôtel... 

Puis Marion prend la fuite, de façon manifestement irrépressible, et elle est parfaitement consciente de la stupidité de son geste, à plus forte raison après avoir été aperçue par son patron, auquel elle avait pourtant dit qu'elle retournait se coucher pour se soigner... Elle veut néanmoins rejoindre Sam, son amant, qui vit à Fairvale, Californie. Hitchcock, tout en continuant son film dans la même veine transgressive, se permet bien sur une touche de symbolisme remarquée par beaucoup: la Marion voleuse contraste avec la Marion amante, par la couleur de ses sous-vêtements; ici, un ensemble noir, là ou les dessous étaient blancs. Elle gardera cette couleur jusqu'à un certain point, mais plus tard. En attendant, chez Hitchcock ou rien n'est gratuit, on a vite fait d'identifier la marque d'une faute.

Cette impression est accentuée par la cavale de la jeune femme, ponctuée de rencontres avec un policier qui fait très peur (On retrouve la vieille phobie Hitchcockienne de la police). On pourra sourire de son comportement erratique, en particulier chez le concessionnaire, ou elle vient en hâte changer de voiture. Sans doute pour détourner les soupçons ou brouiller les pistes, mais elle ne fait qu'empirer les choses... Quoi qu'il en soit, c'est bien sûr de son point de vue que nous assistons à l'ensemble de la cavale, et bien sûr elle se rend bien compte qu'elle n'est pas douée. Dans cette partie du film, toujours baignée par le soleil impertinent de l'Ouest américain, on est encore en plein réalisme, en pleine Amérique profonde. Ca ne va pas durer, puisque durant sa fuite, Marion se retrouve en pleine averse, et va passer littéralement de l'autre côté du miroir: perdue, elle avise une lumière au bout du tunnel de pluie: le motel Bates. Normalement elle n'aurait jamais du y atterrir...

Une fois passée de l'autre coté donc, Marion Crane va rencontrer son destin en la personne de Norman Bates (Anthony Perkins), qui tient un motel. Un garçon un peu timide avec lequel elle sympathise, et de toute évidence leur rencontre est celle de deux solitudes. Le temps, sans s'arrêter, change d'option ici, et Hitchcock ne se permet plus d'ellipse. C'est presqu'une deuxième transgression: il nous a mené par le bout du nez, a installé cette situation d'extrême urgence pour Marion, et maintenant il lui impose, ainsi qu'au spectateur, une halte. Comme chacun sait, il va ensuite être question de taxidermie, le hobby étrange d'un jeune homme désoeuvré dont la mère franchement abusive se manifeste de temps à autre, imposant au jeune homme de passer du temps dans le motel situé à coté de l'imposante et sinistre baraque ou elle règne en maitresse despotique. Il va aussi être question d'échange, entre ces deux personnes qui sont disposées à profiter de la présence de l'autre-jusqu'à un certain point. On sait que Norman, qui espionne Marion se déshabillant par un trou dans le mur de son bureau, la désire effectivement, mais Marion? Elle est un peu décontenancée par le jeune homme, mais à un moment, elle l'invite à partager son repas dans sa propre chambre du motel; c'est Norman qui décline, préférant l'informalité de son salon à coté du bureau du motel. C'est à ce moment, durant la conversation que se situe la première allusion aux oiseaux, qui décorent la pièce: en gravure dans des cadres, et bien sur empaillés, le plus spectaculaire étant une chouette dont les ailes déployées semblent menacer les deux jeunes gens... On retrouvera cette image d'oiseaux, empaillés, dans de nombreuses scènes, et une autre chouette empaillée se trouve d'ailleurs à l'entrée de la chambre de Mrs Bates. Très vite, la conversation dévie pourtant de la taxidermie, pour se concentrer justement sur la mère de Norman.

Puis le film passe par l'extraordinaire scène dite de la douche, sur laquelle je ne m'étendrai pas, pour un certain nombre de raisons: d'une part, elle est suffisamment connue, ensuite elle est un objet cinématographique pur, à voir et entendre. Notons que le story-board en a été dessiné par Bass, qui a défini de lui-même la scène telle qu'elle a ensuite été tournée. Donc Marion Crane prend une douche, et... disparaît du film. Trois transgressions pour le prix d'une: faire disparaître la star, il fallait l'oser; mais en prime tourner sans aucune ellipse une scène de meurtre à coups de couteaux, aussi explicite que possible, enfin sur le corps nu d'une jeune femme (Et cela, sans équivoque, et sans pour autant montrer les "naughty bits", du moins pas officiellement). C'est l'un des aspects, si je puis me permettre cette digression, sur lequel Spielberg est l'héritier de Hitchcock: il s'agit souvent chez lui de montrer l'immontrable, le jamais vu avant, ce qu'on n'ose même pas imaginer. C'est aussi l'un des apports essentiels de Psycho. La scène de la douche est purement et simplement une scène jamais vue ni imaginée auparavant.

L'espace d'un instant, le spectateur, une fois la star du film partie, se retrouve de façon inattendue dans les bras peu assurés d'Anthony Perkins, qui a pour mission de faire disparaître les traces d'un crime, là encore en temps réel. Hitchcock, qui démontra plus d'une fois que tuer n'est ni facile ni une partie de plaisir, se concentre ici sur les conséquences physiques et immédiates d'un meurtre, et la logistique de celui qui doit camoufler la présence du crime. Un soupçon de suspense nous implique même à ses côtés, lors de la lente descente d'une voiture au fond d'une mare: elle cesse sa descente, laissant le jeune homme dans l'angoisse... Angoisse que nous partageons bien sur. 

On se trouve ensuite dans une autre histoire, liée à cette longue exposition: Sam et Lila, la soeur de marion, joignent leurs efforts pour retrouver la disparue. Lila est interprétée par Vera Miles, qui obtient enfin un rôle de premier plan chez Hitchcock qui voulait tant retravailler avec elle (La première fois, c'était dans l'autre film tardif noir et blanc, le quasi-documentaire The wrong man). Une nouvelle forme de transgression apparaît dans l'énoncé fréquent et assez brutal de la faute commise par Marion, révélée à Sam, reprise par le détective qui suit Lila, puis dite à un shérif local qui pourrait les aider; ce rappel constant d'un péché commis par l'ex-héroïne contraste avec les habituels arrangements de la vérité si courants d'un cinéma américain qui tend à arrondir les angles. Autre transgression essentielle, celle qui conduit le détective, un super-crack joué par Martin Balsam, sur la piste de Marion jusque dans le motel Bates... Il s'approche de la vérité, tant et si bien... qu'il va y souffrir d'une mort montrée dans une nouvelle scène à la violence qui varie énormément sur la précédente, mais qui en possède des réminiscences (A commencer par l'extraordinaire musique de Bernard Herrmann). On peut d'ailleurs considérer l'intervention de Richard Farnsworth dans Misery de Rob Reiner comme un remake de cette scène, ou en tout cas un hommage frappant... L'enquête personnelle menée par Lila et Sam les conduira aussi au Motel Bates pour une confrontation avec l'horreur. C'est là qu'on apprendra toute la vérité, au terme d'un film fabuleux, complexe, et on l'a vu, hautement transgressif.

Psycho n'est pourtant en rien inattendu dans l'oeuvre d'Hitchcock: il annonce la couleur, si j'ose dire, dès l'utilisation du noir et blanc, inspiré de son travail à la télévision (dont il reprend les méthodes de tournage afin de travailler dans l'urgence); il y reprend aussi une thématique qui a déjà été exploitée dans de nombreux films; pour s'en tenir aux films les plus proches chronologiquement, on constate que le mariage, le mot de la fin de North by northwest, est ici omniprésent, depuis le fantasme de Marion et Sam au début, jusqu'à ce mensonge imaginé par Lila pour enquêter chez Norman, sous le couvert d'être un couple en pleine lune de miel qui cherche à s'installer dans un motel. Au passage, le mariage passe aussi par les à-cotés: discussion de Patricia Hitchcock, la réflexion de la femme du Shérif de Fairvale en entendant parler de "Mrs bates": "Ah, Norman s'est marié, quelle bonne nouvelle!"... Le mariage donc comme seule issue possible aux amoureux, mais aussi le mariage au fin fond d'un lourd secret: l'amant de Mrs Bates aurait été assassiné parce que la maman de Norman aurait appris qu'il était marié, avec deux enfants. Par ailleurs, la sexualité dans toute sa complexité telle qu'elle s'étale ici baignait tous les films d'Hitchcock depuis les années 20. Et Vertigo était déjà une histoire en trompe-l'oeil, un conte policier qui dégénérait en histoire de fantôme puis en histoire d'amour fou... Ici, il y a à nouveau un mélange réussi des genres... Qui tombe certes un peu en compote lors de l'explication obligatoire d'un psychiatre qui gâche 5 minutes de film vers la fin; Hitchcock se passera avec raison d'explication dans le film suivant... qui sera un échec cuisant partiellement en raison de l'incompréhension du public. Mais The Birds reprendra à son compte la thématique de la mère qui prend trop de place, Hitchcock confiant à Jessica Tandy un rôle toutefois bien éloigné de Mrs Bates... Psycho prolonge et relaie donc les thèmes de l'oeuvre, sans s'en éloigner autant qu'on l'aurait cru.

Ce sommet brutal de l'oeuvre d'Alfred Hitchcock, me semble résumer à lui seul à la fois les aspects les profonds de la réflexion sur le crime, le péché, le sexe, l'amour et la culpabilité du cinéaste, tout comme les côtés les plus jouissivement futiles de son cinéma. C'est cette dernière piste qu'il a choisi d'explorer pour faire la promotion de son film, en 1960, en s'inspirant de Clouzot et de ses Diaboliques. Il est vrai qu'il est courant, en 1960, de s'installer au milieu d'un film dans une salle obscure, et d'en rattraper le début ensuite. Mais Hitchcock a revendiqué sa création, en réussissant à imposer des heures d'ouvertures et de fermeture des salles, une façon d'affirmer la toute-puissance de l'acte de création qu'est le cinéma. Pour finir, il y aura toujours des esprits chagrins pour venir faire la fine bouche sous prétexte de l'age du film, ou de sa relative sagesse face aux bains de sang contemporains, devant ce qui est une des plus belles preuves du génie d'Hitchcock; Il serait absurde de vouloir comparer Psycho à Saw, ou tout autre film... Ce film qui parle avec génie de crime au quotidien, autant d'en commettre que d'en subir, et de se faire, ne serait-ce que l'espace d'un instant, le complice d'un acte délictueux, qui suit avec minutie la cavale absurde d'une personne comme vous et moi qui a volé sans jamais en avoir eu la vocation, juste l'impulsion, et en détaille les conséquences cosmiques dans toute leur brutalité et leur horreur, n'a jamais été égalé, et ne le sera probablement jamais. Je n'écris le "probablement" que par politesse. 

PS: Fairvale, l'Eden recherché par Marion Crane soudain entaché d'horreur et de sang, n'existe pas. Phoenix, si, bien sûr.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
4 février 2025 2 04 /02 /février /2025 22:25

Ce n'est pas pour la série Alfred Hitchcock presents que ce film de 48 minutes a été tourné, mais pour la série d'anthologie Startime. Il n'y était pas associé, mais on lui a confié un épisode, et il est probable qu'il a été attiré par l'idée de réaliser un moyen métrage assez imposant, en couleurs, dans es conditions assez proches de celles dont il disposait pour sa propre série. Le film est passionnant, tout en offrant une vue de la vie quotidienne, dans laquelle cette fois on ne trouvera ni mort violente, ni espionnage... Mais bien un thème si éminemment Hitchcockien, celui de la culpabilité sous l'angle du soupçon.

Un incident se déroule, sous nos yeux,  nous le verrons de trois angles différents: un vieil homme, qui règle la circulation à proximité d'une école, a un accrochage avec une mère de famille, qui se trouve être l'épouse d'une huile locale. Des témoins sont présents, un professeur d'une part et un couple qui vient de s'installer en face, dont la femme connait le vieil homme: il sait des choses sur elle qui pourraient lui valoir des ennuis, estime-t-elle... Quelques jours plus tard on signifie au vieil homme qu'il est licencié, car une lettre anonyme le dénonce comme un "vieux vicieux"... Désireux de ne pas le laisser se voir accusé à tort, les membres de sa famille mènent l'enquête...

Le film est une simple promenade, relativement légère, au pays du soupçon, du qu'en dira-t-on, et de la suspicion de classe, ordinaire autant que crasseuse. La famille du vieil homme a un débat, dans lequel s'expose toute la complexité de l'affaire: faut-il laisser dire, et passer à autre chose, ou se battre pour la reputation? En d'autres termes, une accusation dont on sait qu'elle est fausse, a-t-elle besoin d'être ignorée ou combattue? Et quel rôle la société peut-elle jouer face à un crime supposé, ou imaginé? 

En nous associant de fait au destin du vieil homme, le metteur en scène nous rappelle ses sympathies pour le peuple, qui étaient déjà si présentes dans ses oeuvres Anglaises, et qui n se sont jamais démenties. On les a d'ailleurs retrouvées, au fil de certains films, au détour de Shadow of a doubt, ou même The wrong man. Et le dispositif scénaristique qui consiste à utiliser la poudre aux yeux de trois angles d'approche pour une seule scène, est intéressant. Moins toutefois que la façon dont Hitchcock a filmé la quasi-plaidoirie de george peppard devant sa famille, d'un autre angle encore plus inattendu: depuis le plafond du studio! ...Un film qui prend donc de la hauteur!

A noter, si George Peppard ne tournera pas d'autre film pour Hitchcock, en revanche Vera Miles en est à sa troisième collaboration avec lui. Et la quatrième serait sa plus spectaculaire... Ce qui ne va pas tarder.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock TV
4 février 2025 2 04 /02 /février /2025 22:13

Un Britannique, Cavendish (James Donald), raconte: son arrivée, il y a longtemps, dans un hôtel dans les Alpes Suisses, et sa rencontre avec une jeune femme... Mariée de fraîche date, Mme Stella Ballister (patricia Owens) y apprenait pourtant la mort de son époux, décédé à cause de son impatience de se mesurer à la montagne. Très vite, Cavendish et Stella sont amenés à se revoir, lui lui faisant la cour, et elle s'accrochant à une  idée et une seule: dans quarante ans, le glacier lui rendra le cadavre de son mari...

On cherche évidemment à cerner l'angle romantique dans ce film court de la série Alfred Hictchcock presents. Non que l'oeuvre du maître manque de romantisme, force est de constater toutefois qu'il est généralement teinté de la plus élémentaire noirceur... A plus forte raison dans la série télévisée, dans laquelle rien que de mémoire, on ya assisté à la cavale d'au moins deux maris qui s'étaient débarrassés de leur épouse en étant, disons, créatifs autant qu'impulsifs!

Ce ne sera donc pas une surprise si on constate que derrière l'impeccable attitude si Britannique, le flegme imperturbable de ces protagonistes, se cache une histoire à la méchanceté particulièrement acérée, et un certain sadisme pointu, pour ces gens qui se condamnent à se refuser de laisser libre cours à leur rapprochement (car Stella, entre deux accès de son obsession morbide, le dit sans ambages à Cavendish: en d'autres circonstances, elle aurait cédé à ses avances...

Et au final, tout ça pour... ?

Un film de haute volée, à la méchanceté militante, qui montre le poison des conventions, l'absurdité du romantisme, et la façon dont l'obsession moureuse débouche sur du vide,le tout enveloppé dans une idée poétique que n'auraient sans doute pas reniée un ou deux surréalistes, ce besoin absurde pour Stella de revoir son mari une dernière fois... Y compris quarante ans après sa mort.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 18:55

Nous faisons la connaissance d'Arthur (laurence Harvey), le narrateur, qui a une exploitation d'élevage de volailles, ultra-moderne en apparence, mais il nous explique aussi sans scrupule ni vergogne qu'il est un tueur...

Et il nous raconte également sa vie amoureuse: lorsque sa fiancée Helen (hazel Court) l'a laissé tomber, il a vraiment apprécié le changement. En revanche quand elle a changé d'avis, il ne l'a pas supportée longtemps...

La disparition de la jeune femme a mis la puce à l'oreille de son ami John (Patrick McNee), qui a alerté la police. Mais Arthur n'a eu aucun problème à se débarrasser du corps...

Un narrateur qui s'adresse directement à nous, de l'humour noir basé sur une intrigue meurtrière, un ton désespérément Britannique... Le film ressemble bien moins à l'oeuvre d'Hictchcock qu'à, disons, Kind hearts and coronets de Robert Hamer! On appréciera le changement, mais ce court film de la série Alfred Hitchcock presents, s'il permet de rappeler l'humour de l'auteur de The trouble with Harry, reste quand même un cas très isolé.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV