Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

27 janvier 2025 1 27 /01 /janvier /2025 16:23

Shakespeare, dans Hamlet (Acte II, sc. II)  nous gratifie d'une allusion à Hitchcock: Hamlet définit sa folie par la désorientation géographique, I am but mad north-northwest. Le barde avait nécessairement vu le film, ou alors cette introduction absurde n'est ici que pour souligner à quel point il est vain de vouloir à tout prix renvoyer à Shakespeare lorsqu'on a Hitchcock entre les mains. Et si effectivement le titre etait une allusion consciente à Hamlet, quelle importance, réellement? North by northwest est sans doute, pour reprendre la formule chère à Hitchcock, d'abord et avant tout une "tranche de gateau", un film, à consommer avec plaisir. Et peut-être un peu plus, aussi.... Un opéra de celluloid dans sa forme la plus parfaite, la plus classique.

The 39 steps (1935), bilan de la période Anglaise, se présentait comme un fascinant catalogue de tout ce qu'Hitchcock savait faire et souhaitait faire, un film en liberté totale dans lequel on avait le sentiment d'un accomplissment parfait: rien, absolument rien ne manquait, tout était en place, et l'excitation de voir le film est encore palpable aujourd'hui. C'est à peu près à ce type de sentiment que renvoie cette oeuvre de 1959, sorte de bilan de la période Américaine, mené tambour battant, et dont on se dit après tout qu'il ne peut rien y manquer, aucune scène coupée n'attend d'être redécouverte, bref, il est tel qu'il doit être, sorte de mètre-étalon par lequel repenser toute la gamme des films d'espionnage et d'aventures... et à la base de ce film parfaitement Hitchcockien à 100 %, il y a... le scénariste Ernest Lehmann. Celui-ci a de son propre aveu livré clés en mains à Hitch un film parfaitement Hitchcockien, dans lequel il a su insuffler le souffle nécessaire, un personnage à la Cary Grant, des allusions humoristiques à la mère abusive, des lieux emblématiques, une blonde fatale, une histoire d'amour qui se met à prendre le pas sur l'aventure, un faux coupable, une solide dose d 'absurdité, un méchant suave, façon James Mason, et des enchainements anthologiques d'évènements qui ne perdent jamais le spectateur en route, tout en rendant la navigation aussi fluide que possible... On le voit venir, ce brave Lehmann; de là à s'attribuer tout le mérite, il n'y a qu'un pas que peu de scénaristes hésitent à franchir, enflammés par le regard trop partial de la critique à l'égard du réalisateur, sorte de symbole de la politique des auteurs (Voir à ce sujet les remarques hallucinantes d'un Nunnally Johnson s'atribuant tous les mérites de quelques films de John Ford, et considérant l'apport de Ford lui-même comme nul: il n'avait, après tout, que choisi et dirigé les acteurs, défini et orchestré le cadre, imposé le rythme, supervisé le montage et d'autres babioles)... Avec Hitchcock, quand bien même ce brave Ernest aurait effectivement été l'auteur des péripéties dans leur intégralité, on aurait quand même une leçon de mise en scène dans chaque plan, d'une part; et d'autre part, le grand Hitch était célèbre pour sa propension à s'accaparer le matériel, et l'infléchir dans la seule direction possible, celle dictée par la mise en scène. Inutile d'attribuer à quelqu'un d'autre la présence dans ce film d'une hallucinante scène de suspense en plein jour dans un champ, à la fois contrepied du cliché du film noir et mise en abyme exceptionnelle d'une matérialisation du vide, ou d'une allusion salace en bouquet final, ou de scènes de cinéma muet visant à nous montrer en silence, paradoxalement, des personnages qui téléphonent. C'est du Hitchock pur...

Hitchockienne également, cette notion de parcours qui est imposée au personnage principal, de New York, et le Plaza Hotel, à Rapid City, à coté du Mont Rushmore, en passant par Glen Cove, Long Island ou les Nations Unies, voire Grand central Station à New York, Chicago, sans oublier le train Twentieth Century Limited, cher à Hawks, ou une portion importante du film se déroule, devenant ainsi un lieu, plus qu'un moyen de locomotion. Cette géographie s'accompagne bien sur d'une grande lisibilité, chaque lieu faisant l'objet d'une exposition et d'une mention explicite dans les dialogues... Impossible de se perdre en apparence dans ce film dont la perfection narrative est légendaire. Cette perfection est pourtant batie, a priori, sur du vide... en effet, comme il se définit lui-même, le héros Roger Thornhill n'est 'rien': lorsqu'il offre du feu à Eva Marie Saint, cary grant lui explique que le O de son nom, dont les initiales (R. O. T.) figurent sur l'étui d'allumettes qu'il lui a tendu, renvoie à rien, O is for nothing. Ce n'est pourtant pas tout à fait rien puisque la vision de cet acronyme incongru renvoie lors de la fin du film à un signe, la jeune femme découvrant ce même symbole comme une preuve, en plein danger, que Roger est présent, prèt à la sauver du destin qui la menace. Néanmoins le début du film, avec ce Roger Thornhill, publicitaire, est un menteur professionnel, quelqu'un qui a bati son aisance financière sur du vide. Et bien sûr, quand on le prend pour un agent secret (Ce qui est très clair et très Hitchcockein dans le film, grâce encore une fois à la lisibilité et aux enchainements des évènements), Thornhill ne sait pas que cet agent secret est encore plus vide que lui, puisqu'il n'existe pas... Donc, du vide, partout, y compris dans les convictions des méchants, dont l'appat du gain reste la principale motivation pour trahir. Mais de toutes façons, dans ce film, tout le monde ment, personne ne semble croire en rien; comme lorsque quelqu'un dit la vérité, il est ausstôt pris pour un menteur: Martin Landau, en suave secrétaire, dit à Thornhill qu'il est inutile de tenter de prouver son indentité, les papiers ne pouvant qu'être faux, ou encore Van Damm, joué par James Mason, parle des dénégations de Thornhill comme d'une performance... ce thème du jeu, de la mise en scène, est aussi cher à Hitchock. On le retrouve tout au long du film, avec ses manipulateurs, ses objets en trompe-l'oeil, et ses péripéties: le personnage de Kaplan est peut-être inventé, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une existence suffisamment tangible, grâce à quelques trucs de mise en scène de la part de la CIA. la fausse mort de Thornhill est dûment mise en scène elle aussi lorsque c'est nécessaire, et Thornhill joue l'imbécile  afin de se tirer d'une situation embarrassante. 

Et puis, il y a Eve. C'est bien sûr son vrai nom, et derrière ce prénom symbolique se cache d'une certaine manière LA femme. Mais bien sur, l'alliage entre Eva Marie-Saint et Cary Grant nous vaut un feu d'artifice, Hitchcock ayant particulièrement apprécié de pouvoir se lancer dans ce qui est apparemment une digression une fois son personnage dans le train, mais qui est beaucoup plus une affirmation de son intérêt pour la rencontre érotique entre un homme et une femme; "Boy meets girl", donc, comme par inadvertance dans un premier temps lorsqu'ils se croisent dans un couloir du train. Puis elle l'invite à sa table, et lui fait du rentre-dedans d'une façon très directe, avant de l'inviter sans aucun scrupule dans son compartiment, où la conversation prend dans la mesure du possible (la censure de 1959 étant quand même un brin tatillonne) un tournant apparemment plus intime. Eva Marie-Saint n'est pas aussi célébrée que peuvent l'être Ingrid Bergman et Grace Kelly, mais elle est fantastique.

Il est intéressant de constater que ce film qui professe donc le trou noir politique (Van Damm, de son coté, ne trahit l'Ouest que par appat du gain, et lorsqu'on lui demande ce que fait son ennemi, l'énigmatique "professeur" de la CIA joué par Leo G. Carroll suppose qu'il "vend des secrets gouvernementaux, peut-être") et l'absence d'engagement (Thornhill, exaspéré d'être pris pour un agent secret, propose à la CIA d'apprendre à "perdre quelques guerres froides"...) a débouché dans le cinéma d'aventures sur un héritage fortement paradoxal, puisque il ne faut pas chercher très loin la filiation entre ce film et la série des James Bond, dont le héros s'efforcera toujours d'être du bon coté, même s'il est évident que la encore les véritables motivations des protagonistes pèsent bien peu face au plaisir du spectateur, qui lui n'a pas besoin d'une cohérence politique. Mais aucun film de ce genre n'est jamais parvenu à la cheville de ce North by northwest dont la gestion miraculeuse du suspense, l'humour parfaitement dosé, et la thématique Hitchcockienne habituelle (fausse culpabilité en tête) se conjuguent avec le plaisir d'une interprétation absolument parfaite. A voir, revoir et voir encore.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Cary Grant
27 janvier 2025 1 27 /01 /janvier /2025 15:28

Hitchcock a généralement eu tendance, dans sa carrière, à se garder d'aller vers le fantastique: la seule vraie exception, bien sûr, est The Birds, dans lequel il imagine une invasion inquiétante d'oiseaux, un phénomène parfaitement incongru et qui restera sans explication. Sinon, l'ambiance de certains de ses films, à commencer évidemment par Psycho, a souvent emprunté au genre fantastique, mais en se gardant toujours de céder à la tentation. Comme le faisait remarquer le metteur en scène, le fantastique aurait probablement forcé les films à fournir des explications pour les phénomènes, ou des développements qui en auraient diminué la portée... 

Avec Alfred Hitchcock presents, en revanche, c'est bien différent: le metteur en scène sest gentiment laissé aller, ça et là, de façon très sporadique, à des écarts. Le cas le plus célèbre est The case of Mr Pelham, un court métrage à l'ironie toute Kafkaïenne... Ce film est le seul de son auteur à jouer sur un registre inattendu pour lui: l'histoire de fantômes... La seule fois où Hitchcock avait tourné autour de ce type de manifestation était pour une vision de folie alcoolique dans The Pleasure Garden, en 1925!

A Londres au début du XXe siècle, un ancien policier (John Williams) invite un certain nombre de convives à un diner très particulier... Il s'agir pour lui de résoudre une affaire non élucidée, pour laquelle il a eu une idée inattendue: confondre le suspect en faisant intervenir, avec la complicité des autres invités, le faux fantôme de la victime...

Bien sûr que le film joue sur une situation hautement improbable, mais le contraste si délicieusement Britannique entre les apparitions (superbement orchestrées) du fantôme, et la mondanité tranquille et apaisée du dîner, durant lequel tous les convives à l'exception du coupable jouent l'ignorance, est particulièrement efficace... On ne s'étonnera pas dans ces conditions que le meurtrier ne finisse par se trahir. 

Ne parlons donc pas, si vous le voulez bien, de la fin.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
27 janvier 2025 1 27 /01 /janvier /2025 15:08

En Malaisie, un soir, un officier colonial (James Donald) est coincé dans un lit: il a vu un aspic entrer sous le drap, et s'installer bien au chaud sur son corps. Quand un de ses collègues (Wendell Corey) arrive, il pourrait lui fournir de l'aide, mais il préfère en profiter pour torturer l'autre homme, qu'il ne croit pas: il sait qu'il est alcoolique...

C'est un monument de sadisme, qu'Hitchcock a adapté de Roald Dahl (une nouvelle qui a aussi été adaptée récemment par Wes Anderson, mais de façon sans doute plus fidèle: car dans la nouvelle de Dahl, il n'y a pas de serpent... Juste un homme effrayé, et de la confusion... ). Le film est un court programme de 25 minutes pour la série Alfred Hitchcock presents.

Ce choix des scénaristes ne change rien à l'affaire finalement, car en se reposant sur la dynamique mise au point par Roald Dahl, il permet quand même à la domination sadique d'un homme sur un autre, de s'effectuer, tout en créant un suspense particulièrement fort... On ne peut que croire Harry quand il annonce qu'il y a un serpent sur lui, et de cette confiance dans le personnage, le suspense nait, et se complique de la frustration intense créée par le comportement de l'autre homme. Du grand art...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
26 janvier 2025 7 26 /01 /janvier /2025 15:55

Un passager Américain (Keenan Wynn)  d'une croisière est un joueur invétéré, et il se laisse aller à jouer tout le budget de ses vacances sur un pari organisé sous forme d'une vente aux enchères: il s'agit pour les joueurs de déterminer la moyenne de la vitesse du bateau... Tablant sur une tempête violente, il a anticipé que le capitaine serait prudent, mais le lendemain le temps est au beau fixe et le paquebot file à une bonne allure... Il a une idée saugrenue: se jeter à l'eau, sous l'oeil d'une femme (Doreen Lang) qu'il a rencontrée sur le bateau: il faut qu'il y ait un témoin...

C'est à nouveau, après Lamb to the slaughter, une adaptation par Hitchcok d'une nouvelle d'humour macabre de Roald Dahl... Et c'est typique de l'oeuvre de l'auteur Gallois, qui y oppose d'une part la vulgarité de Keenan Wynn, et le snobisme des gens riches qui l'entourent; mais il oppose aussi la classe britannique et le comportement du "héros" Américain. A ce titre, Keenan Wynn y compose un personnage particulièrement désagréable, mais la façon dont une des voyageuses le considère (c'est Fay Wray) est à double tranchant: elle est aussi hautaine, finalement, qu'il est grossier...

C'est un petit film délicieusement ironique, qui repose moins sur le suspense que sur sa chute... Dans tous les sens du terme. Et à propos de sens, le titre est un jeu de mots entre Pool, au sens de piscine, ou d'étendue d'eau d'une part, et du fait qu'un pari collectif est généralement appelé en Anglais un pool.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
22 janvier 2025 3 22 /01 /janvier /2025 17:36

Vertigo, c'est l'un des films les plus importants d'Hitchcock, l'un des plus aboutis; c'est aussi un monument incontournable du cinéma Américain, une valse triste de mort, d'amour et d'obsession sexuelle...

Il y a semble-t-il un petit nombre de fans du maître qui confessent une certaine gêne avec ce film, en raison de sa lenteur: de fait, Hitchcock adopte un rythme particulièrement lent, en particulier dans la première partie de l'intrigue. Il s'agit pour lui de suivre le point de vue de John Scotty Ferguson (James Stewart), le détective en retraite qui a été obligé d'abandonner son métier en raison d'un accident survenu à cause de son vertige, qui a couté la vie à un officier de police. Dans ce rôle qui le voit assumer avec panache son âge, pas question pour Stewart de jouer au héros d'action, et de la sorte, "Scotty" devient un nouveau héros Hitchcockien, un de ces Mesieurs Tout-le-monde qui hantent son cinéma dans les années 50 et 60.

En faisant son enquête sur le personnage d'une jeune femme (Kim Novak) hantée par l'étrange présence d'une morte, Scotty doit prendre le temps de se confronter à l'étrange parcours qu'on lui soumet, et le spectateur avec; et puis il faut à tout ce petit monde rentrer dans le ton de cette poursuite avec la mort... Et le spectacle en vaut la peine, comme lors de cette vision presque sortie d'un Norman Rockwell, d'une femme en gris, au milieu d'un parterre de couleurs, chez un fleuriste, ou ce magnifique plan de Madeleine, qui sort d'une voiture sous le Golden Gate, et se place un instant au bord de l'eau, avec un voile qui peine à rester en place... avant de se jeter à l'eau.

Il y a deux énigmes au coeur de l'intrigue de ce film, du moins la première fois. Aucune, finalement, n'a d'importance: oui, on apprend très vite que cette histoire de hantise n'est qu'une supercherie, destinée in fine à se débarrasser en toute impunité de quelqu'un. La victime collatérale sera Scotty, qui se verra proposer toutefois une seconde énigme: il verra, après avoir assisté à la mort de la femme dont il est tombé amoureux, la même jeune femme dans la rue, avec quelques menues différences (Couleur de cheveux, maquillage, etc...). L'énigme qu'il s'impose est la suivante: à partir de cette ébauche prometteuse, peut-il totalement reconstituer Madeleine? Elle n'est proposée qu'à lui, puisque le pot-aux-roses est également expliqué aux spectateurs en même temps que le fin mot de la première partie... le film se transforme ainsi en un spectacle rare: le spectateur du film voit un homme s'embarquer dans une quête obsessive et profondément égoïste, qui consiste à recréer une femme aimée et morte, au détriment d'une femme vivante et aimante. Et bien sûr, elles sont une et une seule... Dès la deuxième vision, toutefois, ces énigmes laissent la place à une série de constructions, à des échafaudages qui certes tiennent du roman-feuilleton, mais mettent en valeur des pans habituellement laissés de côté par le cinéma Américain, entre sacrifice odieux, folie morbide et amour égoïste...

Le vertige de Scotty, son statut de vieux célibataire, son passé à peine évoqué avec son amie Midge, et un certain nombre de symboles concourent par ailleurs à faire du film une parabole de l'impuissance sexuelle. Ca culmine évidemment lors d'une scène célèbre, durant laquelle les héros doivent monter une tour. Scotty abandonnera avant la fin, et cela résultera en une mort soudaine... Le symbole sexuel se double pour une bonne part du film d'un jeu sur la mort, avec une forte utilisation, concernant Madeleine, de codes de couleurs: elle porte du blanc, du gris... Et occasionnellement, du vert. Ce vert se voit en particulier pour faire un lien avec Judy Barton, le sosie, qui porte une robe d'un vert voyant, mais après tout, la voiture de Madeleine était déjà vert bouteille. cette même couleur verte, provenant des néons d'une enseigne d'hôtel, projette sur Scotty inquiet de la réussite de la transformation de Judy en Madeleine, un teint qui le montre plus inquiétant qu'autre chose, et lors de la scène de la transformation ultime, un halo verdâtre transforme Madeleine en fantôme...

Pour faire passer tout ce sous-texte scabreux ou morbide, Hitchcock se sert d'un organe qui est cité dès le générique, à savoir l'oeil. Il donne à voir au spectateur un homme qui subit une mise en scène permanente, un tissu de bobards d'abord destiné à l'appâter afin qu'il accepte le travail qui lui est proposé et qu'il participe involontairement au plan démoniaque de celui qui l'a engagé; ensuite, une première vision de "Madeleine" entrevue dans un restaurant, habillée d'une robe flamboyante, éclairée comme à la parade: une apparition de star, en fait. Puis l'intrigue qui lui est montrée s'épaissit, mais de nombreux détails confinent à la mise en scène cinématographique, et à l'acte de raconter des films: lorsque Scotty et Midge se rendent dans une librairie pour y glaner des détails sur un à-côté de l'affaire, la lumière de la boutique baisse jusqu'à la fin de l'histoire qui leur est contée. Quand ils quittent les lieux, la lumière revient soudainement, comme quand une séance de cinéma se termine...

La magnifique musique de Bernard Herrmann, la photographie constamment inventive, se conjuguent avec l'utilisation fabuleuse des extérieurs: Hitchcock, qui détestait tant tourner en extérieurs, a magnifiquement su montrer la ville de San Francisco, mais aussi d'autres paysages de la Californie du nord. Comme d'habitude, il combine la réalité d'un lieu, et les raccourcis locaux (Goden Gate, missions Espagnoles), au profit d'une intrigue assez folle: une histoire d'amour, d'amour fou bien sûr, mais qui aboutit à la mort, avant de tourner à la folie maniaque. Un joyau noir, donc, d'un des cinéastes les plus doués de tous les temps.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
22 janvier 2025 3 22 /01 /janvier /2025 17:22

C'est le premier film qui propose l'une des adaptations de quatre nouvelles criminelles ou fantastiques, réalisées par Hitchcock pour sa série Alfred Hitchcock Presents, entre 1958 et 1962. Deux autres nouvelles de l'écrivain Gallois seront également adaptées pour la série mais réalisées par d'autres. D'emblée, on est surpris de l'adéquation entre les deux univers... Dahl aimait à s'amuser du crime, Hitchcock le moraliste prenait parfois le parti d'en rire. Mais ici l'humour est noir, très noir, et bien inattendu...

Un policier rentre chez lui, sa femme (Barbara Bel Geddes) est enceinte et elle lui montre une immense douceur, lui promettant monts et merveilles afin qu'il se sente aussi bien que possible. Mais il est froid, distant et finit par lui annoncer son départ: il la quitte pour une autre. Elle refuse et le tue avec un gigot d'agneau qu'elle vient juste de retirer du congélateur. Puis elle met la viande à cuire, et arrange l'endroit: elle part faire des courses et en revenant fait tomber son sac de victuailles afin qu'on croie à sa surprise. Puis elle téléphone à la police...

C'est d'une telle simplicité, qu'il fallait y penser. En choisissant de devenir une criminelle aussi froide que possible (et après tout elle y a été provoquée), Mrs Maloney fait les choses tellement bien qu'on en oublierait facilement que son geste foi, froid, assumé, est à la base un crime du type passionnel. Le film entre d'ailleurs dans une autre dimension quand, une fois la police prévenue, l'intrigue pousse le spectateur à avoir peur pour Mary Maloney que les limiers qui mènent l'enquête ne trouvent la solution avant que le gigot ne soit prêt...

Une fois de plus nous sommes amenés à prendre parti pour un/une coupable, le fait est qu'en prime, une meurtrière y compris chez Hitchcock a rarement eu, au cinéma, d'incarnation aussi calme et douce que Barbara Bel Geddes, qui venait de tourner pour Hitchcock dans un tout autre type de film: Vertigo.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
22 janvier 2025 3 22 /01 /janvier /2025 17:21

Quel dommage qu'Hitchcock n'ait jamais travaillé, à part pour ce film de la série Alfred Hitchcock Presents, avec Vincent Price... l'acteur le plus gothique de sa génération et le metteur en scène de Rebecca et Under Capricorn auraient eu des choses à partager sans doute. Mais le rationnel irrationnel Hitchcock avait sans doute besoin d'acteurs moins, disons, marqués que lui...

Ici, donc, Price est un détective Charles Courtney, qui a une très haute opinion de lui-même. Il reçoit la visite chez lui d'un avocat (James Gregory), et après les banalités d'usage et la visite du musée personnel de Courtney, composé de pièces qui sont des souvenirs des affaires qu'il a élucidées, l'invité dit à son ami qu'il a commis un jour une erreur judiciaire; il lui raconte l'affaire dans le détail, afin de prouver ce qu'il avance...

La cible du metteur en scène, dans un premier temps, est la vanité incroyable de Courtney, qui est persuadé être incapable de faire une erreur. Et les deux hommes se battent à armes inégales, car Courtney et sa vanité ne font pas le poids devant les arguments de son invité. Mais très vite, le film rend justice à son titre, car l'avocat va raconter à son ami comment l'épouse adultère a tué son mari en comptant plus ou moins sur la dévotion de son amant, que le détective Courtney s'est empressé de juger coupable. ...Parce que l'homme en question, désireux d'épargner la femme qu'il aime, a tout fait pour cela.

Et Courtney, qui a dans ses collections une place vide, celle d'un "crime parfait", donc quelque chose à laquelle, selon ses convictions, il ne sera jamais confronté puisqu'il est supposé déjouer toutes les ruses et machinations, voit donc ses certitudes flancher...

A côté du huis-clos formé par le duo, Hitchcock insère des flash-backs "objectifs", une objectivité mise à mal par le fait qu'ils sont commentés par les deux rivaux en voix off. il s'amuse à y rejouer le cinéma muet, avec des plans d'une clarté impressionnante. Et on y constate que le metteur en scène s'y est adonné à quelque chose qu'il n'a fait que très rarement: la scène se situe vers 1910, le film est donc l'un des rares "films en costumes" de son oeuvre.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock TV Alfred Hitchcock presents
13 janvier 2025 1 13 /01 /janvier /2025 14:52

Hitchcock avait lu Poe, et s'amuse à nous faire une variation sur The Pit and the Pendulum avec ce film court, réalisé pour la télévision. 48 minutes: voilà le temps dont le metteur en scène dispose pour nous raconter une histoire extrêmement bien exposée, on connait son talent en matière de pédagogie lorsqu'il s'agit de donner au spectateur toutes les informations nécessaires au suspense. Il installe donc l'histoire de cet horloger irascible (E.G. Marshall) qui envoie paître ses clients le temps de s'essayer à la construction d'une petite bombe... Resté seul, il ponctue l'expérience de remarques qui trahissent sa colère... Il se rend chez lui, et cuisine son épouse sur tous les détails qui clochent dans la maison: un fromage que tous deux détestent, des bières qui disparaissent trop vite, un mégot suspect dans le cendrier... autant d'indices qui lui permettent de conclure à l'infidélité de son épouse, et qui disent au spectateur ce qu'il faut attendre: il va faire exploser les amants infidèles avec sa maison!

...Lorsqu'il met son plan à éxécution, l'homme a tout prévu, sauf qu'après avoir installé sa machine infernale, et rêglé son réveil sur 16 heures, il serait assailli dans sa cave par deux cambrioleurs, ligoté et baillonné puis installé devant le cadran qui égrène les minutes qui mènent à l'explosion de sa bombe et donc à sa propre mort. D'autant qu'il entend au-dessus de lui une conversation entre son épouse et un inconnu qui lui prouve qu'il avait faux sur toute la ligne quant à ses soupçons!

Le film devient forcément extrêmement prenant, prouvant s'il en était besoin que ce dont on a besoin pour obtenir un vrai suspense, c'est de maitriser les tenants et aboutissants d'une situation à 90 ou 95 %: on connait ici le risque (L'issue fatale), la future victime, l'heure... On sait aussi que ligoté et baillonné, il ne peut ni appeler à l'aide ni arrêter la marche inéluctable de la mort; alors reste à espérer avec lui qu'une intervention extérieure lui permettra de s'en sortir. Le temps passe, inexorablement...

Certes, le personnage est désagréable, et le fait qu'il se soit trompé sur son épouse n'arrange rien, mais le sel de la situation, c'est que l'on se surprend à le plaindre, et comme souvent, on souhaite évidemment qu'il s'en sorte. Hitchcock nous rend solidaires d'un sale type qui était prèt à transformer son épouse et son hypothétique amant en poudre, mais il faut bien reconnaitre que c'est au mieux un minable, au pire un pauvre type! Et on le plaint sincèrement parce que c'est comme ça que l'homme réagit devant une telle situation.

D'une certaine manière, dans la bulle confortable de la télévision, débarasseé de l'obligation de faire briller ses stars, Hitchcock se laisse aller à une transgression que ses films de long métrage ont du attendre un peu plus longtemps, même si on a par endroits une vraie solidarité de suspense inquiet pour le Norman Bates de Psycho (La scène durant laquelle il fait disparaitre une voiture dans un marécage), le prochain sale type de l'oeuvre d'Alfred Hitchcock, c'est un peu Jon Finch dans Frenzy. ...quoique lui au moins n'avait pas d'intentions homicides!

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock TV Alfred Hitchcock presents
13 janvier 2025 1 13 /01 /janvier /2025 14:31

Hitchcock a réalisé trois films en 1957, tous pour la télévision... C'est sans doute que le travail sur le long métrage qui s'annonçait (Vertigo) a posé des problèmes inédits de préparation, mais il se peut aussi que le médium l'intéressait de plus en plus: j'imagine qu'il a été décidé de lui confier la direction et la supervision d'une série afin de retranscrire son style à la télévision, mais il me semble que la série est devenue un laboratoire dans lequel il a puisé de nouvelles idées... Ce film de la série Alfred Hitchcock presents anticipe sur un chef d'oeuvre: Psycho. Il recyclera dans le long métrage cette économie de moyen, cette rigueur et cette évidence de la mise en scène, tournée vers trois objectifs: narration, économie de moyens et effet maximum...

On est prévenu par la séquence d'introduction, comme d'habitude présentée par le maître: "il s'agira ici de régler un problème: l'épouse". Peut-être faudrait-il dénombrer les cas où le suspense ou les données criminelles tournaient autour du meurtre conjugal (Suspicion, Young and innocent, The Paradine Case, Under Capricorn, Stage fright, Rear window, ou Mr Blanchard's secret, et après cette période, Frenzy... Je suis sûr d'en oublier); mais ce film révolutionne l'affaire en commençant par une séquence, aperçue depuis l'extérieur d'une fenêtre: un mari est excédé par l'agacement verbal constant de son épouse, et la tue dans un mouvement de colère. La musique pren toute la place sur la bande-son, première audace, car la télévision, bien souvent, c'était (et c'est toujours) de la parlote. Ici, le son est utilisé strictement pour des raisons de réalisme, et toute la première partie à l'exception de la dernière minute se passera de dialogue intelligible. Deuxième audace: en une minute, on a tout, depuis le prétexte (ce qui n'excuse rien du meurtre) jusqu'au meurtre lui-même...

Puis le monsieur doit agir et se débarrasser du corps, il va donc le placer dans sa voiture, et partir, la trouille de se faire prendre chevillée au corps... Alors quand un policier l'arrête, il a peur... mais c'est que sa voiture a un problème. Durant tout ce qui va suivre le suspense est phénoménal, bien qu'il ne s'agisse que de discussions entre un policier, un garagiste, et un conducteur... Nous ne pouvons nous empêcher d'être à son côté, bien que nous sachions qu'il a le cadavre de son épouse dans le coffre...

Et quand le danger revient pour lui, nous constatons avec ironie que ce qui risque bien de lui coûter sa liberté, c'est un simple problème mécanique. Le réalisateur, suprème audace, ne nous montrera même pas la coda du film, l'arrestation, car c'est inutile: le visage du personnage principal et sa réaction nous siffisent à comprendre qu'il a perdu la partie...

Ce quotidien nocturne des routes de la campagne Californienne, cette audacieuse assimilation du criminel à un héros, et la façon dont la mise en scène nous embarque avec lui, mais aussi la peur du gendarme (un aspect évident de Psycho), tout ici tient d ela synthèse de l'univers trouble du metteur en scène, et ces 25 minutes sont à leur façon un chef d'oeuvre... noir.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV
12 janvier 2025 7 12 /01 /janvier /2025 20:58

Une jeune femme (Mary Scott), autrice de scripts pour des émissions policières, finit par être obsédée par le crime... Au point de développer une théorie délirante à propos de son voisin, M. Blanchard (Dayton Lummis): il est poli, un peu froid, et... où donc se trouve son épouse? Elle commence à soupçonner que ce dernier a décidé de la supprimer... Puis quand Mme Blanchard (Meg Mundy) se manifeste, elle reste persuadée que son grand escogriffe de mari va la tuer un jour ou l'autre...

Le film est passé à la télévision au lendemain de la sortie en salles du dernier film de long métrage d'Hitchcok, The wrong man. Si ce dernier est particulièrement sous l'influence apparente de la série Hitchcock presents, il n'empêche qu'on ne peut imaginer deux films plus dissemblables: dans un cas un homme parfaitement normal doit faire face à l'irruption du soupçon et de l'accusation, ce qu'il n'est pas du tout prêt à comprendre, et en subit toutes les conséquences dans un exposé souvent proche d'un document. Dans l'autre, une femme fantasque laisse son imagination remodeler le monde autour d'elle et s'invente des voisins particulièrement délirants!

Bien sûr il est compliqué de ne pas penser à rear window, mais ici, le metteur en scène a poussé la comédie de la situation sur le devant de la scène, et c'est une réussite. Hitchcock, qui sait de quoi il parle, nous raconte ici une affaire d'obsession particulièrement carabinée! En choisissant de faire l'inverse de ses habitudes, il en profite pour peindre avec humour des petites scènes du quotidien d'un couple, entre l'épouse qui se lève la nuit pour s'introduire par effraction chez ses voisins, et le mari qui voudrait tant... dormir.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Alfred Hitchcock presents TV