En Californie, un parc pour caravanes comme il en existe des milliers aux Etats-Unis... dans l'une de ces caravanes, un homme (Ralph Meeker) se lève, et alors que son épouse continue à dormir, s'apprête à partir travailler. Ils sont adorables, de vrais tourtereaux, et Madame aimerait beaucoup partager sa grasse matinée, mais le devoir appelle Monsieur...
Elle reste donc seule pendant qu'il se rend à l'usine, et s'apprête à cuisiner un peu... Mais d'abord elle bronze.
Quand Monsieur revient, il a la surprise de découvrir son épouse évanouie, un gâteau en train de brûler dans le four. En état de chocc, la jeune femme a été attaquée par un homme. Le mari prend une décision radicale: il va trouver l'homme et venger son épouse.
C'est le premier épisode de la série Alfred Hitchcock présente. Il ne me semble pas pertinent ici de se poser la question de la motivation de la chaîne qui a commandité cette série, si ce n'est en constatant que le nom du metteur en scène et producteur le plus célèbre de son temps y est particulièrement mis en valeur... Le pari est pour cette série, dont Hitchcock ne fut évidemment pas le seul réalisateur, loin s'en faut, était de traduire pour la télévision l'esprit si particulier de la filmographie du maître, tout en permettant de chercher à capitaliser sur l'impression du oublic le concernant: on a à cette époque une impression du réalisateur comme étant le maître du frisson, du bizarre et du tordu.
C'est aussi et surtout, il l'a suffisamment montré, un maître du sordide quotidien, de la criminalité tellement ordinaire qu'elle concerne votre voisin de palier, et des situations extrêmes qui se développent au foyer... Avec ce premier épisode d'une série appelée à rencontrer un immense succès, il frappe très fort, là où ça fait vraiment mal, et réussit l'impossible, en développant en 25 minutes pour la télévision une histoire adulte de vengeance crapuleuse qui part d'un viol. Un petit film qui s'inscrit en plein dans son oeuvre, et lui permet de travailler avec une actrice qu'il n'allait pas tarder à admirer, Vera Miles, celle dont il aurait bien fait sa deuxième Grace Kelly.
Son premier effort dans la série lui permet de passer d'un extrême à l'autre en situant dans un endroit idyllique, à travers le bonheur doucereux d'un gentil couple, l'irruption de l'horreur et de la criminalité la plus inattendue. Il y montre le mécanisme du soupçon et de l'erreur, du jugement hâtif, et de l'effet de la carpulerie sur les gens faibles, en opposant les gens ordinaires aux policiers. En tant que tel, c'est presque une synthèse de toute son oeuvre.
The trouble with Harry, ou... Le problème avec Harry, c'est qu'il encombre yout le monde, mais Hitchcock n'en a cure.
Pour révéler l'étrange humanité des habitants d'un petit coin tranquille du Vermont (Discrètement appelé Highwater, ce qui me fait irrésistiblement penser à une phrase parfois utilisée pour parler d'un cas de force majeure: "come hell or high water". Ce qui associe automatiquement de façon langagière le nom de la ville à une possible alternative à l'enfer...), Hitchcock, inspiré par un roman du même nom de Jack Trevor Story, leur balance dans les jambes un cadavre. Découvert par les uns et les autres, il est bien vite revendiqué par son épouse, la jeune Jennifer Rogers qu'il a abandonnée, et qui lui a donné un coup lorsqu'il lui a rendu visite le jour même; le Capitaine Wiles, un retraité un peu braconnier sur les bords, a quant à lui tiré trois coups de feu, et pense avoir tué Harry; enfin, sa voisine mademoiselle Gravely a vaillamment combattu pour son honneur lorsque Harry déboussolé (Ivre? Sonné par le coup porté par Jennifer?) a tenté de l'emmener dans un buisson... Comme le tire Français, on peut donc s'amuser à poser la question: Mais qui a tué Harry?
Et pourtant, ce film n'a rien d'un whodunit. On assiste surtout à un jeu de chat et de souris entre les braves gens nommés ci-dessus (Aidés par Sam Marlow, un peintre raté qui vit lui aussi sur ces lieux idylliques) d'un côté, et le représentant de la loi, un deputy Sheriff pas très futé, du nom de Calvin Wiggs. Si Hitchcock s'amuse à nous rappeler le crime en nous montrant souvent le corps de Harry, c'est que les gens qui le revendiquent collectivement sont obligés pour une raison ou l'autre de l'enterrer et de le déterrer constamment. Et le corps de Harry, vu le plus souvent par la base, c'est à dire les pieds, devient de plus en plus encombrant au fur et à mesure que la journée passe...
Le film a été boudé par le public, qui attendait un autre genre de frisson, et c'est bien dommage, tant cette histoire de cadavre récalcitrant est séduisante par son humour noir, et la mise en scène en mode mineur de Hitchcock qui s'amuse à nous donner à voir le meurtre sous un autre angle: comme parie intégrante, en fait, de la vie: à la vérité, tous semblent avoir une bonne raison d'avoir tué l'encombrant Harry, qui est parfois plaint, mais du bout des lèvres, par ceux qui doivent s'en débarrasser. Et le fait que les quatre protagonistes s'apprêtent au terme de cette journée à former deux couples leur fait trouver de nouvelles raisons...
Mais on peut se pencher sur ce film qui s'amuse à triturer la morale, et constater que dès le départ, Hitchcock cadre (Pour les deux premiers plans du film) une église, flambant neuve et toute de blanc, qui est probablement le centre du village. On ne la verra plus, car tout ce qu'on verra, même si c'est en mode mineur, est du péché. Et ça va assez loin, car une bonne partie des dix commandements s'en prennent dans la figure: le Capitaine a des vues sur Miss Gravely, et braconne, ce qui fait automatiquement de lui un pécheur, qui convoite les biens d'autrui. Miss Gravely sélectionnant "une tasse pour une main masculine" fait dans la métaphore, et semble s'intéresser au péché de chair. Sam et Jennifer sont au bord de l'adultère, puisqu'elle est veuve (Deux fois!). Le fiston de Jennifer semble vivre sa vie à l'écart des adultes, une section qui est aussi couverte par les dix commandements: Tu honoreras ton père et ta mère! Enfin, le meurtre, ou sa revendication, est bien entendue couvert, sans compter que de tous ces gens, pas un ne semble avoir une pensée émue pour le défunt. Bref, pour le Catholique Hitchcock, qui ne semble d'ailleurs pas s'en plaindre, ce film offre un échantillon particulièrement représentatif de pêcheurs patentés.
Hitchcock nous livre avec ce film aux couleurs automnales magnifiques, situé dans un des plus bucoliques endroits des Etats-Unis, un film profondément noir, mais en bon Britannique, il assène sa soupe au vitriol avec une histoire au charme certain, aux dialogues décalés marqués d'un humour à froid, qui a détourné les spectateurs des salles, ce qui est dommage. En tout cas, ce film noir déguisé en bonbon a fini par atteindre un statut de classique paradoxal, bien mérité à mon humble avis. Et Hitchcock a quand même permis au pauvre Harry d'avoir son mot à dire: en jouant à trois reprises avec une porte qui s'ouvre intempestivement, en nous montrant jusqu'à l'ombre des grands pieds tous raides, il lui autorise à hanter le film... C'est bien le moins.
Aumilieu des années 50, ce film au style volontiers flamboyant est quand même une sorte de parenthèse... D'une part, Hitchcock sort à peine d'avoir avec génie illustré les turpitudes de l'être humain, dans un cadre qui renvoie constamment au cinéma et au voyeurisme (Rear Window), et s'apprête à revenir à un de ses films favoris de sa période Anglaise (The man who knew too much), en le réactualisant, afin de se replonger dans les affres d'une famille comme vous et moi tout à coup plongée dans le drame. Et puis, avec Grace Kelly, superbe créature doublée d'une remarquable actrice, il a une fois de plus trouvé une muse à la hauteur, après Ingrid Bergman... Elle a déja accompagné le maitre dans un film noir, très noir, Dial M for Murder, et dans Rear Window déja évoqué.
Alors le nouveau film surprend un peu: une histoire d'abord romantique de héros, ancien voleur qui doit faire reconnaitre son innocence dans le cadre d'une enquête sur des vols qui sont parfaitement imités de son style, tout en subissant les avances particulièrement marquées de deux femmes qui se consument manifestement de désir pour lui: une jeune écervelée qui le connait depuis son enfance, et la fille d'une sympathique parvenue Américaine vaguement alcoolique, qui est autant attirée par l'homme que par le danger de fricoter avec l'ancien voleur. Le tout étant situé sur la côte d'Azur, pour laquelle on peut faire confiance à Hitchcock, qui sait tirer toutes les cartes postables possibles et imaginables d'un pays pittoresques...
Film de vacances? Oui, ça tient un peu de ça, le metteur en scène s'étant d'ailleurs amusé à apparaitre dans un autobus à l'intérieur duquel cary Grant s'installe. A la droite du maître impassible, bien sur... Mais si le film profite à fond du coté couleur locale de l'arrière-pays Niçois (Bien plus que l'improbable Cote d'azur de Foolish Wives!), et montre des Américains en villégiature et attablés à des casinos, il montre aussi une fois de plus un innocent en quête de preuves de son innocence, mais aussi un homme en proie à son double, qui fait tout ce qu'il ne fait plus justement. un fantôme de ses désirs de vol. Sans parler de la dangerosité des désirs féminins, dont John Robie, le "Chat" qui reconnait avoir surtout le désir de rester tranquillement à la maison, est la victime, dans un film qui accumule les sous-entendus sexuels, le plus souvent dans la bouche de Grace Kelly ou de Brigitte Auber...
Mais dans ce film à l'interprétation cosmopolite Franco-Américaine parfois gauche (Il m'est insupportable d'entendre Brigitte Auber parler l'Anglais, par exemple), c'est l'impression de vacances qui domine, mais on était prévenus par un générique sur fond de vitrine d'agence de voyages. Cary Grant a l'air un peu essoufflé, pas convaincu de sa place, et peut-être nous sera-t-il plus convaincant en Roger Thornhill dans North by Northwest, qui se définira d'abord et avant tout par l'action, et la prise de pouvoir physique. Ici, Robie a surtout à coeur de prouver qu'il ne fait plus rien, justement... Quant à Grace Kelly, on sait que sa carrière se termine. Mais si elle est la conductrice dangereuse d'une scène de suspense routier qui relève un peu le film, il est d'une ironie noire de constater que c'est d'un accident de voiture sur ces mêmes routes qu'elle décèdera, 27 ans plus tard.
Enfonçons si vous le voulez bien une porte ouverte: Rear window est l'un des joyaux de son réalisateur, un très grand film de l'époque classique d'Hollywood, et ses cinq acteurs principaux sont tous fabuleux, y compris le méconnu Wendell Corey en détective irritable qui va s'investir dans cette enquête bizarre uniquement pour prouver à son copain qu'il a tort, y compris la grande Thelma Ritter en infirmière pittoresque. L'intrigue concerne comme chacun sait un photographe immobilisé par un accident qui est si désoeuvré qu'il n'a pas d'autre ressource d'espionner ses voisins, mais finit par tomber sur ce qui ressemble bien à un meurtre.
Le thême du faux coupable, si cher à Hitchcock, échappe à ce film, qui se concentre à la place sur un grand nombre d'autres aspects, tous aussi fascinants les uns que les autres, et qui ont toujours une résonnance à notre époque de voyeurisme. On pourrait dire sans trop exagérer que L.B Jefferies (James Stewart) est un ancêtre du zappeur, mais la perversité de la situation est troublante.
Un autre aspect qui découle de la multiplicité des appartements à voir par cette "fenêtre de derrière", c'est le fait que tout ce qui s'y passe parle d'amour, et non seulement renvoie à ce curieux couple formé par Jeff et Lisa (Grace Kelly), il commente en plus leur valse hésitation, la souligne, l'illustre ou la parodie...
Jeff utilise d'ailleurs consciemment cette analogie, ce qui pousse Lisa à participer à sa fascination pour ces fenêtres étrangères avant même d'être persuadée comme lui de la tenue d'un meurtre sordide en face de chez eux. Hitchock utilise d'ailleurs toutes ces fenêtres pour pousser le bouchon un peu loin, et le soupçon du sexe hors mariage entre Lisa et Jeff est plus que souligné du début à la fin. Sinon, le crime qui a eu lieu (Tout le monde le sait, s'en doute, on peut le dire sans révéler grand chose) est perpétré par un être humain, qui n'a rien d'un grand criminel, interprété par Raymond Burr, qui en fait un homme peu sûr de lui, manifestement réservé et brutal, timide et dangereux. Le tour de force pour Burr comme pour Hitchcock, c'est de faire cette caractérisation à distance, non seulement de Jeff, mais aussi du spectateur, et du micro: on l'entend très peu. Certaines scènes doivent beaucoup à son regard (Lorsqu'il aperçoit l'alliance de sa femme sur le doigt de Lisa, et qu'il surprend son geste, il jette un regard direct sur la caméra), et paradoxalement la confrontation finale, qui nous permet enfin d'entendre sa voix à la fois inquiète et menaçante, nous laisse voir un homme qui se sait brisé, condamné. Il fait pitié...
C'est que tout ce qui se passe autour de L.B. Jefferies, et de Lisa, semble renvoyer à eux d'une manière ou d'une autre: Hitchcock s'est efforcé de faire de presque chaque voisin soit un commentaire sur ce que sont les deux héros, soit un double de l'un d'entre eux. Burr, dans une de ses premières scènes, est d'ailleurs commenté par James Stewart, qui s'imagine dans la même situation que l'homme marié, et semble assez clairement le plaindre..
Le scénario est très cohérent, qui fait usage de tous les aspects du regard, personnifié par les objets du photographe, les objectifs et les jumelles, dans un jeu de regards et de points de vue remarquables, surtout que Hitchcock, fidèle aux défis les plus fous, ne sort pas ou presque pas de l'appartement...
Enfin, décidément, ce film est un hommage au cinéma, représenté par toutes ces fenêtres, qui renvoient une image muette, de façon perverse, puisque nous n'avons pas le droit de regarder ce qui se passe chez nos voisins, mais HItchcock semble nous dire: Au cinéma, on peut...
Adapté d'une pièce à succès, Dial M for murder est sans doute l'un des films les plus connus d'Hitchcock. A première vue, c'est un film des plus ludiques, prétexte à essayer un système de 3D qui s'avèrera réussi, mais ce n'est pas beaucoup plus. Ce serait pourtant mal connaitre le réalisateur que de s'imaginer qu'il n'y avait pas dans ce film des ingrédients qui permettaient au moraliste Hitchcock de s'essayer à une nouvelle manipulation sur le public. Au-delà du glamour de tourner une adaptation d'une pièce de théâtre avec Ray Milland qui tente de tuer son épouse Grace Kelly, sous les yeux du limier John Williams, on voit le metteur en scène jouer avec le point de vue et évaluer la situation en observateur inconditionnel du péché, de la faute et de la culpabilité...
De la pièce, Hitchcock reprend tel quel l'argument, dans lequel Tony Wendice (Ray Milland), un joueur de tennis retraité qui a épousé une héritière riche (Grace Kelly), commandite son meurtre afin de toucher un héritage qui l'arrange d'autant plus que son épouse fricote avec un auteur Américain de romans policiers à succès (Robert Cummings). L'homme qui est supposé se charger de la besogne (Anthony Dawson) s'appelle Swann, et c'est un ancien condisciple de Wendice, que ses frasques passées fragilisent, le mettant en danger de chantage: c'est la condition qui permet à Wendice de faire pression sur lui pour qu'il accepte. Ce que ni Swann ni Wendice n'avaient prévu, c'est que Margot puisse tuer son attaquant, et non le contraire. Ce qui était encore moins prévu, c'est que malgré toute la préparation dont Tony fait preuve, un simple objet, une clé, ne vienne troubler son échafaudage alors que son épouse va être exécutée pour meurtre...
Le film ne respose pas, comme dans un whodunit, sur une simple recherche du coupable, mais au contraire sur la possibilité ou non que le personnage du meurtrier potentiel, joué par Ray Milland, se fasse pincer ou non. Le public est donc dès le départ dans la confidence, avec deux scènes de dialogues à la suite l'une de l'autre: entre les deux amants d'une part, qui discutent des mérites de mettre Tony au courant de leur liaison passée (et plus ou moins susceptible d'être ravivée), et entre Tony et Swann d'autre part, qui mettent au point le crime tel qu'il doit se dérouler.
Il est intéressant de constater que celui qui aurait pu être le héros d'un film plus classique, Robert Cummings, est laissé à l'écart par Hitchcock, alors que Ray Milland, bien que de toute évidence le criminel du film, reste absolument charmant, mettant au point tous les détails d'un crime dont il lui est facile de se distancier puisqu'il ne l'accomplira pas lui-même. Et Anthony Dawson, qui joue un homme qui a joué de malchance, reçoit ses instructions avec réticence. Tuer, il connait, il a déjà fait, et cela ne semble pas être de gaieté de coeur qu'il s'apprête à le refaire, d'autant qu'on le sait grâce à Hitchcock: Tuer est difficile, ce n'est pas à la portée de tout le monde...
Le metteur en scène, qui prétendait s'être contenté de filmer la pièce, s'est amusé à placer la caméra en seulement en fonction de la 3D (La scène du crime commence par un lent panoramique à 180°, afin de faire sentir l'espace à tout le public). La scène du crime lui-même est un modèle de ce qu'il faut faire avec la 3D, soit toujours moins, jamais plus... Mais Hitchcock place aussi son public en hauteur dans une scène qu'on pourrait imaginer prise directement telle quelle dans la pièce. C'est un plan-séquence, et Milland explique le déroulement de la soirée à Swann, le public est donc en hauteur, comme si les acteurs jouaient dans une fosse. Mais lorsque Margot montre des velléités de sortir, au lieu de rester sur place, permettant au crime de se tenir, nous en viendrions presque à trembler pour Tony! Comme d'habitude, Hitchcock s'amuse avec les frontières du bien et du mal dans ce film dont le héros après tout est un homme qui semble se chercher des excuses pour tuer sa femme!
Le film est une oeuvre charnière, se situant entre la période Warner, parfois erratique, et la plénitude des années Paramount, pour laquelle il accumulera les chefs d'oeuvre. comme en plus, il tourne ici pour la première fois avec Grace Kelly, il est à l'aise, et le film passe comme une lettre à la poste. Un plaisir... Vénéneux, bien sûr!
Le catholicisme d'Hitchcock n'a probablement jamais été aussi amer que dans ce film austère et dépouillé, bien différent des oeuvres flamboyantes que le metteur en scène allai tourner à la Paramount dans les années suivantes; mal-aimé en raison de son manque d'humour, mal connu aujourd'hui (Après tout, il n'y a ni Grace Kelly, ni Cary Grant, ni la musique de Bernard Herrmann. Les repères manquent sans doute, le noir et blanc - magnifique - est un autre argument qui hélas joue contre le film!) I confess est pourtant bien plus qu'un intrigant interlude dans lequel le metteur en scène se tirerait une balle dans le pied en montrant sa star en prêtre ayant fait le voeu de chasteté...
Le film commence par une séquence d'une grande rigueur qui montre le metteur en scène en pleine possession de ses moyens: à Québec, au crépuscule, on suit un parcours fléché sous l'intrigante musique chargée en appréhension de Dmitri Tiomkin: des panneaux marqués "Direction" nous indiquent littéralement la marche à suivre... et pointent vers une fenêtre ouverte. La caméra y entre, et nous dévoile un corps à terre. La caméra ressort, et nous voyons une silhouette, celle d'un homme habillé d'une soutane, qui quitte la maison. Le plan suivant montre deux témoins, deux jeunes filles, qui ont aperçu l'homme. Celui-ci se rend ensuite à l'église la plus proche, et demande au prêtre, le Père Logan, de le confesser. Il lui avoue avoir commis un meurtre, celui d'un homme qu'il venait de dévaliser. Puis l'homme s'en va, et le père Logan, empêché par le secret de la confession, ne pourra rien révéler de l'entretien... Le meurtrier, Keller (Otto Hasse), est un Allemand réfugié avec son épouse Alma (Dolly Haas) après la guerre, et il travaille justement au presbytère, où il côtoie justement le père Logan (Montgomery Clift) tous les jours. Celui-ci, on l'apprendra bien vite, connaissait la victime. L'influent Villette avait en effet, quelques années auparavant, été témoin d'une relation entre le jeune homme qui n'était qu'un séminariste, et une femme mariée, la belle Ruth Grandfort (Anne Baxter). Il faisait chanter la jeune femme, et cela donne bien entendu au jeune prêtre un motif de le tuer... car bien sûr Logan ne pouvant absolument pas trahir le secret de la confession est vite le suspect numéro 1.
On le voit, Hitchcock confronte dans ce film sa propre vision de la culpabilité partagée des hommes, avec son propre catholicisme, qui pourtant n'est jamais aussi explicitement représenté dans son cinéma. Une critique assez répandue sur I confess est d'ailleurs qu'il est assez difficile à croire que Clift puisse être un prêtre, et Hitchcock a pour sa part dit que les Américains avaient rejeté le film à cause d'une incompréhension des protestants vis-à-vis du secret de la confession. C'est un peu court, à mon avis, d'autant que le film fait comme d'habitude preuve d'une vraie pédagogie à ce sujet!
Je crois plutôt que le rejet serait plus clairement du aux difficultés du public à accepter l'apparente inaction du personnage principal. Car Logan subit une vraie crise, à tous points de vue: il est trahi par Keller, qui sans jamais directement le dénoncer va tout faire pour que les soupçons se portent sur son confesseur. Il est trahi aussi par ses sentiments qu'il doit combattre, d'autant que Ruth n'est pas décidée à complètement abandonner la compétition pour le coeur du jeune homme! Il est enfin trahi par son implication, même indirecte, dans l'affaire: il ressent une part de culpabilité de savoir sans pouvoir s'en ouvrir, et par ailleurs de ressentir la délivrance grâce la mort de Villette, n'arrange rien: on peut dire que le principal motif pour l'inspecteur Larrue (Karl Malden) de soupçonner Logan est bien sûr le fait qu'on ressent inévitablement son trouble et son sentiment de culpabilité marqués sur son front dès qu'il est en face du policier!
A côté de Logan, le personnage de Keller est véritablement scindé en deux: d'un côté Monsieur, qui se confesse à son ami Logan dans la douleur, puis rentre chez lui et se sent si léger ("Dieu m'a pardonné"!) qu'il avoue le crime à son épouse sans aucun scrupule. De l'autre, Alma, qui va elle aussi, autant que le prêtre, ressentir la culpabilité de son mari, qu'elle ne peut dénoncer, de l'intérieur. Jamais la notion de culpabilité collective, du pêché de l'un dont la faute est partagée par tous, n'aura été aussi évidente chez Hitchcock.
Bien sûr, il y a des défauts, mais le manque d'humour parfois dénoncé ne me semble pas être à proprement parler si embarrassant. Après tout, le sujet ne prête pas forcément à la rigolade non plus. Et contrairement à Topaz, un autre film d'Hitchcock souffrant de cette absence d'humour, l'histoire au moins est passionnante! Et il y a une finesse d'observation chez Hitchcock qui le pousse à user d'un ton léger, notamment dans la description de la vie quotidienne du presbytère. C'est d'ailleurs amusant de constater à quel point les prêtres, dans la fiction, sont les protagonistes les plus à l'aise pour parler du trivial: ici, on débat d'un vélo mal placé, de la couleur des murs, comme si on devait résoudre une affaire de théologie compliquée!
Non, en revanche, Hitchcock a chargé avec une certaine méchanceté le personnage de Ruth, qui n'est pas qu'une oie blanche... Elle est assez ambiguë (Anne Baxter sera-telle toujours un peu Eve Kendall sur les bords?) voire manipulatrice: elle donne parfois l'impression de vouloir utiliser l'affaire et le scandale pour tester son mariage, et éventuellement reconquérir le père Logan. Lors d'un flash-back, elle apparaît comme une femme qui pourrait bien avoir utilisé un moyen de promotion assez classique... Bref, la misogynie légendaire d'Alfred Hitchcock, parfois, est plus qu'une légende. Mais la confusion sentimentale qui entoure les rapports de Logan et de Ruth reste un des aspects forts du film, car elle nous donne à voir la tempête sous le crâne du père Logan, et si jamais le jeune homme n'évoque explicitement le moindre doute quant à sa foi,on sait que ce lien avec une femme est sans doute son principal risque. Le chemin de croix (Rendu évident par une célèbre séquence) n'en sera que plus douloureux... Et qui mieux que Montgomery Clift pour incarner la douleur?
Et il ya un final d'une forme inattendue, fait de ruptures, de passage d'un procès à une scène de foule, d'un crime inattendu à un suspense lié à la présence du héros face à un homme qui risque de le tuer, de sacrifice et de vérité qui éclate en éclaboussant un peu plus les braves gens qui étaient prêts à montrer le héros du doigt. ...Et Logan trouvera le moyen de laisser la vérité se faire connaître sans trahir la loi de la confession, ce qui confirmera une bonne fois pour toute la pertinence de sa vocation.
Film sans doute mineur au regard de l'oeuvre exceptionnelle, I confess, avec la présence dans son titre de la première personne du singulier, est bien plus qu'une simple halte: il possède de nombreux aspects intrigants, en plus d'une élégance visuelle, due largement à l'utilisation impeccable du noir et blanc de Robert Burks. Ce sera, avant The wrong man et Psycho, l'antépénultième film du metteur en scène à ne pas bénéficier de couleurs, mais c'est tellement approprié pour cette sombre quête intérieure, entre une hypothétique mais significative libération par l'amour, et un doute qui gangrène la vocation, le tout sous la tension apportée par la culpabilité fondamentale de l'homme. Encore, toujours le péché originel...
Guy rencontre Bruno, Bruno rencontre Guy. Dommage pour Guy, qui s'en serait bien passé, d'autant que Bruno est TRES renseigné sur lui: le jeune tennisman en vue est de notoriété publique marié à une abominable garce, et amoureux d'une adorable jeune femme. L'idée soumise par Bruno à Guy, dans la quiétude d'un compartiment de train, c'est que chacun d'entre eux tue pour l'autre, rendant toute enquête difficile, puisque chaque meurtre aurait été accompli avec un alibi et sans mobile. A Bruno de tuer l'encombrante Miriam, à Guy de supprimer le père jugé abusif par l'excessif Bruno.
Sauf que... Guy, lui, n'a jamais pris ça au sérieux. Tant pis; confronté à un Bruno qui lui tend fièrement la paire cassée des lunettes de feu son épouse, Guy réalise dans quelle panade cette petite rencontre entre étrangers dans un train l'a mis.
Apès quelques années d'égarements (The Paradine case, 1947, pour Selznick, puis Rope, 1948, et Under capricorn, 1949 pour son propre compte) et l'arrivée à la Warner pour un contrat en bonne et due forme qui avait commencé par un petit exercice de style (Stage fright, 1950), cette adaptation de Patricia Highsmith totalement appropriée par un Hitchcock en grande forme est le retour de l'observateur moral, et des questions essentielles liées à la thématique du crime en particulier et du péché en général: le film tente de répondre entre autres à la question suivante: la culpabilité est-elle contagieuse?
Il se pose aussi un certain nombre de questions sur la responsabilité, sur le degré de tolérance du crime chez les gens qu'on aime: par exemple, la jolie Anne Morton, en voyant son petit ami pour lui annoncer la mort de sa femme, est particulièrement empressée. Est-elle caline parce qu'elle ne sait pas encore comment il va réagir à la nouvelle de l'assassinat, ou parce qu'elle se dit qu'il y a des chances qu'il l'ait lui-même commis afin de se rendre disponible pour elle? Un soupçon qui ne sera pas étayé plus avant... ni démenti fermement.
Le film est d'une rigueur et d'une noirceur rare même chez Hitchcock; la présence d'un exceptionnel méchant (Robert Walker) et d'une mère exceptionnellement foldingue permet à Hitchcock des traits d'humour rares, tout en mettant en scène un intéressant "couple", Guy et Bruno, deux hommes que tout devrait éloigner, mais qu'un voyage en train aura fortuitement fait se rencontrer. Il les rapproche, puis les fond aussi souvent l'un en l'autre. Il joue sur la dualité, les doubles, les figure associées, mais insiste aussi sur les sentiments peu orthodoxes de Bruno (L'un de ses phrases les plus prononcées reste "I like you, Guy".); du reste, si on ne peut que s'en plaindre, on sait la tendance homophobe du catholique Hitchcock, rapide à associer homosexualité et péché... Son Bruno appartient en effet à cette tendance du réalisateur. Il s'amuse aussi beaucoup à opposer une famille "normale", par ailleurs couvée par un homme mesuré, politicien, et évidemment incarné par Leo G. Carroll, et une famille dysfonctionnelle dans laquelle le père est étouffé, le fils dangereux, et la mère, disons, "différente", jusqu'à la caricature. Le portrait de cette dernière reste comique, mais de penser que Bruno est son fils, ça ouvre des perspectives. Il y en aura d'autres, plus ou moins monstrueuses, plus ou moins caricaturales, dans d'autres films.
Noyé dans les ombres des grilles qui lui dessinent les barreaux d'une cellule ou l'ombre d'une inquiétante barbe sur le visage, Guy découvre sans rien avoir fait le goût de la culpabilité à cause d'un autre, et doit se débattre pour exister face à un homme qui contrairement à lui, aura tout fait ou presque avant de mourir. et soyez-en assurés, Bruno mourra jeune, au terme d'un jeu de massacre qui reste l'un des très grands films d'Alfred Hitchcock, excusez du peu...
L'image doit-elle dire la vérité? Problème apparemment pas grave, mais qui est posé au coeur de ce film, dont nous dirons tout de suite qu'il est décevant. D'autant plus qu'Hitchcock revenait, après dix années aux Etats-Unis, en Angleterre pour y tourner un film en compagnie d'acteurs Anglais, un film dans lequel il ne s'est absolument pas empêché d'injecter des petites touches personnelles, comme ces scènes dans des pubs par exemple. Mais le film n'a pas été fait qu'avec des anglais, et c'est l'un des problèmes...
Jane Wyman est Londonienne dans ce film, paraît-il... On ne va pas s'étendre là-dessus, mais son personnage, Eve, est aspirante actrice, et se retrouve dans une situation inattendue: elle aime un homme, qui est l'amant d'une actrice célèbre, Charlotte Inwood. Et cet homme, Jonathan (Richard Todd), lui affirme qu'il a tenté de couvrir le meurtre par Charlotte de son mari, mais que le piège s'est refermé sur lui, parce qu'il est en fait soupçonné lui-même du meurtre. Avec l'aide de son père, un grand excentrique (Alastair Sim), Eve mène l'enquête... Et ne tarde pas à rencontrer l'inspecteur chargé de l'affaire, le séduisant Wilfred Smith (Michael Wilding)...
La réalisation d'Hitchcock est très efficace, et le film possède quelques jolis moments, dont une garden-party qui dégénère, mélange d'humour et de suspense, avec quelques jolis numéros d'acteurs. Et le metteur en scène se fait plaisir en situant une intrigue criminelle dans le cadre du théâtre, ce qui évidemment va donner lieu à une utilisation d'une salle de théâtre lors d'un final qui fonctionne bien. Mais... Le principal problème c'est que le film commence par un flash-back dont les images mentent: ces scènes qui sont racontées par Jonathan à Eve ne sont en réalité jamais arrivées. Et on touche à un autre problème: Hitchcock était à l'aise, on le sait, avec les "Faux coupables"; ici, Jonathan ne tient pas la route. Et pour cause...
On s'ennuie souvent, pour tout dire, même si il y a des jolis moments: une splendide scène de Dietrich (Presque excellente du début à la fin) qui assume tranquillement d'avoir inspiré un crime... dans un monologue froid mais définitif. Une scène de révélation de la folie criminelle, vue uniquement à travers les yeux de Jane Wyman, dont le reste du visage est dans la pénombre. Et bien sûr la fameuse scène de "la poupée", qui nous rappelle de quelle façon Hitchcock maîtrise le signe cinématographique! Mais à côté de ça, il faut supporter les scènes de cabotinage de Sim, qui s'écoute déclamer en permanence, et bien sûr, il faut subir la voix insupportable d'une actrice de génie qui chante mal, mais alors très mal.
C'est tout de suite après Rope, qui n'avait pas eu un grand succès, que Hitchcock a mis ce film en chantier. Ca peut paraître insensé, mais en 1949, le metteur en scène n'était pas encore statufié comme il l'est aujourd'hui comme le maître du thriller, et il avait déjà à son actif deux films "en costumes", comme on dit, l'un tourné en 1933 (Waltzes from Vienna), l'autre en 1939 (Jamaica Inn). Du coup Under Capricorn est partagé, entre ses détracteurs qui veulent en faire un gros caprice du metteur en scène probablement mal avisé, et des zélateurs qui louent le romantisme échevelé du film, sa splendide utilisation des couleurs grâce à l'intervention décisive du grand Jack Cardiff, et les retrouvailles d'Hitch avec Joseph Cotten et Ingrid Bergman. La vérité est bien sur quelque part entre les deux, et on notera que le film reprend, partiellement, le style de découpage de Rope, ou plutôt de non-découpage, et qu'il sera tout autant un flop que ce même film...
L'Irlandais Charles Adare (Michael Wilding) débarque à Sidney, en compagnie de son cousin qui vient d'y être nommé gouverneur des Nouvelles Galles du Sud. Il entend bien faire fortune, et repère assez vite un homme qu'on lui présente comme un modèle de réussite, Sam Flusky (Joseph Cotten) les deux hommes deviennent amis et Charles séjourne chez lui afin de se familiariser avec l'Australie. Il apprendra que Flusky a, comme beaucoup d'Australiens, été un bagnard, puisqu'il a purgé sept ans pour meurtre, et fera la connaissance de Henrietta Flusky: contrairement à Sam, lady Henrietta est noble, et Charles va très vite s'attacher à elle; il va surtout tenter de la guérir de son alcoolisme, et lui donner envie de reprendre la vie sociale qu'elle a abandonné...
Hitchcock réutilise donc beaucoup ces plans-séquences très dynamiques avec lesquels il avait expérimentés dans Rope, sans les rendre systématiques cette fois. Son idée est probablement de donner une vie, et une tension à cette intrusion de Charles Adare dans un monde qu'il ne connait pas. Beaucoup de scènes du film, en effet, sont tournées selon son point de vue, et le jeune intrigant aborde finalement tout, et en particulier la vie sociale, du point de vue d'un noble habitué des coutumes et des manières Anglaises. Il était fatal qu'à un moment ou un autre il n'entre en conflit avec les manières de son hôte, qui au moment de son mariage avec celle qui était Lady Henrietta, était quant à lui un modeste palefrenier... Et c'est précisément le sens de ce film finalement très démocratique, qui tend à démontrer que la véritable noblesse de Sam et Hattie, tient dans leur amour et les sacrifices que l'un et l'autre ont enduré. En bon Londonien, natif des quartiers populaires, Hitchcock avait une leçon à donner, le fait qu'elle l'ait été dans un film romantique en costumes me semble assez cocasse...
Sinon, ce que reprochent les amateurs de l'ouvre d'Hitchcock à ce film tient en un malentendu: ce n'est pas un film d'Hitchcock, pour eux. D'ailleurs Hitchcock lui-même a eu tendance parfois à leur emboîter le pas... Mais ils font, à mon sens, fausse route. Si le film reste un poids léger en raison de ces plans-séquences dont je maintiens qu'ils alourdissent le film sans lui apporter grand-chose, et parce que Michael Wilding n'est pas le meilleur choix, Under Capricorn parle comme on l'a vu de classes sociales et d'évolution vers l'égalité, mais aussi d'amour fou, celui qui amène parfois à tuer (Il y en a plusieurs dans le film, mais je vous laisse découvrir l'intrigue). Under Capricorn est aussi un film, un de plus, qui évalue le poids des conventions et des préjugés face à la notion de culpabilité, mais aussi de partage de la responsabilité du crime.
Bref, des thèmes hautement Hitchcockiens, rassemblés dans un film qui tente une expérience inédite, celle du gothique Australien...
Le film est adapté d'une pièce de 1929, écrite par Patrick Hamilton. L'adaptation a été co-signée par Hume Cronyn, ce qui ne nous étonnera pas trop: Cronyn est un ami très proche de Hitchcock, qui souhaite effectuer son premier film indépendant en famille, en quelque sorte. Il signe aussi son premier film en couleurs, ce qui ne va pas l'empêcher d'être très à l'aise avec sa nouvelle palette. Non, décidément, avec Rope le problème est ailleurs...
Rappelons que l'intrigue concerne une soirée, sensée se dérouler en temps réel ou presque. Deux jeunes hommes, Brandon (John Dall) et Philip (Farley Granger) ont mis un plan fou à exécution: ils ont étranglé leur ami David, parce que Brandon le prend pour un faible, et ils invitent des gens à une soirée, dont les parents de la victime, et Rupert Cadell (James Stewart), un ancien professeur, qui a souvent professé des théories Nietszchéennes un peu à tort et à travers. Durant la soirée, Cadell observe Philip devenir de plus en plus nerveux, et va aussi trouver des indices sur la présence de David, l'absent dot tout le monde parle... Il en vient à soupçonner très clairement les deux amis d'avoir commis le meurtre.
Le propos est tout de suite aussi clair que possible, puisque dès le deuxième plan, on assiste à un meurtre un peu gratuit: en gros, pour Brandon qui est le principal instigateur, tuer David revient à prouver qu'on peut le faire, et inviter des amis dans la foulée, c'est se rendre maître de la situation en assumant une bravade propre à situer le meurtrier au-dessus de la mêlée. Mais l'invitation de Cadell permet d'une part à Brandon et Philip de faire face à quelqu'un qui va convenablement les juger, elle permet aussi à Cadell de mesurer à quel point ses provocations répétées (Il adore choquer en prônant le meurtre comme sélection sociale) ne tiennent pas face à l'épreuve des faits. Le film conte, d'une certaine façon, le réveil d'un humain face à l'ignoble réalité du mal... A ce titre, Hitchcock choisit de passer expertement d'un point de vue à l'autre: Brandon, Philip et Cadell... Le film est un triangle entre les trois, même si une intrigue secondaire, qui fait un peu plus passer Brandon pour un monstre, nous conte comment ce dernier invite la petite amie de sa victime en compagnie d'un autre garçon, dans le but de les rapprocher maintenant que la voie est libre... Cela a au moins le mérite de faire partir tout le monde plus tôt, car décidément, seul les trois personnages qui vont rester dans la confrontation sont vraiment importants.
Et bien sur, il faut aborder les sujets qui fâchent: Brandon et Philip vivent ensemble, et il semble que toutes et tous soient au courant. La première scène, celle qui les voit étrangler David (avec difficulté, bien sur, comme souvent chez Hitchcock qui ne nous a jamais caché que même s'il est tentant de faire le mal, le meurtre n'est en rien une chose physiquement facile), se termine par une conversation qu'il n'est pas difficile de prendre pour ce que les Anglophones appellent le pillow talk, les conversations sur l'oreiller: Philip essoufflé reprenant ses esprits (Ce que d'ailleurs il ne parviendra pas à faire), Brandon rassasié, assumant parfaitement ce qu'ils viennent de faire, et se payant le luxe d'allumer une cigarette dont il tire une longue bouffée... Plus tard, il apparaît que Brandon a invité Cadell précisément pour impressionner ce dernier... Hitchcock, toute sa vie durant, a confondu le crime et l'homosexualité, et les a liés, notamment dans certains personnages (Leonard dans North by Northwest, Bruno dans Strangers on a train, la liste serait longue), toujours intimement liés au crime. Cete profonde assimilation de l'homosexualité et du mal est hélas indissociable de son oeuvre...
Mais ce n'est pas le seul motif de fâcherie de ce film. S'il réussit à créer un suspense avec des moyens proprement cinématographiques, s'il tire de son nouveau jouet, la couleur, des effets convaincants (Il l'utilise en particulier pour faire passer le temps de manière convaincante, une nécessité pour un film en temps réel tourné en studio), en revanche, Hitchcock sacrifie beaucoup à une lubie: il a désiré tourner le film en plans-séquences... Oubliez la légende qui nous rabâche que le film est en fait un seul plan, c'est doublement faux: d'une part, le magasin de pellicule utilisé à l'époque ne peut contenir que minutes de négatif; donc des raccords bien pensés mais parfois embarrassants (La caméra plonge soudain sur un vêtement sombre pour obtenir une fraction de seconde de noir permettant un imperceptible changement de bobine, mais le mouvement de caméra ne peut en aucun cas se justifier pour quelque autre raison que ce soit) permettent de prolonger certains plans, mais à quatre reprises, Hitchcock coupe, pour de frai, et ces passages sont souvent parmi les plus convaincants. De la part de quelqu'un qui a souhaité prouver la supériorité du cinéma sur le théâtre filmé, cette idée était de toute façon purement et simplement idiote. Propice à faire parfois monter la tension, mais aussi à apporter tellement de problèmes à résoudre que le dispositif, ne s'imposait absolument pas. Plus grave, le dispositif vient parfois se substituer à toute possibilité de mise en scène, et pour un génie comme Hitchcock, c'est impardonnable...