Un producteur installé, au carnet d'adresses impressionnant, un réalisateur aguerri, au talent phénoménal, une intrigue noire et passionnelle qui passe par amours contrariées, jalousie, rivalité, obsession sexuelle, un décor qui profite de l'atmosphère (recréée bien sur) du Londres d'après-guerre, et des stars à la pelle. Bref, impossible que ça aille mal, n'est-ce pas? Eh bien si: ce film est catastrophiquement ennuyeux, vide, et se traîne durant deux heures.
Un avocat Londonien (Gregory Peck) reçoit une mission prestigieuse: celle de sauver la tête d'une femme d'origine étrangère (Alida Valli) qui est accusée du meurtre de son mari, riche et aveugle... Aveugle oui, mais pas autant que l'avocat: il va tomber rapidement amoureux de sa cliente, mais aussi va être la victime d'un juge (Charles Laughton) irascible, et qui se serait bien gardé l'épouse de l'avocat (Ann Todd) pour son dessert...
The Paradine Case devient du même coup, non seulement la chronique d'une affaire de justice qui va empoisonner la vie d'un avocat, au point de le mettre en porte-à-faux non seulement avec ses principes mais aussi avec son épouse, c'est aussi un sujet pourtant assez Hitchcockien en soi: le récit d'un couple en déconfiture progressive...
Pour bien comprendre le désastre et sa raison d'être, rappelons donc la différence entre producteur et réalisateur. L'un est souvent l'employeur de l'autre, mais pas que: cessez de confondre, pour commencer, et comme on le fait toujours en France où le grand public ne comprendra jamais cette question, producteur et financier: le producteur a bien une main sur la partie artistique d'un film, mais ce travail consiste à rendre un tournage possible, l'aider, conseiller un réalisateur, et prendre des décisions et mesures logistiques. Ce qui explique qu'un Ford, ou un Wellman, pouvait tout bonnement les envoyer se faire voir (Et l'un et l'autre avait des termes très clairs dans ces circonstances)... Mais ce qui explique aussi que dans un système comme celui des studios, un producteur comme Irving Thalberg (à la MGM) ou Joseph Kennedy (producteur indépendant occasionnel, et père de) avait plus de pouvoir qu'un réalisateur aussi dictatorial qu'il puisse être, et l'exemple auquel je pense, en citant les deux producteurs plus haut, est bien sur Erich Von Stroheim retiré du tournage de The merry-go-round en 1923, ou de celui de Queen Kelly en 1929!
Revenons donc à notre producteur et notre metteur en scène: c'est à ce dernier qu'incombent les plus importantes décisions artistiques. En d'autres termes, et le mot Anglais est clair à ce sujet: il dirige. Il instruit ses acteurs et techniciens, il oriente la production et il a la main sur tout, y compris la musique et le montage. Sauf que dans un bunker, pour reprendre l'analogie du musicien Andy Partridge, il ne peut y avoir qu'un seul Hitler! et c'est exactement le problème de ce film.
D'une part, le script rédigé par le producteur Selznick lui-même a été comme toujours révisé par son auteur, de jour en jour durant le tournage, sans trop de possibilités de se retourner. Ensuite, Hitchcock cherchait avec ce film à clore son contrat avec Selznick, justement, ce qui ne le poussait sans doute pas trop au conflit chronophage. Il l'a probablement beaucoup laissé faire. Mais le script de Selznick avait un problème: toutes ces stars (Peck, laughton, Valli, Ethel Barrymore, Charles Coburn, Louis Jourdan), il fallait les placer, les ménager, les choyer. Bref, le film est déséquilibré, et certains de ces acteurs souffrent d'ailleurs: Ann Todd est certainement la première des victimes du film! Et Selznick a pris le contrôle du film, et l'a recoupé: Hitchcock cherchait déjà à travailler en plans-séquences, ce que détestait Selznick, et il a saboté le montage pour couper les plans en permanence... et ça se voit. Bref, avec ce film Hitchcock achetait sa liberté.
Mais à quel prix...