Adapté d'une pièce à succès, Dial M for murder est sans doute l'un des films les plus connus d'Hitchcock. A première vue, c'est un film des plus ludiques, prétexte à essayer un système de 3D qui s'avèrera réussi, mais ce n'est pas beaucoup plus. Ce serait pourtant mal connaitre le réalisateur que de s'imaginer qu'il n'y avait pas dans ce film des ingrédients qui permettaient au moraliste Hitchcock de s'essayer à une nouvelle manipulation sur le public. Au-delà du glamour de tourner une adaptation d'une pièce de théâtre avec Ray Milland qui tente de tuer son épouse Grace Kelly, sous les yeux du limier John Williams, on voit le metteur en scène jouer avec le point de vue et évaluer la situation en observateur inconditionnel du péché, de la faute et de la culpabilité...
De la pièce, Hitchcock reprend tel quel l'argument, dans lequel Tony Wendice (Ray Milland), un joueur de tennis retraité qui a épousé une héritière riche (Grace Kelly), commandite son meurtre afin de toucher un héritage qui l'arrange d'autant plus que son épouse fricote avec un auteur Américain de romans policiers à succès (Robert Cummings). L'homme qui est supposé se charger de la besogne (Anthony Dawson) s'appelle Swann, et c'est un ancien condisciple de Wendice, que ses frasques passées fragilisent, le mettant en danger de chantage: c'est la condition qui permet à Wendice de faire pression sur lui pour qu'il accepte. Ce que ni Swann ni Wendice n'avaient prévu, c'est que Margot puisse tuer son attaquant, et non le contraire. Ce qui était encore moins prévu, c'est que malgré toute la préparation dont Tony fait preuve, un simple objet, une clé, ne vienne troubler son échafaudage alors que son épouse va être exécutée pour meurtre...
Le film ne respose pas, comme dans un whodunit, sur une simple recherche du coupable, mais au contraire sur la possibilité ou non que le personnage du meurtrier potentiel, joué par Ray Milland, se fasse pincer ou non. Le public est donc dès le départ dans la confidence, avec deux scènes de dialogues à la suite l'une de l'autre: entre les deux amants d'une part, qui discutent des mérites de mettre Tony au courant de leur liaison passée (et plus ou moins susceptible d'être ravivée), et entre Tony et Swann d'autre part, qui mettent au point le crime tel qu'il doit se dérouler.
Il est intéressant de constater que celui qui aurait pu être le héros d'un film plus classique, Robert Cummings, est laissé à l'écart par Hitchcock, alors que Ray Milland, bien que de toute évidence le criminel du film, reste absolument charmant, mettant au point tous les détails d'un crime dont il lui est facile de se distancier puisqu'il ne l'accomplira pas lui-même. Et Anthony Dawson, qui joue un homme qui a joué de malchance, reçoit ses instructions avec réticence. Tuer, il connait, il a déjà fait, et cela ne semble pas être de gaieté de coeur qu'il s'apprête à le refaire, d'autant qu'on le sait grâce à Hitchcock: Tuer est difficile, ce n'est pas à la portée de tout le monde...
Le metteur en scène, qui prétendait s'être contenté de filmer la pièce, s'est amusé à placer la caméra en seulement en fonction de la 3D (La scène du crime commence par un lent panoramique à 180°, afin de faire sentir l'espace à tout le public). La scène du crime lui-même est un modèle de ce qu'il faut faire avec la 3D, soit toujours moins, jamais plus... Mais Hitchcock place aussi son public en hauteur dans une scène qu'on pourrait imaginer prise directement telle quelle dans la pièce. C'est un plan-séquence, et Milland explique le déroulement de la soirée à Swann, le public est donc en hauteur, comme si les acteurs jouaient dans une fosse. Mais lorsque Margot montre des velléités de sortir, au lieu de rester sur place, permettant au crime de se tenir, nous en viendrions presque à trembler pour Tony! Comme d'habitude, Hitchcock s'amuse avec les frontières du bien et du mal dans ce film dont le héros après tout est un homme qui semble se chercher des excuses pour tuer sa femme!
Le film est une oeuvre charnière, se situant entre la période Warner, parfois erratique, et la plénitude des années Paramount, pour laquelle il accumulera les chefs d'oeuvre. comme en plus, il tourne ici pour la première fois avec Grace Kelly, il est à l'aise, et le film passe comme une lettre à la poste. Un plaisir... Vénéneux, bien sûr!