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22 octobre 2024 2 22 /10 /octobre /2024 14:20

Un producteur installé, au carnet d'adresses impressionnant, un réalisateur aguerri, au talent phénoménal, une intrigue noire et passionnelle qui passe par amours contrariées, jalousie, rivalité, obsession sexuelle, un décor qui profite de l'atmosphère (recréée bien sur) du Londres d'après-guerre, et des stars à la pelle. Bref, impossible que ça aille mal, n'est-ce pas? Eh bien si: ce film est catastrophiquement ennuyeux, vide, et se traîne durant deux heures. 

Un avocat Londonien (Gregory Peck) reçoit une mission prestigieuse: celle de sauver la tête d'une femme d'origine étrangère (Alida Valli) qui est accusée du meurtre de son mari, riche et aveugle... Aveugle oui, mais pas autant que l'avocat: il va tomber rapidement amoureux de sa cliente, mais aussi va être la victime d'un juge (Charles Laughton) irascible, et qui se serait bien gardé l'épouse de l'avocat (Ann Todd) pour son dessert...

The Paradine Case devient du même coup, non seulement la chronique d'une affaire de justice qui va empoisonner la vie d'un avocat, au point de le mettre en porte-à-faux non seulement avec ses principes mais aussi avec son épouse, c'est aussi un sujet pourtant assez Hitchcockien en soi: le récit d'un couple en déconfiture progressive...

Pour bien comprendre le désastre et sa raison d'être, rappelons donc la différence entre producteur et réalisateur. L'un est souvent l'employeur de l'autre, mais pas que: cessez de confondre, pour commencer, et comme on le fait toujours en France où le grand public ne comprendra jamais cette question, producteur et financier: le producteur a bien une main sur la partie artistique d'un film, mais ce travail consiste à rendre un tournage possible, l'aider, conseiller un réalisateur, et prendre des décisions et mesures logistiques. Ce qui explique qu'un Ford, ou un Wellman, pouvait tout bonnement les envoyer se faire voir (Et l'un et l'autre avait des termes très clairs dans ces circonstances)... Mais ce qui explique aussi que dans un système comme celui des studios, un producteur comme Irving Thalberg (à la MGM) ou Joseph Kennedy (producteur indépendant occasionnel, et père de) avait plus de pouvoir qu'un réalisateur aussi dictatorial qu'il puisse être, et l'exemple auquel je pense, en citant les deux producteurs plus haut, est bien sur Erich Von Stroheim retiré du tournage de The merry-go-round en 1923, ou de celui de Queen Kelly en 1929!

Revenons donc à notre producteur et notre metteur en scène: c'est à ce dernier qu'incombent les plus importantes décisions artistiques. En d'autres termes, et le mot Anglais est clair à ce sujet: il dirige. Il instruit ses acteurs et techniciens, il oriente la production et il a la main sur tout, y compris la musique et le montage. Sauf que dans un bunker, pour reprendre l'analogie du musicien Andy Partridge, il ne peut y avoir qu'un seul Hitler! et c'est exactement le problème de ce film.

D'une part, le script rédigé par le producteur Selznick lui-même a été comme toujours révisé par son auteur, de jour en jour durant le tournage, sans trop de possibilités de se retourner. Ensuite, Hitchcock cherchait avec ce film à clore son contrat avec Selznick, justement, ce qui ne le poussait sans doute pas trop au conflit chronophage. Il l'a probablement beaucoup laissé faire. Mais le script de Selznick avait un problème: toutes ces stars (Peck, laughton, Valli, Ethel Barrymore, Charles Coburn, Louis Jourdan), il fallait les placer, les ménager, les choyer. Bref, le film est déséquilibré, et certains de ces acteurs souffrent d'ailleurs: Ann Todd est certainement la première des victimes du film! Et Selznick a pris le contrôle du film, et l'a recoupé: Hitchcock cherchait déjà à travailler en plans-séquences, ce que détestait Selznick, et il a saboté le montage pour couper les plans en permanence... et ça se voit. Bref, avec ce film Hitchcock achetait sa liberté.

Mais à quel prix...

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
29 septembre 2024 7 29 /09 /septembre /2024 15:50

Notorious est le 9e film Américain d'Hitchcock, et l'avant-dernier produit  durant la période de son contrat avec Selznick. Non que ce soit un film Selznick, puisque comme chacun sait le metteur en scène n'aura tourné que trois films sous la houlette de son "patron," mais celui-ci a passé son temps à "louer" les services de son poulain à d'autres, résultant le plus souvent en des productions de prestige pour d'autres studios: la Fox (Lifeboat), Universal (Saboteur, Shadow of a doubt) ou RKO (Suspicion, Mr & Mrs Smith). C'est avec certains de ces films, en particulier Suspicion ou surtout Shadow of a doubt, qu'Hitchcock a sans doute le plus pris ses marques, et préparé le terrain pour ses productions futures, et bien entendu produit certaines de ses oeuvres les plus personnelles des années 40. Notorious en fait donc partie, et c'est en effet un film très important...

Prévu pour être une production Selznick, le bébé a été refourgué à la RKO par le producteur, avec son metteur en scène. Si ensuite David Selznick, qui ne savait pas ce qu'il voulait, tâchera d'influer en faisant remplacer l'acteur principal par Joseph Cotten, on ne peut que se réjouir que Hitchcock et Grant aient tenu bon... C'est donc la deuxième collaboration des deux hommes, et après le playboy soupçonné d'intentions criminelles de Suspicion, c'est à nouveau un Grant différent des habitudes qui se présente à nous. Face à lui, une Ingrid Bergman en grande forme, et le duo est de fait explosif, inspirant Hitchcock de façon décisive. Pour terminer ce tour d'horizon rapide, on se réjouira de trouver sous la marque éminemment Hitchcockienne du criminel sympathique, Claude Rains qui est à la hauteur, contrebalancé par un chef des services secrets Américains joué par Louis Calhern, trop poli pour être honnête.

Tout en surfant sur la vogue des films d'effort de guerre (Qui rappelons-le venait juste de se terminer), Notorious est à la fois un film d'espionnage élégant, et un drame sentimental d'un genre nouveau, profondément adulte, et dont le principal combat se situe au niveau de la morale et du devoir...

Notorious, un adjectif qui a un double sens: d'une part, notion de célébrité, mais d'autre part cette célébrité n'est pas liée à une notion d'oeuvre, d'accomplissement; il en ressort que le terme a des connotations péjoratives très marquées. De fait, à Miami, Alicia Hubermann (Bergman) est la fille, constamment surveillée par la presse, d'un homme d'origine Allemande, qui vient d'être jugé coupable de trahison et envoyé en prison: il complotait avec des Nazis... Elle noie son mal-être dans l'alcool et les plaisirs, et fait la rencontre d'un mystérieux inconnu, dont elle tombe instantanément amoureuse, Devlin (Cary Grant). celui-ci est un espion Américain, dont le travail est de recruter Alicia... et de l'envoyer séduire Alex Sebastian (Claude Rains), un riche ami de son père qui pourrait bien être au centre du complot, et qui a toujours eu un faible pour la jeune femme. Avec réticence, voire dégout, Devlin exécute les ordres, malgré le fait que les deux héros vivent désormais ensemble, et la descente aux enfers dAlicia commence, supervisée par un Devlin de plus en plus amer au fur et à mesure que le film se déroule...

A cette intrigue mi-sentimentale, mi-policière, le metteur en scène ajoute des discussions entre les espions, dirigés par Louis Calhern, au cours desquelles les Américains révèlent de façon parfaitement odieuse tous leurs préjugés vis-à-vis d'Alicia qu'ils prennent pour une trainée. Devlin ne cache pas son dégout à la fois pour ses supérieurs, mais aussi pour Alicia, qu'il n'a pas suffisamment protégée contre la tâche dégradante qui lui est confiée. Mais derrière cette notion de devoir, le devoir de Devlin de demander à la femme qu'il aime de coucher avec un Nazi (!), ou le devoir de cette même femme de fermer les yeux et de penser à l'Amérique,se cache également l'insurmontable peur de s'engager directement pour Devlin, qui avant les dix dernières minutes n'a jamais avoué ses sentiments à Alicia... Est-ce par morale, parce qu'il désapprouve sa conduite passée, ou la croit incapable de changer, est-ce parce qu'il la croit aussi peu digne qu'une prostituée, etc.. La question est souvent posée, sans réponse, par Alicia, et les échanges entre les deux amants deviennent de plus en plus noirs au fur et à mesure que le film avance... L'amour, ce n'est pas toujours un bouquet de violettes. Ici, en particulier, mélangé avec le devoir, ça devient quelque chose de bien différent d'une partie de plaisir.

A ces deux personnages, et aux cyniques Américains, on notera qu'Hitchcock ajoute des Nazis, qui pour certains d'entre eux (Anderson, joué par Reinhold Schünzel, ou Sebastian-Claude Rains) sont aimables, gentils et prévenants: comment ne pas contraster les manières d'homme du monde de Sebastian, avec le geste de Devlin qui donne un coup de pied brutal sur le cheval d'Alicia pour provoquer la rencontre entre celle-ci et sa cible? Il compte, tout  simplement sur un geste chevaleresque de l'Allemand... Le visage acceptable voire séduisant du mal, c'est l'un des thèmes d'Hitchcock, qui nous avait déja montré, dans sa galerie de portraits, Paul Lukas dans The lady vanishes, par exemple, ou l'oncle Charlie de Joseph Cotten dans Shadow of a doubt... Ici, il accompagne son "méchant" d'une mère plus difficile, qui est par certains cotés sa mauvaise conscience, jouée par Madame Konstantin, elle est l'une des premières mères monstrueuses de l'oeuvre. Il y en aura d'autres...

Enfin, Hitchcock ne se contente pas de filmer les ébats (Bergman et Grant réussissent à donner l'impression d'une intimité très forte, qui a du faire exploser les petites lunettes de plus d'un censeur aux Etats-Unis), il montrent aussi les espions à l'oeuvre, grâce à l'intrusion d'un "McGuffin" intéressant (Du minerai d'uranium, caché dans des bouteilles millésimées), d'un objet essentiel (La clé de la cave, gardée jamousement par Claude Rains, mais subtilisée au péril de sa vie par Ingrid Bergman, Alicia devenue entretemps Mrs Sebastian), d'une occasion en or (Une réception à la maison Sebastian, au cours de laquelle Devlin a été invité, et durant laquelle Sebastian ne lâche pas son épouse d'une semelle), et de deux erreurs qui conduiront fatalement Sebastian à soupçonner son épouse (une bouteille cassée dans la cave, et la clé manquante après la soirée). Ajoutez à cela un baiser comme seul prétexte rationnel de la présence de Grant et Bergman dans la cave, et un travelling avant qui rappelle celui, fameux, de Young and innocent, et on aura une séquence d'anthologie... Mais la fin, qui voit Grant intervenir directement dans la maison Sebastian pour sauver Alicia affaiblie par des doses quotidiennes de poison, est aussi un haut moment de suspense.

Voilà, nous tenons avec Notorious un film d'une grande classe, dans lequel Hitchcock a réussi à résoudre à sa façon le problème de la quadratire du cercle: il propose un élégant drame sentimental, matiné d'une intrigue d'espionnage superbement mise en scène, le tout baigné de réflexions fondamentales sur l'engagement, aussi bien idéologique que sentimental, le devoir, et les préjugés amoueux face aux apparences. Après ce film, un de ses grands classiques, il ne lui restera plus qu'à tourner vite fait (mal fait) un dernier film-pensum pour son mentor Selznick, et il sera prêt à voler de ses propres ailes...

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Cary Grant
18 septembre 2024 3 18 /09 /septembre /2024 17:16

Hitchcock ne souhaitait pas forcément adapter le roman que Selznick lui avait confié: ce film est donc une commande, la deuxième de son contrat en bonne et due forme pour le producteur indépendant, après Rebecca (1940) et avant The Paradine case (1946). Le film traite d'abord et avant tout de psychanalyse, mais sous le versant criminel, ce qui était clairement au goût du jour dans les années 40: Lang (Secret beyond the door) y a sacrifié, et Van Dyke aussi (Rage in heaven)...

L'histoire est bien connue, qui nous emmène dans une institution psychiatrique dont le directeur va être remplacé; le personnel attend le nouveau directeur, en affichant son soutien au partant, le Dr Murchison (Le fidèle Leo G. Carroll). Lorsqu'il arrive, le jeune et séduisant Dr Anthony Edwardes (Gregory Peck) intrigue: sympathique mais il n'a pas l'étoffe d'un directeur d'institution hospitalière... et il a des phobies étranges... Il a aussi tapé dans l'oeil de Constance Petersen (Ingrid Bergman), la pourtant trop raisonnable psychanalyste, dont le flirt n'est pas l'occupation la plus courante. Alors lorsque Edwardes lui révèle qu'il n'est pas ce qu'il a prétendu être, mais un amnésique, et qu'il se croit le meurtrier du vrai Dr Edwardes, elle mobilise toute son énergie et son savoir-faire pour lui faire retrouver la mémoire, et l'innocenter.

La psychanalyse, ici, c'est le terrain de jeux du script de Ben Hecht, au même titre que ces pays visités par les héros de To catch a thief (Cartes postales de la Cote d'azur), Foreign Correspondent (Moulins et parapluies Hollandais) ou North By Northwest (Son train mythique, sa gare monumentale, son Mont Rushmore). on aura donc droit à un certain nombre de passages obligés, ainsi que de jolies images, commandées à Salvador Dali pour l'énoncé d'un rêve (Même si il y aurait eu fâcherie, soit entre le peintre et Hitchcock, soit avec Selznick), ou encore de bien belles métaphores (Lors de la scène du baiser entre le frêle médecin et la jolie psychanaliste, on voit en surimpression un couloir barré de cinq portes, qui toutes s'ouvrent gracieusement les unes après les autres). C'est parfois irritant, du reste, de devoir avaler un tel concentré de psychanalyse. Mais Hitchcock réussit malgré tout à maintenir l'intérêt, en offrant une cavale sympathique entre les deux héros, qui va les pousser à partager une intimité qui va au-delà de la simple camaraderie (Certaines conversations font d'ailleurs assez clairement allusion à cette intimité, de façon pas si détournée: ainsi, lorsqu'il est question de partager une chambre); il sait bien sûr baliser son histoire de moments intéressants, de la découverte d'un secret enfoui (Traité presque par-dessus la jambe par le dialogue, mais accompagné d'images impressionnantes lors d'une brève séquence) et réussit à faire jouer son humour, en particulier grâce à un personnage assez truculent de vieux psychanalyste auquel on ne la fait pas. La beauté des images de George Barnes se combine avec la science du cadre du metteur en scène pour des images définitives.

Si on a l'impression d'un Hitchcock mineur, c'est sans doute que cette histoire ne lui convenait que partiellement, ce qu'il a toujours dit. Il n'était pas à l'aise avec Peck, et trouvait probablement la dose de psychanalyse trop lourde. mais de toute évidence, il a apprécié de travailer avec Ingrid Bergman, qu'il s'est empressé d'engager pour son projet suivant, un film nettement plus personnel celui-ci... Mais déjà, en héroïne corsetée, immobilisée par le poids de son savoir et sa rigueur scientifique, et qui se découvre tout à coup l'envie de se laisser aller aux sentiments, l'actrice est plus que convaincante.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
11 septembre 2024 3 11 /09 /septembre /2024 18:17

Des comédiens français installés à Londres s'apprêtent à monter sur scène, pour donner une pièce de propagande anti-nazie. L'un d'entre eux hésite encore sur la façon dont il doit jouer son personnage. Un de ses camarades, ancien avocat à Madagascar dans sa vie d'avant, lui conte une anecdote impliquant un vrai beau salaud de collaborateur, pour lui donner l'inspiration...

Après Bon Voyage, qui s'intéressait au périple d'un soldat Ecossais naïf qui tombait sans sans rendre compte dans les griffes d'un membre des forces pétainistes, ce deuxième moyen métrage réalisé en Français par Hitchcock est une histoire plus embrouillée, qui raconte les faits et gestes d'un avocat qui sous couvert de collaboration, participe activement à des missions de sabotage pour contrer la politique vichyste du gouverneur de Madagascar.

C'est plus long, et assez embrouillé, pour être honnête. Le metteur en scène n'y trouve pas, contrairement à son autre film court, des scènes qui vont vraiment l'intéresser, et... ça se voit. Il est vrai qu'on génère du suspense en poussant le spectateur à s'identifier à des personnages en danger, alors qu'ici la narration est entre les mains d'un je-sais-tout particulièrement imbu de lui-même...

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
11 septembre 2024 3 11 /09 /septembre /2024 18:16

L'action se passe à Londres, dans les locaux de la France libre durant la seconde guerre mondiale... Un jeune soldat Ecossais qui vient de s'évader d'un camp de prisonniers en France est interrogé sur le résistant modèle avec lequel il s'est fait la malle, et apprend ici qu'il a été victime d'un espion...

C'est l'un des deux films réalisés en Français avec des acteurs exilés, à Londres par Hitchcock. J'imagine qu'il y a du avoir des tractations auprès du réalisateur auquel certains reprochaient d'être parti de Grande-Bretagne à un moment pas vraiment opportun. Quoi qu'il en soit, il fait ici son métier, ni plus ni moins mais c'est déjà beaucoup.

Et cette cavale équivoque et essentiellement nocturne, racontée en flash-back par un naïf, a beaucoup d'attraits pour le metteur en scène qui y trouve parfois son bonheur. Beaucoup plus en tout cas que dans Aventure Malgache, l'autre moyen métrage francophone de la même période...

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
9 septembre 2024 1 09 /09 /septembre /2024 14:51

Au beau milieu des années 40, l'unique film d'Hitchcock pour la Fox fait partie de deux ensembles bien singuliers: il est avec Rope (1948) un défi formel particulièrement affirmé, et forme avec Foreign Correspondent (1940), Saboteur (1942), Bon Voyage & Aventure Malgache (1944) un groupe de films qui participent à l'effort de guerre, officiel ou non. Il n'a pas coutume à être considéré comme l'un des Hitchcock majeurs, même s'il reste à la fois l'un des plus méconnus et l'un des plus voyants de la période, ce qui n'est pas banal. Néanmoins, à la faveur d'une ressortie en BluRay et DVD chez Masters of Cinema, on se reprend à le réévaluer...

Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'un film dont les défauts restent importants, mais dans lequel la maitre a au moins su se poser quelques défis, et a réussi à rendre intéressant ce qui aurait si facilement pu devenir un pensum lourdingue. On connait bien l'argument symbolique, du à John Steinbeck: des passagers et des hommes d'équipage d'un bateau Américain en route pour l'Angleterre qui se fait couler par un U-Boot, trouvent refuge dans un canot de sauvetage. Le U-Boot ayant lui aussi coulé, ils en recueillent un unique rescapé, un homme qui se présente comme ne comprenant pas l'Anglais, et comme un simple marin, et non un officier. Etant le meilleur marin du canot, il prend vite les commandes et va manipuler à sa guise les Américains divisés par leurs préjugés de classe, et leur naïveté...

Pour Hitchcock, l'intérêt premier est bien sur le huis-clos d'un genre particulier, puisqu'on ne quitte jamais le canot; lorsque le générique défile, on voit les conséquences immédiates de l'attaque du U-Boot; lorsque la fin arrive, les passagers vont être sauvés, cela ne fait aucun doute. Tout le film se déroule donc dans le cadre de la fragile embarcation où on pris place les protagonistes. On a surtout, au sujet de cette figure imposée par le metteur en scène, évoqué sa participation, en rappelant qu'il est représenté en silhouette sur une publicité imprimée sur le dos d'un journal consulté par l'un des passagers...

Mais faut-il le rappeler, le film se déroule entièrement autour des passagers d'un canot de sauvetage et à ce titre, c'est un tour de force, bien sûr: Hitchcock a excellé à trouver les angles de prises de vues, variant les approches des conversations et autres conciliabules, évitant autant que possible le champ/contrechamp, donnant corps aussi bien aux relations privilégiées entre tel et tel personnage, qu'au groupe ou à l'isolement d'un homme ou d'une femme. Mais le film n'est pas qu'un tour de passe-passe formel, c'est aussi une charge symbolique...

Pour commencer, les protagonistes sont tous clairement définis, dès l'exposition, qui se charge de nous les faire découvrir les uns après les autres, et se clôt sur le seul qui aura des surprises à nous réserver: Willi, le marin Allemand, nazi et manipulateur, joué par Walter Slezak.

Tallulah Bankhead joue ici le rôle de Constance Porter, une journaliste de la presse bourgeoise, jalouse de sa  réussite. John Hodiak joue Kovac, un mécanicien du bateau, dont les sympathies communistes supposées vont le pousser à prendre généralement le contrepied de la précédente, même s'ils finiront dans les bras l'un de l'autre. Un copain du précédent, Gus, est joué par William Bendix; il est lui aussi instinctivement poussé à se méfier de Willi, même s'il ne maitrise pas les tenants et aboutissants idéologiques. Un problème à sa jambe poussera les autres occupants du bateau à préconiser une amputation... qui sera effectuée par Willi. Stanley "Sparks" Garrett, un autre marin (Hume Cronyn) a de l'expérience en matière de naufrages... Il est aussi assez fataliste, mais surtout foncièrement humaniste. Il se rapproche de Alice Mackenzie (Mary Anderson), une infirmière qui va se dévouer durant le voyage. Parfois volontairement à l'écart, le garçon de bar noir, Joe (Canada Lee), prendra très mal le fait qu'on fasse à un moment appel à ses talents de pickpocket, qui le renvoient à son passé, mais aussi sa condition sociale et "raciale". Enfin, si on excepte une jeune femme mère d'un enfant noyé, qui se suicide très tôt dans le film (Heather Angel), le dernier des Américains est un passager, le milliardaire Rittenhouse (Henry Hull): les conversations entre le brave entrepreneur naïf et le mécanicien remonté ramènent à la lutte des classes, sous l'oeil gourmand du nazi manipulateur.

On le voit, les portées symboliques de chaque protagoniste sont savamment calculées. De fait, cela est un des défauts du film, cette dimension idéologique qui prend parfois un peu trop de place, même si les frontières ne vont pas tarder à sauter. Mais ce qui a pu réjouir Hitchcock, c'est que le méchant est fantastique. Sympathique, de fait, mais nazi jusqu'au bout des yeux. Il est à la fois le garant d'une propagande anti-nazie bien assumée par le film, mais aussi un reflet des propres préoccupations du metteur en scène, comme Sebastian dans Notorious, il est un nazi certes, mais aussi un homme aux aspects séduisants. Plus fort que Sebastian, même, il est à un moment traité de surhomme par les passagers... L'intrigue du film est basée sur les conflits entre Kovac, Gus d'un coté, et Rittenhouse et Porter de l'autre, ne sont pas d'accord sur le sort à réserver au marin Allemand: le recueillir, ou le jeter par dessus bord. A la fin du film, lorsqu'un autre marin Allemand se retrouve à demander asile, le conflit repart de plus belle. D'une certaine manière, Hitchcock montre les mécanismes, nous avertit de la duplicité du nazi, mais ne démontre rien, ni ne nous oblige à le suivre sur une quelconque pente idéologique. Ce qui explique sans doute que ce film marqué par les années de guerre n'ait éveillé par la suite que des commentaires formels de sa part. Une façon comme une autre pour le metteur en scène de se détacher du contenu...

Sans être fascinant, le film est suffisamment gonflé et réussi pour éveiller notre attention aujourd'hui. Moins réussi que tant d'autres films, il est quand même un film prenant dans lequel le talent d'Hitchcock pour peindre les humains en danger est une fois de plus mis en valeur, pour 97 minutes d'émotion sans pause. ...Excusez du peu.

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
8 septembre 2024 7 08 /09 /septembre /2024 16:04

Celui de ses films qu'a longtemps préféré Hitchcock commence par une séquence qui utilise un motif qui reviendra: comme l'oeil d'un entomologiste, la caméra s'insinue à New York, visitant un quartier puis une rue, puis une maison, puis une fenètre, et enfin pénètre dans une chambre où un homme, allongé sur un lit, fume un cigare. A coté de lui, sur une table de nuit, des billets de banque...

On reverra ce dispositif, plus fluide encore, à l'ouverture de Psycho. dans les deux cas, il nous attire de suite l'attention sur un crime ou une faute (Dans Psycho, un adultère). On va donc très vite savoir que Charlie Oakley (Joseph Cotten) est un tueur de veuves, un Landru moderne, et que la police est à ses trousses. Il échappe d'ailleurs de peu à une confrontation avec deux détectives. Il prend la décision de partir vers l'ouest ou il va visiter la famille de sa soeur. Hitchcock nous invite donc à le suivre à Santa Rosa, Californie, et nous présente la famille de "l'oncle Charlie": sa soeur, aimante et aveugle à la nature profondément noire de son petit frère chéri, le beau-frère Joe, un banquier modeste qui trompe son ennui en discutant de criminologie et de meurtre avec son voisin Herb, les deux petits Ann et Roger et surtout la nièce préférée, qui s'appelle elle aussi Charlie. Mais si l'arrivée de l'oncle tueur va bouleverser la famille, c'est surtout la jeune charlie (Teresa Wright) qui va le ressentir: en effet, elle va découvrir la vérité sur son oncle, un homme qu'elle a toujours vénéré, et grandir de façon spectaculaire par la même occasion.

Charlie et Charlie: dès leur introduction, Hitchcock lie les deux membres de la même famille en les présentant dans la même position, pris dans une étrange connection télépathique... Alors que son oncle est en route pour Santa Rosa, la jeune Charlie qui s'ennuie, seule allongée sur un lit comme l'était Charlie Oakley dans sa chambre à New York, finit par aboutir à la conclusion que ce dont la famille (Et elle en particulier) a besoin, c'est de son oncle Charlie, pour les secouer un peu... Au moment d'envoyer un télégramme pour le faire venir, elle apprend qu'il est déjà en route. Cette connection entre eux (soulignée par un geste au début: l'oncle Charlie offre une bague à la jeune Charlie, un acte particulièrement chargé symboliquement) est l'élément principal qui précipite le drame: s'il dit souvent que Charlie est "sa nièce préférée", l'oncle sait aussi que la jeune femme est la plus à même de découvrir la vérité sur lui. Elle va en attandant se rendre compte assez vite que l'homme est un misanthrope, et un misogyne qui justifie ouvertement le meurtre de femmes inutiles dans une conversation à table, qui devient glaçante par l'utilisation d'un travelling lent et très précis, qui se termine sur le visage terrifiant du criminel...

La dualité entre les deux permet à Hitchcock d'explorer avec bonheur l'idée de l'intrusion du mal dans une famille Américaine aussi conventionnelle que possible (Certes, ils s'en défendent, et ils sont de braves gens, un peu excentriques, mais comme il en existe des milliers). Un Charlie est-il l'équivalent d'une Charlie? La jeune femme découvre avec effarement la proximité du crime, qui va de pair avec sa proximité avec l'oncle chéri... qui va vite devenir l'oncle dangereux, puis un meurtrier qui manquera par deux fois de la tuer.

Dans ce qui est le prototype de ses films noirs à venir, d'une rigueur impressionnante, Hitchcock observe une ville entière se mettre aux pieds d'un homme tellement flamboyant, si beau parleur, si séduisant, mais qui est le mal incarné. Je ne pense pas qu'il y avait chez le metteur en scène une intention de dénonciation des idéologies extrémistes en vigueur en Europe (Même si... le discours froid de l'oncle Charlie sur le fait de se débarrasser de vieilles dames inutiles, ou le plan qui voit le voyageur satisfait arriver et laisser toute sa famille courir devant avec ses valises, pendant que lui, l'homme supérieur prend son temps et flâne avec plaisir); il généralise, et fait de Charles Oakley le symbole du crime, qui nous est montré comme étant une possibilité dans des petites bourgades aussi normales et tranquilles que Santa Rosa: sans que personne ne s'en rende compte, le diable est arivé chez eux. Et quand il mourra, tout le monde le pleurera et lui fera même des funérailles en grande pompe, parce que dire la vérité, c'est admettre que le mal est partout, et ni la jeune Charlie ni son grand benêt de fiancé détective ne le souhaitent sans doute...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir
2 septembre 2024 1 02 /09 /septembre /2024 16:59

Un homme injustement accusé d'avoir commis un crime court à travers les Etats-Unis pour se disculper, et au fur et à mesure passe d'une situation rocambolesque à l'autre, tout en entrainant une jeune femme persuadée de sa culpabilité mais attirée quand même par lui... Cette intrigue rappelle vraiment The 39 steps, et on sent d'ailleurs Hitchcock à l'aise, dans ce qu'il sait faire au mieux: un film aux dimensions modestes mais aux frissons maximum, qui plus est parfaitement orchestrés.

On est en guerre, et à sa façon Saboteur est un film de propagande, comme la majorité des films du metteur en scène durant la période. Il est aussi sa première rencontre avec la Universal, qui distribue le film produit par Frank Lloyd; je ne sais pas ce qu'il faut attribuer vraiment à Lloyd, tant le film est purement Hitchcockien.

Le film commence dans une usine Californienne: on y construit des avions, et les premiers plans nous montrent de nombreux hommes armés, à cause de la crainte des saboteurs en cette période de guerre. Un homme, Barry Kane (Robert Cummings) perd son meilleur ami dans un attentat, dont il sait que c'est un nommé Fry (Norman Lloyd) qui l'a perpétré; le problème, c'est d'une part que personne ne connait Fry, pas même les supérieurs de Kane, et que personne ne l'a jamais vu; d'autre part, des témoins sont près à jurer qu'ils ont vu le héros tendre à son ami le piège qui lui a couté la vie. Incapable de se disculper, Kane s'échappe et part en quête de Fry, déterminé à faire justice et se laver de tout soupçon. En chemin, il rencontrera beaucoup de monde: un camionneur sympathique, un aveugle particulièrement clairvoyant, sa nièce particulièrement soupçonneuse (Priscilla Lane), des "monstres" de cirque, et bien d'autres encore...

Hitchcock, à mon sens, avait tout à perdre à se retrouver estampillé réalisateur de films de prestige comme le souhaitait David O. Selznick, et c'est la raison pour laquelle le metteur en scène était en souvenir de ses années en Grande-Bretagne, attiré par ce genre de films, populaires et mouvementés. Aux commandes de cette oeuvrette qui a la bougeotte (On y traverse les Etats-Unis du Sud-Ouest jusqu'au Nord-Est), Hitch se plait à replacer la structure de The 39 steps jusque dans de nombreux détails, et il serait d'ailleurs intéressant de se livrer à une comparaison des deux! il revisite son propre univers avec gourmandise, et nous livre une galerie de méchants qui sont tous plus raffinés les uns que les autres (dont l'inquiétant Fry interprété par Norman Lloyd, des scènes de décalage inattendu, comme ce référendum improvisé entre les phénomènes de foire d'un cirque qui votent pour savoir s'ils vont aider Kane ou le donner à la police, et bien sûr il nous donne avec Kane un homme du peuple, foncièrement innocent mais qui porte sa part de culpabilité innée comme tous les grands héros du metteur en scène. Celui-ci était plutôt satisfait de Robert Cummings, mais s'avérait exaspéré qu'on lui ait imposé Priscilla Lane. C'est franchement injuste: elle est excellente...

Le film aussi, d'ailleurs: avec Suspicion, il est l'un des premiers classiques Américains du metteur en scène, qui s'en prend cette fois au Mal avec un grand M, incarné dans un plan superbe, qui voit l'usine dont les murs sont clairs, soudain envahie de fumée noire qui s'infiltre partout...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
30 août 2024 5 30 /08 /août /2024 22:09

On peut difficilement faire plus Hitchcockien que ce film merveilleux, l'un des chefs d'oeuvre du metteur en scène. Il se fait plaisir, avec une adaptation d'un livre, dont il a confié la mise en oeuvre à son épouse Alma, assistée de Joan Harrison; le roman Before the fact, de Francis Iles, avait presque tout pour intéresser Hitchcock: une intrigue classique située dans le sud de l'Angleterre, une narration à la première personne par une femme qui allait être la victime d'un meurtre, et le découvrait progressivement. Parmi d'autres mensonges du maître, naïvement colportés par François Truffaut, Hitchcock est supposé avoir regretté toute sa vie avoir "trahi" son idée initiale en changeant le personnage de Johnny Aysgarth qui dans son film devient innocent de tout crime. On ne croit pas une seule seconde à cette hypothèse: d'une idée amusante dans le roman, Hitchcock passe à une étude noire sur l'âme humaine, doublée d'un regard impressionnant sur la psychologie d'une femme qui a toute sa vie réprimé sa sexualité, et éprouve les plus grandes difficultés à y faire face...

Johnny Aysgarth, meurtrier potentiel et play-boy invétéré, ce sera donc Cary Grant, pour le premier de quatre rôles en or pour Hitchcock. Et face à lui, déjà sollicitée par Hitchcock pour Rebecca, on trouve Joan Fontaine dans ce qui est peut-être son meilleur rôle...

Lina, une jeune femme très comme il faut d'une famille respectable, rencontre le flamboyant Johnny Aysgarth, un play-boy aux manières déplaisantes... dont elle tombe amoureuse de suite. Sans trop attendre, et bien sûr contre l'avis des parents de la jeune femme, ils se marient, et commencent à vivre une vie de luxe, avant que Lina ne se rende compte que son mari n'a en réalité pas un sou... Et si son comportement irresponsable et insouciant ne l'inquiète pas trop, elle réalise assez vite que le tempérament de Johnny ne s'accommode ni d'un travail à plein temps, ni de plaies d'argent. Lorsque il se lance en compagnie d'un ami dans une affaire un peu louche, et que cet ami meurt d'une façon étrange, se peut-il que Johnny ait provoqué sa mort pour mettre la main sur ses parts? Et quand viendrait donc son tour à elle?

Oui, le film est nettement plus intéressant si le soupçon de meurtre n'est qu'un soupçon, et si tout, finalement, est dans la tête de Lina. Tout commence dans l'obscurité, de façon inattendue: on entend la voix de Cary Grant, et la lumière se fait: nous sommes dans le compartiment d'un train qui vient juste de passer sous un tunnel, et Johnny Aysgarth vient d'entrer là ou seule Lina se tenait. Elle lisait, et tout est fait pour nous la présenter comme une vieille fille typique: lunettes, tenue très austère, et un livre de psychologie sur les genoux. Mais Johnny, quand il la reverra, aura le coup de foudre: débarrassée de ses lunettes, à cheval, le sourire aux lèvres, Lina est une femme bien plus belle qu'elle n'y paraissait... Une bonne part de la première moitié du film est consacrée à cette métamorphose à caractère sexuel. Et Hitchcock fait jouer tous les éléments en faveur de la séduction de Lina par Johnny...

C'est pourtant le point de vue de Lina qui est l'unique vecteur de l'intrigue, et c'est ce qui donnera à la deuxième moitié, celle durant laquelle les soupçons s'installent, tout son intérêt: tout commence lorsque Aysgarth, sans émotion apparente, dit à son épouse que leur ami Beaky ne devrait pas boire de Cognac, car ça le tuera un jour: on passe de la comédie sentimentale, basée essentiellement sur l'embarras d'une jeune femme riche qui découvre la vie un peu dangereuse de son flambeur de mari, à un drame psychologique dans lequel une femme qui s'est donnée à un homme découvre des facettes de plus en plus inquiétantes de son caractère. Et la mise en scène d'Hitchcock se métamorphose de séquence en séquence, tendant inéluctablement vers une confrontation entre les soupçons de l'une et la vérité de l'autre, qui est aussi du même coup un test pour les sentiments de l'une et de l'autre.

La séquence la plus célèbre de ce film est bien sûr celle du verre de lait, durant laquelle Lina, qui s'est apparemment résignée à l'hypothèse que son mari veuille l'empoisonner, va se coucher pendant que Johnny va lui chercher la boisson. La maison dans laquelle la plupart des scènes se passent est un endroit très lumineux, mais qui sait devenir inquiétant à l'occasion. Cette scène est fabuleuse pour la science des ombres et de la lumière du metteur en scène, et bien sûr pour une idée simple, mais géniale: une source de lumière cachée à l'intérieur du verre de lait, et il nous est impossible de regarder autre chose... Tout le film brille d'une mise en scène assurée, sans aucun effet gratuit, qui joue sur les impressions, le non-dit, et utilise toutes les ressources du décor, et de l'intrigue... Voire les deux: une scène voit Lina recevoir des nouvelles de l'ami Beaky, et comme elle commence à soupçonner son mari, elle reçoit des policiers qui lui donnent un article de journal à lire. Ce qu'elle fait, mais non sans avoir chaussé ses lunettes, et pris place sous le regard inquisiteur d'un portrait de son très sévère père disparu, qui désapprouvait tant son choix de se marier avec Johnny Aysgarth. Elle redevient à cet instant la vieille fille à la sexualité réprimée... En confondant systématiquement ces deux aspects du personnages, Hitchcock nous livre une fois de plus un portrait époustouflant d'un personnage. Il nous fait part aussi de ses propres vues sur la sexualité féminine; on remarquera au passage que parmi les personnages qui "aident" Lina à comprendre, ou plutôt à se méprendre sur Johnny, figure Isobel, une amie autrice de romans policiers, qui a quelques habitudes masculines, et vit avec une femme. Comme toujours hélas, l'homosexualité est indissociable de l'erreur chez Hitchcock!

Mais quoi qu'il en soit, ce film magnifiquement construit, qui voit Hitchcock faire semblant de retourner en Grande-Bretagne, reconstruite en Californie (les matte paintings étaient nécessaires pour transformer le ciel radieux en univers nuageux...) est une oeuvre parfaitement maîtrisée, qui aboutit à une superbe étude du soupçon chez une personne autrement parfaitement sensée. Et nous, spectateurs, n'avons-nous pas eu les mêmes soupçons? Et n'en reste-t-il pas un peu au moment ou le mot fin apparaît? Ce film noir, élégant, est un plaisir sans cesse renouvelé, dans lequel on retrouve deux acteurs au sommet de leur art, et en prime la superbe musique de Franz Waxman.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir Cary Grant
29 août 2024 4 29 /08 /août /2024 15:07

M. et Mme Smith (Robert Montgomery et Carole Lombard) s'aiment. Ils ont une relation fusionnelle, et nous les surprenons un matin, lors d'une escapade, une embardée des deux époux hors du monde, à rester au lit sans jamais quitter leur chambre d'hôtel... Mais ils apprennent quelques jours plus tard qu'un détail technique (le découpage du territoire entre la frontière du Nevada et celle de l'Idaho) empêche leur mariage d'être légal. Amusé, M. Smith décide de profiter de la situation pour faire de son épouse sa maîtresse... Mais celle-ci prend la chose très au sérieux.

D'une part:

Non, ceci n'est pas, comme on le lit partout, "la seule comédie d'Alfred Hitchcock" (The farmer's wife, Waltzes from Vienna, To catch a thief ou The trouble with Harry, par exemple, en sont la preuve), ni "le pire film d'Alfred Hitchcock" (Topaz, Easy virtue, Juno and the paycock, The Skin Game, et Family plot sont tous bien pires). Ce n'est pas non plus "un film imposé par les producteurs" comme on l'entendra ici ou là: en 1941, on n'impose rien à Hitchcock. 

La présence, dans la filmographie du "maître du suspense", de cette petite comédie qui ne casse pas des briques, peut s'expliquer après tout par le fait que Carole Lombard qui admirait ses films, avait vu avec raison des éléments de comédie qui brillaient dans la plupart des films du metteur en scène et rêvait d'interpréter un film sous sa direction. Et si on regarde ne serait-ce que l'excellente scène de The 39 steps durant laquelle Donat et Madeleine Carroll son coincés l'un avec l'autre, réunis par une paire de menottes, on comprend totalement ce qu'elle voulait dire... Et Hitchcock, qui a à coeur de s'intégrer dans le Hollywood de 1941, s'est après tout laissé faire.

D'autre part:

Maintenant, il faut bien l'avouer, si la mise en scène est tout à fait fonctionnelle du début à la fin, ce n'est pas le genre de film qui a pu l'inspirer, ni d'ailleurs le genre de script. Pas plus les personnages, au fait! ces deux amoureux, le mari et la femme, qui découvrent que leur mariage est en fait illégal suite à une erreur administrative, et qui se battent entre eux au lieu de tenter de préserver leur amour, dénotent dans l'oeuvre d'Hitchcock. Le film semble plus proche du ton d'autres metteurs en scène... Le ton qu'aurait insufflé Hawks dans le scénario de Norman Krasna aurait été bien plus intéressant...

Et si on ne peut que se référer à cette époque d'hypocrisie, et comprendre le problème de ce couple, qui n'est marié que dans leur souvenir, ce qui fait de leur couple une aberration, il n'empêche que ce sujet ne peut qu'être daté, et que les positions de l'un et de l'autre sont finalement assez difficiles à soutenir quand on le voit avec un esprit contemporain. Hitchcock semble ici nous donner l'impression que le vernis du mariag fait tout dans un couple. Ce que son oeuvre a tendance à contredire, quand même...

Restent quelques scènes sympathiques, quelques moments fabuleux (Dus à Carole Lombard, sans surprise), et quelques moments gênants (Robert Montgomery est à peu près aussi déplacé que son metteur en scène. Et l'acteur ressemble à quelqu'un qui ne devait pas être sobre très souvent)... Mais tout le début, qui nous prend par surprise en s'invitant chez les Smith, durant une matinée où M. Smith ne peut pas se détacher de sa tendre épouse, est quand même intéressant dans l'oeuvre de notre cinéaste, qui dès cette époque essayait par tous les moyens d'appeler un chat un chat. Les moments qui établissent l'incroyable complicité entre M. et Mme Smith, la façon dont Carole Lombard entre en scène, le détail des pieds nus de Madame qui ne peuvent se passer de sentir les jambes de Monsieur...

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Comédie