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26 août 2024 1 26 /08 /août /2024 22:23

Rebecca était, c'est un fait établi, plus le film de Selznick que celui d'Hitchcock. Il a reçu l'Oscar du meilleur film en 1940, c'est entendu, ce qui ne veut pas dire qu'il était forcément meilleur que d'autres films qui concouraient cette année là pour la précieuse statuette: après tout, parmi les concurrents, on trouvait par exemple The grapes of wrath de John Ford, The great dictator de Chaplin... et Foreign Correspondent. Ce n'était pas l'habitude de Selznick de garder pour lui ses poulains, qu'ils soient acteurs ou metteurs en scène, et tant mieux. Dès le travail d'Hitchcock accompli sur Rebecca, le producteur l'a laissé se dégourdir les jambes sur cette audacieuse production qui lui correspondait tellement plus... Et qui a un peu le statut de film de vacances. C'est étonnant, quand on y pense, tant cette production indépendante (Due à l'intéressant Walter Wanger) ressemble à un état des lieux Hitchcockien, un catalogue conçu par le metteur en scène avant d'aborder la suite de sa carrière Américaine! Un grand nombre de thèmes qui reviendront sont ici abordés, de la dangereuse tentation de mêler amour, espionnage et politique, à la difficile survie sur une embarcation bien fragile en plein océan...

Johnny Jones (Joel McCrea), rebaptisé Huntley Haverstock par son patron (ce qui va occasionner un running gag inévitable), est nommé correspondant de presse pour un journal Américain. On est en 1939, et la guerre menace en Europe; le patron veut des reportages véridiques, du vécu, pas du "prédigéré" comme ont trop souvent l'habitude de lui envoyer ses autres employés envoyés en Europe. Avec "Huntley Haverstock", il va en avoir pour son argent! Très vite, le jeune reporter met les pieds dans une drôle de situation, étant témoin du meurtre d'un homme politique Hollandais, poursuivant des bandits jusque dans des moulins, survivant à un attentat sur sa personne perpétré par un vieux traître cockney (Edmund Gwenn)... et surtout rencontrant la belle Carol Fisher (Laraine Day), la fille d'un important diplomate (le toujours aussi suave Herbert Marshall) aux étranges fréquentations.

Un peu à l'image de Scott ffoliot, le personnage à l'étrange patronyme (L'absence de majuscule pour la consonne double qui ouvre le nom de famille est non seulement intentionnelle, elle est explicitée dans le film et devient même à une ou deux reprises un signe cinématographique important!), qui apparait et disparait de façon inattendue, les péripéties s'enchaînent sans temps morts... On sent qu'Hitchcock est totalement à son aise avec son histoire, qui lui permet finalement d'accumuler les ruptures de ton, passant du film d'aventures improbable (poursuite sur le plat pays, d'un moulin à l'autre) à la propagande pro-interventionniste (ce qui n'était pas en 1940 du goût de tous, rappelons-le), tout en explorant ses thèmes et ses types de personnages préférés.

Disons qu'avec Herbert Marshall, l'espion devenu presque si Anglais qu'il a des regrets à trahir le pays de sa fille, il a trouvé un "méchant" passionant et à la hauteur. Et Joel McCrea, préfiguration de ce que Hitch fera de Cary Grant quelques années plus tard, on sent le metteur en scène prèt à tout: ce n'est sans doute pas à Laurence Olivier qu'il aurait demandé de tourner une scène en caleçon et peignoir, et McCrea qui a tourné quelques comédies avec Preston Sturges, incarne à merveille le décalage du 'straight man' dans le panier de crabes de l'espionnage.

Se terminant sur un plaidoyer pour l'intervention Américaine, un rappel de l'importance de la démocratie et de la décence dans le monde de1940, le deuxième film Américain d'Hitchcock renvoie un peu à certains de ses meilleurs films Anglais, à commencer par The lady vanishes, dans lequel le spectre de la guerre était déjà bien présent. Et il inaugure une série de films qui se poursuivra jusqu'à Notorious, dans lesquels la présence inévitable, ou les souvenirs des conflits lointains se feront ressentir aux Etats-Unis. Cette série de films de propagande prend sa source dans ces 120 minutes bondissantes, mais toujours justes, qui mériteraient mieux que d'être constamment considérées comme appartenant à 'un Hitchcock mineur'.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
20 août 2024 2 20 /08 /août /2024 14:39

Une vieille maison détruite par un incendie au fond d'un parc... Une voix off, et des promesses de frissons, vite mises de coté pour un prologue sur la côte d'azur... Le film commence ainsi. Alfred Hitchcock s'est embarqué pour les Etats-unis en 1939, parce qu'il savait que c'était une opportunité à ne pas manquer; le résultat de l'engagement du metteur en scène par David O. Selznick, le premier de trois films inégaux, serait donc un film plus Anglais que les vrais films Britanniques, comme si avec le metteur en scène, Selznick avait fait l'acquisition d'un petit bout d'Angleterre: Rebecca convoque un grand nombre des acteurs Anglais exilés à Hollywood, dont George Sanders ou Leo G. Carroll, qui reviendront tous chez Hitchcock. Le but du producteur, bien sur, était de capter un peu de cette atmosphère gothique propre au roman, si délicatement Britannique pour un palais Américain. C'est même réussi, à ce niveau...

Quant à Hitchcock, il a fait, selon lui, ce qu'on attendait de lui, mais il faudrait être fou pour se contenter d'en dire cela: qu'Hitchcock ne se soit pas reconnu dans le résultat final (pas plus que dans son terne dernier film Britannique, Jamaica Inn, du reste), on le comprend surtout si on sait que le metteur en scène était très jaloux de SES films.

Mais le résultat lui ressemble par bien des cotés, ne serait-ce qu'en raison de son impressionnante faculté à filmer des images inoubliables, et définitives: les errements de Joan Fontaine dans une maison trop grande pour elle, ou la silhouette inquiétant de Mrs danvers, ou enfin, bien sûr, la fameuse nuit durant laquelle le cadavre sort du placard, comme on dit, ou plutôt de l'eau, sur un fond de brume obsédante, ou enfin la façon dont la caméra filme un incendie de l'intérieur, au plus près des flammes...

Joan Fontaine joue un personnage de jeune femme qui pour se prendre en charge a du accepter de devenir la compagne, en fait le souffre-douleur d'une dame (Florence Bates) de la bonne société américaine en villégiature à Monte-Carlo. Mais la jeune femme rencontre le veuf Maxim de Winter (Laurence Olivier) , un noble Anglais connu, dont l'épouse Rebecca s'est tuée dans des circonstances tragiques un an auparavant. Les deux tombent amoureux, et rentrent en angleterre, dans la belle propriété de Manderley, mais cela va être dur pour la nouvelle Mrs De Winter: d'une part, les petits secrets liés à la mort de Rebecca ne lui sont pas tous connus; d'autre part, la gouvernante de Manderley, Madame Danvers (Judith Anderson), ne la porte pas dans son coeur... Quant à Maxim, son épouse finit par douter de son amour en raison de son comportement.

La grande demeure, sombre, aux secrets qui sortent au compte-goutte: voici à peu près le type d'idée qu'on se fait aux Etats-unis d'une atmosphère gothique. C'est à peu près ça, mais justement, je pense que pour comprendre le peu d'intérêt manifesté par hitchcock pour ce film très soigné et prenant, il faut opérer une comparaison avec Suspicion: là aussi, Hitchcock recrée l'Angleterre riche et confortable du Sud en studio aux etats-unis en faisant passer la Californie pour la Cornouailles, mais l'inquiétude nait du quotidien, de la simplicité beaucoup plus que d'un vieux manoir... Hitchcock ne goutait sans doute pas trop le formatage, aussi brillant soit-il, auquel il avait fallu se résoudre pour tourner Rebecca. Celui-ci reste, bien sûr, un bon film, qui obtint l'Oscar du meilleur film cette année-là (Joli coup pour Selznick après Gone with the wind...).

Mais Hitchcock savait sans doute qu'il faisait avec ce film une oeuvre brilante qui allait pouvoir commencer à installer son image auprès du grand public... Il n'avait pas tort. et en terme de mise en scène, il s'en donne à coeur joie, jouant à fond la carte des éclairages, délayant ses effets, collaborant adroitement avec Joan Fontaine pour obtenir l'effet escompté dans le prologue ou elle est en butte à l'insupportable emprise de Florence Bates sur elle, puis se comportant comme une petite fille éternellement en faute une fois arrivée dans un Manderley trop grand pour elle, ou les oreillers sont brodés d'un R majestueux, ridicule de prétention, alors que son nom à elle ne sera jamais prononcé dans le film. Et puis il ya Judith Anderson, géniale en un portrait de méchante sans égale, amoureuse d'un fantôme... Si on fait la somme de ses qualités et attractions, c'est quand même un sacrément bon film, non?

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
18 août 2024 7 18 /08 /août /2024 14:06

Première collaboration entre Laughton et Hitchcock, premier film issu de la collaboration entre Laughton et le grand producteur Erich Pommer, retrouvailles de ce dernier avec Hitchcock qu'il avait croisé à Berlin durant les années 20, premier rôle d'envergure sous le nom de Maureen O'Hara pour une jeune actrice Irlandaise promise à un bel avenir, première de trois adaptations de Daphné du Maurier par Hitchcock, dernier film enfin de ce dernier en Angleterre avant son départ pour les Etats-Unis...

Ce qui précède fait qu'on avait de quoi attendre beaucoup de Jamaica inn, la déception est donc à la mesure de l'attente... Je ne sais pas s'il faut aller jusqu'à suivre Hitchcock qui lui parlait de désastre absolu, mais le fait est qu'on s'ennuie parfois ferme devant ce film d'aventures, qui fait partie d'un sous-genre assez particulier: le film de naufrageurs...

Adaptée de Daphné du Maurier, donc, l'intrigue raconte les mésaventures d'une jeune et innocente Irlandaise, Mary (Maureen O'Hara) qui est venue en Cornouailles pour retrouver sa tante Patience (Marie Ney) à la "Taverne de la Jamaïque", sans savoir qu'il s'agit d'un coupe-gorge, un repère de naufrageurs menés par son oncle Joss (Leslie Banks). Dès son arrivée elle va être mêlée à leurs affaires puisqu'elle va les empêcher de pendre l'un des leurs, en fait un officier de police venu enquêter sur leurs agissements (Robert Newton). Celui-ci aimerait bien savoir qui est le véritable meneur de la bande car il a deviné que Joss n'est qu'un comparse. Il s'entretient avec le potentat local, le juge de paix Sir Humphrey Pengallon (Charles Laughton), sans se douter un seul instant qu'il s'agit précisément du chef de la bande...

Le film épargne au spectateur le "whodunit", en révélant contrairement au roman le pot-aux-roses dès le départ; il est vrai que de savoir, contrairement à la plupart des protagonistes, que le juge est en fait le chef des bandits, donne un peu de sel supplémentaire au film, mais pas tant que ça, hélas...

Le problème, c'est qu'Hitchcock a l'esprit ailleurs, précisément tourné vers son voyage à venir vers Hollywood et ses plateaux, et ce film est essentiellement un prétexte pour permettre à Laughton d'assumer ses caprices. Il n'y est pas mauvais, même si on sent qu'il était difficile de le contenir. Hitchcock y a bien fait son travail, mais ne s'est pas passionné pour cette histoire, dont il faut peut-être sauver la qualité technique impressionnante des scènes de naufrage, et le personnage de Mary, jeune femme innocente tout à coup confrontée dans sa propre famille au crime le plus noir. Maureen O'Hara est merveilleuse, bien sûr, mais comment pourrait-il en être autrement? 

Et s'il a souvent pesté contre l'obligation dans laquelle il s'était trouvé de faire ce film, au moins Hitchcock a-t-il pu ici se faire les dents sur de remarquables scènes au montageparticulièrement excitant, et ce dès le départ du film, avec ce spectaculaire naufrage qui tourne au massacre...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
14 août 2024 3 14 /08 /août /2024 23:26

A la fin de l'entre-deux guerres, nous sommes dans une petite ville perdue dans un improbable pays Est-Européen, en compagnie de voyageurs perdus en attendant que la voie de chemin de fer soit dégagée de la neige qui l'encombre:

deux hommes préoccupés par le cricket jusqu'à l'aveuglement, Chalders et Caldicott;

une gouvernante qui rentre chez elle après 6 ans de bons et loyaux services;

un musicien qui fait des recherches sur les traditions musicales anciennes;

une jeune femme qui doit retourner chez elle afin de se marier: elle a beau tenir de beaux discours, ça ressemble bien à un enterrement;

enfin, un couple adultère dont l'homme est manifestement paranoïaque au point d'en devenir odieux, alors que la femme semble lasse du peu de perspectives offertes par leur statu quo.

Tout ce petit monde est Britannique, et va donc prendre le train, et l'un d'entre eux va disparaitre: comme l'indique le titre, c'est une femme qui manquera à l'appel. Une autre femme, seule à admettre avoir vu la disparue, va devoir lutter contre tout le train, et même pire, pour la retrouver.

Le film prend son temps pour démarrer, il y a de bonnes raisons à cela; d'une part, Hitchcock se laisse aller à la comédie, dans cet hôtel bondé ou les gens doivent partager leurs chambres. Il y prend un plaisir gourmand, alors pourquoi se priver...

Sinon, il lui faut du temps pour exposer convenablement les tracas et problèmes de chacun, ce qui va payer plus tard.

Enfin, il joue beaucoup sur la couleur locale: le langage est un savant mélange de consonances Italiennes et Allemandes, ce que l'allure Alpine et les simili-coutumes observées viennent compléter: on est donc dans un pays fasciste, et à de nombreuses occasions, les conversations le rappellent. Ce didactisme est-il du à Gilliatt et Launder, les auteurs du script? Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'Hitchcock n'ait pas signé cet aspect du film...

Par ailleurs, dans cette demi-heure, Hitchcock place un étrange meurtre, celui d'un musicien qui semblait donner une sérénade à la vieille gouvernante. Le meurtre en question n'est pas gratuit, et nous permet de patienter en toute connaissance de cause, jouant le même rôle dans ce film que la première attaque de mouette sur Tippi Hedren dans The birds.

Tranches de vie contre tranches de gâteau: on sait qu'Hitchcock a toujours soigneusement évité dans ses interviews de trop pousser la chansonnette politique, prétendant souvent que son art n'est finalement que celui, sans idéologie, de l'illusionnisme enfantin. Mais on peut le voir dans le film, avec le grand Doppo, l'illusionniste collabo, on peut être à la fois prestidigitateur et engagé... le film est exactement ça: un film d'aventures, situé dans un train en marche, avec une intrigue splendide, totalement distrayant, et un film qui dit tout ce qu'il y a à dire sur cette drôle d'entre-deux-guerres qui occupait les esprits en 1938: il faut s'engager, ne pas rester à rien faire, sinon c'est la mort des démocraties.

Le train, métaphore de la vie, en même temps qu'outil excitant de vitesse et de mouvement puissant, Hitchcock tourne bien sûr autour depuis bien longtemps, et en a joué dans The 39 steps entre autres. Il y reviendra souvent, l'utilisant beaucoup pour faire se rencontrer les gens (Suspicion, Strangers on a train, North by northwest), pour dévoiler des intrigues (North by northwest), pour obliger des inconnus à cohabiter le temps d'une conversation (Strangers on a train).

Ici, il coince ses voyageurs, que nous connaissons tous, dans un train durant plusieurs jours, et profite de tous les aspects de l'endroit, le coté longiligne de l'espace, la compartimentation forcée des cabines, mais aussi les tunnels, gares et aiguillages pour créer des difficultés  pour les personnages, bref, du suspense et de la tension! La façon dont Miss Froy disparaît est suffisamment intrigante pour que les doutes subsistent: nous l'avons vue, nous aussi, mais nous savons qu'Iris, la jeune femme qui la cherche, a reçu un coup sur la tête...

Le vide, sujet admirable de film, auquel Hitchcock souhaitait tant s'attaquer. Il disait à Truffaut vouloir réaliser un film dans lequel une conversation se tiendrait sur une chaîne de montage d'une usine automobile; on verrait le châssis, puis la carrosserie, la voiture serait alors peinte, puis finie. au moment d'ouvrir les portières, un cadavre tomberait... Bien sûr, il ne l'a jamais faite, mais s'en est souvent approché. On peut dire que le meurtre impossible d'Annabella Smith (The 39 steps) ressemble un peu à cela. Ici, c'est de disparition qu'il est question, et une fois partie Miss Froy semble ne rien avoir laissé à personne. Les seuls indices seront un nom écrit dans la poussière sur une vitre, un paquet de thé, et une paire de bésicles... 

Le train, on le voit bien dans le film, n'est pas qu'une métaphore de la vie, il est aussi doté d'un sens politique. N'oublions pas la préoccupation majeure de ces années de pré-guerre, l'avancée d'Hitler, l'Anschluss (Annexion de l'Autriche par l'Allemagne Nazie), les menaces sur la Tchéquoslovaquie, la Pologne... Les Anglais du film ont tous une raison de ne pas s'en soucier, préoccupés par leur nombril: les deux cricketomaniaques, la future mariée obsédée par l'auto-justification de son improbable mariage, le doux-dingue qui compile des musiques dont tout le monde se contrefiche, le couple en fuite perpétuelle... Seule miss Froy (C'est une espionne, ce qu'on apprend dans la dernière demi-heure, mais cette information est un Mac Guffin: une information vide de sens qui ne sert qu'à donner une motivation à certains personnages et certaines actions) a, on le verra, un rôle à jouer là-dedans. Et de fait, on se positionne dans le film, par rapport à elle. Admettre qu'on a vu Miss Froy, nous disent en substance Gilliatt, Launder et Hitchcock, c'est lutter contre la dictature et le Nazisme...

Tout le film fonctionne aussi sur cette ligne politique, avec ses deux camps bien délimités, et ses gens qui se révèlent dans l'action: le gentleman si épris de ses petits secrets douteux qui se dérobe de son couple adultère, se dérobe aussi politiquement; les deux fans de cricket (Naunton Wayne et Basil Radford) , en revanche, ont l'héroïsme à fleur de peau. Ils sont, après tout, plus Britanniques que tous les autres: ils aiment passionnément leur pays, et sa liberté... de parler cricket. Ils seront d'ailleurs employés par les scénaristes dans d'autres films... Tous les acteurs, surtout Margaret Lockwood en jeune femme qui vit sa première (Et peut-être la dernière) grande aventure, Paul Lukas en médecin louche, ou Dame May Whitty en Miss Froy, sont superbes. Le film aussi, c'est un classique, et l'un des meilleurs films d'Hitchcock, tout simplement.

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
8 août 2024 4 08 /08 /août /2024 22:40

Après l'impressionante réussite de The 39 steps, les films qui ont suivi (The secret agent et Sabotage) représentent des avancées considérables dans l'idée d'un cinéma adulte pour Hitchcock, tout en n'arrivant pas à la qualité du grand succès déja évoqué. Young and innocent calme le jeu, et à l'espionnage 'sale' de Secret agent, à l'histoire policière qui vire au cauchemar, avec mort d'enfants et d'innocents liées à une affaire de terrorisme, Hitch revient au crime à l'anglaise, dans un film d'une grande clarté, mais qui renvoie au feuilleton d'aventures, avec faux coupable juvénile, enquêteuse post-adolescente avec chien, et tutti quanti...

Robert Tisdall est un jeune scénariste accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Avec la complicité d'une jeune femme, fille du commissaire en charge du dossier, et d'un vagabond, il tente de mettre la main sur la preuve qui le disculpera...

Le film est structuré par le metteur en scène avec son grand sens de la pédagogie: une première scène nous montre un couple dans une maison sur les bords de mer, se disputer. Un éclair illumine le visage de l'homme, affublé d'un envahissant tic. La séquence suivante nous présente le corps sans vie d'une femme, en maillot de bain, rejetée par les vagues. Le seul lien entre les deux scènes? La mer. Mais on reparlera de l'homme et de son tic, jusqu'au moment ou les héros tentent de le trouver dans un hôtel: un plan célèbre nous montre le personnage, en gros plan, dont les yeux clignent... Nous le voyons avant eux, ce qui va fournir du suspense, mais surtout nous sommes partie prenante, tant l'intrigue est claire. Les prouesses visuelles ne se limitent pas à ce fameux plan, en travelling, dans lequel un Hitchcock sûr de lui promène négligemment sa caméra, avant de cadrer sur l'orchestre, puis sur le batteur, puis sur ses yeux. il en profite, une fois qu'il a montré son regard, pour passer à son point de vue, et nous ajouter une deuxième source de suspense, puisqu'il voit les gens qui le cherchent, et se sait donc arrivé au bout de sa fuite... Enfin, la partie "aventures" du film permet à Hitchcock de déployer les grands moyens, avec ses chères maquettes, de train notamment, et de beaucoup s'amuser à faire courir ses personnages dans la jolie campagne Anglaise du Sud.

Cette Angleterre d'avant-guerre, Hitchcock nous la présente avec gourmandise, tant visuellement que dans le jeu complice des acteurs. Si Nova Pilbeam est assez efficace en Erica Burgoyne, on n'en dira pas autant de Derrick de Marney, qui est fonctionnel, mais aussi assez terne. Les seconds rôles sont tous excellents, comme souvent dans les films du maître à cette époque, et ils dressent un tableau de toute la société, avocat minable, bourgeois repus, vagabonds solidaires... Hitchcock reste l'un des meilleurs peintres de la classe ouvrière Anglaise.

Outre les thèmes souvent évoqués de la fausse culpabilité, d'un criminel qui ne soit qu'une personne très ordinaire -et très à plaindre: ce tic!!- on se réjouira de la façon dont Hitchcock fait reposer l'évolution entre les deux amoureux du film, en les faisant se toucher de plus en plus, mais également en reflétant à plusieurs reprises ces embrassades et contacts entre eux dans les yeux d'autres protagonistes: la tante d'Erica la surprend enlacée avec le jeune homme, puis à la fin le commissaire constate que sa fille est très à l'aise avec le suspect. Ainsi Erica Burgoyne a-t-elle pris son indépendance, vis-à-vis d'adultes dépassés par les évènements. Elle a gagné le droit de toucher, puis d'aimer un homme, et elle n'est plus cette innocente jeune fille un peu scout, un peu garçon manqué. Le titre Américain du film ne s'y est pas trompé: The girl was young met délibérément l'accent sur la jeune femme, au détriment de Derrick de Marney, il est vrai que c'est elle qui résout l'affaire et l'innocente. Donc tout ça, pour conclure, fait que même si le film est mineur, on en redemande...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Comédie
4 août 2024 7 04 /08 /août /2024 21:57

Dans les années 30, à Londres, M. Verloc (Oskar Homolka) tient un petit cinéma de quartier, le Bijou Theatre, en compagnie de son épouse, une jeune Américaine (Sylvia Sidney) qui s'est installée à Londres en compagnie de son jeune frère (Desmond Tester). Mais Verloc n'est pas que le père tranquille qu'il parait être: il est un agent de l'ennemi, qui se livre à des actes de sabotage, en dépit de ses réticences... En effet, il ne souhaite pas être impliqué dans un attentat qui tuerait des civils. Il va lui falloir prendre une décision, pourtant, car son dernier acte de sabotage a mal tourné: il a réussi à priver tout un quartier de la ville d'électricité durant une bonne demi-heure, mais cela a surtout résulté en une joyeuse atmosphère festive dans les rues! Les supérieurs de Verloc réclament, cette fois-ci, du sérieux! Et ça va être difficile, car dans l'épicerie d'à côté, l'espion a repéré que Ted (John Loder), le brave vendeur de fruits et légumes, est en fait un détective de Scotland Yard, dont la mission est précisément d'espionner les agissements de Verloc.

Le film est situé entre Secret Agent (1935) et Young and innocent (1937). Il partage avec le premier cité une certaine amertume; de plus, les deux sont à l'origine d'une certaine confusion en dépit de leurs intrigues si dissemblables: Adapté d'un roman de Somerset Maugham, Secret Agent est parfois confondu avec Sabotage, qui est lui-même adapté d'un roman de Joseph Conrad intitulé... The secret agent! Pour couronner le tout, si Secret agent (Le film) a été exploité en France sous le titre (Idiot) Quatre de l'espionnage, Sabotage a quant à lui été gratifié dans notre pays du nom de... Agent secret! Ca ne s'invente pas...

C'est à Hitchcock et son épouse Alma qu'on doit le script, et ça se voit en permanence... Situé dans un quartier populaire de Londres, le film respire cette petite vie tranquille et pleine d'humour et de vitalité qu'Hitchcock a su toujours si bien transcrire dans ses meilleurs films Britanniques. Il est à la maison, en quelque sorte. Pourtant sous des dehors de divertissement populaire, Sabotage parle une fois de plus de morale, de culpabilité et de choix. Verloc n'est au fond qu'un pauvre bougre, un homme qui a choisi une voie malencontreuse dans laquelle il croit pouvoir définir des limites morales: mais il n'est qu'un saboteur, et va devoir assumer jusqu'au bout, dans une séquence qui fait froid dans le dos, en se rendant indirectement responsable de la mort de dizaines de personnes... dont Stevie, le petit frère de son épouse. C'est un choix qu'Hitchcock a dit souvent regretter, car disait-il une fois à Hollywood, "On ne tue pas un enfant". Pourtant c'est ce qui donnera le plus de sens au film... Et non seulement sur le personnage de Verloc, mais sur son épouse, tentée dans une magnifique scène de tuer froidement son mari, avant de se raviser puis de revenir à la charge... Son hésitation est la mesure de la tension morale du film: vengeance ou meurtre? De même, le brave détective Spencer a-t-il des notions assez élastiques sur a responsabilité de la jeune femme, et est prêt à jeter l'éponge et "regarder de l'autre côté".

Plutôt court et concentré, le film est aussi remarquable par son montage inventif. Hitchcock y a pris goût clairement, et l'utilise en virtuose dans tout le film, qui adopte un style volontiers dynamique et extravagant, en particulier dans deux scènes. Mais Hitchcock, qui sait surprendre le spectateur dès le début d'un film, recycle avec bonheur un truc de Fritz Lang (Spione) en ouverture: un sabotage a eu lieu, des policiers sont sur les lieux, et l'un d'entre eux demande "Qui a bien pu faire ça?"... Le plan suivant, sans attendre, nous montre le visage inquiétant de Verloc. Quelques instants après, celui-ci nous confirmera ce soupçon, puisqu'en lavant ses mains, il les nettoie du sable qui a servi au sabotage. Hitchcock est ainsi fidèle à deux principes: celui de clarté à l'égard du spectateur, et celui qui consiste à ne pas laisser de doute sur la culpabilité d'un criminel, car la recherche du coupable n'est décidément pas le sujet. Les deux séquences remarquables que je mentionnai plus haut sont d'une part celle qui voit le jeune Stevie se rendre avec une bombe (Il ne le sait bien sûr pas) vers Piccadilly Circus, alors que le public lui sait ce qui se trame. Hitchcock fait monter la tension d'une façon vertigineuse en utilisant avec brio les images de toutes les pendules de Londres! D'autre part, la scène, à table, du dilemme de Sylvia Sidney devant un Verloc qui a compris qu'elle souhaite le tuer est un modèle de suspense quotidien, situé il est vrai dans une cuisine, entre un mari et son épouse!

Si Sabotage est moins flamboyant, moins "fun" aussi que peuvent l'être les deux plus grands succès Anglais d'Hitchcock (The 39 steps, et A lady vanishes, les deux films qui lui ouvrirent toutes grandes les portes des studios Hollywoodiens), il est un jalon essentiel de la carrière du metteur en scène, à plus forte raison parce qu'il s'y livre pour la dernière fois à cette petite narration rigolarde du quotidien Londonien des quartiers de spectacles. Il a regretté toute sa vie semble-t-il le choix de montrer un acte de terrorisme qui emporte la vie d'un enfant, mais c'est sans doute le signe que son cinéma, désormais, est passé à l'age adulte, et que même un petit thriller apparemment sans grande envergure recèle dans son oeuvre des moments de vie intérieure effrayante qui nous rapprochent de la vérité: à l'heure où ce genre de crime se multiplie de façon alarmante, la méditation permanente d'Hitchcock sur la culpabilité, le crime, la morale, et la façon dont on est partie prenante dans le crime ou pas, me semble toujours plus pertinente.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
2 août 2024 5 02 /08 /août /2024 16:15

The 39 steps étant la réussite -et le succès- que l'on sait, il est intéressant de voir Hitchcock battre le fer tant qu'il est chaud, avec un film adapté d'un roman de Somerset Maugham qui semble dans la même veine: espionnage, aventure, rebondissements, et étude très poussée du suspense... Comme le précédent, le nouveau film d'Hitchcock se paie en prime le luxe de partir d'une situation légère, avec une intrigue bien dans la ligne du genre choisi par l'auteur, avant de se diriger vers un drame amer, dont le pessimiste metteur en scène fait une réflexion très en avance sur son temps, sur le devoir, le meurtre, et les apparences trompeuses...

1916: Un auteur Britannique en vue (John Gielgud), engagé volontaire, apprend sa soi-disant mort à l'arrivée à Londres. On a décidé de le supprimer, afin de faire de lui l'agent idéal: il s'appelle désormais Richard Ashenden, et a pour première mission de se rendre en Suisse pour y mettre fin aux activités d'un agent Allemand. De cette mission dépend l'issue de la guerre au moyen-orient. Sur place, il est rejoint par un autre agent, un Mexicain (Peter Lorre) qui répond au surnom de "Général", coureur de jupons et spécialiste sans trop de scrupules de la mort violente; une surprise de taille attend 'Ashenden': il apprend à son arrivée à l'hôtel qu'il est marié, et rencontre en même temps qu'Elsa (Madeleine Carroll), son "épouse", un touriste Américain qui s'appelle Marvin (Robert Young), et qui courtise Elsa ouvertement. Les trois espions ne mettent pas très longtemps avant de découvrir un suspect potentiel en la personne d'un homme charmant (Percy Marmont), et marié à une Allemande... Le plus dur va être pour Ashenden, qui goute assez peu cet aspect de son travail, de supprimer l'espion.

Le film cesse de n'être qu'un simple divertissement, ou du moins de faire semblant de l'être, avec un épisode au suspense très appuyé: Le général et Ashenden ont réussi à pousser l'homme qu'ils soupçonnent à se porter volontaire pour une promenade dangereuse en montagne, et Ashenden va assister de loin, par le biais d'un telescope, au meurtre effectué par son complice; pendant ce temps, Elsa est restée en arrière, et discute avec l'épouse du supposé espion, en compagnie du chien de cette dernière, et de Marvin son éternel soupirant. Le montage alterne les deux lieux, et lie de façon inextricable la montée des trois hommes et l'inquiétude grandissante du chien, relayée par le visage d'Elsa qui se rend enfin compte de la situation... L'amertume manifestée par Ashenden est enfin montrée au grand jour, partagée par Elsa qui va pouvoir faire part à son "mari" de ses vrais sentiments. Pendant ce temps, l'inhumanité profonde de leur "ami" le Général apparaît de façon plus forte encore. Et comme bon nombre de ses futurs ennemis des héros, Hitchcock choisit de faire de son "méchant", l'espion recherché par les principaux personnages, un homme aimable, affable, foncièrement sympathique: simplement acquis à une autre cause. Le dégoût ressenti par Ashenden et Elsa est alors à son comble... L'espionnage sportif et bien propret se transforme en une découverte horrible de la nature humaine.

Mais le film se poursuit, vers une conclusion mi-figue, mi-raisin, qui évite autant de plonger dans le manichéisme que de renvoyer les protagonistes dos à dos. On y différencie Elsa et Ashenden, d'une part, et les Général et l'espion d'autre part, dans un accident qui ressemble à s'y méprendre à la main du destin: le train Allemand qui emmène tous nos protagonistes est en effet attaqué par l'aviation alliée... au milieu de la boucherie, seuls les deux héros en réchapperont. Une façon comme une autre de botter en touche, ce qui n'empêche pas Hitchcock de nous avoir gratifiés d'une belle leçon d'humanisme, à l'encontre du rire désarmant et diabolique du général lorsqu'il apprend qu'il a tué un innocent! En pleine montée des périls, Hitchcock montre que son attachement à la cause de la liberté ne se fait pas sans conditions, ni dans la confiance aveugle en l'idéologie dont se réclame son pays.

Pour finir, ce petit film mené tambour battant n'oublie pas de nous gratifier de l'humour typique de son auteur, qui s'amuse beaucoup en ouvrant sur une cérémonie funéraire se terminant par un des exécutants qui part en emportant un  cercueil vide... Les passages obligés de la Suisse, un exercice en utilisation des clichés auquel Hitchcock est passé maître, font qu'Ashenden et le général vont bien sûr mener leur enquête dans une fabrique de chocolat... Sans être aussi brillant que The 39 steps, ce film déséquilibré entre l'excellence de Lorre, la bonhomie de Robert Young, l'énergie de Madeleine Carroll d'un côté, et un Gielgud encore un peu transparent est une étape notable dans l'évolution d'Hitchcock.

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock
1 août 2024 4 01 /08 /août /2024 21:43

Un cinéaste qui s'amuse à faire exactement ce qu'il aime, et réussit à partager son bonheur, que demander de plus? ce film, qui vient juste après le plus gros succès d'Hitchcock à l'époque (The man who knew too much, 1934), est une occasion inespérée pour le cinéaste de laisser son empreinte et de définir en 85 minutes sa vision du film d'aventures... A ce titre, c'est une réussite, et plus encore: un film-somme, qui résume à lui tout seul tout ce qui fait le Hitchcock Anglais.

Richard Hannay, un citoyen canadien vivant à Londres, fait partie du public d'un music-hall alors qu'un homme à la mémoire exceptionnelle présente son numéro, qui consiste en une série de questions du public auxquelles il apporte des réponses ultra-complètes. Un coup de feu est tiré, la foule prend la fuite, et dans la panique, Hannay se retrouve flanqué d'une mystérieuse inconnue, qui se présente sous le douteux nom d'Annabella Smith. Celle-ci est une espionne, travaillant pour le gouvernement Britannique, afin d'empêcher la fuite de secrets scientifiques. Les agents ennemis éliminent la jeune femme, mais cell-ci passe le flambeau à Richard Hannay, désormais poursuivi par des espions qui ne reculent devant aucune ignominie, et recherché par la police pour un meurtre qu'il n'a pas commis...

Qui est Richard Hannay? Le personnage interprété par robert Donat, qui se présente comme un Canadien alors qu'on ne lui a rien demandé (Il est le premier des gens du public à poser à Mr Memory une question pertinente: la distance entre Winnipeg et Montréal), n'a apparemment pas de métier, on sait juste qu'il vient d'emmênager... il a le profil d'un globe-trotter, une certaine intelligence pour l'aventure, il fume la pipe, a de l'humour, et le danger ne semble pas lui faire trop peur... Pour le reste, c'est une énigme, au même titre que le David (ou Allan, suivant les copies) Gray de Dreyer dans Vampyr. Il est un héros parfait, un vecteur de l'aventure et du drame, à l'image de son petit frère, le Roger O. Thornhill de North by Northwest. Sauf que ce dernier avait un métier (Publicitaire), une histoire (plusieurs fois marié)... Oui, bon: un publicitaire, c'est quelqu'un dont le métier est de faire du sens avec rien, les mariages se sont tous terminés en divorce, et le O de son nom représente, de son propre aveu, le vide. Bref, ces deux héros vont être pour Hitchcock les moyens idéaux de sortir le grand jeu des péripéties, tout en étant des "faux coupables" parfaits.

Donc, Richard Hannay doit se déguiser en laitier pour échapper à des tueurs, prendre un train pour échapper à la police, embrasser une belle inconnue (Pamela, qu'on reverra, est interprétée par la belle Madeleine Carroll) afin d'échapper à des inspecteurs qui fouillent un train, sortir d'un train en marche alors que celui-ci est sur un magnifique pont, se réfugier dans une ferme Ecossaise sise au milieu de nulle part, contacter des gens qui sont, surprise, les espions eux-mêmes, puis leur échapper, etc.. Passées les scènes d'exposition, qui laissent la part belle au mystère, à la noirceur et au meurtre (celui d'Annabella Smith, tout en impressions fortes, ne laisse aucune place à la logique: qui lui a planté ce couteau dans le dos, et comment?) mais prennent leur temps afin d'installer une atmosphère, Hitchcock passe à la vitesse supérieure, et enchaîne les morceaux de bravoure: c'est le film le mieux construit de sa carrière Britannique, grâce probablement à la poigne d'Alma Reville Hitchcock, d'ailleurs citée au générique. Pas une surprise, donc, de voir l'équipe de North by Northwest s'en inspirer. Si le suspense reste le maitre-mot du film, on a une solide dose d'humour, et de logique Hitchcockienne: le personnage de Mr Memory, qui possède une déformation professionnelle spectaculaire, meurt de ses réflexes professionnels, ceux-là même qui lui ont permis de se faire engager par une troupe d'espions... la visite de l'écosse, superbe et ultra-stylisée (une large partie du film se situe dans des montagnes qui ont tout de sinistre, et les landes désolées et les marais nocturnes sont également employés à leur juste valeur), inaugure la série des fausses "cartes postales" à la Hitchcock, qui le font utiliser avec humour toutes les images d'Epinal d'un lieu dans une narration dynamique. L'aventure pure, c'est aussi lorsque le héros s'adresse à l'homme digne de confiance qu'il est venu contacter et que celui-ci est en fait le méchant du film: la fameuse scène du doigt manquant est justement célèbre.

Bien sûr, Hannay et Pamela vont se retrouver, de façon totalement logique, collés l'un à l'autre, liés par une paire de menottes, qui les oblige à la promiscuité (Ah, la scène durant laquelle elle enlève ses bas, avec un Hannay qui laisse complaisamment sa main toucher sa peau...), mais aussi à tomber amoureux... les Ecossais du film sont sans doute caricaturaux, mais le couple formé par John Laurie et Peggy Ashcroft est inoubliable: ils sont les fermiers qui recueillent Hannay lors de sa cavale. Lui est une brute, ultra rigide et religieux, et elle est une citadine mal mariée, qui voit en Hannay une opportunité de romance pour quelques instants volés: elle aide le héros à s'enfuir, peu confiante en son mari dont elle sait qu'il fera tout pour empocher la récompense. Hitchcock réserve à ses deux acteurs des gros plans sublimes, filme leur masure sous toute ses coutures, se souvient du cinéma muet dans une séquence qui voit le mari soupçonneux observer sa femme et son invité, qu'il soupçonne de tentation adultère, à travers une fenêtre; aucun dialogue, juste des visages, des gestes, et le regard inquiétant de Laurie. La scène renvoie à Murnau et ses films "ruraux", par son utilisation d'un espace plein, de menues tâches (Peggy ashcroft ne prend pas une minute pour se reposer entre deux tâches à accomplir pour son tyran de mari), et ses plafonds bas. Le couple, antithèse du couple romantique formé par Hannay et Pamela, est un des points forts du film, sans doute l'aspect le plus noir, qui renvoie à The Manxman, The Ring  et leurs personnages de femmes mal mariées...

 

Au milieu d'un cinéma Anglais tiraillé entre cinéma populaire et cinéma ambitieux, donc entre Hitchcock et Korda, The 39 steps est le chainon manquant, tout comme Edge of the world de Powell fait la synthèse entre documentaire et drame. C'est une oeuvre beaucoup plus ambitieuse qu'il n'y paraissait. Il aura du succès, et on peut légitimement penser qu'il a contribué à cimenter la réputation d'Hitchcock en son propre pays, tout en installant la fausse idée qu'Hitchcock était un formaliste et rien d'autre. Or, le film possède beaucoup plus de substance que les pièces de théâtre filmées (Juno and the paycock) que les critiques de cinéma se bornaient à réclamer au metteur en scène... Il y a en Hannay une humanité, de par son inachèvement qui le laisse perméable à l'aventure, il ressemble à un Tintin en mieux, un Tintin à moustache et à pipe, qui est beaucoup plus distrayant parce qu'au lieu du capitaine Haddock, il a... Madeleine Carroll.

Le petit théâtre d'Alfred Hitchcock, qui se moque gentiment des voyageurs de commerce et des pasteurs, des politiciens aux discours tout faits, des braves gens qui posent des questions idiotes dans les music-hall populaires et des hoteliers trop confiants, est un établissement ou on aime à aller s'installer en quête de frissons salutaires. Et en prime, au milieu de cette aventure débridée, il installe un noir théâtre conjugal, de rencontre en baiser, de promiscuité nocturne imposée en confiance acquise, de rejet brutal en soudaine impulsion de prendre, tout simplement, la main de l'autre. Tout est bien qui finit bien? Non, car au fond de ce plan final en apparence idyllique, un homme meurt, ironiquement, parce qu'il a fait son devoir jusqu'au bout...

...Chef d'oeuvre? Oh que oui!

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
25 juillet 2024 4 25 /07 /juillet /2024 22:00

Un couple d'Anglais en vacances en Suisse doivent faire face à l'enlèvement de leur fille par des espions étrangers qui veulent ainsi faire pression sur eux et révéler une information qu'ils ont apprise dans des circonstances exceptionnelles, et qui pourraient sérieusement contrecarrer les intentions terroristes des barbouzes... Les deux parents en sont, finalement réduits à tenter le tout pour le tout: réussir à faire triompher le bon droit, tout en récupérant d'eux mêmes leur progéniture.

Aux cotés des gros classiques que sont The 39 steps et The lady vanishes, ce film a toujours plus ou moins fait pale figure, comme du reste son remake Américain. C'est injuste, d'abord parce que ce film a enfin pu synthétiser toutes les tentations d'Hitchcock exprimées dans des films aussi divers que The lodger, Blackmail, Murder et Number 13, et proposer en quelque sorte le premier film d'une longue lignée, et ensuite parce que le plaisir est permanent, aussi bien pour le metteur en scène que pour le spectateur. Celui-ci sait qu'il est mené en bateau, et le jeu est, pour l'instant du moins, léger et distrayant. Les films ultérieurs sauront être plus graves... Même si il ne faut pas s'y tromper: le plaisir pris à visionner ce film va au-delà d'un simple échappatoire.

Dès le début de ce film, on est confronté à une famille qui doit faire face à l'irruption dans sa vie, d'une façon inattendue (et marquée par les surprenantes ruptures de ton du prologue, sans doute le meilleur moment du film), de l'aventure, d'un rapport saugrenu, soudain et surréaliste avec le crime, voire le mal, symbolisé par un personnage de méchant qui prend de la place, d'autant que c'est Peter Lorre... Et cette famille comme-vous-et-moi ou presque doit faire face à un dilemme impossible à résoudre (Sauver un enfant ou faire son devoir de citoyen et contrer les espions), alors la seule solution est de retrousser ses manches, foncer et agir.

Du coup, le film est court, va à l'essentiel, et on y trouvera très peu de temps morts. D'ailleurs à ce titre, le film Américain sera plus redondant. On retrouve aussi cette idée dans la façon dont Hitchcock traite les morts violentes, celle de Pierre Fresnay par exemple, qui danse avec une amie, et découvre tout à coup une tâche de sang sur son plastron, avant de s'écrouler, touché par une balle. Aucun spectaculaire, ici, pas plus que dans les autres anecdotes liées à ce type de violence: la mort et sa fréquentation se sont invitées dans la vie des héros, et ce sans pour autant prendre une dimension tragique excessive...

Bien sûr, le plaisir de bricoleur d'Hitchcock reste souverain, et il prend un malin plaisir à installer des exagérations gouleyantes (La mère de la jeune fille kidnappée se trouve être une tireuse d'élite, elle va donc exécuter elle-même l'assassin potentiel de sa fille en subtilisant un fusil à un policier), des signes utilisés avec bonheur (un badge, des cheveux brillantinés) ou en multipliant les échos (La mère qui se plaint de sa fille sans imaginer qu'elle sera kidnappée trois heures plus tard, l'affrontement par jeu entre deux tireurs d'élites qui se retrouveront ennemis à la fin du film, etc). Et puis il trouve aussi son bonheur avec un acteur qui avait pourtant tout de l'électron libre: Peter Lorre, méchant tellement bon qu'il en gâche un peu le film, puisqu'on ne peut que le regarder quoi qu'il fasse. Edna Best et Leslie Banks ont donc affaire à forte partie, et franchement ils ne font pas le poids. Pourtant les petites touches typiquement Anglaises du metteur en scène dirigeant ses acteurs de second plan du cru, qu'ils soient bandits ou héros, font mouche...

Le film, même jugé moindre, a toujours au moins été reconnu pour son importance chronologique par tous les commentateurs: il inaugure, donc, le style classique d'Hitchcock, en déplaçant le terrain de jeux des genres de prédilection du cinéaste sur le territoire de la vie quotidienne; il est un peu le prototype du futur film Hitchcockien, et dès le suivant The 39 steps, la confirmation allait être éclatante. Par ailleurs, pour qu'Hitchcock ait souhaité refaire spécifiquement ce film, il fallait qu'il y soit attaché...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Criterion
23 juillet 2024 2 23 /07 /juillet /2024 21:18

Selon Hitchcock lui-même, ce film serait le plus bas point de sa carrière... je ne suis pas d'accord, je pense personnellement que la place est prise par l'infâme Juno and the peacock... Et à mon humble avis The skin game est assez lamentable, bien moins intéressant que cette étrange comédie musicale.

Oui, une comédie musicale, ou plutôt une comédie dans laquelle la musique joue une place prépondérante. Elle conte les circonstances romancées qui virent Johan Strauss (fils) composer Le Danube Bleu, et triompher alors que son père refusait de lui accorder le moindre talent. Outre les deux Strauss (Esmond Knight le jeune et Edmund Gwenn le père) le film met en scène la petite amie du héros, Rasi (Jessie Matthews), qui aimerait le voir abandonner son rêve musical, pour travailler avec elle dans la pâtisserie de son père, et la comtesse Helga Von Stahl (Fay Compton) qui va beaucoup manoeuvrer non seulement pour assister le jeune homme dans ses rêves artistiques, mais surtout pour l'amener dans son lit...

Il me paraît évident, au regard des films qu'il a vraiment soignés à cette même période, que ce genre n'était absolument pas la tasse de thé du metteur en scène, et donc si Alma Reville (Mrs Hitch) a effectivement collaboré au scénario, c'était ni plus ni moins une commande... Et contrairement à e qu'il a raconté par la suite, il a, finalement, assez bien fait son travail puisqu'il a cherché par tous les moyens à rendre la chose attrayante. Et par moments, il y est parvenu!

D'une part, il a laissé l'inévitable empreinte de Lubitsch sur le genre infuser le projet, dans une scène "domestique" très drôle qui implique un couple marié et leurs deux domestiques; on la croirait tout droite sortie de Monte-Carlo. Ensuite, il a cherché à trouver une dynamique visuelle, qui implique la caméra mobile telle que Karl Freund et Murnau l'avaient développée en 1924-1925: les scènes avec Jessie Matthews sont souvent frappantes et enlevées. 

D'ailleurs, de tous les acteurs, c'est elle qui s'en sort le mieux: elle apporte une légèreté, une fantaisie juvénile, dont le film avait certes bien besoin! Pour le reste, ce n'est évidemment pas le chef d'oeuvre d'Hitchcock, on en est même très loin, mais... Ca se laisse regarder, comme on dit.

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Comédie Musical