Rebecca était, c'est un fait établi, plus le film de Selznick que celui d'Hitchcock. Il a reçu l'Oscar du meilleur film en 1940, c'est entendu, ce qui ne veut pas dire qu'il était forcément meilleur que d'autres films qui concouraient cette année là pour la précieuse statuette: après tout, parmi les concurrents, on trouvait par exemple The grapes of wrath de John Ford, The great dictator de Chaplin... et Foreign Correspondent. Ce n'était pas l'habitude de Selznick de garder pour lui ses poulains, qu'ils soient acteurs ou metteurs en scène, et tant mieux. Dès le travail d'Hitchcock accompli sur Rebecca, le producteur l'a laissé se dégourdir les jambes sur cette audacieuse production qui lui correspondait tellement plus... Et qui a un peu le statut de film de vacances. C'est étonnant, quand on y pense, tant cette production indépendante (Due à l'intéressant Walter Wanger) ressemble à un état des lieux Hitchcockien, un catalogue conçu par le metteur en scène avant d'aborder la suite de sa carrière Américaine! Un grand nombre de thèmes qui reviendront sont ici abordés, de la dangereuse tentation de mêler amour, espionnage et politique, à la difficile survie sur une embarcation bien fragile en plein océan...

Johnny Jones (Joel McCrea), rebaptisé Huntley Haverstock par son patron (ce qui va occasionner un running gag inévitable), est nommé correspondant de presse pour un journal Américain. On est en 1939, et la guerre menace en Europe; le patron veut des reportages véridiques, du vécu, pas du "prédigéré" comme ont trop souvent l'habitude de lui envoyer ses autres employés envoyés en Europe. Avec "Huntley Haverstock", il va en avoir pour son argent! Très vite, le jeune reporter met les pieds dans une drôle de situation, étant témoin du meurtre d'un homme politique Hollandais, poursuivant des bandits jusque dans des moulins, survivant à un attentat sur sa personne perpétré par un vieux traître cockney (Edmund Gwenn)... et surtout rencontrant la belle Carol Fisher (Laraine Day), la fille d'un important diplomate (le toujours aussi suave Herbert Marshall) aux étranges fréquentations.
Un peu à l'image de Scott ffoliot, le personnage à l'étrange patronyme (L'absence de majuscule pour la consonne double qui ouvre le nom de famille est non seulement intentionnelle, elle est explicitée dans le film et devient même à une ou deux reprises un signe cinématographique important!), qui apparait et disparait de façon inattendue, les péripéties s'enchaînent sans temps morts... On sent qu'Hitchcock est totalement à son aise avec son histoire, qui lui permet finalement d'accumuler les ruptures de ton, passant du film d'aventures improbable (poursuite sur le plat pays, d'un moulin à l'autre) à la propagande pro-interventionniste (ce qui n'était pas en 1940 du goût de tous, rappelons-le), tout en explorant ses thèmes et ses types de personnages préférés.
Disons qu'avec Herbert Marshall, l'espion devenu presque si Anglais qu'il a des regrets à trahir le pays de sa fille, il a trouvé un "méchant" passionant et à la hauteur. Et Joel McCrea, préfiguration de ce que Hitch fera de Cary Grant quelques années plus tard, on sent le metteur en scène prèt à tout: ce n'est sans doute pas à Laurence Olivier qu'il aurait demandé de tourner une scène en caleçon et peignoir, et McCrea qui a tourné quelques comédies avec Preston Sturges, incarne à merveille le décalage du 'straight man' dans le panier de crabes de l'espionnage.

Se terminant sur un plaidoyer pour l'intervention Américaine, un rappel de l'importance de la démocratie et de la décence dans le monde de1940, le deuxième film Américain d'Hitchcock renvoie un peu à certains de ses meilleurs films Anglais, à commencer par The lady vanishes, dans lequel le spectre de la guerre était déjà bien présent. Et il inaugure une série de films qui se poursuivra jusqu'à Notorious, dans lesquels la présence inévitable, ou les souvenirs des conflits lointains se feront ressentir aux Etats-Unis. Cette série de films de propagande prend sa source dans ces 120 minutes bondissantes, mais toujours justes, qui mériteraient mieux que d'être constamment considérées comme appartenant à 'un Hitchcock mineur'.
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Une vieille maison détruite par un incendie au fond d'un parc... Une voix off, et des promesses de frissons, vite mises de coté pour un prologue sur la côte d'azur... Le film commence ainsi. Alfred Hitchcock s'est embarqué pour les Etats-unis en 1939, parce qu'il savait que c'était une opportunité à ne pas manquer; le résultat de l'engagement du metteur en scène par David O. Selznick, le premier de trois films inégaux, serait donc un film plus Anglais que les vrais films Britanniques, comme si avec le metteur en scène, Selznick avait fait l'acquisition d'un petit bout d'Angleterre: Rebecca convoque un grand nombre des acteurs Anglais exilés à Hollywood, dont George Sanders ou Leo G. Carroll, qui reviendront tous chez Hitchcock. Le but du producteur, bien sur, était de capter un peu de cette atmosphère gothique propre au roman, si délicatement Britannique pour un palais Américain. C'est même réussi, à ce niveau...
La grande demeure, sombre, aux secrets qui sortent au compte-goutte: voici à peu près le type d'idée qu'on se fait aux Etats-unis d'une atmosphère gothique. C'est à peu près ça, mais justement, je pense que pour comprendre le peu d'intérêt manifesté par hitchcock pour ce film très soigné et prenant, il faut opérer une comparaison avec Suspicion: là aussi, Hitchcock recrée l'Angleterre riche et confortable du Sud en studio aux etats-unis en faisant passer la Californie pour la Cornouailles, mais l'inquiétude nait du quotidien, de la simplicité beaucoup plus que d'un vieux manoir... Hitchcock ne goutait sans doute pas trop le formatage, aussi brillant soit-il, auquel il avait fallu se résoudre pour tourner Rebecca. Celui-ci reste, bien sûr, un bon film, qui obtint l'Oscar du meilleur film cette année-là (Joli coup pour Selznick après Gone with the wind...). /image%2F0994617%2F20240820%2Fob_abac08_rebecca-11.jpg)
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Le vide, sujet admirable de film, auquel Hitchcock souhaitait tant s'attaquer. Il disait à Truffaut vouloir réaliser un film dans lequel une conversation se tiendrait sur une chaîne de montage d'une usine automobile; on verrait le châssis, puis la carrosserie, la voiture serait alors peinte, puis finie. au moment d'ouvrir les portières, un cadavre tomberait... Bien sûr, il ne l'a jamais faite, mais s'en est souvent approché. On peut dire que le meurtre impossible d'Annabella Smith (The 39 steps) ressemble un peu à cela. Ici, c'est de disparition qu'il est question, et une fois partie Miss Froy semble ne rien avoir laissé à personne. Les seuls indices seront un nom écrit dans la poussière sur une vitre, un paquet de thé, et une paire de bésicles.../image%2F0994617%2F20230720%2Fob_c84935_723p9fd9nv3vxwie1xqfqyojiozzg8-large.jpg)
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The 39 steps étant la réussite -et le succès- que l'on sait, il est intéressant de voir Hitchcock battre le fer tant qu'il est chaud, avec un film adapté d'un roman de Somerset Maugham qui semble dans la même veine: espionnage, aventure, rebondissements, et étude très poussée du suspense... Comme le précédent, le nouveau film d'Hitchcock se paie en prime le luxe de partir d'une situation légère, avec une intrigue bien dans la ligne du genre choisi par l'auteur, avant de se diriger vers un drame amer, dont le pessimiste metteur en scène fait une réflexion très en avance sur son temps, sur le devoir, le meurtre, et les apparences trompeuses...
Le film cesse de n'être qu'un simple divertissement, ou du moins de faire semblant de l'être, avec un épisode au suspense très appuyé: Le général et Ashenden ont réussi à pousser l'homme qu'ils soupçonnent à se porter volontaire pour une promenade dangereuse en montagne, et Ashenden va assister de loin, par le biais d'un telescope, au meurtre effectué par son complice; pendant ce temps, Elsa est restée en arrière, et discute avec l'épouse du supposé espion, en compagnie du chien de cette dernière, et de Marvin son éternel soupirant. Le montage alterne les deux lieux, et lie de façon inextricable la montée des trois hommes et l'inquiétude grandissante du chien, relayée par le visage d'Elsa qui se rend enfin compte de la situation... L'amertume manifestée par Ashenden est enfin montrée au grand jour, partagée par Elsa qui va pouvoir faire part à son "mari" de ses vrais sentiments. Pendant ce temps, l'inhumanité profonde de leur "ami" le Général apparaît de façon plus forte encore. Et comme bon nombre de ses futurs ennemis des héros, Hitchcock choisit de faire de son "méchant", l'espion recherché par les principaux personnages, un homme aimable, affable, foncièrement sympathique: simplement acquis à une autre cause. Le dégoût ressenti par Ashenden et Elsa est alors à son comble... L'espionnage sportif et bien propret se transforme en une découverte horrible de la nature humaine./image%2F0994617%2F20230720%2Fob_b09e61_2jsgvfmn8gvck82sep32fou0ypux1i-large.jpg)
Hannay qui laisse complaisamment sa main toucher sa peau...), mais aussi à tomber amoureux... les Ecossais du film sont sans doute caricaturaux, mais le couple formé par John Laurie et Peggy Ashcroft est inoubliable: ils sont les fermiers qui recueillent Hannay lors de sa cavale. Lui est une brute, ultra rigide et religieux, et elle est une citadine mal mariée, qui voit en Hannay une opportunité de romance pour quelques instants volés: elle aide le héros à s'enfuir, peu confiante en son mari dont elle sait qu'il fera tout pour empocher la récompense. Hitchcock réserve à ses deux acteurs des gros plans sublimes, filme leur masure sous toute ses coutures, se souvient du cinéma muet dans une séquence qui voit le mari soupçonneux observer sa femme et son invité, qu'il soupçonne de tentation adultère, à travers une fenêtre; aucun dialogue, juste des visages, des gestes, et le regard inquiétant de Laurie. La scène renvoie à Murnau et ses films "ruraux", par son utilisation d'un espace plein, de menues tâches (Peggy ashcroft ne prend pas une minute pour se reposer entre deux tâches à accomplir pour son tyran de mari), et ses plafonds bas. Le couple, antithèse du couple romantique formé par Hannay et Pamela, est un des points forts du film, sans doute l'aspect le plus noir, qui renvoie à The Manxman, The Ring et leurs personnages de femmes mal mariées...
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