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6 septembre 2023 3 06 /09 /septembre /2023 16:19

Sarah (Eva Green), maman séparée, a une petite fille de huit ans (Zélie Boulant-Lemesle), qui vit très mal la situation: ingénieure, passionnée et impliquée dans la recherche spatiale internationale, elle a été sléectionnée pour remplacer une défection sur une mission internationale qui doit partir de Baïkonour, pour un séjour d'un an en orbite; le but: examiner la capacité d'un humain à s'éloigner de la terre au point de ne plus la voir: c'est une étape de préparation vers le départ pour Mars. 

Et Sarah, quelle que soit sa passion pour sa mission, doit apprendre comme sa fille à affronter la séparation...

Examiner les liens humains en milieu conflictuel... Voilà ce qui est probablement le point commun entre ce film et le plus récent Revoir Paris qui examinait le traumatisme de Novembre 2015 sur des victimes qui avaient survécu... Mais le sujet du film ici, bien que tourné vers l'avenir, le progrès, l'élévation de l'humanité, reste quand même totalement terrien, et c'est tout l'enjeu. A l'heure où enfin, on considère les femmes en héroïnes de ce genre de mission, sans se livrer (comme le fait à un moment embarrassant un collègue à travers une blague un peu lourde) à des comparaisons dommageables, il convient malgré tout d'examiner ce qui se passe entre une mère et sa fille, qui sont engagées dans une relation fusionnelle. Examiner à travers des anecdotes, l'évolution aussi d'une situation qui pour la petite fille ne va pas de soi, et le conflit intérieur de la mère. 

Bref, le film qui va jusqu'au départ, mais sans suivre Sarah dans l'espace, se situe entre l'histoire d'un projet scientifique qui a pour obstacle un amour maternel absolu, et l'histoire d'un amour profond contrecarré par la nécessité d'accomplir et de participer à un exploit. Il fallait une actrice qui puisse endosser les deux aspects, Eva Green est parfaite, sans parler d'un certain talent pour les langues étrangères, qui se manifeste souvent puisque le film, pour augmenter au trouble, est en Anglais/Français/Allemand/russe... Et joue de cet aspect multi-linguistique à plusieurs reprises... La comunication et ses occasionnelles ruptures seront en effet l'un des symptômes du trouble sur cette relation fragile. Et Zélie Boulant-Lemesle, la petite fille tiraillée entre son amour fou pour sa mère et son admiration pour sa mission, est fantastique elle aussi. A aucune reprise le personnage ne sombrera sans la facilité générique, et son mal-être n'est jamais caricatural... La structure du film rend aussi lisible la situation de sarah, à travers le morcellement de sa vie, qui se fracture en anecdotes sous nos yeux...

Un beau film, qui réussit à louvoyer (comme le fera Revoir Paris en 2022) entre une tentation documentaire, et un drame intime. Proxima, pour finir, comme Proxima du centaure, l'étoile si proche (proxima en latin)... mais aussi si lointaine puisqu'elle est quand même à 4 millions d'années-lumière. C'est le nom choisi pour la mission, c'est aussi un titre parfait pour ce film qui nous conte un drame de l'éloignement, ou le sacrifice d'un déchirement nécessaire... Ou les deux.

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Published by François Massarelli - dans Alice Winocour
9 septembre 2022 5 09 /09 /septembre /2022 15:07

Mia (Virginie Efira) est interprète, titulaire d’un diplôme de Russe, technicienne incontournable lors des échanges Franco-Russes à la Maison de la Radio. Sa relation avec son compagnon bat de l’aile, mais le savent-ils? Nous, nous nous en doutons: lors des premières scènes, nous voyions d’une part que le point de vue privilégié est celui de Mia, son ami restant plus ou moins à l’écart; et puis la façon dont la caméra se fige parfois sur des détails en apparence insignifiant, comme pour signaler que quelque chose se trame, nous donne en effet une indication…

Mia et son compagnon, justement, vont dans un café, mais il doit partir, une urgence. Sauf qu’elle, de son côté, va nous faire profiter de son évidente solitude, ce qui l’a poussée à se rendre, alors qu’il pleuvait, dans un café, pour attendre la fin de la pluie. Là encore, chaque détail semble nous donner un avertissement, quelque chose se prépare. Sans crier gare, alors que Mia ne sait pas trop quoi faire de sa peau, elle va entendre le premier coup de feu. La brasserie est le siège d’une attaque terroriste. Tout ce qui suit va s’effacer de la mémoire de l’héroïne, désormais considérée survivante, d’un blackout béant, et d’un certain nombre d’interrogations…

Le prologue mène le spectateur droit dans une scène dramatique, l'attentat vu à hauteur de victime, sans aucune visibilité réelle. Une scène à la puissance phénoménale, qui se situe juste avant le fameux black-out, dont il est question plus haut: c'est magistral...

D'emblée, le film se place dans une optique beaucoup plus large que celle d'une commémoration, d'une reconstitution des attentats du 13 novembre 2015, à Paris. Ce qui aurait été la manière Américaine, par exemple, aurait été de privilégier une reconstitution heure par heure, en multipliant les personnages et bien sûr les situations, d'autant qu'on sait bien que les attentats de ce jour ont été perpétrés dans plusieurs endroits, choisis pour leur importance culturelle. Donc en choisissant de nous montrer une expérience, et qui plus est celle de la femme qui a tout oublié, qui a bloqué son traumatisme dans sa mémoire, Alice Winocour a donc délibérément réduit le champ de son film et l'a placé dans la sphère privée... 

Je connaissais la réalisatrice en tant que co-scénariste du très beau film Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, qui s'intéressait aux filles d'une famille Turque, saisies dans leur adolescence, entre permissivité à l'Européenne, et rigorisme sous influence patriarcale. Le point de vue privilégié est celui d'une femme, c'est incontestable, et le film va donc évoquer plusieurs points: affronter le traumatisme, d'abord, à travers la rencontre entre Mia, qui ne se rappelle plus, et Thomas (Benoît Magimel), qui était dans la même brasserie, et se souvient de tout. Il en est sorti estropié, et a perdu ses amis et collègues, qui fêtaient son anniversaire au moment de l'attaque. La rencontre des deux qui ne se connaissent pourtant pas, semble inéluctable, et nécessaire... Et c'est un échange: à Mia qui doit vouloir ouvrir la boîte de ses souvenirs parce qu'elle ne se rappelle plus, Thomas dit qu'elle a bien de la chance de ne pas se souvenir. Leur rapprochement va devenir un moyen pour eux d'affronter la suite.

Et Mia affronte aussi la réalisation du fait que sa vie a changé, elle a bifurqué... Professionnellement, sans doute. Personnellement et amoureusement, certainement. C'est le portrait d'une femme pour qui, aussi bien  symboliquement que concrètement, plus rien ne sera jamais comme avant. Le film va aussi nous montrer deux quêtes: d'une part, une femme, lors d'une réunion cathartique de victimes survivantes, au lieu de l'attentat, accuse Mia d'être celle qu'on a vue se réfugier aux toilettes, et s'enfermer, se sauvant ainsi et condamnent ceux qui la suppliaient de lui ouvrir. Mais Mia, bien qu'elle ne s'en rappelle pas, ne se reconnaît absolument pas dans cette anecdote.

Et d'autre part elle va finir par se rappeler de bribes de ce qu'elle a vécu durant l'attaque, en se cachant, ailleurs: une rencontre, avec un mystérieux homme, dont elle se rappelle qu'il avait un tatouage, et qu'il lui a pris la main pour l'aider à passer son angoisse... La quête de cet homme, un étranger, certainement un sans-papiers, devient centrale au film, au parcours commémoratif comme à l'expérience privée de Mia. Mais ce qu'elle voit nous renseigne aussi sur les autres, à commencer par Thomas, cette victime qui devient incapable de vivre avec ceux qui n'ont pas vécu ce drame.

De la sorte, tout ici est subordonné à cette expérience, à cette douleur, à la peur qu'on a vécue, à chaque détail, à chaque objet aussi. Aucun héroïsme exacerbé dans le film, aucune trompette, aucun véritable deuil non plus. Dans ce monde terrible, où pour chercher un homme qui a été tout simplement là pour vous, il faut se lancer dans un difficile parcours du combattant à travers les arcanes du travail clandestin, Alice Winocour nous montre aussi une France qui va bien mal... Si les deux quêtes trouveront une issue dans le film, le constat est amer. C'est donc un film fort, totalement de son époque, et qui sort complètement de ce qui serait attendu d'une oeuvre consacrée au terrorisme: c'est une excellente surprise, assurément!

 

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Published by François Massarelli - dans Alice Winocour Virginie Efira
19 mai 2018 6 19 /05 /mai /2018 09:02

Cinq jeunes filles, cinq soeurs, cinq doigts de la main. Elles rentrent un jour de l'école, juste avant les vacances d'été, en passant par la plage. Elles se baignent en chemin, avec des garçons et en uniforme, mais le mal est fait: on les a vues. Rentrées chez elles, c'est à dire dans la maison de leur grand-mère qui les a élevées seule suite au décès de leurs parents dans un accident, elles se prennent une volée monumentale. Elles croient que c'est à cause des pommes qu'elles ont chapardées chez le voisin, mais non: c'est parce qu'en se baignant avec les garçons, en chahutant avec eux dans l'eau, elles se sont 'frottées impudiquement', et 'masturbées sur la nuque des garçons'. La seule solution pour la grand-mère pour laver la honte va être d'enfermer les cinq soeurs, puis de faire appel à leur oncle Erol, un homme à la droiture morale et aux principes très affirmés: on est en Turquie, et on s'interroge sur un certain nombre de sujets: les femmes sont-elle les égales des hommes? Ont-elles droit à la liberté? Une scène située à la fin de l'exposition nous annonce la situation d'une métaphore simple, mais efficace: Erol vient d'obtenir pour ses trois nièces les plus âgées, un certificat de virginité; il ramène toute la troupe à la maison, et nous voyons la voiture qui les contient tous les six s'enfoncer dans un long tunnel...

Les filles de 11 à 17 ans sont jouées par des actrices de tout premier choix, dont plusieurs se ressemblent: Ilayda Akdogan joue Sonay, l'aînée; Tunga Sunguroglu Selma, la deuxième. La troisième soeur Ece au destin tragique est interprétée par Elit Iscan; les deux dernières, Nur et Lale, sont interprétées respectivement par Doga Deynep Doguslu et Gunes Nesihe Sensoy. C'est cette dernière qui va nous fournir l'essentiel du point de vue, à travers une caméra embarquée à leurs côtés, qui ne quittera jamais le groupe, ou en tout cas la petite Lale: le nombre de plans dans lesquels les jeunes filles sont absentes est franchement quantité négligeable, et mieux encore, dans la première demi-heure, elles sont quasiment totalement soudées, inséparables. C'est là que la société patriarcale en pleine reconquête va justement intervenir, en faisant tout pour les séparer de manière contrôlée, par l'arrangement de mariages notamment. L'été commence, pour les jeunes femmes, par l'enfermement, puis la maison, peu à peu, se transforme en prison sous l'influence de l'oncle Erol (Ayberk Pekcan), qui ne leur passe absolument rien. De manière intéressante, les femmes, parfois, tout en maintenant la tradition ("On va la marier avec le premier venu, elle sera heureuse"), se permettent de petits actes discrets de rébellion: quand une tante voit, horrifiée, en allumant la télévision, que les cinq filles qu'on croit cloîtrées dans leur chambre, sont en fait dans les tribunes d'un match retransmis en direct, elle n'hésite pas, prend un marteau et bousille le transformateur d'électricité...

A propos de ce match de football, il est basé sur une anecdote authentique: lorsque les supporters d'un match se sont conduit d'une manière excessive (émeutes, violence, etc, vous connaissez ces petits animaux très vindicatifs), les autorités ont décidé que les seuls fans admis dans les stades pour certains clubs, seraient les femmes et les enfants! Un acte assez comique en soi, mais qui met en lumière une règle essentielle de cette société patriarcale: la séparation des hommes et des femmes... Mais après une demi-heure environ, l'atmosphère s'alourdit: la grand-mère se lance dans une quête de maris, pour Sonay d'abord (qui réussit à échapper à son destin en obtenant de la vieille dame qu'elle l'aide à imposer son petit ami comme futur promis), puis pour Selma (qui se retrouve fiancée à un parfait inconnu) et lors de la nuit de noces de cette dernière, l'absence de sang la condamne presque; toute la famille se rend donc à l'hôpital en pleine nuit, pour exiger des réponses d'un docteur qui viendraient confirmer l'affirmation de sa virginité par la jeune femme. L'employée qui voit débarquer la troupe aux urgences voit tout de suite que le beau-père de Selma a une arme à la ceinture... Car tout cela n'est pas une farce.

La plus rebelle des cinq n'est pas Sonay, qui réussit à faire sa vie à peu près à sa guise; pas Selma non plus, à laquelle on prédit un mariage atroce; ni Ece, qui à la perspective d'un mariage arrangé pour elle aussi, commence à se comporter de façon erratique, mangeant des gâteaux en permanence, provoquant sa famille, couchant avec le premier venu dans une voiture sur un parking, ou... se tirant une balle dans la tête. Enfin ce n'est pas Nur, tiraillée entre l'ennui et la peur: Lale, l'héroïne du film, n'est pas que la plus jeune, ou celle qui possède la plus grande vitalité: c'est elle qui dirige la rébellion, qui essaie de trouver des portes de sorties et parfois les trouve: elle apprend à conduire en douce, elle persuade ses soeurs de la suivre à un match de football en contrebande, elle prend systématiquement la direction des opérations, et enfin, elle sauve sa dernière soeur le jour de son mariage en organisant une évasion spectaculaire!

La charge contre le patriarcat est violente, mais pas dirigée expressément vers un corps constitué, que ce soit la religion ou l'éducation. Tout se passe comme si un mouvement naturel vers le raidissement des rapports hommes-femmes avait lieu, ce qui est bien sûr la manière dont Lale, en particulier, qui est trop jeune pour analyser les rapports entre politique, tradition en montée du rigorisme religieux, vit les choses. Mais cette affirmation méthodique des dangers, faite de vitalité et d'une chronique de moins en moins douce et de plus en plus amère, fait mouche, par sa générosité de la réalisatrice (dont c'est le premier film!), la justesse impressionnante de son interprétation, et la verve de ses actrices. Qu'elles jouent à un remake méchant des Virgin suicides, ou à une version Turque et réaliste des Little women (Les quatre filles du Dr March), elles sont toutes fantastiques.

 

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Published by François Massarelli - dans Turquie Alice Winocour