Entre le chemin de la Matûre (Pyrénées-Atlantiques) et le canyon d'Ordesa-Monte Perdido, une famille de gens venus "du Nord" (mais justement, à cet endroit, "le Nord", c'est vaste) randonne... manifestement pour satisfaire le désir de pélerinage du père (Mathieu Amalric) que ses parents ont conçu au refuge de la Brêche de Roland. Car autour, la fille a un secret encore lourd à porter (elle est gay), le fils a du mal-être (il est ado) et la mère est enceinte et se demande si elle va rester avec son mari... Bref: tout le monde s'engueule, et comme le père a eu les crampons un peu plus grands que le ventre... Certains se perdent, et ma foi, certains se débrouillent...
C'est un peu brut de décoffrage, et parfois on se demande, surtout si on a aussi vu Le Voyage aux Pyrénées, si les Larrieu ne définiraient pas d'abord un lieu avant même d'avoir des personnages à y placer! Remarquez que ça ne me dérange pas outre mesure, les paysages de ce film étant particulièrement fabuleux.
Notons aussi qu'il a justement fallu monter là-haut (Brêche de Roland, Mont Perdu, notamment, ainsi que le Pimené qui servira de gag cruel pour démontrer l'inconscience totale du père de famille) pour les acteurs, et que non, il n'y a pas de fond vert... Mais voilà: s'il faut s'en tenir aux décors, c'est sans doute l'un des plus beaux films au monde, de mon point de vue. ...tout en étant un psychodrame de plus ou de moins à la française, un de ces films où tout le monde s'engueule, et dès la première minute... Une spécialité locale, quoi.
Ne dit-on pas d'une femme qui a eu des expériences sexuelles qu'elle "a vu l'ours"? Justement, ce film parle de nymphomanie et de Pyrénées, c'est une expression appropriée...
Surtout qu'Aurore Lalu (Sabine Azéma), elle l'a vu, l'ours...Avec son mari, Alexandre Dard (Jean-Pierre Daroussin), acteur comme elle, ils sont venus faire un séjour au fin fond des Hautes-Pyrénées, pour régler un problème: Aurore est devenue récemment nymphomane depuis un voyage à Rome, et non seulement Alexandre voudrait que ça cesse, mais aussi il voudrait la reconquérir, parce qu'affectivement ils sont au régime sec depuis trop longtemps... L'idée lui a été inspirée par un souvenir: quand il se sentait devenir un obsédé sexuel, à la fin de l'adolescence, une visite en montagne l'avait guéri, dit-il; il souhaite donc fournir cette possibilité à son épouse.
Seulement, la présence d'un ours (d'origine Bulgare, nous dit-on) va tout bouleverser, mais aussi aider considérablement le couple, qui dans l'ensemble tend plutôt à se défaire encore plus dès son arrivée en vallée de Troumouse... Privilégiée d'avoir vu la bête dès la première nuit, Aurore va singulièrement ressentir l'appel de la nature, et disparaître, vivant nue en "femme sauvage" durant quelques jours, ce dont Alexandre va découvrir que ça lui fait le plus grand bien...
Les frères Larrieu aiment bien opposer une certaine forme de fantastique à des crises (s)existentielles: ici, la rencontre avec un ours particulièrement faux (ce que les personnages eux-mêmes soulignent quand Aurore remarque qu'il "fait pipi debout") va aussi être accompagnée d'un certain nombre d'extases d'un genre plus sûrement spirituel (quoique) que sensuel, et une étonnante et loufoque transformation du couple qui échangent leurs corps sous l'impulsion de la foudre sera le point d'orgue de l'aventure. Et le tout se fait dans les Pyrénées, mais pas n'importe où: en vallée de Troumouse, où souvent nous apercevrons le Cirque du même nom; à Gavarnie, pour un autre Cirque plus célèbre encore. A Gèdre, situé un peu plus au nord, et même à Luz St Sauveur, grande station thermale située sous le massif d'Ardiden. Amoureux de leurs Pyrénées, les frères Larrieu réussissent à échapper à la carte postale en plantant un décor qui change constamment et en y plaçant deux touristes, acteurs de surcroît, tellement imbus d'eux-mêmes qu'ils ne remarquent rien. Comme le dit Alexandre à un moment (il se ravisera): "deux jours en pleine nature, ça suffit!"...
Mais le film, comme 21 nuits avec Pattie ou Peindre ou faire l'amour, est une quête de soi, une sorte d'ode au laisser-aller, au mélange social et surtout une illustration rigolarde de la nature des acteurs, qui sont justement des gens qui ont oublié ce que c'est que d'être: confrontée à l'exacerbation extrême de son désir, Aurore ne sait plus qui elle est, et Alexandre, qui reste en contrôle, prononce chaque phrase comme s'il s'agissait d'une réplique dans une série de France 2 (ce qui, venant de moi, est tout sauf un compliment)... Mais la confusion des genres qui les attend, et qui les sauvera, était-elle vraiment si inattendue? Car dès les premières minutes, Alexandre lui-même dit qu'il "était nymphomane" en racontant ses vingt ans! Et le phénomène naturel qui va rabibocher les héros tout en les mettant sans dessus dessous, n'est-il pas un coup de foudre?
Il y a beaucoup de plaisir à prendre dans ce film de deux réalisateurs qui aiment eux aussi à se laisser aller, à semer le doute dans leurs films. Il apparaît assez clairement que le film ne s'est pas tourné sur une semaine, par exemple, le temps change brutalement dans la montagne, mais ici il est clair qu'on est situé entre la fin de l'été et le milieu de l'automne... Mais ils soulignent en permanence, par l'intrusion salutaire voire salace du loufoque (trois moines qui chantent les chansons les plus niaises de tous les temps, pour célébrer le fait d'avoir fait la rencontre de la "femme sauvage", et Sabine Azéma, vue au loin en faisant des galipettes, toute nue dans la nature), par des gags idiots mais efficaces (le pauvre Alexandre Dard, qu'on appelle "André Dussolier" à quatre reprises), et par un ton gentiment absurde (non seulement Aurore parle Bulgare sans crier gare, mais un cuisinier venu du Tibet pour s'installer dans le hameau d'Héas donne des champignons hallucinogènes à Alexandre, qui se rend compte que désormais il parle Tibétain...
Accessoirement, on verra ici les beautés et les charmes de l'un des plus beaux coins des Pyrénées, et ça me suffira toujours! Même quand les montagnes sont, littéralement, à l'envers, comme une façon ironique, justement, d'éviter l'effet "Carte postale".
Caroline (Isabelle Carré) était aux Baléares quand elle a appris la nouvelle: sa maman, qui l'avait élevée seule et dont elle était très éloignée, est morte, comme ça, d'un coup. Et il lui a fallu se rendre chez elle, dans la Montagne Noire, dans l'Aude, où elle n'a jamais mis les pieds, pour assister aux obsèques et expédier les affaires: vendre la maison, gérer l'héritage et passer à autre chose. Mais sur place, elle va être confrontée à un certain nombre de contretemps: pour commencer, le corps, une fois qu'elle l'aura vu, aura disparu; ensuite, il y a toute une faune dans et autour de la maison, des amis de la famille, des ouvriers qui s'affairent entre deux plongeons dans la piscine; l'amie de sa mère, Pattie (Karin Viard) est son opposée en tous points et passe son temps à déballer ses histoires de sexe avec une franchise étonnante (alors que Caroline est privée de désir, et abstinente depuis longtemps), un mystérieux visiteur (André Dussolier) va se présenter comme étant «ami de Zaza (la mère) et un écrivain célèbre» vient s'installer dans la maison, et Caroline se découvre une attirance singulière pour le très jeune fils de Pattie... Bref, l'échappée qui devait durer 48 heures, va se prolonger, et le séjour va chambouler l'existence de Caroline...
Le titre se concentre sur Pattie, le personnage de Karin Viard, et d'ailleurs cette dernière et pour beaucoup dans les qualités du film, ce côté provocateur d'une femme qui vit sa vie et sa sexualité en symbiose parfaite avec son environnement, et qui, pardonnez-moi l'expression, appelle constamment un chat une chatte! Ce n'est pas la première fois que les Larrieu se reposent sur la sportivité et l'abattage de l'actrice, et c'est un régal de l'entendre raconter en termes classés X des aventures salaces. Mais de fait elle reste un personnage secondaire, de luxe! Comme Dussolier, qui joue sans doute le premier rôle de potentiel nécrophile de sa distinguée carrière, comme Sergi Lopez qui lui interprète le mari de Caroline, avec lequel elle tente de maintenir le contact téléphonique malgré des moyens techniques défaillants. L'enquête, pour disparition de cadavre et soupçon de nécrophagie, voire nécrophilie (!) va elle aussi passer au second plan.
Car ce ui va compter dans cette étrange comédie, c'est le changement offert par les circonstances. Alors d'emblée, est-ce à cause de la canicule chronique qui endommage mes circuits, est-ce parce que des indices nous y conduisent, quoi qu'il en soit j'ai pensé devant ce film avec un étrange crime sans véritable issue, à The Canterbury Tale de Michael Powell, et cette halte inattendue, ressentie comme un profond bouleversement par des personnages qui n'attendaient pas mieux. Stressée, éloignée de l'essentiel, sans véritable attache (elle vit avec un mari aimant, ils ont deux enfants ensemble et elle n'a pas encore été foutue d'intégrer qu'il est Catalan et non Espagnol, un détail qui revient plusieurs fois dans des conversations qui ressemblent à des dialogues de sourds. Et en venant chez sa défunte mère pour le première fois, Caroline va pour la première fois, semble-t-il, s'ouvrir à la possibilité qu'elle ait un père!
Le film recourt, à sa façon bien sûr, à la mythologie, à travers un certain nombre d'éléments. Si je ne sais que faire de la référence au tarot (le titre du film est partie intégrante de l'intrigue c'est le titre d'un livre que la mère souhaitait écrire en hommage au personnage de bonne vivante qu'était sa voisine et amie: 21, c'est le plus fort atout du tarot, pour ceux qui ne la savent pas), en revanche, on trouvera dans le film un archer à demi-nu, au moins une créature mystérieuse dont nous ne verrons que la silhouette, au bord d'une cascade enchanteresse, un faune (voire un satyre), incarné par Denis Lavant et une diction hilarante, et une nature constamment en fête, qui invite avec autorité Caroline à tout reconsidérer. Le voyage, pour elle, va la ramener vers sa mère en la poussant à adopter son point de vue, et bien sûr c'est Pattie et sa sexualité débridée qui vont montrer le chemin... Et le tout commencera par un sacrifice d'animal, un chevreuil percuté par une voiture: Caroline l'appellera «une biche», mais c'est un mâle; quand je vous dis qu'elle est en pleine confusion! Mais dans cette escapade imposée, Caroline va apprendre à aller vers l'autre, se laisser aller enfin. Et le film va d'ailleurs, dans sa forme même, intégrer cette ouverture, en passant du format 1:33:1, plus resserré, à un écran plus large enfin, une fois qu'elle aura accepté de s'ouvrir...
Ce qui aurait pu être un fourre-tout devient une halte bienvenue, arrosée, drôle et touchante, dans un pays à part, qui n'a pas l'air vrai de prime abord. Mais il l'est.
Adaptant non pas un mais deux romans de Dominique Noguez, les frères Larrieu quittent le terrain strict de la comédie où il se sont surtout illustrés, pour réaliser un film d'un genre peu banal, mais qui a pourtant occasionnellement existé en France: on se souvient un peu de La fin du monde, de Gance, ou de Malevil de Christian de Challonges. Le cinéma apocalyptique existe dans ce pays! Mais ce film précis a un avantage sur tous les autres: il est une oeuvre des frères Larrieu, donc plutôt centré sur les Pyrénées, même si sur l'ensemble de son intrigue, on voyage: Pays Basque, Toulouse, le Lot, et même Paris, Taïwan et le Canada...
Biarritz: l'écrivain Robinson Laborde se réveille, on est en juillet et le monde est en proie au chaos. Plusieurs virus déciment la planète, les gouvernements sautent les uns à la suite des autres, et tout se rationne: la libraire, Ombeline, lui fait comprendre qu'il n'y a plus de papier, alors pour raconter son étrange histoire il va lui falloir remplir les espaces libres d'un recueil de recettes de cuisine... Il raconte donc au spectateur: comment il a rencontré, en vacances à Biarritz avec sa famille, une jeune Espagnole irrésistible, comment il a prolongé son adultère au-delà du raisonnable, puis a quitté son épouse. Comment enfin il a perdu sa main au cours d'un rocambolesque séjour dans le Nord Canadien. Mais pendant qu'il nous raconte tout cela, la situation se dégrade toujours un peu plus: les Pyrénées Atlantiques ne sont plus sûres, il va lui falloir passer la frontière pour rejoindre Bilbao puis Saragosse, où l'attend, peut-être, sa fille...
Robinson... Le nom, dès le départ, place Mathieu Amalric en survivant potentiel, ou en tout cas comme quelqu'un qui sera solide. Et effectivement, il en faudra beaucoup pour en venir à bout, et les péripéties ne manquent pas! Karin Viard (elle joue l'épouse de Robinson) a beau mentionner qu'on "baise beaucoup quand ça va mal", il est assez rare que les uns et les autres puissent vraiment finir de pratiquer cette saine activité, tant les explosions, attentats, tremblements de terre, attaque chimique et pluie de cendres (les incinérateurs fonctionnent à plein régime) sont omniprésents. Sinon, il est en constante recherche de Laetitia (Omahyra Mota), qui pour moi est le maillon faible du film: belle, constamment nue, avec autant de substance qu'nue James Bond Girl, et profondément désagréable par sa superficialité revendiquée. Mais on est en pleine allégorie, et elle s'appelle Laetitia, donc autant considérer qu'on est ici, au milieu de cette apocalypse, en pleine recherche égoïste du bonheur, car c'est bien de ça qu'il s'agit. dans le chaos, le monde se perd et plus personne ne roule pour qui que ce soit d'autre que soi-même...
L'ironie est omniprésente, bien sûr, dans ce portrait d'un monde qui meurt de tout sauf de sa belle mort, mais je pense qu'il tient un peu de la performance, voire du tour de force: les frères Larrieu ont non seulement mis leurs chères Pyrénées à l'honneur, mais ils ont aussi, sans excès d'effets spéciaux, réinventé tout un territoire Européen, de Paris à Saragosse, qui est en proie au chaos: panique, bouchons, explosions, nuages louches, eau fluorescente, cadavres dans les rues, et l'inévitable partouze dans un château près de Cahors.
Sans oublier le clou du spectacle: un homme et une femme tout nus dans la fraîcheur Parisienne matinale.