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1 janvier 2018 1 01 /01 /janvier /2018 13:39

St Valentin, 1900: dans l'état de Victoria, les jeunes femmes très comme il faut d'une institution privée se rendent pour un pique-nique à côté d'une curiosité géologique locale, Hanging Rock: la secrétion de lave la plus haute de la région, sorte de gros rocher tout biscornu planté au beau milieu d'une jolie contrée. Toutes les filles ne sont pas parties: Sara, la petite orpheline que Mrs Appleyard (Rachel Roberts), la directrice de l'établissement a prise en grippe, est restée à l'école pour parfaire ses leçons. Sara a vu partir ses amies, dont Miranda (Anne Lambert), une jeune femme au charisme impressionnant pour laquelle elle a une affection romantique assez intense. Sur le lieu du pique-nique, tout se passe bien, malgré la chaleur, jusqu'à ce que Miranda et trois de ses camarades décident d'escalader le rocher. Elle parviennent à une certaine hauteur, se reposent, et prises d'une ivresse incompréhensible, trois d'entre elles continuent, laissant la dernière rentrer sur le lieu de pique nique. Sur le chemin du retour, elle croise Miss McCraw (Vivean Gray), le professeur de sciences qui les accompagnait, partie chercher les jeunes femmes qui manquent à l'appel... Et qui ne reviendront pas, pas plus que Miss McCraw. A part Irma (Karen Robson), une des trois filles qui sera retrouvée, amnésique, quelques jours plus tard, on ne retrouvera jamais personne. L'institution est en émoi, et plus grave encore, Mrs Appleyard semble avoir perdu l'esprit, devenant plus dure et plus sèche au fur et à mesure que les parents des unes et des autres annoncent leur décision de retirer leur enfant de l'institution...

L'énigme provient d'un roman de Joan Lindsay publié en 1967. L'auteure avait résolu l'affaire dans un chapitre final, que l'éditeur a suggéré de retirer afin de donner plus de poids au mystère... Tout comme le livre, le film fonctionne superbement de la sorte. L'essentiel n'est en effet pas l'énigme en soi, mais bien le contexte, et ce que Weir a choisi de mettre en valeur dans son film: une atmosphère incroyablement étouffante de non-dits et de chuchotements, un Victorianisme rendu plus envahissant encore par l'éloignement géographique (Aucune des filles, ni aucune des enseignantes de l'institution scolaire, ne parle avec un accent Australien). Le film, mélange de répression et de liberté, est situé en un territoire donc dans lequel les passions peuvent se déchaîner, mais on n'en saura rien... Ou plutôt si: Sara, la très créative rebelle, et Miranda ont de toute évidence une relation (Amicale ou plus, peu importe) dans laquelle Miranda domine son amie de chambrée; Mademoiselle de Poitiers (Helen Morse), enseignante de français, couve toutes les filles avec un instinct maternel touchant tandis que Mrs Appleyard, une veuve assez agée, a beau avoir dans sa chambre un tableau qui renvoie à l'imagerie mythologique de la maternité, elle se comporte en tyran, en particulier auprès de Sara dont elle ne supporte pas la moindre velléité de rébellion. On apprend incidemment que le frère de cette dernière est Bertie (John Jarratt), un personnage qui a de l'importance dans l'intrigue puisque c'est lui qui sauve Irma. Et Sara ignorera jusqu'au bout la présence proche de son frère qu'elle n'a pas vu depuis longtemps. Mais Bertie est aussi au coeur d'un développement (Du moins dans le montage sorti en 1975) qui voit comment la bonne société locale va naturellement négliger le vrai sauveteur Bertie, issu de la classe ouvrière, au profit de son compagnon Michael (Dominic Guard), un Anglais de l'aristocratie, sans que le jeune homme l'ait cherché. Il est regrettable que Weir ait choisi de se passer de certaines sous-intrigues en enlevant 10 mn de son film...

 

La trace Aborigène est bien sur très importante: le film ne laisse échapper aucun détail à la caméra, et est ponctué de visions d'animaux qui renvoient à la croyance des premiers Australiens (L'Eden est le monde dans lequel nous vivons, et l'harmonie est dans la terre, les animaux, la relation entre le vivant et l'inanimé: de fait tout animal, toute être vivant et tout rocher ne sont que les pièces d'un puzzle gigantesque créé par les rêves ancestraux). Cette confrontation ironique du Victorianisme et de l'univers Aborigène tourne bien sur à l'avantage de ce dernier... Les scènes sur Hanging Rock sont toujours au bord d'une interprétation surnaturelle, ce que le fameux chapitre manquant du roman tend à corroborer, du reste. Et dans l'obsession de Michael pour Miranda, obsession née de sa rencontre avec la jeune femme quelques minutes avant sa disparition, il y a de nombreuses scènes qui font mine d'indiquer que celle-ci pourrait bien s'être réincarnée... en cygne. Un aspect qui restera irrésolu, comme sa disparition.

Par ailleurs, Les scènes centrales, qui laissent en l'état la porte ouverte à bien des interprétations, sont baignées d'une sensualité naissante (L'une des premières choses que les filles font est de retirer leurs bas et leurs chaussures, et celle qui sera retrouvée aura perdu son corset...), et sont traitées par Weir comme un mythe (A dream within a dream...), avec force ralentis, et un flou narratif savamment entretenu. Miranda, avant de partir vers le rocher pour sa promenade fatale, inspire à Mademoiselle de Poitiers une comparaison d'ailleurs mal formulée, avec la Vénus de Botticelli: "I know, Miranda is a Botticelli angel". Non, elle n'est pas un ange, mais cette  jeune femme qui a une beauté à tourner les têtes, et qui dans une disparition symbolique, tourne le dos à l'institution rigoriste qui l'a accueillie pour en faire une gentille victorienne écervelée, est effectivement, au moins, Vénus.

A propos de mythes, la séquence de la disparition n'est pas entièrement documentée par des images, beaucoup d'informations sont reprises de témoignages, et tous ne disent pas la même chose. Certains apparaissent même en contradiction avec ce que nous avons vu: d'où un sentiment, très fort, et qui reste au-delà de la vision du film, de mythe en mouvement perpétuel. Les flash-backs nombreux des images des trois jeunes filles disparues font dominer l'impression d'un film hanté par ces fantômes, trois jeunes femmes et une gouvernante (Qui elle aussi avait ses mystères à en croire Mrs Appleyard qui déplore sa disparition et la perte de sa "masculinité" rassurante) qui l'espace d'une sortie en pleine nature ont comme été happées par une liberté inattendue, qui est totalement incompatible avec le bon esprit Victorien de cette institution bien comme il faut. Les personnages de Peter Weir (Dead Poets Society, Witness, The Truman Show...) sont toujours attirés par une liberté qui va à l'encontre de la marche d'un monde trop ennuyeux... Peut-être que les trois femmes disparues (dans ce film que Sofia Coppola a certainement vu...) l'avaient trouvée.

 

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Published by François Massarelli - dans Peter Weir Australie Criterion
8 février 2017 3 08 /02 /février /2017 08:50

Eh oui, car il fait bien parfois rappeler que Peter Weir est Australien, et qu'il a fait ses classes de réalisateur à la télévision et dans les bureaux de studios locaux qui se battaient désespérément non seulement pour maintenir une industrie cinématographique locale, mais aussi pour l'imposer à l'extérieur. Bon, avec Picnic at Hanging Rock ou même The last wave, Weir a par la suite beaucoup contribué à faire connaître le cinéma Australien... Mais ses débuts, le plus souvent avec des sujets courts, sont intrigants. Pour commencer, avec ce film qui est sa première participation à un long métrage, aussi fauché soit-il, on trouvera des éléments de ce qui deviendra sa thématique de base, en même temps qu'une certaine ironie qui se manifeste probablement à cause des limites imposées par la censure, ou tout simplement par les codes moraux en vigueur. Three to go, film collectif, examinait l'Australie au tournant d'une décennie, alors que les coups de boutoirs des médias, de la mode, mais aussi de l'atmosphère explosive héritée des années 60, menaçait de se manifester dans l'autre monde qu'est le continent Australien, drapé jusqu'à présent dans un conservatisme de bon aloi. Les deux autres segments ont été tournés par d'autres réalisateurs, et les trois films sont désormais disponibles indépendamment les uns des autres.

Michael présente, dans une Australie obsédée par les changements dans la jeunesse, la vie de Michael (Matthew Burton), un jeune fils de bonne famille tenté de rejoindre Grahame (Grahame Bond) et ses amis, des jeunes aux cheveux longs et aux vies de bohème, mais se heurte à ses propres parents, ainsi qu'à ses propres codes...

Le film commence par un montage très finement fait de situations qui mettent en valeur le contexte, et il est très surprenant d'y voir en ouverture une révolution façon Cuba, sanglante et violente, qui s'avère être un film interprété par Grahame et ses copains, que Michael a vu. D'autres images nous montrent des panels d'adultes qui tentent de comprendre le phénomène des nouveaux jeunes, des manifestations anti-Vietnam, et une parodie d'un micro-trottoir mené par un journaliste tout droit sorti des années 50, entouré de jeunes ironiques aux cheveux longs... Michael va se heurter à ses parents, à la société toute entière, mais il n'ira pas au bout de sa tentative de liberté: "la drogue", comme on dit, va l'en empêcher, parce qu'il se sent assez mal lorsque son ami Grahame fait passer une cigarette qui rend nigaud. C'est gentil, c'est naïf, mais cette limite (Qui a probablement été imposée à Weir, lui même assez bohème à cette époque) n'empêche pas une vraie échappée vers de nouveaux horizons, et des images marquées par le contraste: entre Michael et ses amis, mais aussi entre jeunes et adultes, et enfin, dans de réjouissantes images probablement tournées en contrebande, entre les cheveux longs et les uniformes ridicules de quelques troufions. Je sais, c'est facile, mais je n'y résiste pas, que voulez-vous: on ne se refait pas.

Bref, on l'aura compris, aussi anecdotique soit-il, ce film nous promène déjà un peu dans l'univers de ce cinéaste fasciné par les chemins de traverse. Ce qui n'allait pas cesser de se manifester jusqu'à The Way back.

Youtube:

https://www.youtube.com/watch?v=MZEMwLERdIs

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Published by François Massarelli - dans Peter Weir Australie
30 janvier 2017 1 30 /01 /janvier /2017 16:33

Avec Gallipoli, retour sur un haut fait d'armes (Comprenez "une boucherie totale") qui a permis à un grand nombre de jeunes Australiens, en âge de voir le temps venir, de rejoindre leurs ancêtres plus tôt que prévu et pour pas grand chose (Comprenez "mourir pour leur pays", et d'ailleurs même pas, puisque c'était pour l'Empire Britannique), Peter Weir ne célèbre pas, il narre. Il chronique même pourrait-on dire, à travers la fiction... Il invente deux personnages, deux jeunes (L'un d'entre eux est même trop jeune pour combattre) qui pour voir le monde se sont engagés en 1915 et se sont retrouvés en Turquie pour la plus fameuse bataille ayant impliqué des Australiens. 

Archie (Mark Lee) veut voir le vaste monde, comme d'autres Australiens avant lui. Il a malgré tout une belle vie: il est champion de course, et connu un peu partout dans la région de Perth. Lors d'une compétition il fait la connaissance de Frank (Mel Gibson), un autre coureur un peu plus âgé que lui. Ils s'engagent: un désir mûrement réfléchi pour Archie, mais un coup de tête pour Frank. Ils vont bientôt se retrouver, chacun dans un régiment différent, en Egypte puis en Turquie à Gallipoli où les Turcs alliés aux Allemands donnent du fil à retordre aux Anglais.

La bataille en elle-même est vue selon une multiplicité de points de vue: les soldats, des hommes jeunes et idéalises se rendant de plus en plus compte de la gravité de leur situation, et des officiers; ceux-ci sont soit Australiens, et amers du sacrifice qu'on demande à leurs recrues, soit Britanniques, et décodés à utiliser les Australiens comme chair à canon.

On attendra une heure et une quinzaine de minutes avant de voir les deux personnages principaux arriver sur le lieu du conflit, le temps de sacrément les aimer. A travers eux, on saisit l'illusion héritée du romantisme du XIXe siècle (Pour Archie) ou plus simplement née d'une hésitation quant à l'avenir (pour Frank). Le voyage se transforme en une série de rites de passage qui tendent à se succéder à une vitesse folle... Jusqu'à l'épreuve du feu, qui est vue, comme souvent, comme un enfer qui vient progressivement effacer toute l'innocence.

...Peter Weir finit par faire se rencontrer la fiction et l'histoire dans ce film humaniste et généreux.

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Published by François Massarelli - dans Première guerre mondiale Australie Peter Weir
10 septembre 2016 6 10 /09 /septembre /2016 17:19
In the wake of the Bounty (Charles Chauvel, 1933)

C'est sous la bannière de Expeditionary films que ce film est sorti, mais ce nom ne couvre ni un studio ni une structure de distribution, plus une tentative d'un cinéaste-aventurier-explorateur qui n'avait ni la notoriété, ni le carnet d'adresses, disons, d'un Merian Cooper. Et surtout il était Australien! Et son point de vue est différent sur certains points, de ceux qu'un producteur Hollywoodien, ou Britannique, aurait développé.

Son film est assez catastrophique sur un point: il tente de faire croire à une fiction, en demandant à des acteurs (Amateurs, à n'en pas douter), de recréer le drame du Bounty, mais c'est pour mieux jeter le bébé avec 'eau du bain, car dès l'arrivée à Tahit, Chauvel ne filme plus son intrigue, mais les femmes qui dansent, plongent, et nagent, voire bronzent, dans le plus simple appareil. Le mythe du bon sauvage aidant, le margoulin a réussi à contourner la tatillone censure... Par ailleurs, son film s'appelle "In the wake of...", on a donc droit aux conséquences de la mutinerie, et donc la fuite de Fletcher Christian et des mutins vers un ailleurs, qu'ils trouveront à Pitcairn...

Et c'est là que se situe le plus intéressant: Chauvel et son épouse se sont rendus à Pitcairn où ils ont filmés les descendants des mutins, leur vie à la dure, et leur tranquillité vaguement utopique. De nombreux passages documentaires ont été repris et incorporés dans un court métrage de la MGM, sorti à l'époque du film de Frank Lloyd en 1935, et qui en était un outil promotionnel. Mais le lien va plus loin, car on peut penser que ce film faux-cumentaire a pu influencer Lloyd dans le fait de ne pas se contenter de parler de la mutinerie, mais aussi de glorifier l'extraordinaire appel d'air vers la liberté que constituait la fuite vers Pitcairn.

Mais rien ne peut atténuer deux défauts: l'emphase lamentable sur le fait que les mutins ont tous été tués 'par une race maudite', celle des Tahitiens qu'ils avaient amenés avec eux. Les historiens ne croient pas à cette thèse qui est d'un racisme pur, ce qui venant d'Australiens des années 30 n'a pas grand chose pour nous étonner! Et ensuite, les acteurs dans les portions 'recrées' sont atroces.

Y compris celui qui joue Fletcher Christian, il est Tasmanien, et répond au nom d'Errol Flynn.

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Published by François Massarelli - dans Errol Flynn Australie