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6 janvier 2025 1 06 /01 /janvier /2025 14:44

Moins connue que ses films fédérateurs tournés plus tard, cette histoire d'amour déguisée en film d'aventures exotiques est l'un des plus beaux Capra. Sorti en 1933, en pleine période dite pré-code, c'est un film qui joue constamment avec la censure, et qui affiche des possibilités surprenantes, mais c'est aussi un tour de force technique qui laisse pantois.

Dirigeant une nouvelle fois Barbara Stanwyck, qui décidément l'inspire, Capra use de tout son savoir-faire en matière de mise en scène pour recréer une Chine fantasmée, dans laquelle Megan Davis, une jeune femme Américaine vient se marier avec un missionnaire; mais juste avant le mariage, elle le suit dans une équipée improvisée qui tourne au ridicule: ils souhaitent sauver des enfants, et n'ont comme sauf-conduit qu'un papier soit-disant signé par un soldat félon, le général Yen. Celui-ci leur a en fait donné un papier sans valeur, et dans la confusion qui s'enfuit, Yen fait enlever Megan Davis, qui se retrouve donc à ses cotés, plus ou moins prisonnière, hostile vis-à-vis de Yen qu'elle prend pour un homme cruel (C'est surtout un militaire) mais irrémédiablement attirée par lui, d'abord sexuellement, puis de plus en plus clairement amoureuse.

Le film aurait pu être l'histoire d'un échange, ou pire d'une conversion de Yen, qui aurait dit adieu à ses manières barbares pour les beaux yeux de la belle Megan Davis. Pourtant, et c'est ce qui fait la force du film, si conversion il y a, ce n'est pas Yen qui la subit. Les indices ne manquent pas dans le film pour nous montrer l'étrange sympathie (pour la période) manifestée par Capra à l'égard de Yen et de ce qu'il représente. Au début, bien sûr, le Général est un homme cultivé, versé aussi bien sur la culture occidentale que sur la civilisation Chinoise, et il est d'ailleurs en uniforme, autant dire en habits occidentaux. Mais Capra s'ingénie, au fur et à mesure que les barrières qui empêchent Megan d'admettre son amour sautent les unes après les autres, à nous montrer Yen habillé de façon de plus en plus traditionnelle. Des phrases confirment, entendues dans des conversations entre Yen et Megan, ou entre le général et son conseiller financier Jones, un Américain (le savoureux Walter Connolly): Lorsque Yen affiche son ambition de conquérir la belle missionnaire, Jones lui demande s'il a réalisé qu'elle est blanche, faisant une allusion à l'interdit moral de mélange des races, vieux tabou poussiéreux si prisé dans les années 30. Ce à quoi Yen rétorque: "ce n'est pas grave, je n'ai pas de préjugés..."

Le sujet est donc bien l'hypothèse du rapprochement entre les êtres, toutes couleurs confondues, vu d'un point de vue qui n'exclut pas une reddition de la femme blanche sans condition. C'est ce qui est contenu en filigrane dans les dernières scènes du film, qui nous montrent Megan Davis qui a compris d'une part la vraie personnalité de Yen, mais aussi qu'il ne lui forcerait pas la main. Il y a des coupures manifestes, qui traduisent sans doute les soucis entre Capra et la Columbia, qui devait trouver le sujet explosif et a peut-être essayé de freiner les audaces du metteur en scène. Mais le film est déjà, à 87 minutes, rempli de beautés et de trésors tel quel. Si un jour on en sait plus sur ces petites sautes dans la continuité, on y verra peut-être plus clair. En attendant, dans le dispositif tel qu'il est, elles sont d'autant plus évidentes. la plus notable est celle qui voit Stanwyck se détacher de Yen soudainement, après que celui-ci l'ait enlacé. Il manque quelque chose, une explication, ou une réaction. Tel qu'il est dans le film, ce geste est ambigu.

Au-delà de l'érotisme (Barbara Stanwyck a non seulement une discrète scène de déshabillage, mais surtout un rêve assez drôle dans lequel elle nous expose son trouble sensuel vis-à-vis de Yen), le film est notable pour son rythme rapide et sa beauté picturale. La photo de Joseph Walker est toute en nuances de gris, et la Chine en désordre a été superbement recréée avec les moyens du bord, une profusion de détails. Au-delà d'un certain réalisme, ce film est un digne successeur des oeuvres qui étaient tournées dans un studio fermé à double tour à l'époque du muet, et le sens de la composition de Capra fait merveille, ainsi que son sens du montage, aussi bien de l'image que du son: les scènes de Capra dans les années 30 sont parmi les plus réussies techniquement, et son ingéniosité pour influer sur le rythme est légendaire. Et avec Walter Connolly, Capra montre un personnage délicieusement ambigu, un financier sans scrupule qui incarne les égarements parfois conscients d'un occident qui se sert de la Chine sans aucune humanité...

Le film, selon moi, n'a peut-être qu'un défaut: la composition de Nils Asther souffre un tant soit peu de sa voix, et de sa diction. Il est à peu près visuellement acceptable en Chinois, et son regard est utilisé avec beaucoup de talent, mais quand il parle, on décroche un peu. Et face à lui, il a Barbara Stanwyck, donc, il ne fait pas le poids... elle est parfaite, comme d'habitude!! D'une part elle s'est jetée corps et âme dans le rôle, avec la passion qu'on lui connaît, mais en plus, le film est là pour nous montrer son abandon, tous les discours de charité et de bienfaisance, de christianisme bien-pensant, sont comme un château de cartes, qui ne pourra pas tenir face à la logique assez tendre de Yen. L'actrice se sert de toute sa force de persuasion pour nous montrer une personne qui se trompe, et ce admirablement. Réussir à rendre une histoire d'amour entre un Chinois et une Américaine, dans un film des années 30, en nous prouvant que la logique Chrétienne ne vaut pas grand chose, et fédérer le public autour de ces présupposés, et après ça on va dire que Capra n'est qu'un incorrigible prêcheur? Non, et rendons-lui justice, avec ce merveilleux film.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck
5 janvier 2025 7 05 /01 /janvier /2025 20:55

Ce film inconnu ou presque, renié par Capra qui avait pourtant tant voulu le faire, et qui obtint peu de succès sans parler du fait qu'il a été étrillé par la presse, me semble être, paradoxalement, une forme de chef d'oeuvre du metteur en scène, comme à sa façon le fantastique Bitter tea of General Yen, qui allait suivre (Et obtenir moins de succès tout en déclenchant les foudres des gens les plus butés aux Etats-Unis!). Ne choisissant plus entre la comédie, le mélodrame, la chronique de moeurs et la parabole politique, Capra mélange le tout dans 85 minutes qui sont, comme à son habitude, superbement tournées, dirigées, cadrées, et montées! Et il offre à Adolphe Menjou, Ralph Bellamy et surtout Barbara Stanwyck des rôles qui sont parmi leurs meilleurs.

Lulu Smith est une jeune femme provinciale, une laissée pour compte qui est devenue bibliothécaire dans une petite ville, et seuls les gens de son quartier la connaissent. Mais elle rêve de voyager, et pour tout dire de rencontrer l'âme soeur... Pour provoquer un peu les choses, elle cesse de porter des lunettes, et prend des vacances. En croisière vers la Havane, elle rencontre un homme qui la séduit instantanément, un avocat. Ils ont une liaison qui va s'éternise, et elle n'apprendra qu'il est marié, et qu'il est Bob Grover, un avocat célèbre avec de sérieuses ambitions politiques, que plus tard. Elle est enceinte, et va accoucher après une rupture, dans un anonymat total... Lorsque Bob reprend contact avec elle, il la persuade d'abandonner sa fille Roberta, que le couple Grover va adopter et qui grandira à l'ombre de sa vraie maman. Celle-ci pour sa part va continuer à être la femme de l'ombre, assistant de loin à la montée en puissance politique du procureur, puis maire, puis sénateur Grover, et collectionnant les coupures de journaux, son seul contact avec sa fille. Elle travaille pour un journal, dans lequel le rédacteur en chef, Holland, a décidé de s'attaquer à Grover, et cherche par tous les moyens une histoire qui l'empêcherait d'accéder aux plus hautes marches du pouvoir...

Capra disait que son film représentait 99,44% de mélodrame tire-larmes... il le rejetait en disant qu'il avait été prétentieux de le réaliser... Pourtant Forbidden est une belle occasion de mélanger les genres, un péché mignon permanent de Capra, et une superbe occasion de donner une vision différente du rêve Américain, du pouvoir de la presse, et de la politique à l'Américaine, trois thèmes qui sont au coeur de la carrière du metteur en scène! A une époque où dans les films, les couples adultères déclenchent des tempêtes qui les engouffrent, il représente une idylle souterraine entre un homme marié, qui ne va néanmoins pas l'empêcher d'accéder à de hautes responsabilités. Il ne charge pas trop non plus le personnage de Bob Grover (Menjou est fantastique, comme souvent), mais préfère donner au public comme personnage de "méchante" l'épouse légitime... Et surtout il montre le sacrifice de Lulu, qui doit rester dans l'ombre de son bonheur, de la presse et de la politique, victime des deux, mais surtout sacrifiée volontaire à l'une et à l'autre. Symboliquement, Lulu est la vérité, oubliée des sacro-saintes institutions Américaines, et avec laquelle l'une et l'autre jouent en permanence. Un message qui avait tout pour déboucher sur du prêchi-prêcha insupportable, dont DeMille aurait probablement fait un navet probablement. Capra en fait un joyau. Grâce à Barbara Stanwyck, qui inspirait décidément beaucoup le metteur en scène...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck
28 décembre 2024 6 28 /12 /décembre /2024 11:49

Frank capra a fait ses preuves à la Columbia au moment où il s'attaque à ce film, qui va tout bonnement être la matrice de ses grands films à venir. Après s'être imposé à Harry Cohn en sortant un film tout les 45 jours en 1928 et 1929, après avoir fait en 1929 le passage du muet vers le parlant en deux temps (The younger generation, muet avec des séquences sonores, puis The Donovan affair, tout parlant - même s'il n'en subsiste aujourd'hui, superbe ironie, qu'une version silencieuse), Capra a surtout réalisé un trio de films d'aventures (Submarine, Flight, Dirigible, ce dernier devenant le premier film Columbia à bénéficier d'une première au Sid Grauman's Chinese Theater) qui ont entériné sa position: non seulement le réalisateur le plus en vue du studio, le plus efficace, mais aussi et surtout le seul, aux yeux de son patron, capable d'élever le petit studio qu'était à lépoque la Columbia au rang de ses concurrents plus prestigieux.

On sait bien sûr où cela va les mener: vers l'Oscar du meilleur film en 1934 (It happened one night) et à nouveau1938 (You can't take it with you), à Shangri-la en 1937 (Lost horizon, production très ambitieuse), vers Washington et la politique sinon (Mr deeds goes to town en 1936, Mr Smith goes to Washington en 1939).

Florence Fallon, la fille d'un pasteur déchu de ses fonctions par un groupe de pères-la-pudeur, annonce à la congrégation la mort de son père, survenue quelques minutes avant la messe. En colère, elle les chasse en les accusant d'hypocrisie. Un homme qui passait, témoin de la scène, se trouve être un escroc, spécialistes en arnaques en tout genre. Il profite de la colère de la jeune femme pour lui proposer un moyen de se venger, et ils montent tous deux une affaire: Evangéliste médiatique, Florence amasse les foules et l'argent qui va avec, promettant de construire un tabernacle qui ne verra jamais le jour. Elle guérit aussi les éclopés, tous complices, jusqu'au jour où un ancien soldat, aveugle, qui avait le projet de se suicider, se rend à une de ses spectaculaires représentations, et tombe amoureux d'elle. 

La religion comme échappatoire à la crise, la manipulation des masses, le volontarisme optimiste, la découverte de la vraie âme d'un personnage, tous ces thèmes sont au coeur des grandes oeuvres "idéologiques" de Capra, et en particulier de Meet John doe, qui reprend bien des choses présentes ici, à commencer par Barbara Stanwyck. Pour l'heure, l'immense actrice incarne Florence Fallon avec une ferveur indiscutable, mais il faut savoir que ce film, qui n'eut pas tant de succès que cela, était adapté d'une pièce autrement plus satirique. Capra s'est refusé à montrer un personnage qui utilise la religion pour se perdre, et a donc ajouté à Florence Fallon le manager, qui lui est pourri jusqu'à l'os. la jeune femme est littéralement sauvée par l'amour de John Caron, son ami aveugle, et si celui-ci fomente à un moment un faux miracle prétendant avoir retrouvé la vue pour la retenir à ses côtés, leur rencontre tient du miracle: au moment où il s'apprête à sauter par la fenêtre, Carson entend la voix de Florence exhortant ses "frères humains " au courage... De même, le climax du film est-il un petit miracle humain, l'un des deux personnages sauvant l'autre d'un incendie spectaculaire.

Soyons clairs: le propos n'est pas d'attaquer la religion, ce qui aurait été de toute façon étonnant de Capra, mais le réalisateur est suffisamment roublard pour ne pas s'étendre trop sur le préchi-prêcha, sachant que la mission du film est de rameuter le plus de gens possibles. Il nous donne donc des personnages humains, dont les vicissitudes et les blasphèmes sont dans l'ensemble excusables. il n'en est pas non plus à dénoncer des grands systèmes corrompus comme il le fera plus tard, l'escroquerie présentée ici étant plutôt ponctuelle, et tirant à sa fin dans le déroulement du film.

La réalisation est solide, le montage aussi. Capra impose une diction à cent à l'heure, ce qui ne le quittera pas, et le jeu fervent des acteurs lui doit beaucoup. Il y aurait eu des chances de sombrer dans le ridicule (Et les grands messes avec lion et cage n'en sont pas loin) mais l'atmosphère pré-code imbibe le film (sans jeu de mots), l'humour discret et les personnages (Surtout joués par Stanwyck et David Manners) sont attachants. Le film est l'acte de naissance de ce que d'aucuns appelleront Capra-corn (Jeu de mots, visant à dénigrer l'auteur de It's a wonderful life), mais que je préfère, plus sobrement, appeler le style de Frank Capra, dont l'ambition et les prétentions ne font aucun doute: ce R qu'il mettait au milieu de son nom à l'époque (A Frank R. Capra production) n'était qu'une façon de se rendre plus important, lui qui voulait avoir son nom "au dessus du titre" de ses films. Bon, d'une part il l'a finalement obtenu, et ensuite, ce film foisonnant prouve qu'il le méritait bien.

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck
26 décembre 2024 4 26 /12 /décembre /2024 00:09

Signé par Capra de son pseudonyme de l'époque (Frank R. Capra), ce qui aurait du être un petit mélodrame est en réalité un film flamboyant, qui brille en particulier par le personnage interprétéé par la grande Barbara Stanwyck. le fait que tous les acteurs ne lui arrivent pas à la cheville importe peu: c'est elle qui tient ce beau film debout.

Kay Arnold, une jeune femme dont l'occupation principale, bien que ce ne soit jamais dit, confine à la prostitution, devient le modèle d'un jeune peintre idéaliste (Ralph Graves), dont les parents riches voient d'un oeil inquiet son association avec la jeune femme. Quand ils essaient d'assumer leur amour, envers et contre tout, la jeune femme est ramenée à sa propre dimension, et un sacrifice est exigé d'elle.

La prostitution n'est pas le sujet du film, il s'agit plus pour Capra de montrer que les classes sociales n'ont pas de frontières, et qu'il est possible de s'amender, de changer et tout simplement de s'élever... S'élever: c'est ce que la caméra fait, dès le départ: on est en pleine soirée, dans une rue huppée, et soudain les passants manquent de recevoir des bouteilles sur la tête: la caméra, qui monte, nous révèle que là-haut, une fête dans l'atelier du peintre, se déroule. Les invités sont riches et futiles. Mais ce mouvement vers le haut trouve des rimes, tel ce moment lorsque le jeune homme sur sa rterrasse regarde vers les étoiles, alors que la jeune femme qui n'a pas encore succombé au charme de son employeur, insiste pour regarder en bas.

Enfin, lorsque la jeune femme est décidée à partir, son amie (Marie Prevost) qui a compris le danger, se rend chez le peintre pour le prévenir, et les 25 étages manquent d'avoir raison d'elle... il faut aimer pour s'élever, ou avoir une bonne raison, et ce ne sera pas une partie de plaisir. On retrouve l'idéalisme, la morale de Capra, mais aussi son talent pour rendre un film cohérent du début à la fin. Son don également pour entremêler la comédie et le drame, déjà bien en place à l'aube d'une carrière plus que fabuleuse: Ladies of leisure est un film très beau à voir, mais aussi dont le montage sûr et le jeu admirable de Stanwyck (Etait-elle capable de mal jouer? j'en doute) font un film étonamment fluide pour 1930...

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck
22 août 2024 4 22 /08 /août /2024 18:06

Dans un cabaret New Yorkais, les artistes vivent et survivent... Parmi eux, Deborah Hoople qui répond surtout au nom de scène de Dixie daisy (Barbara Stanwyck) semble savoir plus que les autres ce que survivre veut dire. Elle qui subit les avances d'un comédien insistant ne se laisse pas faire car elle en a vu d'autres... Mais la rivalité entre les différentes divas du burlesque confine à l'hostilité pure et simple... Jusqu'au jour où l'une des stars du show, la plus méchante au passage, se fait tuer, étranglée par son string! ...Qui aurait pu aller jusqu'à l'assassinat?

...d'autant que tout le monde avait une bonne raison de le faire!

C'est un classique: un lieu de spectacle, des numéros à accomplir, et un meurtre qui va provoquer une enquête. C'est le principe de The last warning de Paul Leni, ou de Murder at the vanities de Mitchell Leisen. Dans le cas de ce dernier film, d'ailleurs, le show primait au point où le film en devenait presque un musical. Ce n'est pas tout à fait le cas ici, même si Wellman a eu l'intelligence de demander à la grande Barbara Stanwyck de s'impliquer dans un peu de spectacle: chant et danse... Bien sûr l'effeuillage est limité au maximum, on est en pleine période du code de production. 

Mais il est fort probable que c'est cet aspect de domaine interdit qui a attiré Wellman dans cette adaptation d'un roman noir de Gipsy Rose Lee dont le titre est plus qu'évocateur, tout en étant partculièrement appropprié: The g-string murders, soit Les meurtres au string... Il faut sans doute préciser que l'autrice était justement une actrice de burlesque elle-même. Ainsi, sous couvert de raconter une intrigue criminelle, dans laquelle la solution sera inévitablement crapuleuse, elle avait à coeur de faire partager l'expérience fragile du quotidien dans un tel environnement. Que le cinéma s'y intéresse n'était pas inévitable, tant le sujet devait faire peur aux studios, peu habitués à s'aventurer dans un tel sujet!

C'est d'ailleurs sous la responsabilité de Hunt Stromberg, un producteur indépendant, et avec un contrat de distribution de United Artists, alors moins regardants que les autres structures de diffusion d'oeuvres cinématographiques, que Wellman a pu obtenir le feu vert. Il a su trouver la façon de faire en liberté son film, en dosant au plus près et au plus précis la peinture franche d'un univers, et les épices les plus difficiles à faire passer. A noter qu'il a demandé (et obtenu) de Barbara Stanwyck un investissement particulièrement important, elle qui passe le plus clair de son temps dans des tenues plutôt suggestives. Pourtant le seul grief de l'administration de censure sera l'impotance du string dans les meurtres!

Au final, ce film extrêmement attachant qui nous montre un univers assez fermé, aux codes inattendus, est une incursion presque tendre, souvent drôle, de la part d'un homme qui ne se fait jamais d'illusions sur les apparences, mais qui sait la valeur des humains. Et il semble presque compléter un cycle ouvert par le méconnu You never know women...

 

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Published by François Massarelli - dans William Wellman Noir Barbara Stanwyck
27 août 2023 7 27 /08 /août /2023 08:24

Mae Doyle (Barbara Stanwyck) revient à Monterey après avoir un à un brisé ses rêves de vivre à New York: elle a vécu l'amour avec un homme, mais il était marié à une autre, elle a épuisé toutes ses chances. Elle s'installe chez son frère Joe (Keith Andes), en dépit de la réticence de ce dernier, et sympathise avec sa petite amie Peggy (Marilyn Monroe); elle commence à fréquenter Jerry D'Amato (Paul Douglas), un patron de pêche local qui lui propose le mariage: c'est un homme bon, équilibrié, mais d'un manque cruel de sophistication... Elle fait aussi la connaissance d'Earl (Robert Ryan), un projectionniste, dont les idées arrêtées sur les femmes l'irritent...

Le film commence par présenter des vues documentaires du port de Monterey à l'heure àù la flotille de pêche rentre... Les oiseaux, les phoques, tous sont tout à coup motivés, attirés irrésistiblement par les bateaux qui reviennent, remplis de poisson...

Le titre français, "le démon s'éveille la nuit", est probablement un rien en dehors du coup mais a au moins l'avantage de montrer un aspect essentiel du film: la nature humaine, dans laquelle semble en effet couver un démon, des passions, et de nombreuses possibilités de drame et de violence. Le retour de Mae Doyle au pays va bouleverser les choses, et un ordre naturel fragile va s'en trouver fragilisé sur la zone portuaire de Monterey...

En rentrant au pays, Mae doit savoir qu'il lui faudra trouver un appui, mais elle a pris goût à un autre type de vie, et ses choix sont, finalement, restreints... Deux hommes sont ouvertement attirés par elle: Paul Douglas joue avec la sobriété tranquille qui le caractérise Jerry, l'homme simple, bon, mais rangé; il n'a pas un gramme de prétention, mais pas de sophistication non plus, et ses habitudes sont pour elle d'un ennui... Mais il est plus "sûr" que le sera jamais l'autre prétendant, interprété par Robert Ryan, qui est marié à une chanteuse, toujours partie en tournée... Mais s'il est lui aussi assez brut de décoffrage, son personnage représente quand même une possibilité de passion... Evidemment, les deux hommes sont amis et passent beaucoup de temps ensemble, y compris une fois que Mae a accepté la proposition de Jerry...

Dès l'arrivée de Mae, Lang n'a pas grand chose à faire pour qu'on comprenne que le drame couve, que la violence viendra, et que derrière le gentil couple un peu gnan-gnan de son frère et de Peggy, se profile peut-être une histoire plus dramatique que les chamailleries de deux jeunes adultes à peine sortis de l'adolescence; pourtant c'est évidemment de Mae, Jerry et Earl que viendra le drame, en particulier quand on verra que Mae, empêchée de dormir par la présence de Earl dans sa maison (fin saoul, il s'est écroulé la veille et Jerry l'a installé dans la chambre d'amis), délaisse le lit conjugal où Jerry dort du sommeil du juste, pour regarder les vagues s'écraser sur les rochers depuis sa fenêtre... Et quand Earl, à peine déssoûlé, se lève pour prendre un peti déjeuner en sa compagnie, elle va devoir lutter. Et à côté de Earl et Mae, du conflit entre responsabilité (Mae vient d'avoir un bébé) et désir, c'est Peggy qui vient leur annoncer qu'elle va se marier... Dans ces scènes,le désir est d'autant plus incarné que Lang joue du corps à demi visible de Robert Ryan. Si Earl avoue son désir, le film nous indique clairement qu'il n'est pas le seul à en souffrir...

La révélation de l'aventure entre Earl et Mae, de façon ironique, viendra de l'oncle de Jerry, Vince (J. Carroll Naish), qui est pourtant en apparence totalement gâteux... La dévotion, l'incroyable amour aveugle de Jerry pour son épouse en devient une abominable farce. Mais sa colère, une fois qu'elle se manifestera, agira aussi en révélateur de toute le frustration accumulée par Mae: son manque de passion pour Jerry, son impatience avec son côté totalement ordinaire, et son incapacité à l'aimer...

Bref, un film noir dans lequel Lang pour une fois n'examine pas la nature humaine au milieu des dangers, de l'aventure, ou du crime... Le mal est en soi, caché dans la nature d'une personne qui a cru pouvoir partir de chez elle et est condamnée à revenir...Le conflit humain ici est entre le désir, la passion, l'animalité (selon les mots de Jerry), et la responsabilité (Earl: prend le bébé avec toi; Mae: c'est son enfant à lui aussi), la raison, le confort... ennuyeux mais sécurisant. Et ce qui n'améliore pas les choses, les deux options, sont, finalement, légitimes chacune à sa façon.

C'est dnc un film à part dans le cycle des oeuvres Amér icaines de Fritz lang, entre une atmosphère proche de ses films criminels, et une radiographie de difficultés existentielles. Confronté à tant de choix contradictoires dans sa vie, sans doute Lang a-t-il immédiatement vu ce qu'il pouvait en faire... Et le résultat, cru et naturaliste, est un film âpre et dur...

 

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Noir Barbara Stanwyck
15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 09:22

Trois histoires sur l'occulte sont racontées à Robert Benchley: dans la première, une jeune femme laide (Betty Field) se voit dotée d'un masque qui la rend belle pour enfin oser aborder l'homme qu'elle aime (Robert Cummings); la deuxième histoire est celle d'un avocat (Edward G. Robinson) qui se voit prédire un destin tragique par un chiromancien (Thomas Mitchell): il tuera un homme. Comme il est pragmatique, l'avocat décide de s'en occuper le plus vite possible afin de pouvoir passer à autre chose... Enfin, un funambule (Charles Boyer) est assailli par le doute après avoir effectué un rêve dans lequel il a un accident pendant son numéro; un rêve dans lequel il rencontre une mystérieuse femme (Barbara Stanwyck) dont il tombe amoureux. Quand il la croise dans la vraie vie, Gaspar comprend que son rêve était prémonitoire...

Il y a fort à parier que si Duvivier n'était pas le metteur en scène de ce film, on n'en parlerait pas autant: avec sa compilation de trois intrigues (il y en avait quatre à l'origine), le film aurait tout du bouche-trou de série B. Mais dans les mains du réalisateur, qui dispose en prime d'un excellent casting, le film prend une distinction et une classe impressionnante, tout en restant d'abord et avant tout un exercice de style brillant et fort bien exécuté. Et quel style! Les séquences de la fête costumée du premier segment (avec des costumes qui sèment le doute, puisque le thème est clairement l'enfer et le paradis), notamment d'impressionnants plans-séquences, les gros plans enchaînés dans le rêve de Gaspar, Duvivier adapte avec brio sa mise en scène aux studios Américains...

Deux détails pour finir: d'une part, Duvivier depuis Un carnet de bal, qui a été refait avec Alexander Korda (Lydia), et Tales of Manhattan, est clairement devenu l'homme des films-anthologie. Je ne suis pas sûr que cet aspect le réjouissait, mais il lui permettait de se livrer à son péché mignon, les fins tragiques, plusieurs fois par film! Sinon, l'ironie cinglante du deuxième segment est aisément reconnaissable, puisqu'il s'agit d'une adaptation de Lord Arthur Savile's crime d'Oscar Wilde.

 

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Published by François Massarelli - dans Julien Duvivier Barbara Stanwyck
21 novembre 2021 7 21 /11 /novembre /2021 17:35

Une femme, au téléphone, appelle la police pour signaler des actes de violence en pleine rue: c'est Nan Taylor (Barbara Stanwyck) et sa mission est simple: éloigner la police du lieu d'un hold-up auquel elle va participer. Ce qui ne lui portera pas chance, car elle va se faire pincer, et écoper de cinq années de pénitencier à San Quentin, en Californie... 

Trois intrigues, donc, dans ce petit film (69 minutes) pre-code marqué par une certaine qualité: d'une part, la vie carcérale et ses luttes de pouvoir, compromissions et quelques aspects vaguement salaces: on est en 1932 et la Warner menait tambour battant la bataille de la friponnerie... Ensuite, la suite de la carrière de Nan avec ses collègues gangsters, qui s'organise depuis la prison, à travers un certain nombre de moyens, et notamment sa participation à distance à une évasion spectaculaire... Enfin, Nan a été repérée par un réformateur, David Slade (Preston Foster), qui de par son succès (il présente un show radiophonique) fait la pluie et le beau temps sur le petit monde de la justice en Californie. Il l'aime, mais elle lui reproche d'être un peu trop du côté de la loi, c'est à dire du mauvis côté. 

C'est cet aspect du film qui fera l'objet de la fin et d'un (petit) suspense: parce qu'elle croit que c'est à cause de Dave que deux de ses amis sont morts, et qu'elle a accompli toute la durée de sa peine, Nan entend se venger et se rend auprès de Dave dans le but de le tuer... 

Le film est soigné, sans plus, efficace et bien représentatif du style Warner. Mais l'ingrédient principal, faut-il le rappeler, c'est Barbara Stanwyck, qui domine le film, et d'ailleurs c'est bien simple: on ne voit qu'elle...

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Barbara Stanwyck
16 juin 2021 3 16 /06 /juin /2021 08:40

On a volé les bijoux de Norma Shearer, donc la police enquête: parmi les enquêteurs et témoins, on trouve Fay Wray, Lowell Sherman, Barbara Stanwyck, Stan Laurel, Oliver Hardy, Buster Keaton, Our Gang, Wallace Beery, Gary Cooper et la liste est très longue, en particulier pour un film de 18 minutes.

C'est un court métrage de charité, dont les recettes ont été reversées à une association pour lutter contre la tuberculose... De façon intéressante, on trouve une marque de cigarettes parmi les sponsors. Le film ne brille ni par sa mise en scène ni par ses gags. Laurel et Hardy y détruisent une Ford T: La routine, quoi.

 

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Published by François Massarelli - dans Laurel & Hardy Comédie Pre-code Buster Keaton Barbara Stanwyck
3 février 2020 1 03 /02 /février /2020 17:07

Tout commence, presque, au royaume de la comédie. Un titre nous annonce qu'on est en "sunny California", mais il pleut! Fred McMurray interprète Clifford Groves, fabricant à succès de jouets de qualité, tout excité à l'idée de lancer son petit dernier, un robot bien dans l'air du temps. Il rentre chez lui, tout à la joie de faire un beau cadeau à son épouse pour son anniversaire: il emmène Marion (Joan Bennett) au théâtre, pour la première fois en trois ans! ...sauf que e ne sera finalement pas le cas: Marion a autre chose à faire, et elle ne peut se décommander. Chez Clifford, tout le monde a mieux à faire que de s'occuper du pater familias... Et c'est justement ce moment qu'a choisi Norma Vail (Barbara Stanwyck) pour prendre contact avec son ami qu'elle n'a pas vu depuis 20 ans. Clifford lui propose de partager l'opportunité d'une soirée au théâtre, et ils passent la soirée ensemble...

Si vous pensez qu'on sait où ça va à partir de là, ce serait trop facile: Clifford va innocemment laisser Norma entrer dans sa vie de nouveau, allant jusqu'à l'inviter chez lui pour qu'elle rencontre son épouse. Et si Norma a clairement des arrières-pensées, elle les garde pour elle, jusqu'à un certain point. Non, Sirk nous montre avec adresse, et contrairement à ce que le début nous faisait penser, avec gravité, le développement inattendu d'une histoire d'amour indéniable, qui débouchera sur plus de frustration que d'adultère. Le tout est vu plus du point de vue des enfants, notamment Vinnie, l'aîné, qui est scandalisé par ce qu'il croit être une aventure en bonne et due forme. Mais la rencontre de la famille avec Norma va ouvrir les yeux de tuot ce petit monde, et engendrer des regrets (Clifford), des changements de comportement (les enfants qui commenceront enfin à s'intéresser à leur père), et le tout sans que Marion ne s'aperçoive de rien!

Ce beau film en demi-teinte est une nouvelle preuve éclatante du talent de Sirk pour sonder l'époque des trente glorieuses Américaines, et pour s'immiscer dans les intérieurs bourgeois de ces classes moyennes blanches et bien nourries. Et l'idée de confronter McMurray et Stanwyck, onze années après leur rencontre mémorable sur Double indemnity, prouve que l'alchimie n'est parfois pas un vain mot... Le film a aussi l'intelligence de nous montrer l'échec d'un adultère sans aucune moralisation ni aucune diabolisation. Tout au plus souligne-t-il de façon délicate qu'il est beaucoup question de jouer entre les deux protagonistes, comme si tout ceci n'avait finalement pas tant d'importance... Loin des films flamboyants aux couleurs délirantes, cet opus en noir et blanc n'en reste pas moins une exploration fine des sentiments.

 

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Published by François Massarelli - dans Douglas Sirk Barbara Stanwyck