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22 octobre 2022 6 22 /10 /octobre /2022 07:49

Carl (Charles Emmett Mack) et Mary (Norma Shearer) se rencontrent, et ils ne pouvaient pas être moins assortis: lui, gibier de potence, à peine sorti de prison et déjà déterminé à poursuivre une vie de crime, et elle, ancienne artiste de cirque, tombée dans la déchéance, croit dur comme fer en une vie saine et sans reproche... Mais ils s'aiment et grâce à Mary, Carl envisage de se réformer. Mais pas sans un dernier coup...

Engagée dans un cirque, Mary monte un à un les échelons, mais s'attire les foudres de Yonna (Carmel Myers), la vedette du cirque, dont l'amant (John Miljan) reluque la nouvelle venue avec gourmandise... Le drame couve, ou plutôt les drames...

C'est le premier film Américain de Benjamin Christensen, et pour ceux qui ne connaissent pas le monsieur, un petit rappel: dans les années 10, le metteur en scène (et acteur, et scénariste, et baryton à l'opéra) Danois a été l'un des plus importants pionniers du médium, un homme dont les deux films réalisés durant la période ont fait la preuve des possibilités dramatiques de la lumière et de la façon dont on pouvait transmettre de l'émotion, et accroître l'implication du public, par des effets esthétiques inspirés des grands maîtres de la peinture... Et pour couronner le tout, son troisième long métrage (a priori, car les sources divergent, mais il se peut qu'il en ait également commis un entretemps, achevé ou non), le brillant Häxan, a inventé un genre à lui tout seul, en proposant un documentaire romancé et passionnant, sur une vue personnelle et subjective de l'obscurantisme religieux, à grands renforts d'images toutes plus belles les unes que les autres. Avec ces trois films, Christensen serait un géant, l'un des plus importants artistes du cinéma, si...

S'il n'y avait les autres. Car après Häxan, ce qu'on voit de lui, forcément, déçoit... Il a voulu tenter d'autres voies, d'autres approches: une comédie Allemande extravagante mais aussi un peu gnan-gnan, dans un pays pourtant pas réputé pour la comédie (Sa femme, l'inconnue, avec Lil Dagover), et puis aux Etats-Unis, il est devenu un metteur en scène de studio... ou pas d'ailleurs, car son parcours à ce moment-là montre que le bonhomme, habitué à travailler seul et en démiurge total, a bien souffert d'un système industriel dans lequel le metteur en scène n'est qu'un rouage, un facilitateur de films plus qu'un auteur. C'est donc dans les usines de la MGM naissante que le metteur en scène Danois et ombrageux a réalisé ce petit mélo, qui est, une fois admises quelques réserves, une plutôt bonne surprise: 

Car si le script (avec rencontre du mauvais garçon et de la madone, comme dans Intolerance) ne va pas très loin dans l'originalité, Christensen adopte dès le départ une double démarche: d'une part, sa directions d'acteurs est irréprochable, et il fait assumer à chaque protagoniste la part mélodramatique de son personnage, sans honte ni remords, mais tout en trouvant une certaine vérité. Carmel Myers en particulier, est excellente, et on apprécie de voir Charles Emmett Mack, un probable inconnu aujourd'hui pour la plupart des gens, se voir gratifier d'un rôle plus complexe et plus riche que les sempiternels mauvais garçons auxquels il était généralement cantonné...

Et d'autre part Christensen conditionne apparemment sa mise en scène au matériau qu'on lui a donné (il n'st pas responsable du script, rappelons-le) et utilise avec parcimonie des trouvailles et embellies, qui lui permettent de reprendre le contrôle sur le film: une fois établie la situation, il commence à mettre plus de lui-même dans le film, et une belle séquence de cambriolage, racontée avec des ombres, et montée avec bonheur, fait s'emballer le film; un accident dans le cirque est aussi une prouesse de montage et de narration, et les très belles images qu'il utilisent pour montrer la guerre (vue du point de vue d'un soldat abattu et  nostalgique à la veillée, plutôt qu'avec l'enfer des tranchées: Christensen ne souhaitait pas rivaliser avec King Vidor et sa Grande Parade!) montrent en effet son sens de l'économie, et sa faculté à raconter une histoire d'une façon intéressante, fut-elle mélodramatique: c'était déjà son point fort avec L'X mystérieux (1913) et La nuit vengeresse (1916), ses deux premiers films. Il signe d'ailleurs ce mélo qui lui a été confié en apparaissant brièvement au début dans un de ses déguisements préférés, celui de Satan!

La suite de sa carrière ne transformera pas l'effet, en dépit d'un Seven footprints to Satan rigolard et d'assez bonne tenue pour la First National en 1929: ses autres films MGM vont être l'occasion de se laisser broyer par le système, et je ne connais sans doute pas de pire purge que Mockery (1927) tourné avec Lon Chaney, dans lequel l'intérêt ne décolle absolument jamais. rentré au Danemark, Christensen est aussi rentré dans le rang. Et il est devenu pour l'éternité et le cinéphile moyen, l'homme d'un seul film...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1926 Benjamin Christensen **
10 janvier 2021 7 10 /01 /janvier /2021 19:04

Un jeune homme (Creighton Hale) doit partir pour l'Afrique, afin d'y effectuer des recherches. Son oncle est persuadé qu'il n'y tiendra pas deux heures, et sa fiancée (Thelma Todd) aimerait qu'il reste et l'épouse plutôt que de partir au diable... Lors d'une soirée qui dégénère, les deux jeunes gens sont tout à coup au milieu d'une foule d'événements incompréhensibles, et pris en otages dans une mystérieuse maison: manifestement, ils sont les jouets d'une secte Satanique...

Derrière le Satanisme du titre, se cache l'un de ces innombrables films de maison hantée, si courant et se ressemblant tous, dans les années 20 et 30. Mais la différence vient de l'incroyable sens de la composition du réalisateur, et de son talent pour non seulement montrer, mais aussi faire croire. Il nous promène comme il promène ses protagonistes dès le départ, et c'est intéressant de voir de quelle manière Christensen nous maintient en haleine, tout en se vautrant en permanence dans le grotesque: les maquillages, la lumière, les décors, les changements brusques d'ambiance, Tout y passe...

L'interprétation est notable sur un certain nombre de points, par exemple le fait que Thelma Todd y trouve son premier grand rôle; Creighton Hale, qui joua souvent les naïfs pris dans la tourmente d'une maison hantée (notamment dans le célèbre The cat and the canary de Paul Leni) nous rappelle qu'on est d'abord devant une comédie, aussi. On y verra sinon so-Jîn Kamiyama, acteur de second rôle bien connu, ainsi que Angelo Rossito. Mais pour toute personne qui aura vu Häxan, L'X mystérieux et La nuit vengeresse, ce film restera toutefois anecdotique, ... les jours de Christensen à Hollywood étaient comptés.

 

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Published by François Massarelli - dans 1929 Muet Benjamin Christensen **
29 novembre 2020 7 29 /11 /novembre /2020 16:18

Un peintre (Willy Fristch), vétéran de la grande guerre, a perdu la vue. Une fois revenu à la vie civile, il bénéficie des soins d'une aide-soignante (Lil Dagover) dont il tombe amoureux. Ils se marient, on un enfant, et il apprend qu'un traitement révolutionnaire Américain pourrait lui rendre la vue. Quand il revient, guéri, il n'a jamais vu son épouse et celle-ci décide de le tester et de voir s'il peut tomber amoureux de la femme et non de l'aide-soignante...

Ca a l'air idiot comme ça, raconté de cette façon: c'est exactement quoi faire pour pousser un mariage à la faillite... Mais ça ne dérange manifestement personne dans le film. Du coup non seulement ça paraît idiot, mais ça l'est totalement! Le film est une comédie légère (comprendre par là un tantinet boulevardière) et si on n'attend pas Christensen sur ce terrain, il me semble assez évident que l'artiste s'est effacé derrière le technicien. Pour être clir: c'est sans grand intérêt, les acteurs passant leur temps à envoyer des clin d'yeux pour rassurer le public, et Christensen utilisant de tous les prétextes possibles et imaginables pour déshabiller (un peu) sa star... 

Hélas, Christensen n'est décidément pas Lubitsch, qui se serait débrouillé avec maestria d'un script aussi crétin. Après les deux premiers films Danois, brillantes expérimentations avec la lumière et le cadre, et un film extraordinaire et unique en son genre (Haxan) qui pulvérisait le documentaire façon puzzle, force est de constater que le metteur en scène allait mal: il était réduit à réaliser un film avec des portes qui claquent dans tous les sens...

 

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Published by François Massarelli - dans Benjamin Christensen Muet 1923 Comédie
2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 18:27

Les quelques années passées, à Hollywood, à honorer un contrat avec la MGM ont été pour Benjamin Christensen une période de frustration, dont aucun des films qui en ont résulté ne semble pouvoir atténuer l'effet : c'est bien médiocre, tout ça... Mockery, pourtant, promettait : un script original de Christensen, une histoire romantique et noire située dans le chaos des coulisses de la révolution Russe, et Lon Chaney dans un rôle qui tranchait considérablement sur ce qui commençait sérieusement à devenir la routine de ses interprétations pour le studio.

Ca commence de manière intéressante : dans des bois jonchés de cadavres, un homme, le paysan Sergei, erre sans but. Il croise la route d'une jeune femme, habillée en paysanne. Ils vont faire équipe mais elle prend tout de suite la direction des opérations, en lui faisant promettre de l'obéir en tout point... Les premières séquences réussissent à capter notre intérêt, et après tout nous sommes come ce paysan dépassé par les événements : nous ne savons pas ce qui se passe, et n'avons as la moindre idée de l'identité de la jeune femme, qui prétend s'appeler Tatiana (Barbara Bedford). Et une complicité va s'établir entre les deux, jusqu'à ce qu'ils se réfugient dans une cabane au fond des bois : là, Sergei va offrir de son temps, et de sa tendresse, en lavant les pieds de la jeune femme, dans une scène d'adoration quasi religieuse. ...Mais quelques instants après, une troupe de révolutionnaires viennent, et menacent la jeune femme, qu'ils soupçonnent d'appartenir à la noblesse. Ils décident de torturer Sergei, qui selon le vœu de Tatiana prétend être son mari, mais il n'en dira pas plus.

Quand les troupes blanches arrivent, Tatiana est sauvée et se présente sous le nom de la Grande-Duchesse Alexandra. Elle promet à Sergei d'être son amie, et ils partent avec les troupes vers une ville, où ils vont se réfugier chez un riche profiteur de guerre, joué par Mack Swain : un rôle important, dans lequel il ne jouera pas trop de son expérience de comédien chez Sennett : étonnant. Une fois en ville, Alexandra ne se préoccupe plus de Sergei, mais file le parfait amour avec le jeune Capitaine Dimitri, interprété par Ricardo Cortez. Sergei, de son côté, se sent abandonné et sans rien comprendre commence à écouter les sirènes révolutionnaires qui le manipulent...

On aurait attendu de Benjamin Christensen qu'il se rende maître de l'image, comme il l'avait fait au Danemark. En lieu et place, on a un film mis en scène d'une façon plate et purement fonctionnelle : c'est que le réalisateur d'Haxan a besoin d'être chez lui, dans SON studio, et a probablement du mal à gérer les horaires de la MGM, de 9 à 17 heures tous les jours sauf le week-end, et sans doute à accepter de n'être qu'un des rouages du mécanisme. Son film, s'il part d'une bonne idée, manque de tout : des images qui aillent un peu plus loin que le simple enregistrement de scènes, de décors qui changent un peu (une fois en ville, on ne quitte quasiment plus la maison de Mack Swain), et même d'un héros : car le fait est que Sergei ne comprend rien de ce qui l'entoure, et de fait aucun des « nobles » ne donne envie de les apprécier. Pas plus que les révolutionnaires, qui sont traités à la truelle par le metteur en scène. Et par moments, le malaise qui s'installe est plus dû à l'indécision du spectateur devant la confusion qui règne : ceci est-il une comédie, ou un drame? Plus grave, on a l'impression que personne ne le sait vraiment !

Chaney réussit par sa présence seule à sauver quelques moments (le début, je le disais plus haut), mais c'est peu, bien peu...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Lon Chaney Benjamin Christensen *
24 mai 2015 7 24 /05 /mai /2015 19:06

Une nuit d'hiver, une grande maison dans laquelle vit une famille bourgeoise subit un assaut inattendu: un bagnard évadé s'est introduit dans la place, un enfant très jeune dans les bras, et la police a prévenu qu'il est dangereux; il avait en effet été arrêté pour meurtre... La jeune fille de la maison (Karen Sandberg) sait, elle, qu'il est là, de l'autre côté de la porte. Elle se croit, pour l'instant en sécurité, mais elle a aperçu une silhouette par la vitre, et l'homme s'introduit finalement dans sa chambre... Un plan-séquence inattendu part de la porte de la chambre, traverse la fenêtre, et cadre la silhouette qui s'introduit vers sa victime...

Une autre maison, quinze années plus tard: le même homme est entré à la faveur de la nuit pour tuer la même femme, devenue épouse et mère de famille. Le lien entre ce début et cette fin spectaculaires, voilà ce qui fait l'intrigue du film, raconté de façon linéaire, mais Christensen a choisi de commencer par une énigmatique scène à suspense, afin d'annoncer la couleur. Son propos, après avoir exploré l'expressivité de la lumière dans son formidable premier long métrage, est ici de jouer avec les nerfs du spectateur, en lui donnant juste ce qu'il faut à chaque séquence pour bien apprécier la situation. Cela passe d'ailleurs par une scène d'ouverture inattendue, qui anticipe légèrement sur le ton documentaire goguenard du troisième film de l'auteur (Haxan, pour être précis): Christensen nous montre, ainsi qu'à Karen Sandberg, une maquette de la maison dans laquelle le drame va se nouer sur les deux dernières bobines...

Fidèle à l'atmosphère de son premier long métrage, le metteur en scène a imaginé une intrigue de mélodrame crépusculaire dans laquelle il convoque toutes les figures populaires du genre: la maison en état de siège, bien sur, ais aussi la recherche d'un être disparu (Lorsque le héros sort légitimement de prison, il souhaite retrouver son fils, qui a été adopté par... des inconnus.), la vengeance (Le principal fil rouge du film, comme le prouve le titre d'ailleurs), la protection des enfants (Le couple au coeur du drame en a trois), etc... Des figures franchement Dickensiennes font aussi leur apparition, avec ces escrocs minables, qui recueillent le héros lors de sa sortie de prison. Christensen, comme il l'avait fait pour L'X mystérieux, s'est réservé le rôle tragique de Strong Henry (Appelé John dans la version Anglaise), le repris de justice qui va être la victime du sort, et qui va semer la terreur, malgré lui, sur son passage... Et pour son final, le metteur en scène entremêle les destins de ses protagonistes dans un montage superbe. Le film est magnifique!

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Published by François Massarelli - dans Muet Scandinavie 1916 Benjamin Christensen *
23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 11:08

Le premier film de Benjamin Christensen fait clairement partie du haut du panier, dans la liste pas si longue des longs métrages importants du début des années 10: comme les films de Tourneur en France, de Bauer en Russie, il fait avancer le cinéma à pas de géant... à sa façon, fort distinctive: le metteur en scène ne se contente pas de creuser un sillon personnel, il multiplie les audaces et les expérimentations, en terme d'éclairage, de composition, de direction d'acteurs, d'écriture de l'intrigue, et même de complication! Christensen, en ancien chanteur d'opéra (Il était baryton), se plait à accomplir tous ces prodiges dans une intrigue hautement mélodramatique qu'il a écrite, qui ose tout avec aplomb, tant et si bien qu'on va plus loin encore que le ridicule: on va vers le baroque le plus absolu... Pour notre plus grand bonheur.

1913: Une guerre menace le Danemark, et tous les corps d'armée se préparent au pire. Le lieutenant Von Hauen (Christensen), un valeureux et honnête militaire, met donc ses affaires en ordre, confiant à son épouse un testament en bonne et due forme: il faut savoir se préparer à toute éventualité... Mais les circonstances vont pourtant aller très loin dans l'imprévu. Madame Von Hauen (Karen Caspersen), en effet, a une sorte de liaison purement platonique avec un intrigant Latin, le dangereux comte Spinelli (Hermann Spiro). Mais celui-ci n'en veut-il qu'à sa vertu? Il passe du temps à trafiquer d'étranges messages cryptés, envoyés par pigeons voyageurs depuis un vieux moulin abandonné. Le comte Spinelli, sous ses allures de séducteur mondain, est en réalité un agent de l'ennemi, chargé de séduire la dame pour soutirer des secrets, car tout le onde sait que le père du lieutenant est l'un des plus importants dignitaires de l'armée Danoise. Et ce qui devait arriver arrive: un soir, Spinelli s'introduit chez les Von Hauen, et dérobe des papiers importants, et de son côté Von Hauen se rend compte de ce qu'il croit être une véritable infidélité de son épouse. Le lendemain, il est arrêté pour trahison, et va refuser toute tentative d'aide de son épouse. De son côté, Spinelli, le seul à pouvoir innocenter le lieutenant, se trouve coincé dans la cave du moulin sans espoir de sortir... Madame Von Hauen et son fils ainé vont pourtant remuer ciel et terre pour tirer Von Hauen de ce mauvais pas avant qu'il soit exécuté...

La principale vertu du film est sa science de la lumière. Dès les premières scènes les talents combinés en matière de photographie comme de dramaturgie, de Christensen et de son chef-opérateur Emil Dinesen sont évidents: en particulier, une grande partie de l'intrigue est située dans la maison Von Hauen, dont la pièce la plus souvent vue à l'écran est le salon, tout en profondeur. Au fond du champ, une grande fenêtre diffuse souvent de la lumière extérieure, tout comme une plus petite située dans la partie de la pièce qui est la plus proche du proscenium. Les variations minutieuses d'ensoleillement vont participer de façon fort brillante à l'atmosphère de chaque scène. Une séquence en particulier est remarquable: madame Von Hauen rentre chez elle, elle sait que son mari a été arrêté. La maison est sombre, et seules les fenêtres diffusent un peu de lumière. La bonne allume partiellement la pièce, suivie de sa patronne, mais celle-ci sort du champ, et la bonne la suit, éteignant. De façon subtile et sans aucun intertitre, Christensen nous a montré de quelle façon l'héroïne refuse de laisser la vie continuer comme avant... Le moulin qui va donner son nom au film (Le traître a pris le pseudonyme de X, inspiré par les ailes en croix du moulin qu'il utilise pour ses actions d'espionnage) est lui aussi une source de séquences visuelles de grande qualité: ombres chinoises superbes, avec la silhouette inquiétante du moulin vers lequel évoluent les mystérieuses ombres de cavaliers, mais aussi des vues en intérieur de la vieille bâtisse, pour lesquelles le metteur en scène a là encore utilisé un contraste saisissant entre l'obscurité quasi totale du lieu, et la lumière venue de l'extérieur. Il est d'ailleurs frappant que les scènes d'intérieur du moulin n'ont pas du tout été tournées en studio, mais bien dans un authentique moulin, comme en témoignent les nombreux plans qui montrent une ouverture (Porte ou fenêtre) qui laisse filtrer un peu de la quiétude extérieure: champs, paysages idylliques, etc...

Et si l'intrigue est compliquée, Christensen se plait à la rendre plus impénétrable encore, en laissant promettre de fausses joie, comme un procès au cours duquel madame Von Hauen se rend, pour innocenter son mari, mais celui-ci va contre-carrer ses plans, en refusant une aide qui révèlerait à la face du monde ce qui à ses yeux est le déshonneur de l'adultère! Au public, qui s'attend à ce moment à une fin heureuse, Christensen impose donc d'attendre de nouvelles péripéties, qui ne vont pas manquer d'arriver. D'une part, le grand fils des Von Hauen va se rendre en prison pour « voir son père une dernière fois », ce qui aura des conséquences, et a l'avantage d'impliquer encore plus le spectateur; ensuite un rêve va révéler la marche à suivre à l'épouse en lui rappelant le lien entre « X » et le moulin. Elle se rend donc vers ce dernier pour y trouver des preuves impliquant Spinelli; ais la situation est compliquée par deux facteurs: d'une part, Spinelli a bien laissé des preuves sur place. D'ailleurs il est toujours coincé dans le sous-sol du moulin, mangé par les rats! Et d'autre part le moulin est en pleine zone de combats, on va donc voir la frêle jeune femme traverser le champ de bataille au milieu des explosions, alors que la mort rôde autour d'elle...

Bref, on l'aura compris: c'est hautement improbable, mais parfaitement indispensable, et le film bénéficie en prime d'un montage serré, d'une utilisation dynamique du placement de la caméra, avec parfois des subtils mais décisifs déplacements. Le film est en avance, et pas seulement parce qu'il prédit une guerre dans laquelle les Danois (Von Hauen) auront maille à partir, entre autre, avec les Italiens (Qui seront dès 1914 les alliés de la France et de l'Angleterre); non, il est en avance sur Feuillade, sur Griffith, sur DeMille (qui mènera lui ses recherches sur la lumière deux ans plus tard, dans son très impressionnant The cheat)... Son art du mélodrame débouche sur un film excitant, extravagant, et franchement époustouflant. L'un des meilleurs films de cette première moitié de la décennie, si ce n'est le meilleur.

https://www.stumfilm.dk/en/stumfilm/streaming/film/det-hemmelighedsfulde-x

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Published by François Massarelli - dans Muet Scandinavie 1914 Benjamin Christensen DFI *
10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 17:23

Le documentaire a parfois bon dos... Comment pourtant qualifier autrement ce film unique en son genre? C'est le pari de Benjamin Christensen le cinéaste danois au nom ironiquement prédestiné: recréer visuellement les croyances et les anecdotes du moyen-age, mêler étroitement la superstition et la religion afin de montrer, "preuves" à l'appui, les avancées de l'être humain à l'aube du XXe siècle, mais également dresser un parallèle entre l'obscurantisme de l'époque médiévale et la période moderne, afin d'éduquer encore et toujours. Soyons juste, s'il n'était que cela, le film n'aurait aucun intérêt... Il est pourtant beaucoup plus. Tourné en quatre ans, dans un studio réquisitionné à Copenhague par un Christensen dont les financiers n'étaient autre que la Svensk Filmindustri, ce très étrange ouvrage prouve d'une part que le Danois, autrefois célébré pour ses deux premières oeuvres (L'X Mystérieux, en 1913 et La Nuit de la Vengeance en 1916, des fictions, sur un versant glorieusement et outrageusement mélodramatique, impeccablement mises en scène), n'est plus prophète en son Danemark natal, et doit aller chercher dans d'autres pays les possibilités de faire des films. Son but, s'il était officiellement de montrer l'avancée humaine à travers l'histoire des superstitions, était sans doute plus surement de casser du sucre sur la religion (Catholique, d'abord et avant tout) en affirmant la croyance dans le progrès.

Le film commence fort doctement, par des visions de gravures anciennes, qui expliquent principalement la conception du monde à l'antiquité, et au moyen-âge, et qui commencent à installer une fascinante et morbide atsmosphère fantastique. Si l'intérêt de cette première bobine fort austère reste limité, en raison de l'abondance de documentation un peu sèche, au moins Christensen prépare-t-il le terrain pour la suite: plutôt que de se reposer uniquement sur des documents, il va en effet convoquer des acteurs dans des décors superbes, recréer des scènes de sabbat, des fantasmes fous, des scènes fantastiques et burlesques, et d'autres cruelles, qui montrent la perversion des inquisiteurs. Il utilise sans se cacher les intertitres pour asséner des phrases assassines, et essayer des comparaisons. Mais ce qu'on retient, c'est le soin pictural apporté à créer une vision unique de la sorcellerie dans son versant le plus folklorique. Christensen, inspiré aussi bien par les gravures religieuses que d'autres sources moins sanctifiées, s'est permis aussi de revisiter Bosch, et a un talent sans pareil pour créer des décors de vieilles masures de sorcières. Il ne recule jamais devant le grotesque; il sait aussi dramatiser ses anecdotes par le biais du montage, de l'éclairage, a recours à un érotisme frontal; il est souvent question de sexe, de rapports sexuels, de liaisons contre nature, d'enfanter des rejetons du diable. On voit un accouchement burlesque, des sorcières embrassant le fondement d'un diable en rut, des démons occupés à agiter une baratte dans un geste qui ressemble à une recréation de masturbation... la nudité y abonde, liée aussi bien au sexe qu'à la torture. On comprend d'une part que le film n'ait pas été aidé pour être vu par tous les publics (On imagine le passage devant un bureau de censure dans le sud profond des Etats-Unis... mais cela n'a sans doute pas pu se faire!!), et qu'il ait été glorifié par les surréalistes.

Ce faux documentaire est un vrai essai, aussi, dont le principal argument (Sorcellerie, croyance, superstuition trouvent leur équivalent moderne dans l'hystérie) est fumeux, peu important. Disons qu'il permet à Christensen de retomber sur ses jambes, en promouvant en fin de film une vision de la femme moderne, certes soumise à des craintes (Pyromanie, kleptomanie), hantée par des désirs, mais dont un plan nous rappelle qu'elle peut aussi par exemple piloter un avion. Si la thèse ne vaut pas grand chose, au moins le film permet-il à Christensen de finir dignement son film, en proposant une version modernisée de ses fantasmes (Visitée la nuit par un homme, examinée par le médecin, douchée par une infirmière, elle se déshabille toujours autant, pourrait-on remarquer...). Mais une chose est sûre: si ce film aura une certaine descendance, comme par exemple le film Wege zu Kraft une Schönheit (http://allenjohn.over-blog.com/article-wege-zu-kraft-und-schonheit-whilhelm-prager-1925-75656841.html), il n'en reste pas moins l'une des premières fois qu'un réalisateur aura utilisé le je impérial pour un film, dans lequel il se met lui-même en scène en Satan. Hélas, ce réalisateur visionnaire n'allait jamais retrouver les circonstances de son chef d'oeuvre. Mais une vision de temps en temps s'impose: disons tous les six mois...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1922 Scandinavie Benjamin Christensen Criterion **