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11 juillet 2024 4 11 /07 /juillet /2024 15:04

Avanti, ou l'art de rebondir d'une façon inattendue. L'échec public de The private life of Sherlock Holmes avait de quoi rendre bougon, et le tour de cochon joué à Wilder par ses producteurs aurait pu le terrasser de façon durable, mais deux ans après cette douloureuse expérience, voici un film drôle, sentimental, impertinent, et léger, en dépit de sa longueur. Situé entre la gravité du précédent, et la frénésie du suivant (The front page, 1974), c'est une halte bienvenue... 

"Permesso?" Cette demande à la fois polie et obligée, c'est bien sur ce que dans un hôtel le personnel demande au client afin de savoir s'il a ou non le droit d'entrer. "Avanti!": voilà la réponse à donner, et voilà donc ce que nous dit Wilder, et de fait le rythme du film est au début du moins, apparemment rapide: Avanti! Wendell Armbruster Jr (Jack Lemmon) a un avion à attraper, et le voilà, sur l'écran, qui quitte le jet privé de la compagnie qui porte le nom de son père. On le distingue bien, même à distance: il porte un gilet rouge par dessus une tenue de golf. Il prend donc l'avion, avec si peu de bagages, et trouve un homme avec lequel échanger ses vêtements. On apprendra, à la douane Italienne, qu'il est venu en quatrième vitesse, parce qu'il a eu une mauvaise nouvelle. On apprend, en même temps, que le monsieur est un type pressé, manquant totalement d'humour, et assez franchement désagréable, ce que les fonctionnaires Italiens commencent gentiment à lui faire payer dès l'aéroport. Il doit donc se rendre à Ischia, dans la baie de Naples, ou son père qui prenait ses vacances annuelles a eu un accident de voiture, et est décédé. Comme il va devenir sous peu le remplaçant de son père, et que la situation de l'entreprise n'est pas brillante, il faut faire vite. 

Seulement Wendell Armbruster Jr n'est pas seul: dans le même train, dans le même bateau, et bientôt dans le même hôtel, une jeune Anglaise, Pamela Piggott (Juliet Mills) semble le suivre. Armbruster apprend la raison: son père n'était pas seul dans l'accident, il y avait aussi une femme, Katherine, la mère de Pamela. Par ailleurs, Armbruster apprend que les deux tourtereaux en étaient à leur dixième période de vacances ensemble...

A coté de la rencontre entre miss Piggott, l'Anglaise complexée et minée par son obsession du surpoids, et Wendell Armbruster, l'homme pressé et conservateur qui n'a jamais pris le temps d'apprécier la vie, on fera la connaissance aussi de Signor Carlucci (Clive Revill), un gérant de l'hôtel particulièrement arrangeant pour les enfants de ceux qu'il considérait comme ses amis; on verra aussi Bruno, maitre d'hôtel et maître chanteur, qui possède un certain nombre de photos compromettantes, ainsi qu'une maitresse encombrante; sinon, il y aura la famille Trotta, Napolitaine pur jus, qui a une vision de la vie qui implique l'abduction éventuelle des êtres chers, en échange de rétribution, et tout ce petit monde est mené au pas de charge dans une intrigue sans temps mort, du moins le croit-on tant que Wendell Armbruster, éternel homme pressé, tient la barre. Seulement, de la découverte de la double vie de son père, à la désagréable habitude des habitants de la région de prendre leur temps, en passant par les désirs de Miss Piggott, qui vont à l'encontre des siens en ce qui concerne les arrangements funéraires, Armbruster voit vite que la partie est loin d'être à son avantage... En dépit donc de son obsession d'imposer son rythme personnel à tout ce qui passe autour de lui, Armbruster va finalement, comme Miss Piggott, se laisser aller, et succomber au charme de l'endroit, comme l'avaient fait avant eux leurs parents...

Golfeur au début du film, un homme comme Wendell ne pouvait faire que ce sport de riches. Le vêtement en est d'ailleurs aussi codé que ridicule en toute autres circonstances, ce qui permet aux premières scènes de charger le pauvre Lemmon de tout un poids satirique: voilà bien un Américain de la bonne société; comme il s'appelle Armbruster, on sent l'homme habitué à diriger: son nom est doté d'un suffixe (-er) qui l'identifie comme un actif. De fait, il se comporte au début en véritable dictateur, ou comme une armée en conquête. Le seul autre Américain vivant du film, le diplomate-barbouze qui vient en hélicoptère pour chercher le corps paternel, se comporte de façon encore pire: il passe son temps à pester contre les Italiens, qu'il appelle "Foreigners", soit étrangers, assure que c'était mieux sous Mussolini, et n'a aucune ouverture d'esprit. On juge d'autant mieux la transformation du personnage principal...

Miss Piggott, quant à elle, est affublée d'un nom qui la condamnait en effet à cultiver des complexes, et les allusions à son poids sont nombreuses; mais au moins, elle vient préparée: c'est elle, dans le bateau, qui rappelle à un Armbruster indifférent qu'en Italien, le simple fait de demander du savon, revient à chanter un opéra... Elle succombera d'autant plus vite à la magie des lieux. D'autant que contrairement à Wendell, elle savait ce qui se passait tous les étés. A ce sujet, Roger Ebert à la sortie du film se plaignait que le personnage de  Lemmon mette si longtemps à comprendre la nature des vacances de son père, et estimait que ça mettait le personnage en porte-à-faux vis-à-vis du public; il me semble que c'est justement le but de Wilder.

Cette délicieuse comédie qui se laisse vite porter par le rythme particulier du lieu, et ralentit considérablement sur la dernière heure, a bénéficié de la permissivité du début des années 70, ce qui apparaît dans un certain nombre de scènes. La première est un gag splendide, entièrement visuel, qui repose sur le fait qu'Armbruster doit se changer une fois dans l'avion. Il trouve un homme auquel proposer un échange de vêtements, et ils vont tous les deux dans les toilettes. Pas un mot n'est prononcé, mais la réaction de tout le monde dans l'avion est hilarante. Sinon la fameuse scène de la baignade, durant laquelle les deux acteurs sont totalement nus, à l'exception des chaussettes noires de Lemmon, est justement célèbre; certains commentateurs du film se plaignent de ces scènes de nudité pour leur manque d'érotisme! C'est vrai qu'à notre époque de silhouettes calibrées, ces scènes détonnent. Tant mieux: de fait, les acteurs, aussi peu habitués à se déshabiller que leurs personnages, révèlent une peau peu habituée à être si exposée. Il me semble que cette franchise sert plutôt bien le film... Sinon, on est définitivement dans le monde magique des comédies de Wilder, avec ses personnages de conte de fée, son Carlucci-bonne fée, qui arrange tout en avance. C'est la deuxième fois que Clive Revill joue pour Wilder; la fois précédente, c'était pour incarner un Russe (dans The Private life of Sherlock Holmes), ici, c'est avec l'accent Italien que le maitre de cérémonies arrange tout, à la façon dont "Moustache" tirait quelques ficelles dans Irma la douce. les dialogues, toujours aussi riches, nous gratifient des passages obligés de tout film de Wilder qui se respecte: on a droit aux sous-entendus, à des allusions vachardes à la culture de l'époque (Lemmon, en particulier, dont le personnage cherche à se montrer au goût du jour, mais montre surtout qu'il est à coté de la plaque, lorsqu'il fait l'éloge de la libération des moeurs, tant qu'elle n'est pas entachée d'amour. Mais Miss Piggott nous montre une photo assez ridicule de son ex-fiancé Bertram, guitariste dans un groupe de rock progressif... ). 

La bonne chère, la musique Napolitaine, la douceur de la Méditerrannée, le charme de Miss Piggott... tout comme Pamela qui "devient sa mère" en jouant la manucure de l'hôtel  lorsqu'il faut dissimuler à un visiteur intempestif la nature de leur relation, Wendell Armbruster Junior "devient" enfin son père. Si on en revient à l'importance du dernier mot dans un film de Wilder, on constatera que la dernière chose importante ici, c'est Lemmon qui la dit: "Miss Piggott, si vous perdez ne serait-ce qu'un gramme, c'est fini entre nous", lui dit-il avant de partir. Lui qui lui disait, lorsqu'elle mentionnait ses kilos en trop lors de leur premier échange: "Oui, j'ai remarqué.". Lui qui l'a appelé d'un terme insultant qui faisait allusion à l'imposante taille de son arrière-train, d'ailleurs surestimée à mon avis. Bref, de butor, goujat, détestable personnage, il se laisse enfin aller et devient un brave homme, nous permettant au bout de deux heures et vingt minutes de l'aimer. Si The private life of Sherlock Holmes était à bien des égards un testament noir pour Wilder et Diamond, Avanti! et sa célébration de l'amour simple, son plaidoyer pour ralentir et prendre le temps, ressemble à une résurrection. Les deux films n'ont peut-être pas la même importance par rapport à la carrière de leur auteur, mais celui-ci nous permet de nous laisser aller complètement. Et il offre le temps de 2 heures et 18 minutes de cinéma, un échappatoire en formes de vacances accélérées dans une Italie de rêve...

 

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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder Comédie Mettons-nous tous tout nus
13 janvier 2024 6 13 /01 /janvier /2024 08:55

Forcément détaché, à 9 années de distance, du reste de l'oeuvre, ce premier film co-réalisé par Alexandre Esway respire un peu l'amateurisme et l'enthousiasme juvénile, mais il a été réalisé dans des conditions sans doute assez difficiles, quasiment entre deux trains...

Double exilé, le Viennois Wilder, parti à, puis de Berlin, s'investit avec tendresse dans une histoire de fils à papa qui refuse de travailler comme tout le monde, et va presque par idéal devenir gangster (spécialisé dans le vol de voitures) et craquer pour les beaux yeux de Danielle Darrieux.

Le moraliste particulier qu'était Wilder, qui s'attachera aux pas de diverses personnes dotées de leur morale bien à eux (Irma, Miss Piggott, Sherlock Holmes, et on peut sans doute continuer), ne juge pas la jeunesse dépeinte dans ce film, mais s'attache à en rendre la turbulence dans de nombreuses séquences. Des restes de l'improvisation qui a régné sur le plateau des Hommes le dimanche, de Siodmak, auquel le cinéaste a collaboré, colorent ce film d'une urgence que le cinéma de Wilder ne connaitra plus des années après, lorsque le moindre plan devra être bouclé avant tournage, le moindre mot scellé dans le marbre. Ici, les aspects foutraques de certaines séquences font appel à notre indulgence, mais des résurgences de l'avant-garde anticipent sur le film noir, d'une façon inattendue: lorsque les deux héros, trahis par les autres gangsters, se trouvent poursuivis en pleine nuit par la police, l'utilisation du montage rapide, les plans de nuit, et le très beau plan de la voiture tombée dans un lac, dont les deux amants sortent pour regarder la police s'éloigner, tout ça est la preuve d'une conscience déja très forte du cinéma. Le scénario est déjà efficace par ses ellipses. J'ajouterais que il faudra pour le grand metteur en scène passer par la triple école de Mitchell Leisen, Howard Hawks et surtout Ernst Lubitsch, pour lesquels il sera un scénariste essentiel, avant de devenir l'un des plus grands, ce qu'il sera... très vite.

Mauvaise graine ne fait pas exception dans sa carrière, Il contient son lot de gags aussi: le burlesque de Wilder, souvent basé sur les situations, est à l'oeuvre dans ce premier film, d'une façon très poétique, avec des petits à-cotés, des petits moments durant lesquels au garage, par exemple l'un des gangsters se fait presque écraser par une voiture volée. A la fin, le chaiffeur fou qui manque à plusieurs reprises d'écraser son copain se fait aussi remarquer par un échange gouailleur et bouffon, finalement assez Parigot; il vient de voler un bus: "Ces messieurs sont de la police? oui, j'ai trouvé ce bus... Si je le ramène dès demain au commissariat, qu'est-ce que ça va me rapporter? - Entre deux et cinq ans!" Clouzot se laissera aller à ce type de dialogue quelques années plus tard. Sinon, il construit déja ses scénarios avec des balises, des avant-gouts, des étapes que le spectateur se doit de ramasser avant d'en recoller les morceaux à la fin: le nombre d'allusions, généralement loufoques, à la collection de cravates volées du personnage de Jean, ami du héros et frère de l'héroïne, prennent un sens plus grave lorsque les amants en fuite voient un camelot et son lot de cravates: ils se doivent de rester en France afin d'aller chercher Jean, avant de partir pour les colonies...
 
La gravité de la fin, relativement soudaine, détonne d'ailleurs un peu dans ce film plus insouciant que grave. Wilder apprendra avec les années à doser sa mélancolie, et la mélangera avec son humour avec des résultats fascinants dès les années 40, avec une autre cavale grave et noire, mais n'anticipons pas trop.
 
Enfin, il est difficile ici, dans un film réalisé avec le même esprit collaboratif que Menschen am Sonntag, en Allemagne, de rendre à César ce qui appartient à anexandre, et de ne pas attribuer à Billy ce qui appartuent à Esway, celui-ci étant après tout déjà un réalisateur confirmé en 1934, qui travaille à ce poste depuis 1929. J'ai déjà montré les liens avec l'oeuvre future de son illustre collègue, et par ailleurs, on voit au générique que le nom de Wilder (sans son prénom, à la mode de l'époque) domine en obtenant systématiquement la première place...
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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder
1 novembre 2021 1 01 /11 /novembre /2021 09:08

Le troisième film de Billy Wilder prend, en terme de genre, le contrepied du film précédent ; il inaugure une série de films « sérieux », dont bien sûr aujourd’hui il nous sera aisé de juger de leur apport à divers thèmes chers à Wilder : la fascination engendrée par certains êtres exceptionnels, qu’on retrouvera dans Sunset Bd, Fedora, voire dans Double indemnity et The private life of Sherlock Holmes également. La dissimulation, le déguisement sont ici encore présents, avec en plus de ce qui était exploré dans The major and the minor une situation plus complexe : tout le monde ou presque ment, et tout le monde ou presque va se brûler à ce petit jeu. Mais l’un des intérêts principaux du film est de présenter les premières armes de Wilder dans le film noir.

Oui, je sais ce n’est pas un film noir à la base; on le rangera plutôt dans la vaste catégorie des films de guerre, sous-genre « Après Casablanca »: J.J. Bramble (Franchot Tone), tankiste seul rescapé d’une bataille, se retrouve en plein désert, survivant de justesse. Il se réfugie à demi-inconscient dans un petit hôtel tenu par Farid (Akim Tamiroff) et la bonne française Mouche (Anne Baxter), lorsque l’avant-garde d'une colonne Allemande s’introduit dans l’hôtel et commence à s’installer ; Farid et Mouche font passer Bramble pour leur maitre d’hôtel, Davos, qui est mort dans un éboulement : on apprend très vite que Davos était en fait un espion, ce qui va obliger Bramble à jouer un jeu dangereux auprès d’un officier Allemand bien dans la tradition, le lieutenant Schwegler (Peter Van Eyck), mais surtout auprès de Erwin Rommel (Erich Von Stroheim).
 
Une fois définis ces cinq personnages, il suffit d’ajouter un général Italien, et on a tous les acteurs du film : le cœur de l'intrigue est un huis-clos, ce que l’exposition, qui montre le lent périple de Bramble dans les sables du désert rehausse d’ailleurs : il y a un petit coté voyage au bout de soi-même dans ces huit minutes, qui servent d’introduction à un passage de l’autre coté du miroir pour le soldat Britannique : il se rend, sans le savoir, à Rommel-Land… Et il partira à la recherche d’un McGuffin d’importance (pour lui et ses supérieurs), les fameuses « cinq tombes » du titre Anglais…

Rommel: la fascination exercée sur tout ce petit monde par le Maréchal est un écho de celle ressentie durant cette époque dans le monde, qui aurait aimé faire de Rommel un adversaire à Hitler. Voir à ce sujet le film intéressant de Henry Hathaway, qui avec l’aide de James Mason fait de Rommel un martyr. Ici, guerre oblige, on a un Rommel plus menaçant, mais toujours aussi exceptionnel, d’autant qu’il est copieusement servi par l’une des rares incursions de Stroheim dans un studio Américain prestigieux en ces années de vaches maigres: il s’en donne à cœur joie. Rommel fascine donc, depuis Farid qui est un lâche de carnaval, jusqu’à Mouche qui croit voir en le maréchal une porte de sortie pour « son » problème : son petit frère, prisonnier des Allemands. Schwegler n’est pas comme Rommel, mais il le craint, comme en témoignent ses efforts pour tenir secrètes ses tractations avec Mouche. Le Général Sebastiano, histrion qui menace pour un oui ou pour un nom de se plaindre à Mussolini, se tait dès qu’on prononce le nom de Rommel… Enfin, Bramble, comme Mouche, identifie Rommel à une porte de sortie, mais d’une façon plus militaire : dans un premier temps, il envisage (il n’est pas officier…) de le tuer, puis se ravise après avoir conversé avec un prisonnier Britannique, qui lui conseille de jouer à fond la carte Davos pour fournir des renseignements. Mais approcher Rommel, du coup, devient son objectif… Qu’il atteindra sans coup férir, lorsqu’il se rendra compte que le Maréchal, imbu de lui-même, n’aime rien tant qu’à se répandre en détails sur sa vie, et son œuvre… Il suffira à Bramble de recoller les morceaux. On le voit, ici, tous les protagonistes principaux du huis clos, sauf Rommel, poursuivent un but : Schwegler, on le comprend rapidement, cherche à coucher avec Mouche; Mouche cherche à utiliser les Allemands afin de faire libérer son frère, et Bramble cherche à utiliser Rommel contre lui-même, en court-circuitant les plans de Mouche s’il le faut… Dans cet hôtel qu’on ne quitte jamais, tous ces gens qui s’observent, toutes ces occasions de développer du suspense, comment s’étonner que Wilder se soit fait la main sur les ficelles du film noir, en compagnie de John Seitz ? La stylisation est déjà partout, et la scène ironique la plus gonflée voit une scène de bagarre se résoudre hors champ, pendant que la caméra immobile cadre en gros plan une lampe allumée, tombée des mains d’un des protagonistes: Défense d’y voir…

Si Wilder et Stroheim font de Rommel un « méchant » fascinant, ils n’oublient pas de l’humaniser, en le faisant notamment prendre la défense de Schwegler après sa mort (« Il avait 23 ans ! ») et en le faisant refuser le marché de Mouche, afin de ne pas profiter d’elle. C’est un homme régi par une ligne de conduite, un code d’honneur, plus que par des passions, mais sa rigidité le condamne à rester en dehors de l’affection franche et nette qu’on ressentira par exemple pour James Mason, ou bien sur pour le Capitaine Renaud dans Casablanca. Il y a malgré tout une scène après 30 minutes de film, durant laquelle Wilder tarde volontiers à nous révéler le visage de celui autour duquel tourne le film, et il permet à Stroheim de jouer avec sa nuque… Cette fascination qui fait de Rommel le centre du film se ressent d'autant plus qu'aucun des trois autres personnages principaux n'est foncièrement sympathique, même si tous leurs motifs s'expliquent, ils sont tous très petits face à Rommel, au-dessus des mortels, comme Holmes, voire comme Lindbergh, mais d'une façon littérale pour ce dernier!

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La Paramount se devait, comme tous les studios, de donner un nouveau visage au film de propagande. Mais Five Graves to Cairo (Adapté d’une piève de Lajos Biro) n’est en rien assimilable au film de Curtiz: les moyens ont peut-être manqué, et les agendas différents du studio et des deux co-scénaristes, le manque d’acteurs de premiers plans (si on se place, hélas, en terme de box-office, s’entend, ils sont en effet tous très bons), tout concourt à faire de ce film une œuvre mineurs, mais souvent stimulante; Wilder ne s’y trompe pas, qui continue à affuter ses crayons : le dialogue est constamment brillant, et certaines situations résonneront jusqu’à la fin de sa carrière : comment ne pas penser à Gabrielle Valladon (The private life of Sherlock Holmes), en voyant Mouche, et surtout en apprenant après les faits son cruel destin? Le petit monde de Wilder, avec ses petites gens en marge de l’intrigue, s’accommode bien de la présence de deux personnages qui vont égayer de leurs petites clowneries le film, plutôt sombre : Sebastiano et Farid servent ici surtout à ça… Ses petits cailloux narratifs servent le suspense, et sont notamment incarnés par la plaque d’identité de Bramble (vue en gros plan à la cinquième minute) et surtout le pied-bot de Davos, qui se révèlera un indice pour Schwegler, et non pour Bramble.
Voilà, en attendant une œuvre magistrale, comment le grand Billy Wilder se faisait les dents en 1942. On peut imaginer bien pire exercice, en vérité…
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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder
31 août 2021 2 31 /08 /août /2021 18:12

The apartment est l’apogée d’un style, d’un auteur d’abord, dont la plupart des films antérieurs combinés semblent naturellement converger vers celui-ci, d’une équipe ensuite, sciemment assemblée par Wilder qui retrouve ici, bien sûr son compère Izzy Diamond, producteur et scénariste, deuxième moitié d’un duo qui décidément renvoie par bien des aspects de leur collaboration à Michael Powell et Emeric Pressburger; également présents, Alexandre Trauner et Jack Lemmon, deux preuves s’il en est besoin que Wilder sait s’entourer et reconnaît le travail excellemment fait, mais aussi deux collaborateurs de choix qui reviendront encore et encore. Le premier n’a pas son pareil pour recréer de toutes pièces un monde cohérent, semble-t-il ultra-réaliste, mais totalement adapté aux exigences de la photographie (ici dans un cinémascope et un noir et blanc sublimes) et du studio. Le deuxième est la victime principale des évènements dans Some like it hot, un Monsieur-Tout-le-monde dont le génie a transformé le rôle de Gerry le contrebassiste de faire-valoir de Joe le sax en un héros burlesque doté de parole, pas éloigné d’un Stan Laurel doté de la réactivité et de la poisse d’un Hardy (d’ailleurs cités dans un gag muet dans Some like it hot)… Bref, Wilder avait une idée en tête, et manifestement elle impliquait de créer un film mémorable.

The apartment, il convient peut-être de le rappeler , n’est pas strictement une « production de Billy Wilder », mais une production de la Mirisch Company. Bien que les Mirisch soient trois frères, il s’agit principalement d’une boite de production qui sous la direction de Walter Mirisch avait des relations privilégiées avec des metteurs en scène auxquels on donnait une indépendance enviable sur leurs projets (Ford: The horse soldiers; Edwards: The pink Panther, A shot in the dark; Sturges: The magnificent seven, The great escape; Wise: West Side Story, et bien sûr Wilder: Some like it hot). A bien des égards, Mirisch est une sorte de chaînon manquant, à l’époque ou l’on mute des grands studios vers les acteurs-producteurs (Glenn Ford, Kirk Douglas, John Wayne occupent à cette époque le haut du pavé), un producteur à l’ancienne, trop petit et volatil pour être compté parmi les grands studios, mais doté malgré tout d’une personnalité, d’un style reconnaissable, et d’une tradition de qualité. Il y a des limites, comme Wilder ne tardera pas à s’en apercevoir lorsque le succès ne sera plus au rendez-vous, mais pour l’heure, il est chez lui et l’avenir semble rose; Mirisch faisait d’ailleurs, à l’orée de sa carrière de producteur indépendant, partie des généreux donateurs d’Allied Artists, éphémère expérience qui produira entre autres … Love in the afternoon, eh oui. Donc tous ces gens là se connaissent, s’estiment, et veulent faire des grandes choses ensemble, à commencer par, pourquoi pas, gagner l’oscar du meilleur film 1960.

«The apartment», c’est l’appartement de C.C. Baxter (Lemmon), surnommé Bud, voire "Buddy Boy" par ses patrons et divers cadres d’une compagnie d’assurances, dont il est un modeste employé, titulaire anonyme d’un modeste bureau, semblable à tant d’autres, dans une pièce remplie à l’infini de cases identiques. Ce surnom faussement appréciatif lui a été donné car il fournit occasionnellement ses clés et son appartement de célibataire solitaire à ses supérieurs, lorsqu’ils veulent y passer du temps avec une jeune femme, sans alarmer leurs épouses. Tous lui font bien sûr miroiter une promotion, et se comportent en butors, tant avec leurs conquêtes qu’avec Baxter, dont le double C cache en vérité deux prénoms hâtivement écartés par la voix off de Baxter au début du film: manque de personnalité? C’est ce qu’il pense de lui en effet, et c’est ce sur quoi repose l’arrangement qui lui est imposé par ses patrons. Ca va être d’ailleurs l’un des enjeux de ce film: peut-il, saura-t-il dire "non", le moment venu, et s’affirmer?

Bon, il y a autre chose: Baxter a repéré, comme la plupart des autres hommes, Fran Kubelik (Shirley McLaine), une jeune femme qui s’occupe de l’ascenseur, et qui est bien sûr très jolie, mais avec plus encore. Baxter est le seul à ne pas la convoiter sexuellement, mais à en être amoureux, a priori. Quand un cadre lui parle d’elle, cherchant à voir quel angle d’approche serait le bon pour la séduire, Baxter lui répond, tout simplement: c’est peut-être une fille bien. L’autre lui rit au nez, mais par ce simple échange, Wilder affirme une fois pour toutes sa position, pour Baxter, contre le reste de l’humanité. Mais cela passe quand même par un lot impressionnant d’humiliations, il faut dire que Wilder n’est pas un disciple de Stroheim pour rien: Baxter doit attendre sous la pluie que les orgies qui ont lieu dans son appartement se terminent, il doit parfois réveiller ses voisins pour entrer chez lui lorsqu’on oublie de lui rendre sa clé, et il doit aussi couvrir ses patrons et endosser la responsabilité de tous les bruits louches qui proviennent de son appartement: il a du coup une sacrée réputation de coureurs de jupons.

Tout ce qui précède n’est de toute façon que l’exposition, le quotidien de CC Baxter, qui se serait probablement perpétué, s’il n’y avait eu l’intervention de Jeff Sheldrake (Fred McMurray): celui-ci, l’un des gros directeurs de la compagnie, a eu vent du petit arrangement, et impose ses meilleures conditions à «Bud», afin d’y emmener sa conquête du moment. Baxter apprendra très vite que la conquête n’est autre que sa chère Fran, et aura la surprise un soir de rentrer chez lui et d’y retrouver Fran, seule et abandonnée par son amant, qui a tenté de se suicider en avalant des somnifères. Il va prendre soin d’elle, et… Etc.

L’homme est un loup pour l’homme, et Jeff Sheldrake est un loup même pour les loups: ce nom n’est pas étranger à qui a déjà vu les autres films de Wilder, et en particulier Sunset Boulevard: ici, c’est encore un salopard de première, un cadre au sang froid, opposé à un naïf. Mais il n’est pas le seul, et son ignominie est celle d’un système, qui n’est pas que cet arrangement afin de faciliter les adultères. S’ils se conduisent ainsi à l’égard de leur employé ‘Buddy Boy’, et comme des prédateurs sexuels à l’égard de leurs secrétaires, standardistes, et autres membres du personnel féminin de l’entreprise, alors il y beaucoup à dire sur le système en général. C’est d’ailleurs à Baxter d’incarner un certain esprit de résistance dans une scène magnifique, en faux semblants, lorsque sommé de donner sa clé à Sheldrake, qui menace de le virer, Baxter donne une clé. On croit qu’il a capitulé, mais c’est en fait la clé des toilettes des cadres. Sans un mot, Baxter est retourné faire place nette dans son bureau, et refuse désormais de collaborer. Il a enfin su dire non. En l’apprenant, Fran Kubelik a juste un petit rire, et elle aussi disparaît du restaurant où l’avait emportée Sheldrake…

L’immense réussite tient parfois à peu de choses, mais ici, les données rassemblées sont des garanties de qualité d’abord: on a déjà parlé de l’équipe, tout ce beau monde a fait un film d’une grande beauté plastique, dans lequel le noir et blanc est utilisé afin de déshumaniser le monde dépeint sur l’écran ; pour commencer, la plupart des scènes se passent la nuit ; privé de la liberté de son appartement, Baxter reste tard à travailler. Un rappel que même durant ces trente glorieuses, il convient de faire sa place, et l’homo Americanus est un bourreau de travail, quelqu’un qui travaille tard pour gagner autant. Certes, mais ici, il en fait trop, et cette aliénation est soulignée subtilement. Privé de vie, Baxter a réussi à maintenir une sorte de petite personnalité à son appartement, mais il y campe; il le reconnaît lui-même: il n'a aucune organisation, dit-il, et doit égoutter ses pâtes avec une raquette de tennis. Bien sûr, il n’a pas le temps de profiter de son logis, et tout ce qu’il achète profite à d’autres. Combien de héros de films peuvent rentrer chez eux, regarder le disque laissé sur la platine, et dire ‘Tiens? il n’est pas à moi, celui-ci'. D‘un autre coté, Baxter a de la ressource. Il ironise sur sa méthode «Système D» en cuisine, mais il ne manque pas de poésie. C’est cette poésie de la solitude, ou plutôt de l’union magique de deux solitudes, qui fait mouche et qui rend les scènes entre les deux héros absolument inoubliables, ainsi qu’une grande dose de pudeur.

L’appartement construit par Trauner est détaillé, ses strates apparaissent clairement, montrant qu’il est difficile pour l’un ou l’autre des deux héros d’être totalement seul ; ainsi, lorsque Baxter est au téléphone avec Sheldrake, Fran apparaît derrière, entendant forcément tout ou partie de la conversation. De même que lorsqu’un beau-frère (au nom à consonance Polonaise, petit cousin de ce rustre de Krahulik dans The seven year itch) vient chercher Fran, une porte au fond rappelle la promiscuité de la chambre ou Fran a toutes ses affaires, et dans laquelle le beau-frère va soupçonner qu’une orgie a eu lieu entre sa belle-sœur et ce parfait inconnu de Baxter.

Bien que le film aille plus loin dans le jeu autour de l’adultère que The seven year itch (après tout ce film-là n’évoquait que la possibilité de la tromperie; ici, on s’y vautre, on va même jusqu’à décrire, et tout tourne autour, d'autant que l'intention initiale était de décrire les coulisses de la chose, suite à un visionnage de Brief encounter), on retrouve quand même le vieux thème évoqué dès The major and the minor des contes de fées; Bien des héroïnes de Wilder attendent le prince charmant, certaines le disent (Audrey Hepburn dans Sabrina, Marilyn Monroe dans Some like it hot), et d’autres l’expriment autrement, comme Lorraine Minosa (Jan Sterling) dans Ace in the hole. La belle au bois dormant, c’est plus Baxter que Kubelik ici, et d’ailleurs à la fin c’est elle qui se joint à lui dans une scène qui reste un sommet du cinéma par ses non-dits:
Baxter: Miss Kubelik, I love you. Did you hear what I just said? I absolutely adore you.
Fran: Shut up and deal. (To deal, ici, dans le sens de "distribuer les cartes": officiellement, elle est venu pour terminer une partie de cartes)
Il fallait sans doute une réplique finale mémorable, afin de succéder à « Nobody’s perfect »… Mais ici, c’est toute la scène qui prend de la hauteur, culminant avec ce petit sourire adorable qu’envoie Shirley McLaine à Jack Lemmon, marque de tendresse, d’immense complicité, d’une femme qui a enfin trouvé l’homme de sa vie. Elle est fière de lui : elle peut, elle est responsable de son ultime déblocage, lui qui ne s’est rebellé parce qu’il désapprouvait le traitement subi par la femme qu’il aime… Ceux-là ont beaucoup de choses à se dire. Et Wilder clôt un film sublime sur un duo parfait!

 

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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder
8 juillet 2019 1 08 /07 /juillet /2019 14:57

Ce film est un classique, mais c'est surtout une oeuvre dont on entend parler sans vraiment la voir... Le film de Lamprecht est la première adaptation d'un roman de Erich Kästner, qui fut un phénomène de librairie dès sa sortie en 1929. Et pour continuer à inspecter le pedigree du film, rappelons que si Kästner a contribué au script, celui-ci est signé de Billy Wilder (qui orthographiait Billie à cette époque reculée), et de Emeric Pressburger, qui en revanche n'est pas crédité...

Le petit Emil Tischbein quitte sa coiffeuse de mère pour un séjour à Berlin, où il doit retrouver sa grand-mère. Il porte sur lui 140 marks pour sa grand-mère, et n'est pas peu fier de prendre seul le train et de voyager comme une grande personne. Au début, le compartiment est bondé, mais finalement il se retrouve seul en compagnie d'un curieux bonhomme, qui non seulement lui dit des absurdités, mais en plus paraît profondément louche. Il lui donne un bonbon, et Emil plonge dans l'inconscience... Arrivé à Berlin, il se rend compte qu'il a été volé, mais n'ose pas se plaindre à la police, car quand il était chez lui, il s'est livré à quelques farces douteuses aux dépens du pandore local. Il suit donc le malfaiteur et va bien vite trouver de l'aide auprès de gamins des rues de Berlin, des débrouillards dans son genre, qui se sont auto-proclamés "les Détectives"...

C'est l'un des quelques grands films de la fin de la République de Weimar, l'un des rares qui en plus, parle... Quoique, on n'y parle que peu, et toujours à bon escient. Lamprecht, touche-à-tout, trouve dans cette histoire pour sourire le prétexte à montrer l'entraide des petites gens contre la malfaisance, sans avoir besoin comme Lang de convoquer une histoire abominable de meurtre d'enfants... Il y a pourtant en Fritz Rasp, l'immense acteur qui joue le bandit, beaucoup plus que de la malhonnêteté: c'est un peu une figure satanique, surtout vu des yeux naïfs d'un enfant... Emil n'est pas un petit ange, comme le prouve un prologue particulièrement intéressant (et totalement muet) dans lequel on le voit se payer la tête d'un policier local en collant une moustache similaire à la sienne, et une casquette, à l'imposante statue d'un square...

Mais le film joue la carte de l'humour, du volontarisme, et montre comment se prendre en mains, avec un esprit typiquement boy-scout qui est celui des années 30, et d'ailleurs, à la fin, Emil et les "Détectives" se rendent en avion pour retrouver Mme Tibschein, et sont accueillis par une foule de fans en délire, comme Tintin à la fin de ses premières aventures. Au-delà du portrait tendre, de l'enfance éternelle et positive, le film incarne un peu malicieusement toute une époque, à deux pas d'Hergé et ses gamins Bruxellois...

 

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Published by François Massarelli - dans Gerhard Lamprecht Comédie Billy Wilder
30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 13:42

C'est avec ce film que Lubitsch va prendre congé de la Paramount où depuis 1928, et à deux exceptions près (Eternal Love en 1929 et The merry Widow en 1934) il a dirigé des films importants tout en étant souvent considéré de façon plus ou moins officieuse comme le directeur général du studio... Un studio où à n'en pas douter il devait faire grincer quelques dents chez les DeMille et consorts. Mais peu importe: les années 30 n(ont été qu'une suite de films brillants pour lui, et il a imposé sa marque, et quasiment créé un genre à lui tout seul, repris avec bonheur par d'autres, en non des moindres... Car à sa suite, Hawks, Preston Sturges et Mitchell Leisen ont offert leurs variations de la Screwball comedy, et bientôt Billy Wilder suivra.

Puisqu'on en parle, justement, c'est un moment important aussi dans la carrière de ce dernier puisqu'avec ce film, il commence à travailler pour celui dont il prendra plus ou moins la suite. Remake d'un film de Sam Wood en 1923, adaptation d'une pièce Française, Bluebeard's eighth wife est aussi un script de Charles Brackett et Billy Wilder, et c'est le premier d'une longue lignée, dans laquelle suivront Midnight, Ninotchka et Ball of fire, puis bien sûr les propres films de Wilder. Tout ça pour dire qu'on est un peu face à un important passage de relais...

Dans un magasin de la Côte d'Azur, le richissime Américain Michael Brandon (Gary Cooper) vient faire un achat revendicatif: il souhaite en effet acheter une veste de pyjama sans pour autant s'encombrer d'un pantalon qu'il ne mettra de toute façon pas. Il y rencontre la belle Nicole de Loiselle (Claudette Colbert) qui vient justement acheter un pantalon de pyjama pour son papa, un noble désargenté. Le dit père, le Marquis de Loiselle (Edward Everett Horton), est justement en contact avec Brandon, dont il espère le soutien pour une invention. Brandon décide d'épouser la jeune femme, mais il commet deux erreurs: d'une part, il l'a choisie sans vraiment la consulter, ce qui n'est pas (trop) grave puisqu'elle s'avère consentante; mais surtout il a négligé de lui confesser qu'il avait déjà été marié... sept fois, et divorcé six: l'une de ses épouses est décédée. Du coup, Nicole décide de lui mener une vie infernale...

Tout film ressortissant de ce style qu'on appelle la screwball comedy est très dépendant de ses vedettes, et on peut se réjouir du fait que Gary Cooper et Claudette Colbert soient associés. L'actrice a même priorité sur l'acteur au générique, et les deux personnages, deux fortes têtes, sont à égalité. La satire du mariage, émaillée de saillies ironiques à l'égard de l'institution, est datée mais fonctionne toujours aussi bien grâce à la vivacité du script. Mais le film agit aussi en distillant un humour féroce et gonflé, qui multiplie les petits jeux de cache-cache avec le code de bonne conduite édicté par les ligues de décence... Bref, on le savait déjà, mais le film le confirme et promet des beaux jours: on ne peut pas museler Ernst Lubitsch.

Et celui-ci, qui tourne un film souvent pétillant, est à la fête avec cette histoire risquée de mari frustré, au régime affectif sec et qui fait des efforts surhumains pour essayer de conquérir son épouse. Une épouse acquise, mais qui a décidé de faire une affaire de principe de s'imposer à son mari sur ses propres termes... C'est sans doute cet aspect un peu abstrait qui gène les commentateurs du film, qui considèrent souvent le film comme un exercice plaisant mais mineur dans la carrière de Lubitsch. Le fait est qu'on ne s'y ennuie jamais, et que les nombreuses marques de la "touche Lubitsch" s'y succèdent comme à la parade: variations sur un même thème (le pyjama, qui sert à la fois de "petit caillou" en permettant à Brandon de reconnaître Loiselle au premier regard, mais qui sert aussi de cri de ralliement masculin, quand on voit par exemple le patron du magasin sortir de son lit sans pantalon pour répondre au téléphone, sans parler des nombreux quiproquos et "double-entendres" apportés par ces histoires de veste sans pantalon!), situations basées sur la hiérarchie, vieil héritage Berlinois, partagé entre le Berlinois Lubitsch et le Berlinois d'adoption Wilder (Quand un problème touche les sous-fifres du magasin, ils se rendent chez le vice-président, qui dans un plan muet décide illico... d'appeler le président! On retrouve cette montée ironique et fulgurante dans l'échelle sociale, dans le sketch tourné par Lubitsch pour l'anthologie If I had a million), raccourcis cinglants (quand Claudette Colbert échoue à entrer dans la maison de repos où est Michael, un institut tenu par un spécialiste des cas extrêmes et notamment des gens qui se prennent pour des animaux, le père va sonner, et quand l'infirmière l'entend aboyer elle le laisse entrer derechef!) et bien sûr gags essentiellement visuels (ici, une séquence nous montre Michael prendre en exemple les comportements décrits par Shakespeare dans The taming of the shrew, dans une séquence très drôle dont le seul mot sera d'ailleurs "Shakespeare")... Bref: tout y est!

Et l'univers de Lubitsch est en prolongement de celui qu'il  exploré depuis les années 20, avec un personnage secondaire de secrétaire timoré interprété par David Niven: non seulement il est excellent, mais il confirme cette tendance déjà explorée avec bonheur par le metteur en scène dans The marriage circle et dans One hour with you: quand un homme sent qu'il a un rival pour l'affection de sa femme, c'est déjà terrible. Mais si en plus c'est un minable, alors là rien ne va plus! 

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Billy Wilder Comédie Edward Everett Horton
6 août 2018 1 06 /08 /août /2018 18:32

« Ca fait quinze ans que je me passionne pour votre plan quinquennal », dit le comte d'Algout à Nina Karushova, dans une scène de flirt qui reste surtout célèbre par son dénouement : en effet, à la fin de la scène, le comte atteint son objectif,à savoir faire rire la belle bolchevik. Et comme c'est Greta Garbo, la MGM peut fièrement annoncer dans sa publicité : « Garbo rit ! »

Ninotchka est plus que jamais la rencontre de trois univers, qui chacun atteignent un pic avec le film: Lubitsch a eu des hauts et des bas dans les années 30, et cette fois le succès revient. Il a travaillé pour la deuxième fois avec Charles Brackett et Billy Wilder, et ceux-ci sont très à l'aise : il n'est pas difficile de retrouver l'univers du futur cinéaste de A foreign affair dans ce film, aux dialogues précis. Enfin, la star n'est plus Jeanette McDonald, ou Claudette Colbert, ou Marlene Dietrich, comme à la Paramount. Passé à la MGM, Lubitsch peut travailler avec Greta Garbo, l'énigmatique Suédoise qu'il connait bien pour avoir fréquenté les mêmes cercles d'émigrés de Hollywood qu'elle. Mais pouvait-on imaginer Garbo dans une comédie? A en croire l'insistance de la publicité maison pour le caractère spectaculaire de son rire, il est évident que non !

Et pourtant elle est à l'aise, et s'amuse beaucoup à énoncer d'un ton lugubre les dialogues étincelants, jouant la réaction froide et marmoréenne face à l'enthousiasme de séducteur de Melvyn Douglas : elle est excellente dans ce film... Rappelons l'intrigue : trois envoyés Moscovites sont à Paris à la fin des années 30 ; Buljakoff, Iranoff et Kopalski (Felix Brassart, Sig Ruman et Alexander Granach) doivent en effet négocier la vente de bijoux ayant appartenu à la Grande Duchesse Swana, de la famille Impériale Russe. La vente se passerait sans encombre si la Grande Duchesse en personne (Ina Claire) ne se trouvait à Paris... Et elle n'entend pas laisser passer l'occasion, sans doute pas de récupérer ses bijoux, mais au moins de faire un scandale. Afin de l'aider, elle fait appel au Comte d'Algout, son amant (Melvyn Douglas); de leur côté, les trois Russes reçoivent l'assistance de la rigoriste envoyée spéciale Nina Rakushova, dite Ninotchka (Greta Garbo): cette excellente communiste vient à Paris non seulement pour récupérer les bijoux, mais aussi pour s'assurer que ses trois « camarades » ne se laissent pas trop aller à la douceur de vivre typiquement Parisienne...

Le script est parfait, et permet à la verve de Brackett et Wilder de faire mouche de bout en bout : d'une part, et notamment dans la première demi-heure, l'installation des trois communistes à Paris, leurs discussions, entre nécessité de garder les principes soviétiques et l'attirance du luxe Parisien, sont savoureuses, et Lubitsch sait demander à ses acteurs de jouer comme une entité à trois têtes! La façon dont ils utilisent la dialectique révolutionnaire pour justifier une suite royale dans un palace, par exemple, est un cas d'école de la comédie. Ensuite, ils créent avec D'Algout un personnage formidable, qui oscille en permanence entre ironie et fascination pour le monde délirant du communisme à la Ninotchka ! Car s'il est un film anticommuniste paradoxal, c'est bien celui-ci: certes, l'idée y est de montrer en riant de bon cœur que l'attrait du capitalisme à la Parisienne est trop fort pour les idéaux socialistes, à plus forte raison quand on est confronté à la liberté et au glamour. Mais derrière la caricature, les scénaristes ne manquent pas une occasion de rappeler les circonstances et les injustices qui ont déclenché la révolution. Et la méchante dans le film reste la grande duchesse Swana, bien plus que le pourtant redoutable commissaire du peuple incarné par rien mois que Bela Lugosi lui-même...

Lubitsch s'amuse donc beaucoup, avec ce film qui partage non seulement le don inné du metteur en scène pour ancrer une idée sans la montrer, sa façon économique de planter les personnages et son sens fabuleux du gag visuel exercé entre précision et sobriété: à tous ces niveaux, c'est un sans faute... Mais le metteur en scène, depuis Angel, sait aussi mettre de la gravité dans ses œuvres, et si elle affleurera toujours beaucoup plus, disons dans Heaven can wait, des films comme The shop around the corner et Ninotchka possèdent aussi un sous-texte dramatique, aussi subtil soit-il; une scène nous rappelle qu'il y a des dangers plus menaçants que ces trois communistes perdus dans la douceur de vivre Parisienne: ne sachant pas qu'ils attendent une femme, les trois compères sont à la gare pour accueillir leur envoyé. Ils pensent l'avoir trouvé quand ils aperçoivent un voyageur brbu à la mine austère, mais se révisent après l'avoir vu faire le salut nazi...

Mais « Garbo rit », et nous aussi : Ninotchka reste une comédie, l'une des plus belles de toute la carrière de Ernst Lubitsch. La rencontre entre Garbo et le metteur en scène restera sans lendemain et l'actrice ne tournera plus qu'un film. Mais ce sera une comédie...

 

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Published by François Massarelli - dans Ernst Lubitsch Greta Garbo Billy Wilder Comédie
10 octobre 2016 1 10 /10 /octobre /2016 17:13

La boule de feu, autant le dire, c'est Barbara Stanwyck! Et avec cette histoire gentiment loufoque, on n'est pas très loin de Blanche-neige et les sept nains, mais la figure de prince charmant serait en fait un huitième nain... Je m'explique: dans cette histoire de Brackett et Wilder, les scénaristes qui étaient sur le point de lancer leur propre production pour la Paramount, un groupe de huit scientifiques, tous vieux et barbus sauf un, se sont lancés huit années auparavant dans la rédaction d'une encyclopédie définitive. Ils ne touchent pas encore au but et on sent bien poindre derrière certaines vieilles barbes, comme une certaine lassitude. Sauf chez le plus jeune, le professeur Bertram Potts (Gary Cooper): celui-ci s'est dédié corps et âmes à la langue anglaise, et ne voit pas ce qui pourrait empêcher leur tâche de s'accomplir! Mais il fait un jour un constat alarmant: ayant vécu à l'écart du monde toutes ces années, il se rend compte que sa connaissance de l'argot est limitée, et dépassée. Il se rend donc en quête de gens, pour assembler un panel de spécialistes. Parmi les perles rares, une jeune femme, la belle chanteuse Sugarpuss O'Shea (Barbara Stanwyck) le trouble d'autant plus qu'elle refuse de participer à ses recherches. Mais lorsque le petit ami de celle ci (Dana Andrews) est arrêté, elle est recherchée et doit se réfugier, pourquoi pas, dans la gentilhommière des professeurs, dont les sept plus vieux se réjouissent: elle leur rend la jeunesse... Bertram Potts tente vaillamment de résister...

C'est donc, quatre années après Bringing up baby, un retour de Hawks à la comédie et à sa critique railleuse de l'intellectualisme. Mais derrière le loufoque déballage d'obsédés en tout genre, mathématiques, biologie, langage ou histoire, il y a malgré tout une certaine tendresse qui s'affiche pour ces professeurs décalés, déphasés, qui sont tout à coup confrontés à une époque dont ils ne connaissent rien. Hawks, lui, la connait et on a droit à Gene Krupa et son big band, et à la conga, dont Stanwyck fait une rapide démonstration. Et puis il y a le monde du crime, et des dialogues marqués par un usage effréné de l'argot! Cela étant dit, sans faire la fine bouche, le film prend son temps, et ne laisse pas derrière lui la même dévastation loufoque de toute raison que Bringing up baby, et on est loin ici de l'abattage meurtrier de Twentieth century. le genre était en pleine mutation, et même si Gary Cooper est à son plus vulnérable et que les sept "crânes d'oeuf" sont adorables, Hawks, décidément, n'est pas Lubitsch. Donc on passera du bon temps, dans l'ensemble... Hawks aussi, puisque il "refera" le film avec A song is born en 1948, un film musical qui n'est pas souvent visible, et qui a assez mauvaise réputation. Quant à Wilder et Brackett, qu'on n'ait pas la moindre inquiétude pour eux, ils s'en sont très bien sortis...

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Published by François Massarelli - dans Comédie Howard Hawks Billy Wilder Barbara Stanwyck
22 avril 2016 5 22 /04 /avril /2016 18:56

Ce film a été réalisé avec le concours d'un groupe de jeunes et moins jeunes cinéastes, qui tous auront un avenir important dans le cinéma, notamment à Hollywood: le metteur en scène Robert Siodmak, et son frère Curt (Auteur de l'idée du film), Edgar G. Ulmer le co-réalisateur, Eugen Schüfftan le talentueux chef-opérateur révélé par Fritz Lang, et Billie (Futur Billy aux Etats-Unis) Wilder, le jeune journaliste qui assurait avoir participé au script, ou du moins à l'idée de départ, et dont des photographies assurent qu'il a bien participé au tournage, en qualité d'assistant et d'homme à tout faire, tout en multipliant les articles de journaux pour promouvoir le film. C'était une production indépendante d'un collectif qui s'intitulait Filmstudio, dont ce sera l'unique production, et si le film a été tourné en plein été 1929, il a été montré pour la première fois à Berlin en février 1930, alors que la révolution du parlant battait son plein. Mais il est resté, heureusement, muet, et n'a pas eu à subir de travestissement avec l'adjonction d'une post-synchronisation (Contrairement par exemple à Prix de beauté de Augusto Gennina, qui lui est strictement contemporain) qui en aurait sérieusement détourné le caractère.

J'ai à deux reprises parlé de "l'idée" plutôt que de l'intrigue, voire du script. car selon tous les témoignages, il a été improvisé, les acteurs faisant au jour le jour ce que leur demandaient les cinéastes. A l'origine de l'idée, il s'agissait de tourner une histoire située dans les environs de Berlin au début de l'été, un dimanche. On y verrait les jeunes gens dans leurs occupations de détente. Et bien sur, la caméra en profiterait pour capter la vie de la capitale Allemande sous un jour insouciant... Et c'est exactement ce qu'on a: imaginons un film qui serait comme le fameux Berlin: Die Sinfonie der Großstadt (1927) de Walter Ruttman, mais sous la forme d'une fiction.

Les acteurs du film, au nombre de cinq, sont tous des amateurs, recrutés pour leur photogénie. Aucun n'avait la moindre vraie expérience(Même si l'une d'entre eux était mannequin, et une autre figurante), mais ils font un travail remarquable. il s'agit de Wolfgang Von Walthershausen, Erwin Splettstosser, Christl Ehlers, Annie Schreyer et Brigitte Borchert. Cette dernière fait plus ou moins office de star du film... L'intrigue est simple: un samedi, Wolfgang rencontre Christl dans la rue, l'aborde et ils conviennent de se retrouver le lendemain pour une sortie au lac. Wolfgang demande à son ami Erwin de venir avec sa petite amie Annie. Le lendemain, Wolfgang et Erwin retrouvent comme convenu Christl, qui a amené sa meilleure amie Brigitte. Annie est en retard, et... le restera du début à la fin de la journée. Les autres, quant à eux, vont passer une après-midi baignade-pique-nique classique, sauf que deux d'entre eux vont, à un moment, disparaître discrètement dans les bois...

Clairement, ce film extrêmement maîtrisé est à la croisée des chemins. d'un côté, il reprend des éléments de la vague de films sociaux de la fin du muet, que ce soient ceux de Lamprecht, ou Pabst; il s'inspire du documentaire sous toutes ses fores: Ruttman vient à l'esprit, et l'influence en est évidente: la vision mi-objective, mi-amusée de ces Allemands en pleine délectation dominicale (Le film bifurque souvent de son intrigue principale pour nous régaler de ces portraits distanciés de vrais gens qui vivent leur vraie vie à côté des héros) est à mettre sur la même longueur d'ondes que le beau portrait de Berlin cité plus haut. On sent aussi l'influence Soviétique, le film citant ouvertement Eisenstein dans une parodie affectueuse du montage de Potemkine...

Et il se passe un de ces miracles dont le cinéma, il est vrai, n' a jamais été trop avare. La qualité exceptionnelle de la photo de Schüfftan, son oeil de peintre allié à la beauté de ces images captées sous un soleil complice font merveille. On se laisse complètement emporter dans le portrait tendre et un peu cruel aussi de ces vies de petites gens, dans la vie et l'insouciance aujourd'hui disparues de ces humains du dimanche. Et l'identification est immédiate, même si les coutumes, les modes de fonctionnement, ont bien sur changé, ce qui fait de ces fantômes et ombres sur l'écran des humains (Représentatifs selon un intertitre de "4 million d'Allemands"), est évident. Les cinq personnes sont, dans leur simplicité tranquille, leur manque de surjeu, leurs réactions aussi authentiques, parfaits pour un tel film, et plus on le voit, et plus on l'aime...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Billy Wilder 1929 Criterion **
16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 14:41

A la fin de sa vie, interrogé sur ses films, Wilder disait vouloir les serrer sur son coeur, tous sauf Buddy Buddy, qu'il souhaitait "essayer d'ignorer". De fait, le film est né de la conjonction de trois facteurs: le succès (Relatif) de la sortie de L'emmerdeur (1973), de Edouard Molinaro, d'après une pièce de Francis Veber, aux Etats-Unis; le fait que Diamond et Wilder sentaient l'envie de faire un film leur démanger, et le manque total de succès des deux derniers films de Wilder, qui l'avaient poussé à réviser ses ambitions, c'est-à-dire à accepter la première commande qui vienne. Donc, voici le film que vous aimerez haïr, sorte d'anti-chef d'oeuvre officiel, film mauvais auto-proclamé... C'est un peu court, on va essayer d'y voir clair, avant de dire adieu à Wilder, je pense qu'il faut le faire proprement...

 

Le script, signé de Wilder et Diamond, respecte la trame originale jusqu'à un certain point; dans cette nouvelle version, le tueur à gages Trabucco, qui doit finir un contrat (il a déjà tué deux de ses trois victimes programmées), se retrouve dans le même hotel que Victor Clooney, un médiocre employé de CBS (il est censeur) que sa femme sexuellement insatisfaite a quitté pour le flamboyant et charismatique Docteur Zuckerbrot, un sexologue proriétaire d'un clinique spécialisée dans le sexe, donc. Bien sur, Victor Clooney, suicidaire, va être l'épine dans le pied de Trabucco, et son propre problème va passer devant celui de Trabucco, qui va avoir toutes les peines du monde à exécuter son contrat.

 

Bien sur, le titre fait référence à la "camaraderie" forcée de Trabucco et Clooney, qui tient plus de la thématique obsessionnelle de Francis Veber que de l'apport de Wilder et Diamond, mais l'idée qui sauve partiellement le film, c'est bien sur celle de confier à Lemmon et Matthau les rôles qui leur vont plutôt bien. Par opposition au neurologue de l'histoire originale, le fait que le docteur Zuckerbrot soit un spécialiste du sexe éclaire le film d'une lueur peu glorieuse... Là ou les piques à la censure dans les films précédents de Wilder étaient généralement de savoureux sous-entendus et des actes de bravoure salutaires, cette idée, et les scènes se relatant à cette fameuse clinique du sexe sont plus embarrassantes qu'autre chose, et comme Wilder est Wilder il en a parsemé dans tout le film, avec un Klaus Kinski aussi insupportable que d'habitude dans le rôle du docteur. On rit, principalement  des aventures désastreuses de Trabucco et Clooney, et des personnages en particulier. Wilder reste Wilder lorsqu'il fait agir Lemmon en censeur, y compris dans les plus infimes détails de la vie quotidienne, lui dont le métier est de compter les gros mots et de raboter les scènes trop suggestives dans les fictions montrées sur CBS, il s'exclame, en voyant le pendentif en forme de pénis en érection du bon docteur (Quel gout exquis, mais passons): "Oh! that's the P-Word", un mot qui commence par P, pour Pénis. Mais Wilder, finalement, après avoir contribué à libérer l'écran, ne sait pas trop quoi faire de cette liberté, et elle pèse vite bien lourd.

 

Finalement, Clooney et Trabucco sont deux Américains que tout oppose, mais qui représentent bien le vide de la nation tel qu'il pouvait être ressenti en ces années pré-reaganiennes. La suite allait faire du vide des valeurs un cheval de bataille pour célébrer le culte de l'individu et de la réussite personnelle, avec les conséquences désatreuses que l'on sait, mais en attendant, Clooney et son incapacité sexuelle d'un coté, Trabucco et son obsession pour son objectif, qui fait de lui un tueur surdoué, sont un peu les deux facettes de l'Américain moyen: le trop plein de doute qui mène à l'abattoir, allusion à la contestation tous azimuths qui n'a mené nulle part, et l'absence totale de valeurs, trop encombrantes pour ne pas gêner l'efficacité. Wilder les voue tous deux à l'exil...

 

Voilà, il y a des restes quand même, en dépit de la sale réputation de ce film, et de ce qu'en ont dit non seulement Wilder, mais aussi ses acteurs. Si Lemmon s'est semble-t-il peu exprimé sur le film, Matthau et Kinski ne se sont pas privés, quoique Kinski ait surtout nié être dedans. Il reste soigné, plus soigné (et surtout moins prétentieux) que son prédecesseur, avec un scope de bon aloi, et une musique due à Lalo Schifrin, qui ne cache pas son gout pour l'auto-parodie... Il reste difficile à trouver, signe d'un film qui embarrasse même les ayant-droits, comme si la MGM (A moins que ce film ait été récupéré par Warner comme les autres films de la MGM d'avant 1982) avait elle aussi envie de passer ce film sous silence... le plus triste, c'est que ce film clairement médiocre va signer l'arrêt de la carrière de Diamond et Wilder. Dommage, mais j'en ai donc fini.

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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder Navets