Participant à l'effort de guerre, Clampett tape sur Hitler, et il tape dur. Il n'est pas le seul, puisque tout le studio de Leon Schlesinger, mais aussi Tex Avery à la MGM (Blitz Wolf), voire, ce qui est plus étonnant, Walt Disney dans son propre studio (Der Führer's face, de Jack Kinney) ne feront pas autre chose...
Hitler annonce à son peuple qu'il va personnellement aller a Moscou, et utiliser un bombardier pour tuer Staline... Mais les ''Gremlins du Kremlin'' veillent, et empêche l'affreux Adolf d'accomplir son oeuvre, en sabotant son avion...
Assagi quant à sa tendance à tout contester, qui rendait parfois ses flms de propagande totalement incohérents (ce que par définition, toute son oeuvre était de toute façon!), Clampett se concentre sur le grand n'importe quoi d'imaginer des petites créatures au design qu'on hésite à qualifier de "psychédélique", même si le terme est un pur anachronisme, dont la mission est de tout casser, méthodiquement. Et ils le font en musique... Témoin d'une époque troublée, un film qui nous montre, hum, le gentil visage de... Joseph Staline. Par contre, l'autre, qu'est-ce qu'il prend!
Clampett ne respectait rien, pas même la propagande; lui qui a osé, en plein effort de guerre, se moquer de la conscription (Draftee Daffy, en 1945), ne semblait pas atteint par l'esprit général, et se moquait de ce qu'il voulait, ce film le prouve... Bugs Bunny, dans une base de l'air force, lit le journal et y apprend des services de propagande nationale, que les "gremlins" travaillent dur au sabotage d'avions... Il en devient paranoïaque, et se retrouve dans un bombardier, en compagnie de gremlins qui le rendent fou...
Les gremlins, ici, ne sont qu'un gag, une sorte de lutin peu défini, qui ne sert qu'à une seule chose, provoquer le malaise de Bugs Bunny. Le film parle apparemment de rationnement, de méfiance aussi, en ces temps d'espionnage très dramatique (on est en plein effort pour commencer la guerre, en 1943, aux Etats-Unis), mais tout se passe comme si Clampett souhaitait, finalement, jeter le cartoon avec l'encre du bain!
Il en résulte un film extrême, dont le malaise du personnage principal (décidément, Clampett était sans doute le seul à vraiment maltraiter Bugs Bunny...) tend à déteindre sur nous, tant l'animation est avant-gardiste. Clampett s'assagira l'année suivante en créant une nouvelle forme de "Gremlins", ceux du Kremlin, qui rempliront vraiment leur office de propagande dans Russian Rhapsody, un film contemporain de la période étonnante durant laquelle les Etats-Unis de Roosevelt et la Russie de Staline ont travaillé ensemble à l'effort de guerre...
Un monsieur tout frêle, tout trenblant, nous explique, une hache à la main, que son épouse le force à l'irréparable: il doit sacrifier un canard... Daffy Duck échappe de peu au premier coup de hache, puis après, ça vire au grand n'importe quoi: une scène nous montre le canard fausant semblant d'avoir perdu la tête, puis courir dans tous les sens, en donnant un nouveau sens au mot exagération...
C'est une intrigue qui est réduite à l'essentiel, trouver un moyen de permettre au canard cinglé de faire ce qu'il a toujours préféré, à savoir se livrer à toutes les excentricités possibles et imaginables, avec bruit, fracas, et aggressivité... Le Daffy de Clampett, qui rappelons-le avait créé le personnage, est donc un pourvoyeur de chaos, un marchand de destruction, et ce film ne nous propose pas autre chose.
A noter, une fois Tex Avery parti, son disciple et ancien animateur ne se prive pas de lui prendre son idée de faire jouer un strip-tease (probablement rotoscopé) à un animal, en l'occurrence Daffy Duck lui-même. Et Daffy e permet aussi e tailler un costard au fameux "quatrième mur", en s'emportant, la deuxième fois qu'il se retrouve face au canon d'un fusil: "mais non, enfin! pas deux fois dans le même dessin animé!"
Quand certains dessins animés de la Warner n'ont pas de réalisateur crédité au générique, il y a de fortes chances qu'il s'agisse d'une transition... Celui-ci a été planifié par Tex Avery et entamé avant son départ, mais c'est Bob Clampett, qui reprenait son unité, qui en a assumé la fin de la supervision...
C'est de toute façon un excellent film: un huis clos simple, d'un genre qui reviendra non seulement à la Warner (à travers Sylvester et l'insupportable canari qui lui sert de bourreau), mais aussi à la MGM, en particulier dans Tom et Jerry! Un canari et un chat cohabitent, et la maîtresse impose au chat de laisser le canari tranquille. A chaque fois que le chat intervient, le canari appelle à l'aide en sifflant. Une dynamique propre à entraîner les gags...
Bien qu'il soit très cohérent (ce qui n'était absolument pas sa marque de fabrique), on est tenté de l'attribuer plus à Avery qu'à Clampett: le film est dénué de ces embardées d'animation ultra-délirante, pour se concentrer sur le gag et son effet, dans la précision du geste plutôt que dans son extrapolation...
Je l'ai déja dit, le plus immense animateur de l'histoire n'est pas Tex Avery, encore moins Walt Disney, qui n'a jamais été animateur. C'est (roulement de tambour) Bob Clampett!!
Hystérique, halluciné, tellement riche qu'on ne peut tout capter, son style explose dès le début des années 40. Coal black, c'est bien sur une version "noire" de Snow White, et la censure est-elle justifiée? Dans cette histoire ou tout personnage est noir, on parle l'argot de Harlem, fait référence au jazz, et à une certaine culture de vaudeville auto-référentielle (les comiques noirs de l'époque ne disaient pas autre chose, en fait)... On y voit surtout un intéressant noircissement de l'écran, alors que la plupart des films à succès alignaient les gens blancs en gommant toute minorité, ce film qui pousse la "négritude" jusqu'à l'absurde est bienvenu, surtout grâce à la vitalité dont il fait preuve.
Et puis marre: on peut voir des sketches entiers de ce facho de Bigard, on a droit à Eric Zemmour à la télévision, on nous concocte des lois anti-immigration pour stigamtiser les étrangers, on peut aujourd'hui voir, acheter, télécharger légalement TheBirth of a nation, film important oui, mais totalement raciste, mais on ne pourrait pas voir ce petit court qui utilise gentiment des stéréotypes pour faire rigoler? Ca m'irrite, quand même. Surtout que le film est soigné, et une intéressante comparaison avec Snow white and the Seven Dwarfs, le chef d'oeuvre de... David Hand.
Porky Pig se rend au fin fond de l'Afrique ("Darkest Africa!) pour y retrouver le dernier des dodos...
...et le trouve.
Déjà vu, donc, car ce film est un remake de Porky in Wackyland, un film en noir et blanc ce 1938, réalisé par Bob Clampett qui y montrait pour la première s conception complètement surréaliste et totalement frappée du cinéma. Pour voir ce que j'en pense, on se réfèrera à la critique de ce dernier film...
...Pour ce qui est de celui-ci, on s'interroge, notamment, comment on peut l'attribuer à Freleng, dans la mesure où en dehors de certaines attitudes du héros, et de changements mineurs, la seule différence majeure (outre l'arrivée de la couleur désormais généralisée) est la substitution des décors de l'original par des images sous la directe influence de Dali. La fin a été aussi redessinée de manière significative, et changée dans les faits.
Clampett absent (il a quitté le studio deux ou trois années avant), la tâche de superviser ce remake a donc incombé au vétéran Freleng, qui débouche sur un film probablement inutile, mais qui en soi, reprenant 80% du film initial à peu près fidèlement, est forcément totalement réjouissant. Et pour le reste, Freeleng n'est pas crédité à la réalisation... et Clampett non plus.
Encore un dessin animé WB censuré! Mais cette fois, comme avec Coal Black and the Sebben Dwarfssorti la même année, il est réalisé par Bob Clampett, un connaisseur des nuits de Harlem, puisqu'il trainait avec des jazzmen à chaque fois qu'il pouvait.
Ici, il s'amuse à montrer la dualité de la communauté Afro-Américaine, à travers deux officines sise côte à côte: la mission baptiste locale, et le bar louche. Un chat, caricature du grand pianiste et chanteur Fats waller, choisit la deuxième, mais l'ivresse le conduit dans un pays zinzin déja exploré par Clampett dans le cartoon Porky in Wackyland, et c'est tellement idiot que le chat en question va finir par retourner sa veste.
Le film est notable pour le fait qu'il agit un peu en chaînon manquant entre Porky in Wackyland, et son remake Dough for the do-do: alors que dans le film de 1938, Clampett et son équipe avaient imaginé un pays délirant et surréaliste, mais visuellement très cartoon, celui-ci transporte les même celluloids qui ont été utilisés par le premier film sur des fonds qui sont autant d'allusions à Dali. Une tendance qui se confirmera de manière spectaculaire sur le remake de 1948.
Les stéréotypes sont là, mais il y a aussi une sorte d'application, en particulier pour rendre hommage aux musiciens. On notera aussi Staline et Hitler, dans le passage délirant, qui nous rappellent que Tex Avery, à coté de Clampett, n'était qu'un amateur... Quant à la censure du court métrage, que la Warner refuse à l'heure actuelle de remettre dans le circuit, il ne m'appartient pas de me prononcer: le film montre une vision caricaturale de la communauté Afro-Américaine (en particulier à travers les aspects physiques des personnages, ainsi qu'un certain nombre de clichés culturels), tout en en reprenant affectueusement la culture notamment musicale.
Clampett n'est pas crédité au générique de ce film, qui survient deux ans après le précédent film dans lequel il a "dirigé" Bugs Bunny. D'autres metteurs en scène ont prolongé l'univers de Bugs, et Clampett n'est plus du tout motivé pour rester à la WB... Il la quittera très bientôt.
Au moment de la sortie du film, Bob McKimson a déjà repris l'unité de Clampett, et il est probable qu'on lui doit la finalisation du film. Mais ici, c'est la patte de Clampett qui prime et son animation une fois de plus partagée entre la rigueur de McKimson et la folie de Scribner. Pour son dernier film avec la star, Clampett imagine une intrigue folle: Elmer ayant jeté l'éponge et déchiré son contrat, Bugs Bunny décide de troubler le repos (West and wewaxation again) de son partenaire, en s'introduisant dans ses rêves doux et en les transformant en cauchemars. Et ce ne sera pas une surprise de voir que ceux-ci en disent long sur la vie intérieure effrayante du chasseur comme de son ennemi juré, tout en constatant un retour en arrière intéressant: Clampett cite ici les gags d'un autre film, le controversé All this and rabbit stew (De Tex Avery)...
A la fois coda inspirée et excellente introduction au monde fou furieux de Bob Clampett, ce film est probablement son chef d'oeuvre. Comme d'habitude, l'animation en est virtuose, mais aussi dérangée, inconfortable...
Bob Clampett a quitté son poste d'animateur sur les films de Tex Avery en 1937, pour devenir réalisateur à part entière. Il est resté au studio de Leon Schlesinger jusqu'à 1946, partant faire des films ailleurs, des films qui à mon sens n'ont pas grand intérêt. Par contre, les neuf années d'activité au service de la WB sont d'une richesse impressionnante, et nous sommes nombreux à le considérer comme le plus grand des réalisateurs de cartoon, devant les deux stars incontestées du genre, Chuck Jones (Dont la longévité reste impressionnante, dans un métier qui ne pardonne pas!) et Tex Avery (Adoubé par tant d'historiens de par le monde que plus personne ne semble remettre en doute son importance). Clampett était pour moi le meilleur, parce qu'il ne s'interdisait rien, n'avait donc aucune limite, et était sans doute parmi les réalisateurs de cartoon traditionnel celui qui était le plus éloigné de la philosophie Disney: à un Bambi qui tentait de reproduire la vie par l'animation (Mais... Pourquoi faire?), Clampett opposait en permanence un univers animé fou furieux et motivé par l'absurde, mal dégrossi, parfois agressivement différent, dans lequel les gags étaient parfois invisibles à l'oeil du spectateur (Il faut procéder à des arrêts sur image souvent si on veut profiter pleinement d'un film de Clampett!). Bref, un génie trop grand pour le médium, qui le lui a assez bien rendu.
Et ce génie a, comme tous ses copains de chez Schlesinger, "dirigé" Bugs Bunny... Et ce qui n'est pas banal, c'est qu'alors que de nombreux films de Clampett sont aujourd'hui totalement invisibles pour cause d'attitude politiquement-incorrecte aggravée (Le plus joyeusement navrant de ces exemples étant l'ineffable Coal Black and de Sebben Dwarfs de 1943, qui réactualise Snow White avec tous les clichés possibles et imaginables des Afro-Américains, assumés dans un maelstrom de mauvais goût impossible à visionner au premier degré), les 11 films dans lesquels il met en scène Bugs Bunny sont aujourd'hui disponibles sous une forme ou une autre via la belle collection de DVD et de Blu-rays parue chez Warner dans les années 2000-2010... On peut donc se pencher sur ces onze joyaux et découvrir sur pièces ce qui les différencie de l'univers habituel de Bugs Bunny, car oui, les autres réalisateurs ont joué le jeu et tenté de créer un personnage cohérent: Hardaway et Dalton ont créé le mythe du lapin et du chasseur dépassé par le comportement de l'animal, Avery a créé et raffiné le personnage d'Elmer, ainsi que le rythme particulier des films, tout en trouvant la phrase d'approche définitive ("What's up doc?"), Friz Freleng l'a utilisé comme prétexte à des défilés de losers magnifiques (D'Elmer à Daffy Duck en passant par Hiawatha et bien sur Yosemite Sam), Chuck Jones a joué sur tous les tableaux, par des extensions inattendues de l'univers de Bugs, ou des variations infinies sur la situation de base, et enfin Bob McKimson a tenté une fusion malhabile entre le personnage et une version plausible de notre monde. Clampett, lui, a exploré le reste: la folie de Bugs Bunny, sa méchanceté, ses défauts voire son côté obscur. Il l'a rendu plus humain que les autres en n'hésitant pas par exemple à le voir craquer devant l'hypothèse de sa propre mort (Bugs Bunny Gets the boid), perdre complètement la face devant l'inconnu (Falling hare), et le Bunny qui perd à cause d'une tortue (Tortoise wins by a hare) est autrement plus affecté chez Clampett que chez Tex Avery... Et si tout cela ne suffisait pas, Clampett a tout transgressé, en proposant le plus absurde des meta-Bugs Bunny, une spécialité de Chuck Jones, mais qui n'a jamais été aussi loin que Clampett dans l'admirable The Big Snooze, le (Comme par hasard) dernier des films du réalisateur pour la WB.
The old grey hare(1944) confronte donc Bugs Bunny une fois de plus à Elmer, mais cette fois avec une variation inattendue: les deux vont être amenés à voyager dans les époques: Elmer est transporté à l'an 2000 pour voir si enfin il va y triompher du lapin, et un vieux, très vieux Bugs lui rappelle leur jeune temps.
La pirouette vertigineuse permise par la situation, est la présence d'un album photo que le vieux Bugs montre au vieil Elmer : les images des deux bébés s'animent... Bien sûr, le résultat sera plus sadique et cruel que mignon, rassurez-vous. Les pires horreurs sont bien sûr les ignominies faites par le bébé Bunny au bébé Elmer...).
Un narrateur passe en revue divers aspects de la préparation des fermiers Américains face à une hypothétique attaque des forces de l'axe: le film accumule les gags visuels autour des possibilités, et oui, fatalement, il y aura un jeu de mots autour de la race de chiens Spitz, de l'avion Spitfire et du fait de cracher! C'est généralement idiot, facile, et assez loufoque.
C'est surtout impressionnant, de constater que Clampett, y compris en participant à l'effort de guerre, maintient bien vivant son mauvais esprit triomphal. Un film à la fois anecdotique et indispensable, donc.