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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 15:57

Un bateau explose dans un port Californien; à son bord, des cadavres de toutes nationalités, et selon toute vraisemblance il s'agirait d'un deal de drogue qui aurait particulièrement mal tourné. Sur la piste de Dean Keaton (Gabriel Byrne), un malfaiteur qui a été identifié sur les lieux avant que tout ne brûle, l'agent David Kujan (Chazz Palminteri) a sur les bras une affaire complexe, et un seul témoin viable: Roger "Verbal" Kint (Kevin Spacey), un obscur petit malfrat qui a été mêlé à une série de problèmes, et qui non seulement protège Keaton en le dédouanant dans son témoignage, mais surtout semble ne pas en dire beaucoup. Jusqu'à ce qu'un autre témoin ne se manifeste, un Hongrois qui a survécu à l'incendie, et qui a identifié sur les lieux le bandit le plus redoutable qui soit, le mystérieux Keyzer Söze. Kujan écoute Kint lui raconter une incroyable histoire de manipulation de cinq gangsters dans les griffes d'un homme que d'aucuns s'obstinent à identifier comme le diable...

Un: le film est un film noir, à l'ancienne (et déjà identifié comme tel à l'époque de sa sortie, au sein d'un genre qu'on qualifiait à l'époque de "néo-noir") dans lequel le metteur en scène et le monteur (qui est aussi le compositeur du film) se jouent allègrement de la chronologie et du spectateur. Chaque carte de l'édifice ajoute une nouvelle dimension à une histoire qui devient vite prenante et dont on se rendra vite compte qu'elle tient entièrement sur des témoignages: ceux qu'untel a entend de tel ou telle autre, qui n'est souvent plus là pour confirmer. Ou encore, l' ami agent du FBI (Gianni Esposito), qui parfois vient au téléphone pour expliquer comment la conversation avec plusieurs interprètes évolue, car avec un Hongrois qui ne parle pas Anglais, à plus forte raison grand brûlé sur un lit d'hôpital, ce n'est pas facile de converser...

Deux: tout est, en fait, histoire de point de vue. Entre un policier à qui on ne la fait pas (Palminteri, magistral) et un malfrat minable mais protégé par une relative bonne étoile (il a obtenu une quasi immunité qui sert bien ses intérêts), qui a raison? Celui qui est sur la piste de l'insaisissable Dean Keaton, le policier corrompu devenu malfrat avant de dire à qui veut l'entendre qu'il a décidé de changer, alors que ce ne serait que de la poudre aux yeux? Ou celui qui lui raconte comment, ayant vu Keaton en action puis l'ayant vu se faire tuer par le diable même, Keaton est finalement une victime? 

Trois: manipuler, le grand mot est là. Comme le dit Verbal, le plus grand tour de magie que le diable a réussi, c'est de persuader l'humanité qu'il n'existe pas. A travers cette histoire dans laquelle des malfaiteurs, un temps réunis presque comme par hasard dans une identification bidon (et hilarante) se retrouvent manipulés par un maître en la matière, Bryan Singer s'intéresse au mal, celui qu'on n'ose à peine nommer, celui qui vous enlève toute volonté, et dont les ramifications sont telles qu'on ne sortira jamais de son emprise.

Quatre: je ne reviens pas sur Keyser Söze, l'une des plus éblouissantes figures du mal qui soit. Singer a aussi réussi ses flics, et tous ses bandits, en particulier Keaton, mais aussi MacManus le dur cynique (le seul grand rôle de Stephen Baldwin), le petit malin Hockney (Kevin Pollak, totalement hors de son registre), et l'inattendu Benicio del Toro, avec d'incompréhensibles tics de langage, est lui aussi parfait. Le montage de ce film, dont les acteurs se rappellent d'un tournage sans queue ni tête (lors de l'identification, le mauvais esprit et les fous rires ne sont pas ceux des personnages, mais ceux des acteurs qui se moquaient ouvertement du film et de son metteur en scène, et la scène est devenue un classique), est un tour de force. Et même quand on en connaît tous les contours et tous les développements, le plaisir est toujours là: c'est le meilleur film de son auteur, sans problème. Et manifestement, au vu de sa carrière, ça le restera!

 

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Published by François Massarelli - dans Noir Bryan Singer
16 novembre 2018 5 16 /11 /novembre /2018 17:50

Nous suivons le parcours du groupe Anglais Queen, des prémices de la formation (le groupe auparavant appelé Smile et sa rencontre avec le jeune immigré Parsi Farrokh Bulsara, qui souhaitait tant qu'on l'appelle Freddie, puis nous assistons en trois actes à la montée en puissance phénoménale du groupe, puis à ses dissensions, luttes d'ego, puis un rabibochage avant un événement planétaire... Et durant tout ce temps, nous sommes confrontés à la quête identitaire de Freddie Mercury, l'un des chanteurs les plus emblématiques qui soient, mais qui pour son malheur, est né au mauvais moment sur bien des points: trop tôt pour assister enfin à l'acceptation par la société (partielle, il reste encore trop de cons partout) de la différence sexuelle; et surtout trop tôt pour pouvoir survivre plus longtemps à la découverte de sa maladie.

On va tout de suite évacuer les deux soucis relatés ça et là: oui, c'est vrai, la chronologie et les faits de l'histoire de Queen et Freddie Mercury ont été malmenés, je dirais même sciemment, par la production de ce film. Pour commencer, ou pour finir, le chanteur n'a pas été diagnostiqué avant Live aid, mais deux années plus tard. La chanson Killer Queen n'est pas sur le premier album du groupe. Ou ils n'ont pas joué Fat-Bottomed girls durant sa première tournée Américaine de 1974, et pour cause, la chanson ayant été écrite pour l'album Jazz de 1978. Et enfin, si le film nous donne l'impression que Brian May a apporté We will rock you en 1980, c'est faux, la chanson ouvrant en réalité l'album News of the world, en 1977.

Bon. Et alors? C'est un film, il a besoin de vous apporter une réalité virtuelle durant deux heures, et ma foi, ça marche... Ca marche aussi pour la plupart des acteurs. J'ai même tendance à dire que la plupart du temps, les trois-quarts de Queen sont totalement plausibles: le côté play-boy, mauvais garçon, androgyne mais ô combien viril de Roger Taylor (Ben Hardy), et surtout le brave Roger Deacon (Joseph Mazello), et le co-leader virtuel Brian May (Gwilym Lee) sont totalement crédibles. Le seul dont j'ai du mal à croire que c'est vraiment son personnage, je l'admets, c'est Rami Malek, mais c'est purement physique, donc on le suit quand même. La gestuelle, la pose, et d'une manière générale cette façon que Mercury avait d'habiter tout l'espace rien qu'en entrant dans un lieu, sont bluffants. 

Autre souci, et de taille semble-t-il, c'est le côté baroque de la production, depuis le rythme imprimé au jeu des acteurs, jusqu'aux événements choisis (de partie fine en orgie cocaïnée, en passant par des séances d'enregistrement souvent délirantes). Donc, ça disjoncte assez joyeusement, mais... C'est que premièrement, on parle de Queen; et de Freddie Mercury! et surtout, c'est un film de Bryan Singer. Ou presque: rattrapé par des problèmes de santé (c'est la version officielle, mais j'en ai une autre, plus salée), le réalisateur a cessé de venir sur le plateau, laissant la place à un autre (Dexter Fletcher), mais assuré de garder sa place au générique par son contrat. Mais c'est un film de Singer de A jusqu'à Z: depuis une reconstitution ludique des années Queen de 1970 à 1985 qui nous renvoient à ses exercices de recréation du passé dans la série des X-Men et dans Walkyrie, jusqu'à ce côté désinvolte de traiter les personnages, qui pourtant a toujours assez bien fonctionné dans la plupart de ses films. Le baroque, vous pouvez le croire, c'est l'univers du réalisateur de Superman returns et Usual suspects.

Et puis... je crois que cette fois, Singer, qui a beaucoup tiré sur la corde durant quinze années (parties fines et cocaïne, lui aussi, mais aussi et surtout les plaintes pour harcèlement, et autres trucs plus ou moins louches le visant dans l'ombre de l'affaire Spacey) et semble ici s'être choisi un point de vue à sa mesure: celui de Freddie Mercury! Il est évident que le metteur en scène, attiré par les excès d'une vie dans la puissance et le luxe, a clairement fait un processus d'identification, d'où un sentiment, parfois, que les autres membres de Queen sont un peu "à côté". Ils sont ici appréhendés selon le point de vue de Mercury.

Et musicalement, la reconstitution vaut vraiment la peine d'être vue. Le processus d'enregistrement d'un album comme un château de cartes a rarement été aussi bien représenté, à part peut-être dans le très beau film Love and Mercy. Et nous avons droit à quelques glorieux moments de joyeux délire, par des musiciens éminemment Anglais, qui se voient pour leur album A night at the opera, offrir une carte blanche, et en tirent un joyau... Dans lequel on trouve la perle des perles: la chanson qui donne son titre à l'album, et qui est sans doute la clé de ce qu'est Freddie Mercury: cette histoire d'homme qui s'est découvert criminel, et qui peine à le dire à sa mère, est un reflet assez fidèle de l'histoire qui nous est contée. 

Et pour finir, la reconstitution du concert mythique de juillet 2015 est hallucinante, jusque dans les moindres gestes des quatre musiciens. Un témoignage, une fois de plus, du pouvoir du cinéma pour créer ou recréer, aussi bien des moments d'histoire, que de l'émotion; alors: on ne fait pas la fine bouche, on enfile ses Ray-Ban, et on va tous voir le film qui nous permet de prolonger un peu le plaisir d'écouter Bohemian Rhapsody, sans pour autant nous imposer d'écouter Hot Space... Et on attend pour savoir si un jour, on aura de nouveau des nouvelles de Bryan Singer.

 

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Published by François Massarelli - dans Bryan Singer Musical
2 août 2018 4 02 /08 /août /2018 18:36

1944 : fatigué de servir un état national-socialiste dans lequel il ne se reconnaît pas politiquement, et dont les crimes l'épouvantent, le Colonel Claus Von Stauffenberg (Tom Cruise) souhaite participer à toute action de résistance qui permettrait de rétablir une Allemagne plus raisonnable. Il trouve un groupe de militaires et de politiciens qui partagent cette défiance face aux SS et aux Nazis, et bientôt, la conspiration prend de l'ampleur...

Pas la peine de se précipiter sur un livre d'histoire pour en savoir plus : cette conspiration parfaitement authentique a bien sûr échoué, et l'ensemble des conspirateurs ont été exécutés entre 1944 et 1945, pendant que les alliés avançaient. S'il joue occasionnellement la carte du suspense, toujours assisté de son excellent monteur John Ottman (l'homme qui a la réputation d'avoir «sauvé» le deuxième long métrage de Singer, The usual Suspects, avant sa sortie), il semble finalement plus s'intéresser à une reconstitution minutieuse, non de l'époque, mais du geste. C'est le même principe du reste que dans Days of the future past, l'un de ses films de la série X-men : recréer une époque à travers des décors, des événements et des costumes, afin de rendre le jeu des acteurs au plus près de l'idée qu'on se fait d'un moment historique. L'avantage de Walkyrie sur les films X-men est de disposer de décors authentiques, qui ont sans doute dû ajouter à la caractérisation...

Le jeu des acteurs est souvent bon, très digne, et confronté à une solide troupe d'acteurs Britanniques (Bill Nighy, Kenneth Branagh, par exemple), Singer semble se mettre au diapason de son interprétation, du moins dans ses deux premiers actes. Tout au plus se permet-il une scène spectaculaire : dans l'intimité du couple Stauffenberg (L'épouse est jouée par Carice Van Houten), l'idée de génie germe dans le cerveau de Tom Cruise par le biais d'un disque qu'il écoute, une interprétation de La chevauchée des Walkyries de Wagner.

Tom Cruise : parlons-en justement... S'il est méconnaissable en quadragénaire posé et déterminé, qui ne prend pas prétexte de n'importe quelle bêtise pour taper dans les meubles, le scientologue reste irritant dans la mesure ou il a été choisi comme étant l'âme du complot, et aussi parce que l'agenda des cinéastes et celui de l'intrigue finissent par se trouver en porte-à-faux : Stauffenberg s'est trompé, s'aveugle, et emporte tout le monde dans sa chute... Tout en restant un phare pour la résistance, du moins c'est ce qu'on dit au spectateur. C'est un peu léger, et une fois de plus il faudrait voir quelle part les élucubrations de L. Ron Hubbard ont joué dans l'élaboration du script...

Et pour finir, cette histoire de résistance est bien belle, mais on demande à en savoir un peu plus : tous ces gens, qu'ils soient des politiques, ou des mirlitaires, ils ont laissé faire, non ? A quel moment la situation devient-elle intenable ? Quand un politicien passe d'un soutien aveugle, à la résistance contre le nazisme, est-il absous de sa participation à des crimes ?

Même romancé, édulcoré, passé à la moulinette des bons sentiments de la Fox, il me semble que le Rommel (Desert Fox) de Henry Hathaway (1951) était plus honnête que ce film ambitieux, mais essentiellement... distrayant.

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Published by François Massarelli - dans Bryan Singer