En 1763, une jeune femme (Paulette Goddard) condamnée à mort choisit l'exil pour éviter l'échafaud. Elle est donc déportée aux Amériques, pour y être vendue comme esclave. Durant la traversée elle tombe entre les mains de l'odieux traître Garth (Howard Da Silva) mais secourue par le militaire Chris Holden (Gary Cooper): la lutte à mort entre les deux hommes pour la jolie immigrante a commencé...
Côté pile, ce film est du pur DeMille, qui obéit à tous les commandements du metteur en scène:
I: L'Histoire, tu simplifieras, en te débrouillant pour qu'on ait un camp du bien et un camp du mal. Les Indiens font partie du décor, il n'appartiendront ni à l'un ni à l'autre.
II: Haut en couleurs, le film sera: en Technicolor, si possible, et tous les costumes seront l'occasion de convoquer l'une ou l'autre des trois couleurs primaires. Ca fera joli avec le vert des forêts.
III: "Malédiction!" tu diras: Les dialogues seront crétins au possible.
IV: Ici tu te tiendras en t'enroulant dans ta cape: la composition de l'image n'a pas besoin d'être plus élaborée que celle d'un film de 1916.
V: Tes copains tu placeras: comme d'habitude on trouvera bien un rôle pour Julia Faye, Henry Wilcoxon, etc...
VI: Gary Cooper, en valeur tu mettras, car les foules viendront.
VII: L'ouverture du film, tu commenteras, car un film DeMille doit porter la marque du Professeur DeMille. Lyrique tu seras, y compris en parlant de Pittsburgh.
VIII: Un brin de sadisme réglementaire tu mobiliseras, car on veut du frisson. ...Les Indiens, peut-être?
IX: Paulette Goddard, en danger tu mettras. ...Les indiens, peut-être?
X: Paulette Goddard, dans la mesure du possible si on tient compte de la censure, deux ou trois fois tu déshabilleras.
Côté face, on a un film d'aventures qui ne tient évidemment pas debout, mais qui fait tout un tas de détours possibles pour amener ses héros (Goddard et Cooper, qui sont forcés de cohabiter avant quel'amour ne s'installe) d'un point à un autre. Et en chemin: Boris Karloff en chef Indien, du Technicolor rutilant, des rivières traîtresses, des montagnes grandioses, des rapides meurtriers, et des cascades inquiétantes, plus des Indiens qui effectuent le siège d'une garnison, et de multiples dangers pour la jeune femme. Le tout en courant dans le bois... C'est un genre à part entière, on l'appelle le "pré-western", et ma foi ça se laisser regarder... Quand on n'a pas un John Ford sous la main.
Tourné à Hawaii, avec ce qui aurait dû être une équipe réduite et un petit budget (mais ce sera tout le contraire), Four frightened people est dans son intention un petit film d'aventures... Qui dégénère sérieusement. Le film est adapté d'un roman oublié de E. Arnot Anderson, mais par certains côtés rappelle furieusement l'un des longs métrages de comédie les plus emblématiques de l'auteur: Male and female n'est jamais très loin. Mais malgré ce pedigree intéressant avec cette réminiscence de l'une des oeuvres les plus enthousiasmantes de DeMille, ce petit (78 minutes) film a été un échec cuisant.
Dommage, car je le répète, ça commençait bien: sur un bateau en partance vers les Etats-Unis, quatre Américains s'enfuient: ils savent que la peste est à bord, et souhaitent survivre. Ils débarquent, et tentent de gagner la civilisation, comme on disait à cette époque. Mrs Mardick (Mary Boland), une femme de la bonne société typique, est attendue chez elle pour donner une conférence sur le contrôle des naissances, une obsession personnelle. Elle ne se départit jamais, ni d'un certain sens pratique un peu décalé, ni d'un pékinois. Arnold Ainger (Herbert Marshall) est un chimiste, assez effacé, et au tempérament facilement cynique. Stewart Corder (William Gargan) est un reporter vedette, qui s'avère d'une impatience assez insupportable, en particulier auprès de celle qui le vénère: Judy Jones (Claudette Colbert) est une vieille fille, c'est à dire, en langage pré-code, une femme portant lunettes... Elle va subir à la fois la solidarité féminine encombrante de Mrs Mardick, et les sarcasmes des deux hommes de l'expédition, qui ne perdent pas une occasion de lui dire qu'elle n' a pas grand chose d'une femme... Avant une scène charnière, sur laquelle je reviendrai plus loin.
Parce que quand même, une fois admis que ce film est plus que politiquement incorrect (Indigènes tous plus primitifs les uns que les autres, discours vaguement eugéniste de Mrs Mardick, et autres fantasmes du film d'aventure classique, voyez les Tarzan pour ça), après tout c'est hautement distrayant. Dès le départ, qui installe rapidement l'intrigue en commençant après un ou deux plans d'exposition (et un montage dynamique) la fuite des passagers. Et on s'amuse beaucoup de voir ces quatre personnes qui n'ont rien à faire dans une jungle, chercher à survivre, et se chamailler pour un rien... Mais le parallèle avec Male and female s'effectue surtout vers la fin du film, quand Ainger et Corder ont enfin reconnu Judy comme une femme (voir plus bas), et se la disputent. Oh, sans véritablement se battre, rassurez-vous. Mais il y a ici un renversement de la situation du film initial, qui voyait deux femmes se disputer les faveurs, sur une île déserte, de celui qui était leur domestique à Londres. Mais en commun entre les deux films, on trouve le fait que l'île déserte devienne un révélateur de l'être profond de chacun des protagonistes. A ce sujet, la transformation de Claudette Colbert est un délice, rappelant l'importance de cette actrice qu'il ne faudrait pas oublier...
Et donc, la scène charnière qui va tout faire changer chez les personnages, est bien sûr... Une scène de douche, sous la cascade qui plus est. Judy s'est éloignée du camp, et les deux hommes la cherchent. quand ils la trouvent, elle est nue, et ça change tout entre eux. A partir de là, le film se pare d'un discours de plus en plus sérieux, et c'est bien dommage, il avait si bien commencé... Mais décidément, entre son utilisation inattendue du lait d'ânesse (The sign of the cross), sa petite habitude matinale d'aller taquiner la vague en oubliant de mettre un maillot (I cover the waterfront, James Cruze, 1933), il semble que Claudette Colbert prenait de mauvaises habitudes avant que le code de production n'y mette bon ordre.
Je le disais plus haut, DeMille considérait ce petit film comme un film de vacances... Mais c'est plus fort que lui, il lui a fallu aller le tourner en pleine jungle! du coup, les ennuis ont dû se succéder, Claudette Colbert a d'ailleurs fini le tournage par une appendicite royale, et les difficultés se ressentent parfois, dans le fait que la caméra reste quand même particulièrement statique. Pour couronner le tout, le film a été retaillé après l'arrivée du code de production, et les quinze minutes qui manquent n'ont pas été retrouvées.
Du coup, on est en droit de se demander: sachant que cette version censurée contient une scène de trois minutes impliquant Claudette Colbert, nue dans une cascade, secourue par un Herbert Marshall plus flamboyant que jamais, même en peau de léopard, mais qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir dans les scènes qui ont été rabotées? Du cannibalisme? une orgie d'indigènes gays? Henry Wilcoxon?
L'année 1934 a été comme on le dit souvent la dernière de ce qu'on appelle la période "pré-code", ainsi nommée parce qu'après cinq années de quasi liberté, les studios ont été priés avec une certaine insistance par un groupement d'associations surtout religieuses, d'observer à la lettre le code d'auto-censure qu'ils avaient tous accepté. Cette année 1934 a quand même vu la sortie de quelques brûlots, dont bien sûr The scarlet empress de Sternberg et ce film sont sans doute parmi les plus étonnants. Cleopatra n'était pas un film que Cecil B. DeMille avait forcément envie de faire, pas plus que The sign of the cross deux ans auparavant; mais là où son épopée biblico-salace avait été une occasion idéale pour le metteur en scène de faire la preuve qu'il était encore capable de faire venir les foules dans les salles, Cleopatra était supposé faire la preuve auprès de la Paramount qu'il ne fallait pas le foutre dehors, compte tenu du flop de son dernier film Four frightened people...
Claudette Colbert tourne donc pour la troisième et dernière fois avec le metteur en scène autocratique, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il l'a traitée avec des égards: car dans ce film qui mêle (de la même façon que la version de Mankiewicz sortie en 1963) les intrigues de palais avec la tragédie, Shakespeare en tête, la seule personne dotée d'un tant soit peu d'intelligence, est la reine d'Egypte.
Féministe?
Si on veut. Après tout, Claudette Colbert fait preuve de son génie politique, et d'une certaine façon de son génie tout court, dans une intrigue qui repose largement sur le sexe. Mais soyons clair: si Cléopâtre apparaît effectivement comme la plus intelligente personne dans le film, elle le doit sans doute autant à la crétinerie masculine qu'à son propre génie. Pour commencer, si j'admets que Warren William, en César, possède une certaine prestance, voire un petit peu de son charisme, que penser de Marc Antoine? Il est de coutume de présenter ce dernier comme un militaire borné, ennuyé par la politique, les intrigues et tout ce qui n'était pas une bataille. Mais entre cette image légendaire d'Antoine et l'acteur Henry Wilcoxon qui l'incarne, on a l'impression d'un concours de celui qui sera le plus idiot. Wilcoxon gagne, comme toujours. Je n'ai jamais compris pourquoi DeMille le choisissait parfois pour ses films. Il est atroce.
Kitsch?
Ca oui. Des décors art-déco de Hans Dreier aux costumes de Travis Banton, des scènes de préparation pré-coïtale ("Ma reine, je suis sûr que César adorera vous déshabiller avec les dents") aux dîners-réceptions à la Romaine qui ne demandent sans doute pas grand chose pour dégénérer en orgies, la seule chose qui manque à cette fiesta de mauvais goût est le bain de lait, mais la scène a déjà été tournée pour The sign of the cross!
Bref, si on peut se réjouir du fait que le metteur en scène a pu une nouvelle fois bénéficier du traitement royal de la Paramount (ce qui allait payer, puisque le film a très bien marché), et ainsi mettre particulièrement en valeur Claudette Colbert, il fait quand même dire qu'on est loin, très loin ici du grand DeMille. Tant pis...
J'ai déjà dit ici où la que la sincérité de Cecil B. DeMille mettant en scène un Jésus blond (The King of kings, 1927) à prendre au premier degré, ou un Moïse barbu descendant la montagne -The ten commandments, 1923 et 1956), ses tables de la loi sur l'épaule, ne saurait être mise en doute. Par contre, celle du même metteur en scène, organisant des orgies pour la Paramount en 1932, c'est une autre paire de manches...
D'ailleurs, c'est remarquable: quand l'ancien directeur général du studio, co-fondateur avec Jesse Lasky, rejoint la Paramount après huit ans de bouderie, il vient d'enchaîner échec sur échec avec son dernier muet pour Pathé (The Godless Girl, 1928), et ses trois premiers parlants pour MGM (Dynamite, 1929; Madam Satan, 1930; The squaw man, 1931). A l'heure où le cinéma parlant rebat les cartes et de façon cruelle pour les vétérans, non seulement on lui ouvre toutes grandes les portes qu'on a refermées sur Griffith et Stroheim, mais en prime on lui alloue un budget faramineux avec carte blanche pour les caprices.
Et pour raconter quoi? Il ne faut pas attendre longtemps pour reconnaître Quo Vadis derrière The sign of the Cross. Si ce n'est que le film commence au moment où Rome brûle... Néron (Charles Laughton avec un faux nez qui vous fera mal aux yeux) déclame sa poésie atroce, sur fond de flamme et de surimpressions dues à un grand nom, celui de Karl Strüss. Le ton est donné: une histoire grandiloquente, à côté de la plaque, et des techniciens à leur sommet. Le ridicule des mots, et le luxe des moyens... Sans oublier le baroque absolu de ce film, dans lequel on se livre à des excès que je détaille plus loin. Mais à la fin, pas avant...
Tout ça donc pour raconter une histoire de chrétiens pris dans les filets d'un système étatique sadique, dans les mains d'une populace qui n'aime rien tant que les massacres d'êtres humains dans l'arène, les combats de gladiateurs, et j'en passe. Mais Marcus (Fredric March), le préfet Romain zélé qui a rencontré la belle Mercia (Elissa Landi), va-t-il se convertir, où va-t-il garder jalousement la belle Chrétienne avec lui pour la noyer dans la débauche? Vous en connaissez la réponse: comme souvent, chez DeMille, les prêcheurs impénitents et fanatiques ont la peau dure, et Mercia est bien de cette trempe. Le film prend parti pour elle et sa troupe, mais assez mollement, et pour cause...
Car vous vous rappelez, quand il était question de cette populace sadique quelques lignes plus haut, je rappelais à quel point ils étaient friands de scènes sadiques. Oui, mais s'agit-il des Romains montrés dans le film (Telle cette famille qui a hâte de "sentir l'odeur du sang des Chrétiens"), ou du public de 1932 qui a fait un triomphe au film? Ceux-là savaient-ils qu'ils étaient caricaturés par avance dans le film?
...Savaient-ils que le film ne devrait sa notoriété qu'à ses excès, et absolument pas à ses qualités techniques? Car ne cherchez pas, le scénario de ce film est un tas de boue à faire fuir les cochons. Rien à voir. Ou plutôt si, justement:
Des forts-à-bras à demi-nus, qui poussent des charrettes en pleine rue, ou qui s'empoignent dans l'arène: des éphèbes nus qui attendent que tout ça se passe, aux pieds de Néron; une danse lascive et indicative du lesbianisme tel que les puritains de 1932 l'imaginent: des robes qui ne tiennent que par miracle; des amazones en peaux de bêtes qui combattent des pygmées (tous les acteurs de petite taille qui n'étaient pas sur Freaks, maquillés en noir), dont un se fait proprement décapiter; un chrétien exécuté en se faisant écraser la tête par un éléphant; le festin des félins; des crocodiles qui mangent de la jeune femme nue; un orang-outan qui s'amuse avec le plat de l'item précédent...
J'ai failli oublier: Claudette Colbert, à poil dans une piscine de lait d'ânesse.
Pour de vrai.
Donc si on cherche la source du soupçon selon lequel Cecil B. DeMille avait parfois le mauvais goût bien vivace, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'aller chercher plus loin. Mais on pourra toujours ajouter qu'il savait ce qu'il faisait: son but était de tout faire pour montrer son pouvoir sur le public, afin de retrouver la position de toute-puissance qui était la sienne avant la fâcherie avec la Paramount.
Deuxième film en Technicolor de DeMille, si on excepte bien sûr les inserts des films The ten commandments et The King of Kings, Reap the wild wind est une histoire de naufrage. ...De naufrageurs, plutôt, situé à Key West en 1840, il nous intéresse aux destins croisés de trois personnages, la belle Loxi Claiborne (Paulette Goddard), le brillant avocat de Charleston Stephen Tolliver (Ray Milland) et le taciturne capitaine de vaisseau Jack Stuart (John Wayne).
Ce dernier est le capitaine d'un bateau qui s'échoue sur les récifs au large de la Floride, suite à un sabotage mené de main de maître par les frères Cutler (Raymond Massey et Robert Preston), naufrageurs professionnels et aguerris. Secouru par l'impulsive Belle Sudiste Loxi, Stuart tombe amoureux d'elle, mais devra répondre de la responsabilité du naufrage auprès de ses autorités, et malgré l'intervention en sa faveur de Tolliver, qui est lui aussi amoureux de la belle Loxi, va tomber en disgrâce. Il planifie une vengeance hors du commun, qui passe par un naufrage volontaire...
C'est à la fois très simple et très compliqué, comme toujours avec ces films d'aventures de DeMille... On y retrouve une intrigue mélodramatique qui entremêle les personnages, poussés généralement à choisir entre le bien et le mal, et on sera sans doute surpris de savoir que Wayne (à peine trois ans après sa révélation tardive avec Stagecoach) est cette fois-ci tenté par le mauvais côté... J'y reviendrai plus loin. Mais là où l'intrigue se simplifie considérablement, c'est dans le fait que Paulette Goddard, tout comme Barbara Stanwyck dans Union Pacific, est tiraillée entre deux hommes, l'un du bon et l'autre du mauvais côté: simple, efficace, voilà un ressort qui fonctionne à plein temps!
Car il faut bien le dire, si les personnages eux s'enfoncent dans les profondeurs abyssales (Lors d'une scène de suspense plus que satisfaisante, et magnifié de surcroît par le Technicolor sub-maritime), le film n'est pas des plus profonds. C'est finalement la meilleure des choses que DeMille pouvait faire afin d'éviter de couler ses chances: ne pas les noyer dans des couches de sens qui n'auraient fait qu'alourdir la barque, et l'aurait immanquablement fait prendre l'eau. En lieu et place d'un film (Tel qu'on imagine Lang le faire) qui cherche à donner du sens à toutes ces épaves, DeMille assure le spectacle maximal, dans un technicolor qu'il maîtrise à la perfection, et ma foi, c'est bien tout ce qu'on demande: des scènes maritimes qui reposent sur des transparences très bien accomplies, du drame, de la traîtrise, des retournements de situation...
Et Duke dans tout ça? Je ne pense pas qu'il soit à l'aise, contrairement à Ray Milland. Il est vrai que ce dernier a le beau rôle, mais en 1942, Wayne n'avait pas encore rencontré sa part d'ombre: ce sont les rôles que lui donneront Hawks (Red River) et surtout Ford (The three Godfathers, The searchers surtout) qui lui permettront de donner une nouvelle dimension à ses personnages. Ici, il est un brave type plutôt lent, sympathique, et dont on a du mal à croire qu'il puisse tomber si bas. D'ailleurs, lui aussi. Par contre, DeMille a vu juste dans l'idée d'opposer Wayne à Milland: leur rivalité fait mouche, et débouche sur quelques bagarres d'un genre qu'on retrouvera souvent dans la carrière de Duke Wayne.
Pour bien apprécier ce film, qui n'a pas bonne presse auprès des spécialistes, je pense qu'il ne faut pas le traiter autrement que comme un merveilleux catalogue d'images, toutes plus fausses les unes que les autres. Après tout, il nous parle d'un monde disparu: le Sud de 1840... En belles images, faites pour être consommées au premier degré. A ce niveau, c'est une réussite.
The squaw man (1914) est sans doute loin d'être le meilleur film de son auteur, mais c'était le premier, d'où sans doute cet attachement à l'histoire: le metteur en scène l'a refait deux fois... La première fois, c'était en 1918 avec Elliott Dexter pour la Paramount. Peu de temps après le flop de The whispering chorus, DeMille s'était résolu à abandonner toute prétention, et à tourner des films faciles: comédies, mélodrames, et... remake. Le Squaw man de 1918 est perdu, à l'exception semble-t-il de sa dernière bobine.
En 1931, à la fin d'un court passage à la MGM suite à l'arrêt des activités de sa compagnie indépendante, DeMille se tourne une fois de plus vers cette histoire adaptée d'une pièce de théâtre, et réalise ce qui est sans doute l'un des pires films de sa carrière...
Il me faut une petite trentaine de mots pour établir ceci: un héritier d'une famille aristocratique Anglaise fuit un amour malheureux en endossant la responsabilité d'un scandale qui implique la mari de la femme qu'il aime, et il vient s'installer dans l'Ouest Américain... Il a fallu environ une trentaine de minutes à DeMille, qui en plus s'emmêle les pinceaux en nous montrant l'Angleterre: Warner Baxter et Eleanor Boardman, vraiment? Bon, j'admets que l'Anglais Roland Young a au moins l'accent adéquat, mais le simple fait de faire dire à des acteurs des "rather" et des "oh, really" toutes les vingt secondes ne va pas nous convaincre pour autant... ces trente minutes sont un calvaire...
...tout comme les 75 qui restent, durant lesquelles Baxter rencontre une jolie indienne avec laquelle il a un enfant, et le fait que ce soit Lupe Velez n'arrange pas les choses: on lui a donné du dialogue. Si on veut: on l'entend distinctement dire à Baxter: "Fire... Good". Dans la bouche du monstre de Boris Karloff, ça allait, mais là...
Bref.
Même avec J. Farrell McDonald, même tourné partiellement en Arizona, ce western est d'un ennui mortel.
Grand Œuvre de DeMille ou simplement passage obligé d’un showman chrétien? On ne résoudra pas cette question. Quoiqu’il en soit, c'est l’avant-dernier muet de son auteur, dont l’opus suivant contiendra des séquences parlantes - une page se tourne. Et elle se tourne de façon spectaculaire. Devenu un producteur-réalisateur indépendant mais puissant, DeMille est toujours plébiscité par le public; après ses Dix commandements, il avait eu une crise d’inspiration, qui avait notamment abouti au très saugrenu Road to yesterday. Après la crise d’inspiration, la crise de foi: The King of kings, en réponse à Ben Hur, a Tale of the Christ, allait être la vision DeMillienne des derniers jours du Christ, des derniers miracles à la résurrection, avec des acteurs de premier plan partout, du Technicolor, des décors et des costumes grandioses…
Ecrit avec l’inévitable Jeanie McPherson, monté avec des acteurs priés de s’investir dans leur rôle de façon spirituelle et créé par une équipe technique acquise à la sincérité du projet, ce film est un monument à plus d’un titre. Certes, nous sommes en pleine vision officielle, qui plus est approuvée par les instances W.A.S.P les plus fondamentalistes de l’époque, en dépit de quelques extravagances, généralement bien rigolotes (Marie Madeleine en courtisane richissime - en Technicolor!); comme souvent dans ce genre d'entreprise les Juifs ont le mauvais rôle, mais de nombreux intertitres (Tirés des évangiles) viennent rappeler qu'ils n’ont souhaité la crucifixion de Jésus que parce qu’ils étaient manipulés par de fins politiques... Ce qui du reste correspond à la deuxième version du film, sortie en janvier 1928 et amendée par une association qui souhaitait veiller au respect de la communauté Juive et à éviter d'éventuels incidents antisémites: de nombreux acteurs juifs ont répondu présent, en particulier Rudolph et Joseph Schildkraut (ce dernier un habitué des établissements DeMille-McPherson), qui jouent respectivement Caïphe, le grand prêtre du temple, et Judas, le « Disciple préféré » qui deviendra le traître que l’on sait. L’idée de le faire jouer par un acteur de premier plan, conjuguée à d’astucieuses ficelles de scénario, lui donne un poids peu commun, des motivations et une humanité qui sont sans prix: Judas trahit par dépit politique (Il se voyait déjà premier ministre d’un Jésus-roi) et va suivre le chemin de croix, et le remords va monter jusque au suicide; la corde, il l’a ramassée lorsque les romains ont délié Jésus pour lui faire porter sa croix… La scène de sa mort est traitée d'une façon spectaculaire.
Autre acteur dont il faudra bien parler, H.B. Warner joue Jésus : on est loin de ce à quoi devait ressembler un charpentier Palestinien, mais après tout, c’est vrai aussi pour Willem Dafoe. Warner, un alcoolique bon vivant, qu’on connaît pour tous ses rôles chez Capra, s’en sort plutôt bien, ayant surtout comme tâche d’incarner plus que de jouer. Il reprend les canons en vigueur, d'un Christ blond, au regard dans le vague. Sa performance a été saluée à l'époque: on n’en dira pas autant de Pierre, joué par Ernest "Steamboat Bill" Torrence, qui est bien meilleur en Captain Hook chez Brenon (Peter Pan, 1924)… Sa performance a d’ailleurs été rabotée sévèrement dans la version sortie en salles en 1928, afin de ramener le film en dessous de deux heures.
Le résultat final, absolument sincère, n’évite pas la pesanteur: le metteur en scène a choisi de rester à respectueuse distance, et de peu faire bouger sa caméra, comme avec Jeanne d’Arc (Joan the woman, 1916); de plus, cet excès de foi peut facilement rester sur l’estomac, mais il y a de vrais beaux moments, depuis l’utilisation qui nous rappelle The Whispering Chorus de multiples surimpression pour nous montrer les sept péchés capitaux quitter le corps de Marie Madeleine, à la mort de Jésus, le cadre explosant d’effets spéciaux pour nous montrer spectaculairement la colère de Dieu; la première vision de H. B. Warner est une trouvaille, puisque c’est par le point de vue subjectif d’un aveugle que Jésus nous est révélé: une façon de contourner l’interdit que s’étaient fixés toutes les personnes à avoir travaillé sur l’une ou l’autre des adaptations de Ben Hur (Théâtre ou film); dans The king of kings, avant la guérison de l’aveugle, vers la quinzième minute, on ne voit pas Jésus… La scène de la condamnation par Ponce Pilate est d’une grande efficacité, et totalement claire en dépit de la multiplication des points de vue… Les nombreux emprunts picturaux, décidément une habitude DeMillienne, atteignent ici leur apogée, notamment lors de la Cène ou de la Crucifixion.
Le film est loin d'être un échec, même si il est difficile de le voir sans ricaner ou grincer des dents lorsque l’on ne croit pas: Jésus, dans ce film, nous apparaît comme totalement indiscutable. Toutefois, le film emporte l'adhésion par la fluidité narrative (De la version longue en tout cas), par le besoin de creuser les motivations et les liens de cause à effet, par les rapprochements heureux: une scène durant laquelle les instances religieuses juives se déchaînent contre un Ponce Pilate trop enclin à libérer Jésus est immédiatement suivie d’une séquence durant laquelle les légionnaires romains rivalisent de sadisme (La couronne d’épines, bien sur) devant un Judas torturé par le remords et qui prie pour que Jésus s’en sorte. Cette inversion prouve que même DeMille sait freiner un peu ses penchants manichéens…
Pour répondre enfin à la question posée en exergue, il est confirmé que nous ne trancherons pas: les deux complices (Cecil et Jeanie) avaient déjà fait acte de foi dans le passé, c’est de nouveau le cas: le film est aussi sincère que l’était la morale bondieusante de ses Dix Commandements. Mais en emboîtant le pas à la MGM et à son Ben Hur, DeMille savait parfaitement ce qu’il faisait, et en a reçu beaucoup en retour, présentant en soirée de gala sa version de 160 minutes, puis coupant un peu (Trois scènes passent littéralement à la trappe, dont les doutes de Pierre) pour présenter une version de 112 minutes avec musique en boite pour l’exploitation en salles. Les deux sont disponibles chez Criterion dans un coffret impeccable, et le transfert de la version longue est magnifique. Les deux scènes en Technicolor sont fort bien rendues, ce qui est rare compte tenu de la volatilité du procédé en deux bandes, dont bien des films ont disparu. Et en décembre 2017, nous voyons arriver le film en Blu-ray chez Lobster, présentant une restauration des deux principales versions, l'une comme l'autre très impressionnantes.
Pour finir sur une petite note de curiosité inattendue, ce film est par ailleurs l'une des principales sources d'inspiration de Last Temptation of Christ, de Scorsese.
Revenir au western, pas une mauvaise idée: d'une part, contrairement à ce qui se passait au début des années 30, le genre a enfin réussi à redécoller, et le public marche. Et puis pour l'éternel showman qu'est DeMille, c'est une occasion de sortir tous ses atouts: histoire épique, décors grandioses, destins plus grands que nature, et gros sabots... Le tout mâtiné d'une influence certaine de John Ford, mais aussi d'un bon gros fond d'idéologie: la "destinée manifeste" souvent présente dans ses films, de Unconquered à ...The greatest show on earth.
Le destinée manifeste: c'est ce sentiment quasi-religieux qui naît dans l'Amérique entreprenante du 19e siècle, selon lequel les Etats-Unis auraient été créés justement pour s'étendre. Ce serait donc le destin de tout Américain de vouloir aller toujours plus loin vers l'ouest, et accomplir la mission divine. Bien sûr que c'est une vaste connerie, et bien sûr que ça justifie le vol des terres, les conflits territoriaux, et par dessus le marché le génocide des Amérindiens! Mais c'est aussi une sorte d'épiphénomène du progrès. Et ça n'a rien d'exclusivement Américain: le premier colonisateur venu qui a posé les pieds en Algérie ne pensait pas autrement.
Bref: un western, situé dans le cadre de la construction de la ligne de chemin de fer... La compagnie Union Pacific doit rejoindre la Central Pacific, l'une construisant l ligne depuis l'est, l'autre depuis l'Ouest. Le "général" Dodge, mandaté par Washington, est l'autorité bienveillante qui supervise la bonne marche des travaux, et il est assisté d'un homme droit et loyal, Jeff Butler (Joel McCrea). De son côté, le banquier Barrows qui a intérêt à ce que Union Pacific soit en retard, s'assure les services d'un bandit, Sic Campeau (Bryan Donlevy) assisté d'un 'gentleman de fortune, Dick Allen (Robert Preston). Leur mission est de tout faire pour retarder l'avancée du chantier. Mais d'une part Dick Allen et Jeff Butler sont amis. Et d'autre part ils vont vite tomber amoureux de la même femme, la jolie Irlandaise Mollie Monahan (Barbara Stanwyck).
Déjà, Stanwyck dans un western, on réserve sa place... Et si le film doit beaucoup (mais alors beaucoup) à The iron horse, et à son atmosphère épique, DeMille n'est pas Ford, et son sentimentalisme n'est pas de la même eau. Chez lui, c'est factice, et c'est évidemment l'aspect le plus irritant du film. Mais c'est aussi le seul, car si une fois de plus le showman n'a pas fait dans la dentelle, il faut bien avouer que ce Union Pacific de 135 minutes est un show; un western avec tout ce qu'on attend d'un western, à une époque où on redécouvrait le genre à la faveur des contours esquissés par John Ford avec Stagecoach. Bref: on s'amuse, on se distrait, et tout finit bien... Et c'est sans doute le meilleur film parlant de son auteur!
Geraldine Farrar avait été Carmen en 1915, puis Jeanne d'Arc dans l'imposante production Joan the Woman en 1916, DeMille avec ce film continue de lui attribuer un traitement de star, avec cette fois le rôle de la dernière princesse Aztèque... L'avantage des Aztèques, c'est qu'on ne sait finalement pas tant de choses que ça sur eux, si ce n'est que leur société était avancée, hiérarchisée, et pratiquait les sacrifices humains. Il n'en faut pas plus, et DeMille, une fois de plus, s'est lancé dans un film sur le sujet...
L'intrigue est simple: d'un côté, Cortez (Hobart Bowwsorth) et les conquistadors arrivent au Mexique, de l'autre Moctezuma (Raymond Hatton) et les Aztèques voient venir avec inquiétude les Espagnols. Mais la fille de Moctezuma, Tesca (Geraldine Farrar) va tomber amoureux d'Alvarado (Wallace Reid), un soldat valeureux de Cortez. Tout ça va se résoudre dans un sacrifice, celui de Tesca qui sacrifie son peuple entier à son amour...
DeMille faisait donc dans l'alternance: grosses productions, comédies, drames importants. Ce film a beaucoup d'avantages: c'est une relativement grosse production, il a été créé pour faire bouillir la marmite, il permet au metteur en scène d'exploiter la popularité certaine de sa star tout en plaçant ses pions habituels (Wallace Reid allait d'ailleurs lui aussi bénéficier du statut de star sous peu), les Hatton, Kosloff voire Julia Faye en esclave court vêtue. Ca et là, les choix du metteur en scène nous rappellent son efficacité: sa science de la lumière en particulier dans une séquence... Mais c'est rare dans ce film, car DeMille est en mode essentiellement économique. On recycle, on va vite, et surtout, on ne fait que peu d'efforts de dramaturgie et de composition; tant qu'à recycler, le réalisateur engage même Walter Long pour interpréter le prêtre obsédé du sacrifice humain, mais on a le sentiment qu'il passe son temps à rejouer son rôle de Birth of a nation. C'est un tout autre sacrifice.
En 1913, durant la guerre des Balkans, un officier Montenegrin est tué, mais l'officier qui a mené le camp opposé est capturé par ses hommes. C'est un noble Turc, Mammhud Hassan (House Peters), et il va connaître la situation de nombreux prisonniers de guerre capturés en bonne santé: afin d'aider ceux qui sont à l'arrière, il va être captif dans une ferme, où il remplacera un homme mort au front. Par hasard, il se retrouve donc placé dans une petite maison, à l'écart de tout, et se retrouve en compagnie de la famille de celui qui est mort: la belle et farouche Sonia, sa soeur (Blanche Sweet), et son petit frère. Ils vivotent, en élevant des chèvres, principalement... Et si au début Hassan est accueilli par Sonia comme un mal nécessaire (Elle ne s'approche de lui qu'avec une arme!), une relation tendre va peu à peu se dessiner entre eux... Mais la guerre, pendant ce temps, évolue, et les soldats Turcs se rapprochent...
On murmure que ce film, l'un des quinze premiers de DeMille réalisés sur à peu près une année, a surtout été motivé par la nécessité de réutiliser des costumes qui avaient déjà servi pour le projet précédent The Unafraid, déjà situé en Europe de l'Est... Et le script, du à l'équipe Jeanie McPherson-DeMille, a sans doute été pondu très rapidement. D'ailleurs, on imagine très bien que Griffith en aurait fait un film beaucoup plus court, par exemple, en deux bobines sans doute: il y a là une scène de maison en proie à une attaque par des hommes menaçants, des péripéties inavouables, et une femme en danger d'être abusée par un soldat en rut! Bien dans le style des films de court métrage de la Biograph, donc.
Mais le film ne manque pas de charme, oscillant souvent entre drame, suspense et comédie, et Blanche Sweet y est excellente. Même si pour sa part elle n'a pas manqué de se plaindre d'un tournage qu'elle a détesté, sous la direction d'un metteur en scène qu'elle n'a pas supporté! The Captive, conservé en d'excellentes conditions après avoir été perdu jusqu'aux années70, est un film typique de la première manière de DeMille: direct, composé avec simplicité, et linéaire, il permet de voir une histoire qui débouche comme d'autres sur une ode à la liberté et au bonheur, deux luxes à aller chercher ailleurs, tant ils semblent impossibles à trouver pour ces Monténégrins et Turcs, prisonniers d'un monde vieillot dans lequel on se bouscule... Même si le film ne se conclut pas par un plaidoyer en faveur de l'exil pour les USA, il ne fait aucun doute que nos héros ne trouveront pas à s'aimer tranquillement dans la vieille Europe.