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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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29 mai 2015 5 29 /05 /mai /2015 17:51

Mais qu'est-ce qui lui a pris? Pourquoi, après quelques années passées au pinacle du cinéma muet Américain, Cecil B DeMille a-t-il commis ce film, qui va inaugurer de façon spectaculaire une nouvelle carrière dédiée au mauvais goût? On peut remarquer plusieurs choses dans le contexte de la carrière du cinéaste, tout comme dans le contexte du Hollywood de 1922, qui permettent d'expliquer rationnellement, sinon d'excuser la sortie de ce long métrage. Tout d'abord, on constate que DeMille, y compris dans ses films les plus importants, n'a jamais hésité à avoir recours au pire, comme en témoignent les scènes-paraboles de Don't change your husband et de Male and female, ou le sujet même, particulièrement "risqué" de The Cheat. Ensuite, on sait qu'à partir de 1922, les réalisateurs et producteurs doivent respecter un code de conduite qui va les obliger à contourner de façon inventive les interdits en les subvertissant: ainsi le recours au prétexte moralisateur deviendra-t-il le principal moyen pour DeMille de montrer les turpitudes humaines en établissant un parallèle entre les moeurs de 1920 et les vices de l'antiquité, un sujet qu'il affectionnait comme chacun sait, et une tendance qui fera des petits: The sign of the cross et Cleopatra notamment, chacun en son genre, seront un festival de détournement à des fins salaces. Manslaughter n'est pas en reste, Thomas Meighan se détournant les yeux à plusieurs reprises pour nous donner à voir des réinterprétations bibliques (Danses lascives, nudités furtives, orgies avinées...) terrifiantes de ridicule.

Le problème néanmoins n'est pas dans le mauvais goût, il est plutôt dans la présence désormais envahissante de ce qui aurait pu n'être un sous-texte moralisateur acceptable, comme celui qu'on retrouve dans les longs métrages de Lloyd ou Fairbanks, et qui en fait devient l'apparente raison d'être de ses films: c'est dans le but de montrer les moeurs dissolues de la haute société bourgeoise, et de la stigmatiser aveuglément, de façon manichéenne, que DeMille a fait ce film; qu'importe qu'il soit ou non sincère: le résultat lui donne tort; afin de raconter son histoire (Un procureur amoureux d'une jeune femme riche et pervertie doit la condamner et la réformer malgré elle, puis doit récolter les fruits amers de son sacrifice), DeMille a considérablement allégé sa patte, l'a appauvrie, jetant aux oubliettes le style élégant et subtil qui fut le sien, la profondeur de champ, la science du cadrage, le jeu fin et retenu des acteurs; avec Manslaughter, on est devant un cinéma muet qui se caricature lui-même...

Il y a bien quelques moments intéressants: la façon dont la prison va humaniser Leatrice Joy, par exemple, est l'occasion de beau moments, comme les démonstrations de solidarité entre les détenues. Mais DeMille y reviendra avec autrement plus d'efficacité dans The Godless Girl, par exemple... L'ironie sous-jacente de la situation sauve un peu l'intrigue, mais le fait pas intertitres interposés. Où est la science du détail de DeMille, so utilisation intelligente du montage? 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille 1922 *
14 avril 2015 2 14 /04 /avril /2015 09:37

Au milieu du XIXe siècle, un capitaine Américain (William Boyd) reçoit la mission d'aller chercher du thé à convoyer vers les Etats-Unis, et du même coup va être amené à entrer en compétition avec un bateau Anglais: le Lord of the isles a été conçu précisément pour permettre à la reine Victoria (Julia Faye) de réaffirmer la souveraineté naturelle de l'empire britannique sur les eaux mondiales. En acceptant le défi, le capitaine prend un gros risque: son Yankee Clipper est de conception nouvelle, peut-il résister aux conditions difficiles dans lesquelles il va courir? Parallèlement, une jeune Anglaise (Elinor Fair) doit se marier avec un lord véreux (John Miljan), mais par une coïncidence malencontreuse les deux futurs époux se retrouvent coincés sur le Clipper, et le capitaine n'est pas indifférent à la jeune femme, d'autant qu'il sait que son promis est un moins-que-rien...

Deux beaux voiliers, une course amicale, un capitaine flamboyant, un enjeu sentimental, et bien sur une tempête: comment voulez-vous que ça échoue? Mais le doute est permis: on est en 1927, et l'heure est plutôt au film d'art qui rivalise de prouesses photographiques qu'au film d'aventures... Pourtant le film fait mouche, grâce à un refus de trop se prendre au sérieux. A la base, DeMille avait monté cette production pour en effectuer lui-même la réalisation, mais accaparé par d'autres projets (Nommément, The king of Kings, certainement son film le plus ambitieux jusqu'alors) a finalement choisi d'en livrer clés en mains la direction à un réalisateur chevronné sinon génial, ce brave Rupert Julian. Et celui-ci, débarrassant ses huit bobines de tous les excès qui en auraient fait un DeMille picture, se concentre sur l'essentiel: il tourne une dose raisonnable du film dans des conditions proches de l'histoire, donne à voir une Chine certes de pacotille, mais suffisamment crédible pour le coup, et joue sans exagérer la carte du mousse pittoresque (Jackie Coghlan, sur lequel l'ombre d'un autre Jackie passe parfois...), qui lui permet de dégonfler un peu la baudruche de capitaine interprété tous yeux bleus et toutes bouclettes dehors par Boyd. Le film acquiert de l'humour, garde toute son énergie, et la tempête promise vaut le détour! On attendait pas Julian aussi à l'aise sur ce terrain, même aussi à l'aise tout court, c'est donc une bonne surprise...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Cecil B. DeMille Rupert Julian *
30 décembre 2014 2 30 /12 /décembre /2014 10:24

Deuxième ou troisième film de DeMille (Les filmographies divergent à ce sujet), The Virginian avait beaucoup pour être un Squaw Man bis, avec les mêmes acteurs, les mêmes décors (Du moins en ce qui concerne les aspects Westerniens du premier film), et le même genre de source théâtrale; pourtant, la différence entre les deux est grande; d'une part, le metteur en scène sait désormais où il va et fait désormais du cinéma, sans avoir à tout inventer sur place pour retranscrire un pièce de théatre; d'autre part, le film est un western, le premier Western conscient de Cecil B. DeMille, alors que The Squaw Man était un mélodrame qui se déroulait dans l'ouest. Ici, Dustin Farnum est chez lui dans le Wyoming, et le folklore Westernien joue un rôle considérable.

L'intrigue, assez simple, repose sur deux conflits; d'une part, le "Virginien"(Dustin Farnum)est unCow Puncher, très apprécié de ses collègues et amis dans le Wyoming; son meilleur ami, Steve, est tenté par le banditisme. Lorsque Steve rejoint une bande de voleurs de bétail, le héros se doit de le punir avec les autres bandits et préside à sa pendaison. Sa petite amie, une institutrice fraîchement arrivée du Vermont, est déchirée entre son amour pour le héros et sa haine de la violence.

D'emblée, ce qui frappe dans ce nouveau film, c'est la décontraction de l'ensemble, mais aussi l'aspect transitoire du film: on est encore entre deux mondes, dans un style expérimental fascinant oscillant constamment entre archaïsme et nouveauté: Beaucoup de scènes sont tournées de façon théâtrale en un seul plan, mais le montage joue malgré tout un rôle dans l'identification des deux personnages principaux, ou encore pour construire ou raffermir une tension; la continuité, héritière des "tableaux" des films Edison ou Pathé, est par endroits un peu elliptique, ainsi lorsqu'on passe de l'arrivée de maîtresse d'école a la fête organisée en son honneur, sans que cela soit nécessaire. Par contre, ici ou là, la caméra s'approche, ou se laisse approcher (Réminiscence des Musketeers of Pig Alley(1912) de Griffith?), laissant la distorsion de l'espace souligner le suspense; si les plans de gare sont tous inspirés de la fameuse Arrivée d'un train en gare de La Ciotat des Frères Lumière, il est intéressant de souligner des plans de voyage en diligence filmés depuis l'habitacle du véhicule; enfin, tout en reproduisant le théâtre dans ses plans, DeMille cherche systématiquement des décors (Beaucoup d'extérieurs évidemment) qui élargissent le propos, et les place à bon escient; ainsi une poursuite se déroule-t-elle dans des prés, des forêts, des vallées, laissant le spectateur en profiter pleinement. Cette recherche de l'espace, cette excitation de la nature profite au film - et au western muet en général - et se marie bien avec la photographie solaire de Alvin Wyckoff, qui collaborera de nouveau avec DeMille; son travail est pour beaucoup dans l'impression naturaliste de l'ensemble.

Bien que DeMille emploie les mêmes acteurs, ils sont meilleurs que dans The Squaw man, comme si là aussi ils avaient pris conscience de n'être plus au théâtre, mais dans un autre médium; on est plus proche d'un certain naturalisme, à l'instar des productions Universal ou Ince de la même époque, dont la retenue du jeu est d'ailleurs souvent dictée par une volonté d'efficacité en même temps que pour échapper à la grandiloquence: a ce sujet, il faut revoir les Westerns Universal de John Ford avec Harry Carey, du moins les rares qui nous soient parvenus...

Quant à l'argument du film, il est plus intéressant, plus Westernien que celui du film précédent: du reste, si The Squaw Man contait l'arrivée d'un Européen dans l'ouest, celui-ci inverse le point de vue, et se place du coté des autochtones, qui voient arriver une institutrice. Le plus surprenant dans le film reste d'ailleurs l'impression que le conflit entre le progrès et la Frontière, qui sera à la base de très grands Westerns plus tardifs (Oxbow Incident, The man who shot Liberty Valance, les films de Peckinpah) est exposé, par le biais de l'institutrice et de son dilemme, puis remis à plus tard à la fin: Dustin Farnum la séduit dans la séquence finale. Mais les jalons sont posés: en ce monde idyllique(Les cowboys chevauchent, boivent, rigolent, font des farces de collégiens, etc), le problème de la violence est bien là: la scène de la pendaison est à ce titre exemplaire: dans un premier temps la violence tragique de l'acte est atténué par les fait que des bandits libres y assistent, cachés au loin. Le spectateur, qui les a vus peut plus facilement prendre parti pour les héros en dépit de la gêne que leur acte peut nous inspirer; mais une fois la pendaison effectuée, la vision fugitive de deux ombres de corps pendus nous renvoie à la réalité, tout

en continuant à la dissimuler. Une autre séquence nous procure un exemple de la volonté de l'équipe de faire du cinéma à tout prix: lors de la nuit qui précède la pendaison, les deux amis silencieux côtoient dans le même plan une surimpression témoignant de leur insouciance passée. Aussi crue soit-elle, elle anticipe des recherches qui culmineront avec The Whispering chorus 3 ans plus tard. On notera que le chef opérateur des deux films est le même. A qui faut-il attribuer cette idée, DeMille ou Wyckoff? Les paris sont ouverts, mais la présence de cette surimpression, des années avant la mode venue de Suède (Körkarlen, en 1921) est assez rare dans un film Américain de 1914, à plus forte raison un western.

Bref, ce film ne manque pas de qualités, tout en ne faisant pas plus de 55 minutes. Il témoigne de la vitalité de son metteur en scène, et de son équipe. Si The Squaw Man était une réussite, ce nouveau film va plus loin encore, et annonce beaucoup de feux d'artifices, aussi bien chez DeMille lui-même, que dans le cadre, alors en devenir, du Western.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet Western 1914 *
30 décembre 2014 2 30 /12 /décembre /2014 10:19

Voila un film étonnant à plus d'un titre; évidemment, DeMille s'est targué toute sa vie d'avoir fait avec ce film le premier long métrage du cinéma Américain. C'est faux, dans la mesure ou Kevin Brownlow a rappelé (Silents please, paru le 24 mars 2007 dans The Times) que la compagnie Kalem a sorti en 1910 une Vie de Moïse en 5 bobines, mais à raison d’une bobine par semaine. Quoi qu’il en soit, The Squaw Man reste une grande date. Pour un premier film de cette époque, sa durée et sa capacité à maintenir l'intérêt tout au long de ses 80 minutes sont remarquables, surtout avec un tel scénario:

Un Aristocrate Anglais accusé (A tort) d'un vol crapuleux fuit aux USA, protégeant du même coup son frère, le véritable voleur, dont  il est amoureux de l'épouse... Devenu ranchman, il épouse une jeune Indienne, qui lui donnera un fils. Celle-ci tue un homme pour protéger son mari, et lorsque le frère félon meurt, il prend le temps d'une ultime confession; Diana, sa veuve, arrive aux Etats-unis pour proposer au"Squaw man" de revenir, mais celui-ci pleure sa femme qui s'est suicidée... Le film finit assez brutalement, et on se doute que le héros restera aux Etats-Unis pour y finir ses jours.

La force de ce film est d'enchaîner les péripéties avec un incroyable aplomb, sans le moindre temps mort et avec une grande lisibilité, grâce à un scénario qui tient la route (la pièce originale était rodée, mais le film la transpose dans une multitude de décors: les Alpes, Londres, un port anonyme, l'ouest... Tout ça à Hollywood, bien sur), des acteurs qui sont plutôt sobres, et une caméra qui tient sa distance... Disons-le tout net, le DeMille de toujours est déja là, tout entier dans ce film et dans ce sens du cadrage simplissime mais idéal, sans forcer sur la profondeur de champ, en évitant les pièges de la composition théâtrale trop compassée (Contrairement à ses Dix commandements de 1956), et en prime, on sent dans ce petit film la joie de tourner en extérieurs et en Californie par dessus le marché. De plus, n'oublions pas que, non content d'avoir lancé la carrière imposante de son metteur en scène, The Squaw Man a contribué à établir la future Paramount...

Un doute demeure, malgré tout, puisque sont crédités deux réalisateurs, à savoir De Mille, dont c’était la première expérience de mise en scène, aussi bien cinématographique que théâtrale, et Oscar Apfel, l’un des acteurs qui lui a apporté assistance. Ce double crédit sera également au générique de The call of the North, le deuxième long métrage du metteur en scène, et Wilfred Buckland sera ainsi également crédité à la co-mise en scène de The rose of the Rancho en 1914.

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille Western 1914 *
30 décembre 2014 2 30 /12 /décembre /2014 09:51

Réalisé entre les expériences de The cheat et The golden chance d'une part, et les audaces formelles de The whispering chorus d'autre part, il est tentant d'attendre de grandes choses d'un tel film; en 1916, le très long métrage est dans l'air; à la suite des européens, et notamment des Italiens qui ont montré la voie (Quo vadis?, 1912; Cabiria, 1914) Griffith s'est, le premier, engouffré dans la brèche et en a largement récolté les fruits avec The Birth of a Nation (1915); en cette nouvelle année, le maestro travaille sur Intolerance, son rival Thomas Ince va sortir Civilisation; quant à DeMille, qui avait le premier dégainé son long métrage en 1914 avec The Squaw Man, il avait déjà rodé sa diva Geraldine Farrar sur un Carmen en 1915, il lui confie donc un rôle spectaculaire dans un Jeanne d'Arc scénarisé par l'inévitable Jeanie McPherson. A coté des deux films de ses concurrents précédemment cités, ouvertement pacifistes, la présence de ce Jeanne d'Arc, qui fait d'ailleurs une petite intrusion sur le front de 1916 peut paraître intrigante: l'Amérique de 1916 est non-interventionniste; créant un film spectaculaire à destination du public, l'accent mis par sa Jeanne sur l'action, l'hommage rendu aux belligérants Anglais restent étonnants... A moins qu'il n'y ait une explication "politique" toute simple... Sur laquelle nous reviendrons.

Geraldine Farrar, la première star de Cecil B. DeMille, était cantatrice avant d'interpréter quelques rôles auprès du metteur en scène; soucieux de publicité personnelle, le réalisateur avait à coeur de créditer convenablement ses acteurs, à plus forte raison s'il étaient déjà des vedettes, et il sera le premier à le faire, poussant Griffith à faire de même, à la demande des intéressés eux-mêmes. Farrar n'est pas un modèle de subtilité, et sa Jeanne est largement tributaire des traditions de jeu ampoulé des premiers temps du cinéma, d'autant que DeMille l'a souvent laissée faire.

La mise en scène est parfois décevante, confirmant le soupçon d'un DeMille faisant le choix soit d'expérimenter, soit de raconter des histoires à grande échelle, et cela explique la mise en scène simpliste et peu aventureuse de films ultérieurs comme ses Ten commandments de 1956, qui ne brillent pas par l'avant-gardisme. Comparé à Intolerance de la même année, les scènes "intimistes" de ce Joan sont parfois plates. Par contre, lors du siège d'Orléans, passage obligé, DeMille s'en sort avec un impressionnant panache, grâce à l'armée de figurants qu'il a mobilisés, et un montage assez serré; lors du procès, un passage délicat pour tous ceux qui ont vu et revu La passion de Jeanne d'Arc de Dreyer, il entame la scène par une vue d'ensemble de la salle d'audience, puis nous montre les juges par deux panoramiques sur leurs faces inquiétantes, qui souligne l'impression de Jeanne d'être soumise à un destin contraire. En revanche, il gâche tout en nous montrant celle-ci arriver encadrée de gardes géométriquement rangés à la façon des girls dans les films Pathé de 1905... Il nous gratifie de belles scènes plus tard, lorsqu'il souhaite souligner la duplicité des juges qui montent une fausse évasion pour mieux confondre la jeune femme et, heureusement, il réussit l'exécution, utilisant la fumée pour masquer/montrer Jeanne, et alterner suivant la tradition les plans de la suppliciée, les plans de la foule désormais acquise à la jeune femme, et les plans des gardes et des juges (Wallace Reid est en charge de la célèbre réplique, sur un intertitre: nous avons brûlé une sainte). La couleur y est aussi convoquée avec des plans dans lesquels les flammes sont colorées à la main...

Mais ce n'est pas la fin du film; encadrée par la vision des tranchées de 1916, l'histoire de Jeanne trouve un écho lorsque Geraldine Farrar, en robe blanche de sainte avec une armure, apparaît à un soldat Britannique à l'heure du sacrifice pour le pousser à commettre une action héroïque, afin d'être pardonné définitivement de la mort de Jeanne d'Arc. La séquence fait à nouveau appel à la couleur, avec une utilisation intelligente du virage et du teintage, lors des scènes de nuit. Mais ce final un peu ridicule n'a rien à envier à Intolerance, dont les dernières images sombrent dans l'imagerie la plus dégoulinante, mais le message reste plutôt remarquablement interventionniste. Sans doute s'agissait-il de rassurer le public Anglais, mis à mal par le film, tout comme les Français,qui lâchent Jeanne de façon assez brutale: une façon diplomatique pour DeMille d'assurer ses arrières, dans la mesure où il vise une exploitation en Europe. Et puis le film tente l'impossible: parler de la guerre de cent ans, de Jeanne d'Arc, sans s'aliéner le public Anglais, sans mettre à mal le public français. Il fallait l'oser... Tout ceci me semble être après tout une justification suffisante pour le prologue et l'épilogue. 

On s'en doute, il ne faut pas chercher ici la vérité historique, c'est plutôt la vignette qui intéresse le metteur en scène, le spectacle, le souffle. La simplification et l'altération de l'intrigue sont de mise, mais tout celle n'empêche pas les obsessions DeMilliennes d'apparaître, depuis le sacrifice du personnage principal (Une constante chez DeMille, de The Squaw Man aux Ten commandments) jusqu'à l'inévitable assimilation entre la débauche d'une classe et la tentation du mal, ainsi nous montre-t-on Charles VII, après avoir lâché Jeanne, qui s'adonne en sa cour à une crapuleuse orgie dont le metteur en scène avait décidément le secret, et qu'il resservirait à bien des occasions, notamment son Manslaughter (1922)... Quant au féminisme ou à la féminité affichée dans le titre, c'est tout simplement un moyen d'attirer les foules plus qu'un commentaire social; le personnage de Jeanne se trompe lourdement lorsqu'elle sauve le personnage (Fictif) de Trent (Wallace Reid) dont elle est amoureuse: celui-ci sera sa perte, son Judas. Mais elle nous est souvent soulignée comme avenante, séduisante (Dans la plus pure tradition de l'opéra, cantatrice de 1916 oblige), et bien sur elle est une tentation pour les plus avinés de tous les soudards. Donc on serait peu tenté de parler de féminisme ici...

Le plus drôle dans tout cela, c'est de penser que DeMille était probablement sincère, qu'il croyait dur comme fer en cette paysanne dont il avait trituré l'histoire de façon assez grossière, obtenant de la sorte un film certes ambitieux, mais qui manquera singulièrement son but: le film ne sera ni un flop, ni un succès, à l'instar des productions concurrentes. Le film de très long métrage attendra la décennie suivante pour fleurir, et DeMille reviendra à de type de spectacle en 1923. On peut d'ailleurs extrapoler, et émettre l'hypothèse de la sincérité du metteur en scène sur tous ses films, y compris les pires... En attendant, nous voici avec un bien étrange objet sur les bras, fascinant et encombrant à la fois... Mais crucial pour son personnage principal: c'est le premier long métrage d'une impressionnante série; c'est le dernier film "libre" (C'est-à-dire avant les obligations imposées par la canonisation et le passage du statut de personnage de légende à héroïne nationale pour les Français, surtout ceux des franges Catholiques les plus droitières) consacré au personnage, et c'est le seul à prendre suffisamment de libertés avec le personnage pour en faire, justement, une femme. D'où le titre. Et DeMille a quand même su utiliser certains motifs qui rappellent son talent: on notera une constante obsessionnelle de Cecil B., le feu qui devient,comment y échapper, le motif principal de toute la dernière bobine; envahissant l'écran lors de l'exécution, faisant littéralement disparaître Geraldine Farrar, puis autorisant un fondu magistral avec le présent, centré sur la flamme vacillante d'une bougie; enfin, l'explosion d'une bombe, promise dès le début du film dans le prologue 14-18, offre à cette histoire de flamme historique un point d'orgue approprié. De plus, le film a été tiré en couleurs, avec des teintes concurrentes, du plus bel effet. Et puis le chef-op Alvin Wyckoff fait des merveilles du début à la fin, comme toujours. DeMille et lui ont eu recours à leur péché mignon, dans une scène au sens obscur: les surimpressions, lorsque Jeanne est visitée par de fantomatiques juges en cagoule. Quel dommage que sur l'ensemble de ce film, DeMille ait manqué de l'inspiration géniale de The Golden Chance , même si les films sont de deux genres différents, ils concernent tous deux une femme parfois tiraillée entre sa conscience et sa mission. DeMille féministe? ...Voir plus haut pour mes doutes sur le sujet.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1916 *
12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 17:17

Les enjeux de ce film, en 1928, étaient de taille: après son impressionnant King of kings, mais à une époque ou le parlant menaçait plus que jamais les producteurs-réalisateurs indépendants dont DeMille était le plus visible représentant, il s'agissait pour lui de revenir à la peinture de l'époque contemporaine, en quelque sorte de reprendre le flambeau qui semblait être le sien à l'époque de The Cheat. La production, entamée sitôt le vaste projet biblique accompli, n'a pas débuté sous les meilleurs auspices: le film, sous le titre provisoire The Atheist, attirait déjà les foudres des anti-religieux, qui s'attendaient à une surdose de prêche de la part d'un réalisateur qui avait beaucoup versé dans ce domaine. Si le changement de titre laissait malgré tout le champ libre à ce genre d'inquiétudes (La fille sans Dieu), DeMille lui-même a vite rassuré les uns et les autres en clamant qu'il ne comptait en aucun cas faire un film religieux, mais un portrait sans concessions du système des centres de redressement Américains.

Le scénario, signé par l'inamovible Jeanie Mc Pherson et inspiré d'une série d'anecdotes mettant en scène des étudiants athées, concerne un groupe de lycéens Américains arrêtés lors d'une bagarre qui oppose des militants athées et des fanatiques religieux, sur leur campus, et rendus responsables du décès d'une jeune fille. Ils sont ensuite (Deux garçons et une fille) placés en centre de redressement, et accumulent les expériences malheureuses: privations, vexations, traitements inhumains, et tentative d'évasion malheureuse.

Pour parvenir à ses fins, le metteur en scène se documentera beaucoup, allant jusqu'à envoyer des espions dans ces centres, et en rapporter du vécu. Le résultat est non seulement conforme à ses dires, évitant dans l'ensemble le militantisme religieux, mais renvoyant sainement les extrémismes de tous poils dos à dos, et en prime le réalisateur en fait également son meilleur film (Pour autant qu'il me soit possible d'en juger), en effet: délaissant le style ampoulé et statique de ses productions précédentes, il utilise ici à merveille les ressources du cinéma de 1928, et tout dans ce film force l'admiration, depuis le scénario qui ne faillit qu'une fois, dans une ridicule scène de batifolage dans les foins avec scène de nu en flou artistique (On ne se refait pas), jusqu'au jeu des acteurs, en passant par la photo splendide de J. Peverell Marley, qui cadre au plus près des visages, et accumule les tours de force. Pour le reste, Demille fait une oeuvre salutaire: en cette fin des années 20, l'Amérique prend le temps de s'interroger sur la vitesse de la modernité de la société, et en plusieurs états à cette époque, le système des institutions pénitentiaires pour les jeunes était encore bien inadapté. On comptait notamment dans le Nebraska des prisons de ce type, où les grilles électrifiées et les molosses faisaient la moitié du travail... Avec ce film, DeMille fait un travail de dénonciation qu'il faut saluer, et il laisse parler une authentique indignation.

On se rappelle aussi du grand DeMille des années 1915/1918 grace à l'incroyable brutalité du film, qui s'est clairement fixé comme but de dénoncer un système jugé injuste par un film coup de poing. Le film accumule les morceaux de bravoure, et le fait très vite: la bagarre sur le campus est un tour de force, tourné au plus près des corps des jeunes acteurs, et est l'occasion de la première rupture de ton d'une oeuvre qui en compte beaucoup; le montage, le cadrage (Impliquant un système à la Seventh Heaven, avec une caméra montée sur un axe vertical qui suit les progressions des élèves -Et bientot leur mélange dans une rixe incroyable- dans les escaliers de l'établissement scolaire.); les échanges mémorables entre les deux amoureux, de part et d'autre d'une grille électrifiée, l'évasion de Bob, écoeuré par le traitement réservé à son camarade (DeMille a choisi d'accentuer la brutalité du gardien chef en filmant ses exactions de façon très fragmentée, suivant le point de vue d'un personnage qui, enfermé, ne peut tout voir) et bien sur l'incendie final qui va permettre à tous de réveler leur valeur: ce film accumule avec bonheur les très grands moments de cinéma. Le final lui permet aussi de céder à la tentation répandue (Voir Metropolis, Scaramouche ou Orphans of the storm à ce sujet) de la dénonciation des foules et de leur folie, lorsque les jeunes femmes emprisonnées se déchaînent durant l'incendie pour saboter les efforts des sauveteurs.

Le film n'aura hélas pas de succès , y compris dans une version parlante bricolée à l'insistance de Pathé (Qui distribuait) et obligera DeMille à abandonner son indépendance, et le poussera à une petite période de travail pour la MGM pour quelques-uns de ses pires films, dont Madame Satan, et un troisième Squaw Man, avant de retrouver le douillet berceau de sa Paramount, firme pour laquelle il filmera sans grande imagination jusqu'à la fin de ses jours.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1928 *
24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 17:58

Au beau milieu des années 20, un film Américain, qui plus est réalisé par DeMille, et qui présente les Bolcheviks sous un jour tolérant et raisonnable, tout en rappelant que les « russes blancs », les tsaristes avaient commis trop d’excès en matière d’infamie, justifiant ainsi la révolution Russe : c’est le Batelier de la Volga. Bien sur, d’une manière générale, le metteur en scène de ce mélodrame mouvementé tend à renvoyer les révolutionnaires et les amis de Nicolas II dos à dos, mais le film prend malgré tout le parti de montrer qu’un changement était nécessaire… Qu’on se rassure, la première intention de DeMille était de divertir, et cette fois il n’a pas failli.

Fédor, un batelier (William Boyd), jure de tout faire pour sortir son peuple de la ruine et de l’esclavage, et une fois la révolution venue, il envahit avec ses amis le château local afin de faire payer les nobles. Sommé par les siens de tuer une jeune aristocrate (Elinor Fair), il recule, étant tombé amoureux d’elle; il parvient à fuir en sa compagnie, et s’ensuivent maintes poursuites, d’un coté comme de l’autre, impliquant non seulement les deux héros mais aussi un jeune officier tsariste (Victor Varconi)et une paysanne (Julia Faye)vaguement amoureuse de Fédor, qui n’a de cesse, par jalousie de vouloir tuer la princesse. Autant d’ingrédients du mélodrame, qui sont pris aussi frontalement que possible; les péripéties sont enchaînées sans temps mort, et les choix de mise en scène sont d’une grande lisibilité : on est en plein cinéma populaire, sans génie, mais aussi sans prétention (Après l'insupportable et lourdingue The road to yesterday, ça s’imposait…). Le suspense propre au genre est très présent, malgré la faiblesse de certains acteurs (Varconi, importé d’Autriche, avait déjà été acteur chez Kertesz/Curtiz dans Sodome et Gommore et Le jeune Medard; on le retrouvera souvent chez DeMille.) et le rythme emporte l’adhésion. Certains efforts superflus débouchent sur des conséquences inattendues : DeMille a souhaité que les soldats tsaristes soient tous interprétés par des émigrés authentiques : on n’en demandait pas tant, surtout que l’ensemble du film est constamment invraisemblable. Mais le cinéaste a pu s’offrir une scène d’anthologie : la princesse, prise pour une paysanne, est dénudée par les soldats: on ne verra rien d’elle, seuls les visages des soldats, cadrés de plus en plus près, nous renseignent sur l’avancement de leur entreprise, qui est sans doute l'anecdote la plus proche du viol que se sera permise DeMille. Les visages, le montage, tout concourt à conférer à la séquence un suspense, ainsi qu’un inévitable sentiment fripon recherché par le vieux coquin qu’était ce bon Cecil… Ce déshabillage fait écho à une autre scène érotique, décidément l’un des forte de ce Puritain paradoxal: pour provoquer Fedor, la princesse Vera marque une croix sur son sein gauche afin de lui fournir une cible, ce qui va au contraire le décider à l’épargner.

En terme d’approximation, le film n’a rien à envier au Griffith de Orphans of the storm, mais le baroque permanent du film le rapprocherait plutôt du Rex Ingram de Scaramouche: les deux cinéastes partagent le même parti-pris pour la révolution, tout en se méfiant des foules révolutionnaires. Toutefois, celles de DeMille sont plus sympathiques, peuplées de ses vieux acteurs d’élection, notamment Julia Faye, qui doit son retour en grâce au renvoi de Jetta Goudal: Faye, après avoir joué des seconds rôles dans les comédies de 1917/1918, avait été rétrogradée en figurante et utilités diverses: ici, elle en fait des tonnes…

Bref, si on est loin des comédies de la grand époque, ce film d’aventures est très recommandable, et montre un juste milieu que DeMille n’a que rarement su atteindre en ces années 20 : de l’efficacité, quelques audaces, une certaine retenue, et surtout un refus de seprendre trop au sérieux, ce qui est trop souvent la grande maladie du cinéaste. Une dernière recommandation, toutefois : avant de voir ce film, il convient bien sur de laisser toutes ses connaissances historiques au vestiaire.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet 1926 *
20 août 2012 1 20 /08 /août /2012 09:42

Chef d'oeuvre officiel, ou pire film du monde? Ni l'un ni l'autre... DeMille joue sa dernière carte et revient à ses amours interlopes. Le film a une certaine classe, étant parfaitement assumé comme ce qu'il est: un objet suranné, dont la mise en scène vient en droite ligne du muet. Privé de son prétexte contemporain (Voir le film de 1923), ce nouveau Ten commandments assume pleinement ce qu'il est: un livre d'images, naïves et toutes dans la droite lignée de la vision de la bible d'un homme né un autre siècle. Un homme Américain, persuadé que son pays est le peuple élu, cela va sans dire... Esthétiquement, on aimera ou pas le film, mais les efforts paient: il est beau, glorieusement coloré, et fournit occasionnellemnt du plaisir cinématographique. Voilà...

Maintenant, qu'il me soit permis (façon de parler, j'écris ce que je veux) une remarque: ce type dont il est parfois question dans le film, un certain "Dieu", qui sélectionne les humains après les avoir soit-disant créés, qui se fait désirer et qui passe son temps à tester les uns et les autres... pas recommandable, si vous voulez mon avis. On peut rêver de meilleurs modèles, et il a l'air moralement douteux.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille
19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 09:07

Les années 20, pour Cecil B. DeMille, sont un peu une période de moindre importance, durant laquelle il abdiquera clairement son métier, son art proprement dit, afin de continuer à fournir le public en émotions fortes, sans essayer comme il le faisait dans la décennie précédente de créer de nouveaux moyens de raconter des histoires en images, et tout en respectant l’ébauche d’un code de production qui veillait aux bonnes moeurs. Deux films encadrent particulièrement cette période, en fournissant en plus un argument de poids à la fois à ses elles sont toutes deux monumentales, jusqu’à l’excès ou jusqu’au sublime, et dans les deux cas quelques barrières ou lignes rouges aient été franchies en matière de mauvais goût, le réalisateur s’est lancé dans l’entreprise tête baissée, sur de son bon droit, et totalement sincère.
Il s’agit bien sur des Dix Commandements et de The king of Kings(1927). 

On a coutume d’appeler ces Ten commandments de 1923 la « première version », en faisant référence bien sûr au film de quatre heures qui allait manquer de peu l’Oscar du meilleur film en 1956 et s’installer pour l’éternité sur la liste des films inévitablement diffusés à la télévision à Noël. Mais ces deux films ne sont pas que deux versions d’une même histoire; le premier des deux est une œuvre en deux parties, dont la référence biblique sert d’illustration à une démonstration, et baigne la deuxième partie située quant à elle de nos jours. Aidé une fois de plus par sa complice, la scénariste Jeanie McPherson, DeMille se situe de fait à la fois dans la lignée d’Intolerance (Mettre en parallèle deux histoires liées par un fil extrêmement ténu) ou de films à sketches plus rigoureux dans leur présentation, et ne mélangeant pas les époques (on pense bien sûr aux Pages arrachées du livre de Satan de Dreyer). D’autre part, il a déjà sacrifié plusieurs fois (Voir Male and female, Manslaughter) à la citation Biblique ou Antique censée éclairer les personnages, mais il ne s’agissait que de vignettes. Ici, le prologue Biblique prend son temps, durant 50 minutes… Il n'en reste pas moins qu'il domine le film!

Madame MacTavish, la maman de deux hommes très différents, leur raconte sans cesse l’histoire de Moïse et des dix commandements. John MacTavish (Richard Dix), simple charpentier,  prend ça avec bienveillance, partageant la religion de sa maman. Mais Dan, le petit frère turbulent (Rod La Roque) ironise volontiers, soucieux de passer à autre chose. Il possède une petite entreprise de bâtiment… La famille recueille une jeune femme, Mary (Leatrice Joy), dont bien vite John tombe amoureux. Il essaie de lui passer le message, mais elle n’a d’yeux que pour le séduisant Dan, et partage d’ailleurs avec lui un certain dédain pour la religion. Ils se marient, mais le bonheur est de courte durée : Dan, dont l’entreprise fonctionne bien,  la trompe avec une vamp pulpeuse et Asiatique (Nita Naldi) ; par ailleurs, alors que son frère est aussi loyal, moral et rigoureux, dan s’est laissé aller à accepter un ciment de mauvaise qualité afin de truquer ses comptes…

Commençons par une question naïve : pourquoi d’une part choisir l’histoire de Moïse, alors que de multiples détails de l’histoire « moderne » revendiquent une filiation somme toute naturelle, pour un film Américain, avec l’évangile (Le héros est charpentier, et les allusions à Jésus sont nombreuses)? Peut-être le recours à l’ancien testament donne-t-il de meilleures opportunités visuelles, notamment grâce à la possibilité de représenter des orgies, ce qu’on ne peut pas faire avec la vie de Jésus; On sait le goût de DeMille et McPherson pour ce genre de petite manie… C’est bien probable, mais en retour, cela donne au message du fil une portée plus violente, plus archaïque qui renforce les exagérations… L’histoire est assez simple, pour ne pas dire simpliste. Une partie de l’intrigue repose sur le choix par le mauvais frère (Il construit des maisons) de couper son ciment avec du sable ; on pourrait mesurer l’ironie qui consiste dans un tel film à insister sur le fait que mélanger les ingrédients ne rend pas l’édifice plus solide, et c’est bien là le problème du film, le manque de cohérence entre deux histoires artificiellement reliées entre elles saute en effet aux yeux et elles ne bénéficient pas du même effort de mise en scène: la première partie est traitée en images d’Epinal, avec de réels efforts d’embellissement : un éclairage splendide, notamment lors de la scène ou Pharaon découvre la mort de son fils, ou l’utilisation du technicolor sur 8 minutes ou encore l’inévitable scène de la mer rouge (bénéficiant de la couleur) ; d’autre part les moyens mis en oeuvres sont assez louables, compte tenu du gigantisme de la production… Mais quoi qu’il en soit, cela reste un coûteux prologue statique de 50 minutes dans lequel les acteurs jouent lourdement et en traitant l’espace comme une scène de théâtre en 1902. Le pire en ce domaine est probablement Theodore Roberts en Moïse.
La deuxième partie bénéficie d’efforts plus notables, tant il est vrai qu’il s’agit d’une histoire centrée sur un petit nombre de personnages liés par le même drame, mais DeMille se tire avec acharnement une balle dans le pied environ tous les quarts d’heures en nous montrant le héros, interprété par Richard Dix, répéter à qui veut l’entendre que les dix commandements, c’est bien, alors que le péché, c’est mal. Convoquer la pulpeuse (Et suprêmement ridicule) Nita Naldi pour incarner le péché, c’est par-dessus le marché dédouaner un peu les hommes qui seront tombés dans ses filets de toute responsabilité dans leurs actes… Quoiqu’on se réjouira d’une entrée en scène à prendre au deuxième degré, lorsqu’une main transperce de l’intérieur un sac posé sur un dock, et qu’une étrange silhouette en sort, voilée de noir… Sinon, oui, quelques scènes brillent par l’éclairage ou le sens du détail dans la mise en scène (La mort de la vamp en particulier rachèterait presque toute la deuxième partie, on se croirait revenu 4 ans en arrière) ou un mouvement de caméra notable (L’utilisation de l’ascenseur qui mène l’héroïne vers Richard Dix, décidément un saint, puisqu’il élève son âme-Ce mouvement me fait penser à The fountainhead, de Vidor). Deux acteurs ont droit à une scène à forte tension vers la fin du film : Rod la roque vient de tuer Nita Naldi, et sait qu’il a attrapé la lèpre. Le cheminement de sa conscience est joué par l’acteur, sans qu’un intertitre y fasse quoi que ce soit… Ensuite, lorsqu’il se réfugie chez sa femme, celle-ci le cache derrière elle dans son lit, alors que la police est là. Elle est magistrale, réussissant à combiner l’amertume de la trahison, le sens du devoir, la tension du risque d’être prise la main dans le sac, et le fait de craindre que le mari se fasse prendre, au cours d’une scène de cinq minutes. Mais pour le reste, dans ce qui reste un film soigné, avec un sens de la composition superbe, une photographie et des moyens incroyables, c’est un film qui souffre terriblement de toutes ses sales manies: prêcher, encore prêcher, accepter tout comme argent comptant, diviser le monde en deux, le bien et le mal… Et si on écoute tous les admirateurs du cinéaste et du film, et il y en a beaucoup, l’argument généralement avancé pour excuser les égarements est celui d’un cinéma archaïque, ancien, en développement. Ca ne tient pas : DeMille avait prouvé qu’il maîtrisait mieux le médium que dans ce film, qui possède aussi parfois quelques qualités, mais qui est écrasé sous les volontés éducatives des deux auteurs, et sous des intertitres qui pèsent des tonnes: il aurait fallu dire à DeMille que de tirer des intertitres de la Bible ne les rend ni indiscutables, ni historiques : ce travers, Griffith l’a partagé dans son Intolerance, mais je ne tenterai pas la comparaison ici.

Mais il faut penser qu’en 1923, Stroheim tournait ce qui allait devenir Greed, Ford commençait à travailler sur The iron horse, et Chaplin sortait A woman of Paris. La comparaison entre ces films et celui qui nous occupe est cruelle pour DeMille. Encore une fois, c’est parce qu’il y croyait dur comme fer qu’il encadrait se contes moraux douteux dans un emballage biblique. Il est dommage qu’il se soit embarqué plus avant dans cette voie après un Manslaughter plus que douteux, mais le public suivait. Pour conclure, on pourra au moins dire que l’objet filmique, aujourd’hui disponible en bonus de luxe dans un coffret délirant (Les six disques sont présentés dans une réplique en plastique des tables des dix commandements), mérite malgré tout encore et toujours qu’on se penche sur lui, qu’on le voie, et qu’on se fasse une idée. Le metteur en scène, qui a commis des chefs d’œuvre indiscutables dans les années 10, et qui allait encore réaliser un film extraordinaire en 1928 (The Godless Girl) mérite après tout qu’on lui laisse une chance. Et le fait que le film soit aujourd’hui visible dans de si belles copies représente au moins une chance de s’immerger dans le cinéma muet Américain, pour le meilleur ou pour le pire.

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille 1923 Technicolor **
12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 17:08

En 1952, ce film était pour la cérémonie des Academy awards en compétition avec, entre autres, High noon, de Zinnemann, et The quiet man, de ford. Un coup d'oeil, un seul, sur le film suffit à voir qu'il n'aurait pas du avoir une chance sur mille de gagner... Donc est-ce afin de récompenser deMille de sa longévité, est-ce parce qu'il avait grassement payé les membres de l'académie (Pure spéculation de mauvaise foi, ici, soyons franc), ou avait-il par quelque moyen réussi à les hypnotiser tous? en tout cas, le vétéran, fondateur en 1913 de la Paramount aux cotés de Jesse Lasky, a finalement obtenu ce qu'il désirait, une reconnaissance tangible, sous la forme d'une statuette. Meilleur que le précédent film de DeMille, le kitschissime Samson & Delilah, The greatest show on earth est, c'est vrai, sans doute l'un des meilleurs films parlants de son réalisateur, ce qui n'est pas si difficile... Mais si pour une fois le showman a choisi de rester dans une histoire contemporaine au lieu de s'intéresser aux périodes fondatrices de l'Amérique, voire à l'antiquité, il a fait un film bien dans sa manière, et qui revêt aussi une dimension vaguement autobiographique...

 

Le cirque monumental dirigé par Brad Braden (Charlton Heston) part en tournée, fort d'une vedette de poids pour sa nouvelle saison: le grand Sebastian (Cornel Wilde), un acrobate Français génial mais généralement considéré comme unse source de problèmes en raison de son insupportable tendance à séduire toutes les filles... Sa venue va créer des ennuis pour Holly (Betty Hutton), la star du trapèze. Les troubles vont venir ausi de la jalousie de Klaus (Lyle Bettger), le meneur d'éléphants, amoureux sans retour de la jolie Angel (Gloria Grahame); un groupe de malfrats tournant autour du cirque pour commettre des escroqueries vont également provoquer quelques malheurs, et enfin, le clown Buttons (James Stewart), qui ne se démaquille jamais, semble cacher un secret bien lourd à porter...

 

Si on fait la somme des dafauts du film, on en viendra inévitablement à mettre en cause sa structure particulièrement légère: l'intrigue, en effet, ne tient qu'à un fil, celui du spectacle. DeMille a organisé son film comme une représentation de cirque, en alternant les numéros. De plus, on assiste à une accumulation de scènes vaguement cousues entre elles, avec une progression très convenue. Mais on a la chance d'avoir un certain naturel dans l'interprétation (James Stewart, Charlton Heston, et Gloria Grahame, en particulier, maintiennent la barre assez haut.), ce qui nous change des vieux cabots habituels (Tous présents dans le film, ou on reconnait Henry Wilcoxon et Julia Faye, qui à cette époque travaille depuis 35 ans pour DeMille...). Et puis, de toute évidence, dans le personnage de Brad Braden, qui me fait d'ailleurs beaucoup penser au Warner Baxter de 42nd street, il y a beaucoup de DeMille lui-même: showman des pieds à la tête, dévoué au cirque au point de prendre des risques en engageant le pire séducteur du métier parce qu'il apportera du public.

 

Le public, d'ailleurs, est aussi très présent, et on sent que les figurants qui le composent ont été à demi dirigés, afin de préserver un semblant de naturel. la présence de vrais acrobates complétée d'acteurs désireux de se mouiller rend le spectacle assez tangible (Betty Hutton, par exemple, semble bien faire une large part de ses numéros seule), mais le tout est aussi agrémenté de nombreux passages de fascination pour le cirque, accompagnés de numéros musicaux qui alourdissent considérablement le tout. Quoi qu'il en soit, le film reste un témoignage fascinant du cirque DeMillien, avec ses passages obligés, ses bons et moins bons moments, ses facilités et ses forces , et au-delà du mélodrame ahurissant (Un patron de cirque au milieu d'un train accidenté, soigné par un clown assisté du flic qui va lui passer les menottes quelques heures après, dont l'infirmière est une acrobate en costume!!), on sait que le véritable fin mot de l'hitoire pour le showman DeMille, ce n'est même pas "the show must go on", mais bien "The show will go on".

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Published by Francois Massarelli - dans Cecil B. DeMille