Dans un film qui anticipe en de nombreux endroits sur le classiqueThe music box(James Parrott, 1932), avec Laurel & Hardy, Chaplin et Mack Swain sont des livreurs de piano qui ont deux missions: aller chercher un piano chez deux personnes qui n'ont pas les moyens de le garder, et en amener un neuf chez une personne qui vient de l'acheter. Ils vivent tous deux dans la même rue, et c'est bien entendu propice à la confusion... Surtout quand l'un vit au 666, et l'autre au 999.
L'essentiel, ici, c'est Chaplin: sa gestuelle, et le ballet incessant de ses efforts les plus délirants pour remplir sa mission. La précision du geste, alliée à la sûreté de la direction, tout concourt à faire d'un film basique et burlesque un modèle de concision et de préciosité. Si on ajoute le fait que le film a été tourné pour une large part dans la rue, on se retrouve face à une impressionnante capsule temporelle. La qualité d'image des restaurations Lobster nous permet, cerise sur le gâteau, de reconnaître dans le rôle du marchand de pianos le propre frère du réalisateur du film de Laurel & Hardy de 1932, Charles Parrott dit Charley Chase. Le monde est petit.
Venue assister aux courses de voitures, une jeune femme (Mabel Normand) doit faire avec la rivalité de deux moustachus (Chester Conklin et Mack Swain). Lorsqu'un troisième larron (Chaplin) plus malotru que les deux autres arrive pour compliquer les choses, la lutte devient serrée.
Cette comédie est finalement très partagée: elle ressemble à s'y méprendre à une concession faite par Chaplin à Sennett, avec son tournage vite fait sur les lieux d'un événement public, et ses intrigues basées peu ou prou sur la drague. Mais Chaplin a manifestement un script, des personnages précis, et ça sent moins l'improvisation que les exercices habituels. Sinon, bien sur, après avoir commencé à développer les cotés plus humains de son personnage (surtout dansThe new janitor), on est de retour à l'odieux personnage que jouait souvent Chaplin chez Karno, opportuniste et grossier. Ca se regarde vite, et... ça s'oublie encore plus rapidement.
Généralement bien vu, ce film en deux bobines, donc particulièrement ambitieux, est une façon intéressante de faire le point sur les progrès de Chaplin en cette année 1914: il y interprète l'un des boulangers d'un établissement, à la fois boutique et salon de thé. Le lieu, ou plutôt les lieux, sont définis, et servent à rythmer le film, qui déroule un montage impeccable, à la lisibilité accrue par des choix définitifs d'angle de caméra. Chaplin y est encore un employé zélé, mais pas modèle, la tentation de se distinguer passant par une tendance innée à la rébellion du geste. La rivalité avec l'autre boulanger, joué une fois de plus par Chester Conklin, agit en provocation constante à l'agressivité, mais on sent les personnages plus posés: ils ont, après tout, un métier, et donc des tâches à accomplir. Le décor, maintenant, ne sert plus de prétexte, il entre en compte dans la comédie même; voilà une autre conséquence deThe new janitor.
La dynamite dont il est question tient au fait que d'une part, des boulangers en grève, frustrés par leurs patrons, vont vouloir se venger, et le film suit logiquement le cheminement de la mise en scène: c'est sur le décor qu'il vont se venger, par sur les gens... ne cherchons pas trop loin, le film n'est pas aussi revendicatif qu'un Sadoul voulait le dire, et on n'est en pleine agitation que parce que c'est un ingrédient intéressant pour l'histoire... Curieux film, qui ressemble souvent à du Sennett, mais dont l'architecture globale est du Chaplin pur, et qui restera, voir à ce sujet l'importance des lieux, mentionnés dans les titres comme une sorte de code générique, dans la plupart des films Essanay et Mutual:The bank,Easy Street,The rink,The Pawnshop, etc... Et en 1936, Modern times combinera de nouveau Chaplin et Conklin, travaillant ensemble à l'écart d'une grève qui ne les concernera que peu...
Revenu après la tentation deThe new janitorà des préoccupations plus terre-à-terre, Chaplin retourne au style de ses premiers films, pour un duo avec Chester Conklin, un complice qui reviendra jusqu'en 1940. Ici, ils sont rivaux en amour, mais avec toutes les femmes de la terre: il les leur faut toutes... Amusant, et on sent la mainmise de Chaplin de plus en plus ferme, mais bon, il faut reconnaître que ça ne va pas chercher loin.
Chaplin, à la Keystone, va essayer toutes les facettes de ce nouveau médium qui l'enthousiasme tant, y compris un registre plus dramatique... Situé dans un décor de banque, ce film est une petite merveille, mais il faut lui rendre justice: oui,The new janitorest une grande date chez Chaplin, mais la maladresse de la mise en scène y est d'autant plus palpable que les ambitions sont importantes...
Il joue le nouveau concierge de la banque, qui essaie de s'atteler à ses tâches domestiques tout en se laissant aller à des langueurs pour une jolie secrétaire (Helen Carruthers); pendant ce temps, un drame se joue: un employé de bureau (John T. Dillon), accablé de dettes, va forcer un coffre, sous les yeux de ladite secrétaire.
On le voit, avec ce film, Chaplin est le seul vecteur de comédie, entièrement lié à son caractère, mais le reste est de la narration dramatique classique, et c'est là que le bât blesse. Le casse est filmé en un seul plan, les acteurs sur-jouent, et sont déjà anachroniques en 1914; quant à la scène remarquée par l'historien Jeffrey Vance, qui voit Chaplin jouer dangereusement avec la mort en risquant de rester suspendu dans le vide, il faut dire qu'elle reste plutôt suggérée que vraiment montrée, et elle est un tant soit peu gâchée par quelques fautes de grammaire: l'inversion de la perspective la rend un peu moins lisible. Il fera beaucoup mieux. Par contre, il joue avec adresse de son personnage un peu décalé pour créer du suspense, lorsque le concierge viré hésite à répondre aux appels (dont nous savons que ce sont des appels à l'aide) de la secrétaire...
Mais ce qui compte, c'est après tout le fait que pour Chaplin il n'y a plus lieu de tenter de rester coincé dans le carcan de la comédie lourdingue; de fait, le film n'est pas du tout comparable au reste de la production Keystone, et le metteur en scène reviendra sur le scénario pour le filmThe bank, l'année suivante, en allant plus loin dans la sophistication. A noter toutefois qu'ici, il sauve réellement la banque, et gagne le coeur de la belle... Admettons que ce n'est pas si souvent.
Collaboration totale entre les deux petits génies de la Keystone,The roundersréussit à être fidèle aux deux univers des deux acteurs, puisant l’argument chez Chaplin (Deux gentlemen saouls comme des cochons rentrent séparément à leur hôtel, ont des déboires avec leurs épouses légitimes, et résolvent de partir continuer leur activité favorite ensemble), lui permettant de distiller son sens de l’observation, mais beaucoup dans le déroulement de l’histoire est du à Arbuckle (Celui-ci n'est d'ailleurs pas vu les mains vides, et Al St-John fait partie de la distribution)... Par exemple, la façon dont les deux comédiens évitent de creuser jusqu’à épuisement leurs conflits conjugaux, pour s’enfuir et continuer la fête ailleurs, donnant lieu à toujours plus, toujours plus loin.
Chaplin aurait peut-être choisi de rester à l’hôtel, mais ici la situation s’enrichit de l’esprit vaguement anarchiste d’Arbuckle. Le final, d’ailleurs, qui voit les deux poivrots s’abîmer lentement mais surement dans l’eau d’un lac alors que leur bateau coule. Au préalable, ils ont mis une salle de restaurant à sac, et jeté pas mal de gens parfaitement innocents dans l’eau… On est toujours chez Sennett, mais on va loin dans l’humour délirant, on quitte assez franchement l’univers de Chaplin. Non qu’il ait à redire, il est évident qu’il s’amuse comme un fou.
Excellent film dès le départ,The masqueraderest unique dans la mesure ou Chaplin y opère un nombre impressionnant de transformations. Il prend pour commencer le prétexte de montrer la vie du studio Keystone, allant jusqu'à prétendre pendant les premières minutes avoir un caractère documentaire: on y voit, effectivement, Chaplin se préparer pour un film, en costume de ville et sans moustache, puis pendant le maquillage.
Mais la présence dans les vestiaires de Roscoe Arbuckle, et le fait que les comédiens se sentent l'un comme l'autre d'humeur farceuse (Ce qui est bien dans l'esprit de cet éternel gamin d'Arbuckle, mais qui détonne par rapport à la réputation de grand sérieux dont faisait preuve Chaplin dans son travail), et la séance de maquillage dégénère bien vite. Après, un Chaplin enmoustaché se préoccupe tellement peu du film qui se fait qu'il drague sans vergogne les femmes présentes, déconcentre ses partenaires, et empêche Chester Conklin (que le metteur en scène excédé a obligé à remplacer le héros) de faire son travail. Le résultat? Chaplin se fait virer du plateau, et n'aura d'autre ressource pour se faire rengager, que de venir déguisé... en femme.
Mais pas de façon caricaturale: on le sait, quand Chaplin joue un vagabond ou un bourgeois, il EST un vagabond ou un bourgeois. Quand il joue un poulet dansThe gold rush, il est un poulet. Et donc, ici, il est une femme, séduisante, élégante, et bien sûr il n'a aucun problème à se rendre sur le plateau...
C'est fascinant: non seulement Chaplin a réussi sans aucune gaucherie à faire du studio le décor de son film, non seulement il a réussi à intégrer la comédie et la réalité bien mieux que dans tous les films improvisés sur les événements publics, qui sont souvent le pire du pire de la firme de Sennett, mais il a réussi à mener ce film, à une époque ou les spectateurs ne connaissent pas le nom des vedettes, en assumant trois identités différentes tout en maintenant une parfaite lisibilité.
Un tour de force, aidé par une construction très adroite, et la complicité de toute l'équipe. Maintenant, pour ceux qui espèrent voir Chaplin au travail, ce n'est pas encore ça: en réalité, il détestait qu'on le filme quand il mettait en scène, et ici, il n'est supposé être qu'un acteur... En tout cas, le film ment: on n'aurait jamais viré Chaplin de la Keystone de cette façon, à cette époque. C'était, déjà, le maître.
La "nouvelle profession" du titre, en fait, est celle de garde-malade, puisque l'intrigue de ce petit, tout petit film tourne autour de la situation suivante: un jeune couple souhaitant folâtrer se débarrasse du vieil oncle (Jess Dandy) en chaise roulante, que le jeune homme (Charles Parrott, futur Charley Chase) est censé accompagner, en le confiant à un vagabond, qui n'a de cesse de se débarrasser à son tour de sa charge pour aller boire un coup.
Pas de surprise, et retour donc à du classique, un peu lourd et vulgaire, autour d'un lieu emblématique et utilisé jusqu'à la corde dans le film: en l'occurrence, une jetée en bois.On regrette bien sur qu'il n'y ait pas plus d'interaction entre Chase et Chaplin, mais pourquoi y en aurait-il eu? L'un est un anonyme en 1914, l'autre est déjà une star.
S'il est le film le plus court de la production Keystone par Chaplin, c'est aussi le plus mal conservé, à l'exception bien sur deHer friend the bandit(Mack Sennett), qui a carrément été perdu, et le restera jusqu'à nouvel ordre...
Le film est difficile à regarder, sauf pour une brève minute conservée par le British Film Institute sur une copie 35 mm à la définition splendide. Pour le reste, la version la plus complète (disponible sur le coffret Lobster de 2010) est tirée d'un abominable contretype en 16mm tellement dégoûtant qu'on ne sait pas toujours ce qui se passe, et comme c'est une fois de plus une histoire de gens qui se draguent et qui se battent à coups de briques, on se passera d'en savoir plus.
...Il y est beaucoup question de pousser des gens dans l'eau.
Adaptation d'un poème de Hugh Antoine d'Arcy, ce film d'une bobine est la première intrusion de Chaplin dans la parodie. Mais quand on sait le soin que le metteur en scène mettra dansThe gold rush, qui est une authentique comédie ET un vrai film sur la ruée vers l'or, on comprend vite que ce n'est pas un terrain de prédilection pour lui. Le film, une fois de plus se démarquant au maximum de la production Keystone, est pourtant assez fascinant, par la subtilité du décalage, apporté par de simples détails, des ajouts faits au comportement par ailleurs fortement histrionique de l'acteur Chaplin, qui joue ici le drame comme s'il y croyait: En plein geste ultra-dramatique, il rote, ou s'assoit sur sa palette, et se retrouve couvert de peinture, etc... Pour le reste, le film est joué de façon directe, le metteur en scène seul se réservant le droit de dériver vers la comédie...
L'histoire: un vagabond apparaît dans un bar, et supplie les hommes présents de l'écouter: il était un peintre de renom, jusqu'au jour ou la femme de sa vie l'a quitté pour un homme qu'il avait peint. depuis, il boit pour oublier. Dans le poème, le vagabond meurt en dessinant à la craie le visage de sa bien aimée. Ici, Chaplin a réservé une fin différente, mais pas illogique, à son héros. En tout cas, quelles que soient les limites du film, il est remarquable ne serait-ce que pour la tentative de diversifier ses films.