S'il est le film le plus court de la production Keystone par Chaplin, c'est aussi le plus mal conservé, à l'exception bien sur deHer friend the bandit(Mack Sennett), qui a carrément été perdu, et le restera jusqu'à nouvel ordre...
Le film est difficile à regarder, sauf pour une brève minute conservée par le British Film Institute sur une copie 35 mm à la définition splendide. Pour le reste, la version la plus complète (disponible sur le coffret Lobster de 2010) est tirée d'un abominable contretype en 16mm tellement dégoûtant qu'on ne sait pas toujours ce qui se passe, et comme c'est une fois de plus une histoire de gens qui se draguent et qui se battent à coups de briques, on se passera d'en savoir plus.
...Il y est beaucoup question de pousser des gens dans l'eau.
Adaptation d'un poème de Hugh Antoine d'Arcy, ce film d'une bobine est la première intrusion de Chaplin dans la parodie. Mais quand on sait le soin que le metteur en scène mettra dansThe gold rush, qui est une authentique comédie ET un vrai film sur la ruée vers l'or, on comprend vite que ce n'est pas un terrain de prédilection pour lui. Le film, une fois de plus se démarquant au maximum de la production Keystone, est pourtant assez fascinant, par la subtilité du décalage, apporté par de simples détails, des ajouts faits au comportement par ailleurs fortement histrionique de l'acteur Chaplin, qui joue ici le drame comme s'il y croyait: En plein geste ultra-dramatique, il rote, ou s'assoit sur sa palette, et se retrouve couvert de peinture, etc... Pour le reste, le film est joué de façon directe, le metteur en scène seul se réservant le droit de dériver vers la comédie...
L'histoire: un vagabond apparaît dans un bar, et supplie les hommes présents de l'écouter: il était un peintre de renom, jusqu'au jour ou la femme de sa vie l'a quitté pour un homme qu'il avait peint. depuis, il boit pour oublier. Dans le poème, le vagabond meurt en dessinant à la craie le visage de sa bien aimée. Ici, Chaplin a réservé une fin différente, mais pas illogique, à son héros. En tout cas, quelles que soient les limites du film, il est remarquable ne serait-ce que pour la tentative de diversifier ses films.
Avec ce premier effort en deux bobines, totalisant 24 mn, Chaplin situe son personnage dans un cadre professionnel lié au spectacle, autant dire que le comédien est à la maison. On le sent beaucoup plus à l'aise qu'avec les courses poursuites à vocation extra-conjugales qui étaient de mise chez son employeur...
Si la présentation des coulisses d'un minable vaudeville ramène forcément Chaplin en arrière, au temps des planches avant la célébrité des années Karno, il convient de noter que le comédien interprète un accessoiriste, et laisse donc le cabotinage à d'autres. D'ailleurs un détail me frappe: exactement comme son personnage dans le film Mutual Behind the screen, en 1916, l'accessoiriste ici joué par Chaplin est entièrement grimé en Chaplin, à trois détails près: il a tombé la veste, ne porte pas systématiquement de chapeau, après tout on est en intérieurs, mais surtout il fume la pipe en permanence: Chaplin a senti le besoin d'établir une bonne fois pour toutes le coté sédentaire du personnage, et la pipe est un outil essentiel à cet effet.
Mais bien sûr, on est encore à la Keystone, et si le film se passe de catastrophe en catastrophe, toutes liées plus ou moins au fait que les comédiens et le théâtre qui les emploie sont minables, ce qu'on retiendra en particulier c'est l'extrême agressivité, de tout le monde en général, et de Chaplin en particulier: voilà le trait de caractère qu'il lui faudra éliminer une fois qu'il aura quitté l'usine à gags, celle ou on envoie des briques et des tartes à la crème plus vite que son ombre. Pour l'instant son personnage est campé, qu'il soit vagabond ou pas importe peu, mais il lui manque un soupçon d'humanité qu'il saura lui conférer bientôt.
Encore rudimentaire, ce film est malgré tout un grand pas en avant dans la carrière de Chaplin: pas d'improvisation dans le parc, pas d'intrigue basée sur les frasques conjugales, et des gags liés cette fois à une profession: Chaplin n'y est pas vagabond, mais assistant dentiste.
A ce propos, en pleine rue il lance des briques, qui en atterrissant sur des mâchoires, provoquent une sérieuse envie d'aller se faire soigner... Ca nous rappelle bien sûr une autre situation, d'un autre film, mais transposé à un vitrier et son fils adoptif (The kid, 1921)... Chaplin continue donc à planter ses petites graines, tout en devenant, de plus en plus, le seul maître à bord: le film ne ressemble plus à du Sennett.
Bien que signé par Mack Sennett, le film met en valeur, souvent séparément, les deux stars de la firme que sont Chaplin et Mabel Normand. De plus, ils sont très officiellement crédités du script de ce petit film, on peut raisonnablement le leur attribuer, sachant que c'est très éloigné du style de Sennett, comme pouvait l'être The knockout, et que la complicité entre les deux acteurs, pourtant rivaux, est évidente dans la scène finale. C'est une comédie conjugale qu'on peut considérer comme une certaine forme de parodie de court métrage à la Griffith, dont n'oublions pas que les films de la Keystone sont les héritiers directs.
Chaplin et Normand y sont un couple, aux prises avec un voyou, interprété par Mack Swain. Mabel reproche à son mari de ne pas la défendre contre les séducteurs, et lui lui reproche de se laisser faire. Une dispute plus tard, elle achète un mannequin pour faire croire qu'elle a un homme (Un vrai) chez elle, et lui va consciencieusement s'abimer dans une intense soûlographie, qui lui donne tant de courage, qu'il rentre chez lui et casse la figure au mannequin. Certes, on n'est pas dans Citizen Kane, mais on sent l'effort pour faire évoluer la comédie conjugale, et Chaplin, quant à lui, confère à ses segments un jeu de plus en plus subtil, non seulement de sa part, mais aussi de ses partenaires: Sennett n'aurait jamais permis à ses figurants d'être aussi bons...
A ce propos, dans la scène du café, l'un des jeunes voyous présents retrouvera Chaplin 17 ans plus tard, sur un ring: il s'agit de Hank Mann dont la scène qu'il jouera dans City Lights est un des très grands moments de la carrière de Chaplin.
Mack Sennett fait comme d'habitude: il investit un endroit public un jour de forte affluence, lâche ses comédiens au milieu, et leur demande d'improviser. Chaplin, Mabel Normand, Chester Conklin font ce qu'il peuvent, le film était destiné à être sans intérêt: c'est réussi. Mabel normand y incarne une jeune femme venue vendre des hot-dogs sur le site d'une course de voitures, et va se faire escroquer par un indélicat à moustaches.
On sent la présence du réalisateur, qui aboyait sas doute les instructions de jeu au gré de ses humeurs, à des comédiens qui font ce qu'ils peuvent, en présence d'un public qui cache à peine sa curiosité et sa joie de se trouver sur le lieu d'un tournage...
A noter, toutefois, le titre Français le plus crétin de l'histoire du cinéma, après l'immortel navet de Philippe Clair Rodriguez au pays des merguez: Charlot et les saucisses.
Après une dizaine de courts métrages très quelconques dans la carrière de Chaplin, on élève enfin le débat, avec un film de deux bobines (il totalise une demi-heure), qui met d'abord et avant tout en valeur le grand comédien Roscoe 'Fatty' Arbuckle, qui n'hésitait pas à en rajouter sur son surpoids, afin d'obtenir un effet comique. On lui doit beaucoup, en particulier parce qu'il a fait débuter Keaton, avec lequel il partageait un certain sens de l'absurde.
Le film lui doit beaucoup aussi, et on ne serait pas surpris que le début lui soit en grande partie dû, tant son style est évident, dans deux scènes en particulier: lorsque Arbuckle s'apprête à se battre, et qu'au lieu d'accélérer l'action, il la ralentit en s'approchant lentement de la caméra jusqu'à être flou, dans une allusion évidente à The musketeers of Pig Alley, de Griffith; ensuite, dans une scène qui voit le comédien se déshabiller pour enfiler un costume approprié pour la boxe, il demande avec pudeur au cameraman de le cadrer au dessus de la ceinture... Ces moments sont du pur Arbuckle, et on sait que Sennett, producteur talentueux, était (pour utiliser le terme technique approprié) nul en tant que réalisateur.
Dans cette histoire de match de boxe arrangé, on regrette que le match lui-même ait été filmé en un unique et longuet plan général, les subtilités des acteurs sont ainsi toutes noyées dans la masse. Chaplin, venu de nulle part, y interprète un arbitre qui se prend tous les coups, et on y voit aussi Edgar Kennedy, Al St-John, Minta Durfee, Mack Sennett, Mack Swain... C'est de l'histoire! Le final dégénère, comme tous les Sennett un peu longs, en poursuite stupide... Mais une chose est sûre: si le film est bien un court métrage de Roscoe Arbuckle, une affiche, visible durant toute la première bobine, nous avertit du passage en salles du film Caught in a cabaret; et le personnage du film qui est au premier plan de cette affiche, c'est bien Chaplin lui-même: un signe en forme de clin d'oeil, que le comédien Anglais est désormais un homme sur lequel il va falloir compter.
Le plus mauvais metteur en scène de l'écurie Sennett, c'est Mack Sennett lui-même. Pour lui, diriger un film c'est poser la caméra, et dire moteur. Mais il y a pire, il était aussi acteur, et la confrontation avec un acteur comme Chaplin, même dans la verdeur de sa jeunesse, est cruelle pour le vieux cabotin.
Deux autres vedettes, ici, Mack Swain et Mabel Normand, pour une histoire de drague un brin répétitive, ou tout un chacun se dispute la belle, au point d'en venir aux coups de pied, jets à répétition de briques, et coups de gros maillet de la mort qui tue. C'est drôle à force d'insister, mais on comprend pourquoi Chaplin voulait tant contrôler ses propres films...
On se souvient de Kid auto races, de 1914: on recommence... Totalement improvisé, ce film montre une jeune femme (un homme déguisé en réalité) se comporter de façon vulgaire et grossière en compagnie d'un certain nombre de personnages interlopes, au coeur d'une authentique inauguration. Aucun intérêt, sauf si on veut s'amuser à ajouter une moustache sur le personnage de la jeune dame, ce qui nous révélera son identité. Sans grande surprise...
Alors voilà, Chaplin se voit enfin confier par Mack Sennett la mission de tourner un film en tant que metteur en scène, et Caught in the rain en est le résultat. Un film qui apparemment est une petite bande de rien du tout basée sur le quiproquo et le flirt, dans laquelle on retrouve toutefois des bribes de souvenirs de Mabel's strange predicament. Et pour cause: je maintiens que de toutes les expériences qu'il a eu en tant qu'acteur, à la Keystone, sa collaboration avec Mabel Normand a été la plus intéressante, et a engendré son style propre. Et c'est ce que nous prouve ce petit film...
Si le film prend racine dans un parc ou le flirt est élevé au rang de sport national (et partagé par Mack Swain et Chaplin lui-même), le metteur en scène se dépêche de ramener tout son petit monde à l'hôtel, ou il va pouvoir jouer sur les quiproquos, les confusions, la proximité des chambres dans les couloirs, et les malentendus graveleux. Mais surtout il obtient de contrôler ce qui va se passer sous son autorité... Et ça, il saura l'apprécier: pendant une cinquantaine d'années.