Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 11:06

Lorsqu'à la fin de ce film Chaplin, dans le rôle de M. Verdoux, se dirige d'un pas résigné vers la guillotine, une immense tristesse se dégage de l'image, qui vient pourtant en écho du premier plan du film: on y voyait la tombe du "héros" du film, dont la voix enjouée et chantante entamait avec une grande légèreté la narration... Humour noir, ou burlesque, la tentation de faire rire est ce qui est peut-être le plus frappant de ce film tant le ton est grave. On peut renvoyer à The great dictator, et le paradoxe de devoir redécouvrir le film alors que nous savons qu'il était finalement très en-dessous de la vérité dans l'horreur de ce qu'il décrivait; ici, Chaplin sait désormais ce que vient de subir l'humanité, et il s'en sert pour nourrir son film... Donc le ton est noir, très noir, et le film a nourri la polémique, a donné à tous les détracteurs de Chaplin des armes et des arguments, et peu d'entre eux se sont retenus. C'est pourtant à un autre qu'il attribue l'étincelle créatrice, puisque au début de ce film il remercie Orson Welles pour l'idée initiale, à savoir une transposition de la vie de Landru. Mais dans le seul choix d'incarner un Landru après tant d'années dans les défroques d'un vagabond au grand coeur, qu'il soit soldat, évadé, golfeur ou ouvrier, Chaplin a commis un acte fort: pour commencer, il assume son age, et apparait presque tel qu'en lui-même à la fin de ce film; ensuite il rappelle à ceux qui l'auraient oublié qu'il n'est en rien un conteur angélique, et qu'il sait convoquer la méchanceté; il l'a jusqu'ici fait de manière déguisée, mais cette fois-ci, l'esprit noir est en pleine lumière.

 

M. Verdoux est un homme pas spécialement gâté par la vie, qui a fait un choix pragmatique simple: utiliser les ressources de veuves esseulées, en les mariant, puis en les tuant, et enfin en disparaissant. On assiste à sa chute, son arrestation, et son procès. Parallèlement, on assiste à l'évolution tumultueuse d'un monde en crise, d'un désastre à l'autre. Chaplin ne nomme pas les évènements, restant dans le vague quant aux dates et aux évènements historiques, mélangeant allègrement les époques (la crise est-elle celle de 1929? il y en a plusieurs...) en montrant par exemple des bistrots 1945, des guinguettes 1910, des toilettes 1947... Il donne une motivation personnelle à son "héros", en lui donnant une vraie famille, avec sa femme invalide, mais le fait que ceux-ci disparaissent du film par la grâce du dialogue les condamne à n'être que des comparses: en vérité, Verdoux est seul contre tous. Et s'il a parfois des gestes de pitié (La jeune femme ramassée dans la rue pour être la cobaye d'un poison, qu'il décide finalement de ne pas lui administrer) c'est parce qu'il se reconnait un peu trop dans sa victime potentielle. Du reste, de la plupart de ses victimes, nous ne voyons rien ou presque; Lydia, la seule de ses "épouses" dont nous faisons la connaissance avant qu'elle soit bel et bien exécutée, est une horrible mégère; des autres, nous voyons deux victimes potentielles, la douce Mme Grosnay, et l'insuportable Annabella Bonheur. Cette dernière justifie à elle toute seule l'épousicide... une façon d'atténuer la criminalité de Verdoux, et d'entrainer le public derrière lui, juste ce qu'il faut. 

 

La construction reprend un peu celle de The great dictator, dans sa suite de scène plus ou moins jointes; évidemment, la quête de la richesse et les meurtres savamment calculés de Verdoux lient assez efficacement l'ensemble; mais comme dans son film précédent, Chaplin s'est réservé une tribune, et il sait après le discours final de son film anti-Hitler qu'il est forcément attendu au tournant... Son "Je vous attend là-haut, nous nous reverrons très vite" est une clé du film, bien sur, une façon de renvoyer la culpabilité de Verdoux à l'ensemble de l'humanité. C'est le sens de la dernière demi-heure, qui est sans doute la partie du film la plus nourrie des dernières années; comme si le criminel nous disait avoir perdu la foi dans le crime, parce qu'il se sent dépassé par l'humanité toute entière et sa propension à faire le mal. En tant que message, c'est peut-être agressif, mais c'est, finalement, un constat totalement valide, hélas.

 

La principale erreur des détracteurs du film et de son auteur est sans doute d'avoir recours à la confusion habituelle entre l'acteur (Cet homme qu'on aime aimer) et son personnage, mais aussi de croire que tout film doit avoir une morale: non, Verdoux n'est pas un héros, et ses crimes sont odieux, c'est un fait.  si le film est une comédie, et si le personnage est bien un avatar de Chaplin, avec sa voix, sa gestuelle étourdissante, son charme naturel, ça n'est en aucun cas une invitation à le suivre. Le constat du film est une grosse claque dans la figure, ne l'oublions pas, et la comédie nous le rappelle en permanence, grâce à la faculté de Chaplin de passer du rire sardonique à l'évocation du drame. S'il recule devant la représentation du crime (L'anecdote de Lydia, qui meurt hors-champ, son exécution symbolisée par un trait musical qui enfle avant de s'arrêter brusquement), c'est qu'il n'est pas fou, et souhaite pouvoir faire passer son film: il avait raison, du reste, la vision du gentil Verdoux qui jardine tranquillement pendant que son incinérateur fontionne à plein régime est suffisamment violente pour ne pas en rajouter. Donc, le film est drôle, parfois trop (Je sais bien que Martha Raye, son faire-valoir en "Annabella" a été choisie parce qu'elle est irritante, mais elle est effectivement insupportable...), mais il est surtout grave, et cette humanité, montrée sous la forme d'une famille éplorée qui se demande ce qu'est devenue l'une d'entre eux, tombée en fait victime du Landru filmique, est en fait incapable de s'exprimer hors de l'agression: cette scène, situé au tout début sert non seulement à présenter de l'extérieur le personnage de Verdoux et le modus operandi du Barbe-Bleue (Femme seule, mariage précipité, ponts coupés avec la famille); elle permet aussi de juger de l'insuportable nature des autres...

 

En tout cas, le film a valu à Chaplin une haine indéfectible de la droite Américaine, dont soyons honnête il est évident qu'elle n'attendait que cela pour le montrer du doigt. La facture sera salée, puisque Chaplin va denoir fuir, et ne fera plus que trois films. plus grave, le succès ne sera plus jamais au rendez-vous, et le règlement de comptes avec l'Amérique va prendre la place de l'humanisme de Chaplin, qui s'exprime ici, paradoxalement, avec force. L'austérité naturelle de chaplin, qui prend ici le contrepied du film noir, se met au service d'un film encombrant et sombre, mais dont l'accès difficile est d'une honnêteté remarquable. Et le film est notable pour être l'un des rares à avoir osé rappeler que le héros d'un film n'est pas forcément un exemple (Il me vient à l'esprit que cette même année, Curtiz réalise The unsuspected, mais c'est un autre sujet...). Quant à la tristesse évoquée plus haut, eh bien, c'est peut-être parce que dans ce dernier plan, c'est un homme qu'on va exécuter; pire: c'est Chaplin.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin
9 août 2011 2 09 /08 /août /2011 08:36

Le plus gros succès de Chaplin est donc aussi son premier film parlant, celui dans lequel il va à l'instar de ses collègues metteurs en scène ouvrir les portes de son studio à des acteurs qui ne sont pas ses employés, mais des gens connus comme Jack Oakie, Reginald Gardiner ou Henry Daniell. Et puis il y a le facteur de la moustache... né quatre jours avant Hitler, Chaplin rappelle avec ce film que le premier moustachu, c'est lui. Enfin, il exorcise avec ce Dictateur son désir intense et constamment frustré de faire un Napoleon, sur lequel il a tant travaillé entre 1936 et 1939. Je pense que beaucoup de gens aiment particulièrement ce film, mais je n'en suis pas. Comme tous les films parlants de Chaplin, il me semble embarrassant, souvent emphatique, trop long. D'un autre côté je reste persuadé que des cinq oeuvres réalisées par Chaplin après Modern times, celui-ci reste le meilleur et de loin. Voilà, c'est posé, ça ne changera pas, mais il était important de le dire. Et puis paradoxalement, si je n'aime pas particulièrement le film, ou du moins s'il m'agace fort, c'est aussi un film important: rendez-vous compte, Chaplin se paie Hitler! ce n'est évidemment pas rien. Surtout à une époque ou Hollywood se faisait tirer l'oreille pour ne pas succomber au fascisme ambiant (Même si le dictateur préféré restait Mussolini); donc The great dictator reste plus que jamais un film nécessaire, une oeuvre mal fichue mais hautement respectable, un film dont la fin me reste en travers du gosier (et je ne suis manifestement pas le seul), mais dont on sait qu'il avait tout un tas de bonnes raisons pour la tourner telle quelle; ajoutons à ça que l'image de Chaplin en Hitler reste un grand moment de l'histoire du cinéma, tout comme ses discours hallucinants prononcés dans un Allemand de cuisine qui ne rate aucune occasion d'être drôle... tout ça pour dire que ce film est selon moi le cauchemar du critique!

Donc, le film commence avec la guerre, par des plans de bataille qui renvoient directement au burlesque de Shoulder arms, mais cette fois-ci les uniformes ne trompent pas: on est de l'autre côté, chez les Allemands, ou du moins les "Tomaniens". Le soldat interprété par Chaplin quitte le champ de bataille avec un officier, Schultz (Reginald Gardiner); leur avion est abattu, mais ils survivent, à temps pour Schultz d'apprendre la nouvelle de l'armisice. De son côté, le soldat n'a pas de chance: il est sérieusement touché, et amnésique. Lorsqu'il sort de l'hôpital pour retourner à son échoppe de barbier, 20 ans après, il n'est pas totalement guéri, mais la Tomanie est quand à elle totalement guérie de toute vélléité de liberté et de démocratie, s'étant donnée corps et âme à un dictateur moustachu... Le fait que Chaplin interprète les deux hommes ne servira qu'à la fin, c'est l'un de ces mystères de l'intrigue qu'il est très facile d'accepter. après tout, pendant environ 120 minutes, ce film reste une comédie, non? Et du reste, le jeu de Chaplin n'est pas le même suivant le personnage qu'il interprète, il est aussi impossible pour le spectateur de les confondre qu'il ne semble impossible pour les protagonistes de s'apercevoir qu'ils sont des sosies. Et bien sur, la dimension allégorique ne peut nous échapper: profondément humaniste et démocrate, Chaplin a longtemps été fasciné par Napoléon (cet enflé, avec son chapeau à la con), et il sait qu'un dictateur ce n'est finalement qu'un homme. Les deux personnages ne sont finalement que deux facettes d'un même animal. Une façon comme une autre de placer un message humaniste profond...

Comédie, disions-nous; si Chaplin qui se reposait tant sur l'improvisation à partir de la feuille blanche avant Modern Times, le recours à des dialogues passe désormais par un script. Mais le film est largement une collection de scènes, et de sketches même, qui font avancer l'intrigue par des chassé-croisés entre le palais de Adenoid Hynkel et le ghetto ou vit le barbier Juif. De fait, la collection de gags fonctionne plutôt pas mal, mais le rythme du parlant a sans doute posé des problèmes à Chaplin, qui repose beaucoup dans de nombreuses séquences sur la vitesse: beaucoup de scènes ont été tournées en muet, à moins de 24 images par secondes, et sont donc ensuite forcément accélérées, c'est très voyant. Le metteur en scène n'a donc pas totalement oblitéré ses méthodes héritées du muet. Sinon, s'il a recours à de nombreux acteurs extérieurs, c'est peut-être parce qu'il n'a justement pas pour habitude de diriger des acteurs qui parlent, il lui faut donc se reposer sur des interprètes aguerris, et de fait, il a su puiser dans le vivier de la comédie (Jack Oakie en dictateur Napaloni, Billy Gilbert en Maréchal Herring) et parmi les acteurs de second plan expérimentés (Henry Daniell en ministre Garbitsch, et Reginald Gardiner qui incarne le noble Schultz, collaborateur du régime qui s'insurge et est incarcéré.) Si Oakie et Gilbert sont excellents (Gilbert surtout, mais comment aurait-il pu ne pas l'être? il semble que Chaplin ne l'a pas vraiment dirigé, il est tel qu'en lui-même), Schultz joue un peu les militaires d'opérette, et Daniell est absolument atroce. J'ai longtemps été traumatisé par les trémolos insupportables de sa voix dans la scène ou Garbitsch suggère à Hynkel de devenir "emperor of the world"... A propos de Garbitsch, le film fait un grand usage du jeu de mots et de langage, notamment à travers certains patronymes. les plus voyants ont Herring (hareng) pour Goering, et Garbitsch (garbage, ordure) pour Goebbels; une façon pour Chaplin d'appuyer sa farce avec une forme d'humour héritée de la caricature de presse, tout en dénonçant dans l'entourage d'Hitler le vrai danger représenté pare l'idéologue Goebbels, et le côté bouffon de la vieille extrême droite militaire représentée par Goering. Plus généralement, le film tend à faire constamment le mélange entre la farce et la tendance joyeuse au gag burlesque d'un coté et le drame de l'autre des pays sous le joug. C'est un curieux mélange, et on a parfois le sentiment que Chaplin n'a pas su choisir dans son sac de gags... Beaucoup restent excellents, mais certaines scènes se trainent, et l'implication physique du gag selon Chaplin trahit ici un peu trop l'âge du comédien, qui n'est plus aussi souple... A noter aussi ici les recyclages d'idées mises de côté dans les années 20.

Bon, venons-en au sujet qui fâche, a toujours fâché, fâchera toujours. Chaplin le savait, ce qu'on ne lui pardonnait pas dans les années 30, c'était cette manie qu'il avait de commenter la crise, la politique, et (Il faut le reconnaitre) d'avoir généralement raison. Il était clairement marqué à gauche, ce qui allait le pousser dans les années 40 à soutenir activement la Russie dans sa lutte contre Hitler, et du même coup sérieusement énerver la droite Américaine. Mais tout cela c'est l'homme, le personnage public, pas le cinéaste. Ainsi, à la fin du film, l'homme Chaplin prend la place du comédien (Sachant que déja celui-ci joue deux rôles, et que le final reste basé sur le quiproquo inhérent au film, à savoir la méprise qui envoie Hynkel en camp de concentration, et le barbier Juif à la tribune) et délivre un discours sincère, senti, sans doute nécessaire au débat, oui, mais ridicule. Ca ne fonctionne pas, tant au niveau de l'intrigue, des personnages, de la situation. Mais bon: Chaplin vouilait le faire, on ne peut être qu'en accord avec ses sentiments. Ce n'était pas nécessaire, c'est redondant avec le film et ses gags et ça va lui être reproché... Ca l'est d'ailleurs encore. L'impression est que pour Chaplin ce discours final (Mis en scène avec une austérité toute Chaplinienne) justifie à lui seul le film...

Il est toujours dangereux de suivre les Américains dans leur simplification de l'histoire du cinéma, on dit des stupidités: ainsi, The Jazz singer n'est pas le premier film parlant, Steamboat Willie n'est pas le premier Mickey, Greed ne durait pas vingt-cinq heures, etc... De fait, The great dictator n'est pas le premier ou le seul film à aborder le sujet en 1940. C'est le premier à le faire sous la forme d'une superproduction comique, dans laquelle l'un des personnages principaux est un démarquage de Hitler. A ce titre, le film est gonflé, et on peut comme moi être sceptique quant au film dans son ensemble (Surtout en le comparant avec les vrais chef-d'oeuvres qui le précèdent dans la carrière de Chaplin) et considérer malgré tout qu'il était indispensable que quelqu'un se paye la fiole de cette ordure. Après, le film sorti en octobre 1940 ne pouvait pas anticiper sur toutes les découvertes ultérieures (Le camp de concentration, dans le film, fait un peu club de vacances comparé à la réalité), Chaplin a dit après coup que s'il avait su tout ce qu'il a appris sur le régime à la libération, il n'aurait jamais pu faire le film, et on le comprend. Heureusement dans ce cas, il n'est pas revenu en arrière. Mais d'autres films, sans prendre évidemment le ton de la comédie, avaient déja évoqué l'Allemagne de la Nazification, parfois avec une réussite éclatante: The mortal storm (1940), de Frank Borzage, est un exemple fameux de réussute dramatique, dont la comparaison révèle quand même une petite différence curieuse: certains des personnages y sont présentés comme 'non-Aryens', et non 'Juifs'. Ce mot faisait peur dans le Hollywood de 1940. Chaplin, lui, l'a utilisé, dans la bouche de son dictateur, et a au moins réussi à montrer que l'antisémitisme, comme tout racisme (Qu'il fut anti-noir, anti-maghrébin, anti-Auvergnat, anti-Rom...), est une pathologie de fou dangereux, qu'il est indigne de laisser un dirigeant quel qu'il soit en faire usage. Les meilleures scènes de ce film, restent donc les discours enflammés dans lesquel un homme montre que sa seule vraie motivation pour devenir le leader de toute l'humanité, c'est sa profonde haine pour les autres...

Une petite particularité de ce film, enfin, c'est que Chaplin montre dans une série de scènes un Adenoid Hynkel dépassé en matamoritude, en poids, en charisme idiot, par le dictateur Napaloni. De fait, il est aussi clair que Jack Oakie réussit, par petits moments, à voler la vedette à chaplin, qui ne lui en a jamais voulu. De fait, le fait de laisser Oakie tirer la couverture à lui, et composer une caricature hilarante de Mussolini permet à chaplin d'envoyer un message fort à Hollywood, et il lui sera amplement reproché...

Voilà, en tout cas après 1940, Chaplin a réalisé un film qui lui a permis de trouver le chemin de la parole, ce qui a du être difficile. Les équilibres fragiles du film (entre farce et tragédie, entre burlesque et actualité, entre réalisté et caricature) sont parfois mis en core plus en danger par une mise en scène qui, je me permets de le penser, n'est pas vraiment à la hauteur. sa légendaire austérité, ou son économie, sont prises en flagrant délit de trop peu dans certaines scènes, qui cadrent mal avec l'ampleur du projet. On aime les décors incroyables du palais, les scènes de grâce effrayante des ballets du dictateur, mais certaines scènes du ghetto donnent l'impression d'avoir été bâclées (Et on voit un micro dans un plan!), elles sont indignes de Chaplin. Si je voulais soutenir ce film contre tout, il me faudrait sans doute le juger uniquement sur les intentions... A ce niveau, le film est, pendant ses premières 120 minutes, quasi irréprochable.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François massarelli - dans Charles Chaplin Criterion
7 juillet 2011 4 07 /07 /juillet /2011 09:40

Chaplin dans la machine: une icône établie, le reflet d'un immense classique, qu'il était facile de reprendre à toutes les sauces, ce que personne n'a manqué de faire. Tout le film, d'ailleurs, fait office d'étendard, pouvant à lui seul être une vitrine fascinante du cinéma Américain, d'un cinéma de protestation, d'une évolution de la comédie burlesque passée enfin à l'age adulte, et bien sur du cinéma de chaplin. sinon, des coemmntateurs survoltés font aussi de ce film la preuve d'un cinéaste engagé, communiste, ce qui est drôle, mais il faut bien dire que Chaplin n'a pas fait grand chose pour les décourager. Bref, un superbe reflet de son époque, et un film primordial dans la carrière de son éminent metteur en scène.

Pour commencer, David Robinson, le précieux biographe de Chaplin, a fait état de la découverte de carnets préparatoires de ce film qui prouvent que City lights aurait du être le dernier film muet de son auteur; ce n'est pas rien, tant ce nouveau film est anachronique: si la Russie, le Japon ou la Chine se sortent tout juste du muet, les Etats-Unis ont bel et bien enterré tout ce qui y renvoie... Donc, Chaplin avait écrit des dialogues pour Modern Times, et a même commencé à tourner certaines scènes. la raison pour laquelle le film est finalement plutôt muet, c'est tout simplement afin de conserver au personnage qui renvoie à son vagabond habituel (Ici crédité comme "un ouvrier d'usine") sa dimension. On n'a jamais entendu sa voix, et sa diction, il fallait pour Chaplin préserver une part de mystère. Sinon, toutes les voix entendues le sont par le biais de machines, radio, télévision, etc... A l'exception de la voix de Chaplin entendue lors de la chanson finale. Si ce film est le dernier balbutiement du muet,c'est donc pour des raisons moins militantes qu'il y parait. Du reste, le désir de faire un film parlant qui avait été l'intention première a eu une conséquence inattendue: Chaplin, je le disais, a écrit un scénario, un vrai. Il a de fait tout tourné en séquence, et a planifié avec soin son tournage. Mais si le film s'en resent au niveau des décors par exemple, il ressemble à tous ses autres films muets... Par contre, il y a fort à parier que Chaplin s'y est retrouvé financièrement, d'autant que si le réalisateur a su conserver sa position financière, son studio inoccupé en 1933 et 1934 n'a pas été épargné par la crise...

Le film fonctionne beaucoup comme un ensemble de sketches dont l'unité est toujours, comme à l'époque de la Mutual, ancrée sur un lieu et une idée forte. On a donc la scène de l'usine qui démarre le film, les déambulations citadines, avec la conviction de l'ouvrier moustachu qu'il serait finalement mieux en prison dans cette période de crise, le grand magasin, et enfin à sa sortie de prison, le restaurant avec la "gamine", jouée par Paulette Goddard. Celle-ci évolue seule dans la première moitié du film, et représente un peu une actualisation du personnage de Jackie Coogan dans The Kid, auquel elle renvoie dans un plan, lorsqu'elle fait signe à chaplin de la rejoindre, alors qu'elle se situe au coin d'une rue. ce genre de compositions rappelle évidemment les tribulations de Charlie et Jackie... En dépit de cette structure épisodique (J'ai évoqué les films Mutual, on a même les appareillages sur les quels les gags sont centrés, machine à manger, escalator, patins à roulettes, etc...), le film garde une unité par le recours au contexte, et à la notion de survie.

Un reflet de son temps, voilà ce que Chaplin cherchait à faire; cela ne va pas sans quelques coquetteries éditoriales, comme la phrase ironique située à l'ouverture du film, qui rappelle que les Etats-Unis ont comme objectif la recherche du bonheur pour tous, ou les intertitres qui assènent des vérités assassines: dans les années 20, on pouvait en effet aller en prison pour la simple raison qu'on était soupçonné d'être un leader "rouge". Entendez par la "Bolchevik..." Et chaplin, alors, ou se situe-t-il? eh bien, si il se fait en effet arrêter dans ce film pour avoir agité un chiffon rouge devant une man,ifestation, on le voit bien, c'ets un hasard; l'auteur se refuse à faire de son personnage un activiste, tout son comportement dans le film va dans le sens de la survie, face à un système dont il ne fait partie qu'en extrême recours, lorsqu'il a charge d'âme: on le voit en effet courir et dépasser les autres afin d'être le dernier pris dans une usine ou on embauche au compte-gouttes, parce que désormais, il a la jeune femme à ses côtés...

Reflet de son temps, oui, et comme souvent reflet de ce qu'il a vu: on a beaucoup polémiqué sur le fameux procès en plagiat de la Tobis, qui accusait Chaplin d'avoir volé des idées à A nous la liberté. Ce n'est pourtant pas un problème: d'une part, en effet, Chaplin a surement vu le film de René Clair, et s'en est inspiré. Il a gardé l'essence des idées, et les a magnifiquement remodelées. René Clair l'en a même remercié, estimant qu'on lui faisait honneur... Ensuite, c'est comme ça que le burlesque a toujours fonctionné, il suffit de rappeler le fameux gag du miroir, qui passe de Chaplin à Max Linder et Billy West, de Billy West à Charley Chase, de Charley Chase aux Marx Brothers, via Leo McCarey... Aucun de ces gens n'a jamais accusé les autres de plagiat! Et du reste, Fritz lang aurait tout aussi bien pu intenter un procès à Chaplin pour l'utilisation de la télévision, qui retransmet les ordres odieux d'Allan Garcia, comme elle transmet les informations de Joh Fredersen dans Metropolis.

Comme d'autres films (On va refaire la liste, il convient de le rappeler, tant il me semble qu'on est trop indulgent avec Chaplin vis-à-vis de cette sale manie: The Kid, A woman of Paris, The gold Rush, Limelight, A king in New-York, et selon Pierre Leprohon, The circus), Chaplin a légèrement coupé ce film dans les années 50. Il me semble que la raison de la coupe est on ne peut plus claire, mais ce n'est selon moi pas celle qui est généralement invoquée; en tout cas, on peut juger sur pièces, la séquence étant en bonus sur les DVD MK2 et sur la magnifique et indispensable édition http://deadwrite.files.wordpress.com/2011/01/modern-times.jpgAméricaine Criterion... la coupe concerne un dernier couplet de la chanson en langage inventé, qui manifestement raconte une histoire très précise. Officiellement, Chaplin l'a coupée parce qu'il estimait qu'elle était trop longue. Mais elle recèle une caricature maladroite d'usurier Juif, qui a du quand même sembler embarrassante. ce n'est pas de l'antisémistisme, mais un autre reflet de son temps, et d'une époque ou l'humour ethnique était monnaie courante, comme chez Keaton, Larry Semon voire Harold Lloyd....

Bon, tout le monde connait sans doute ce classique, qui est de fait le denier film Américain muet historique, et l'un des films les plus connus de son auteur; les images fortes y abondent, les gags inoubliables aussi; on y retriouve tout ce qu'on aime de Chaplin, sa lisibilité, sa dextérité (Hallucinante partie de patins à roulettes), son goût pour les gags limites (Le ballet de l'ouvrier fou devenu un satyre, les borborygmes...) son univers de conscience sociale qui contraste tant avec la douceur de vivre Californienne, dont il donne une parodie avec la cabane délabrée au bord des eaux boueuses du port... Et puis il y a un final justement célèbre, qui résume à lui tout seul l'idée que le bonheur est peut-être au bout de la route, pour tout le monde, mais qu'en attendant il n'y a qu'à marcher.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1936 Criterion **
20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 17:18

Réalisé sur une longue période, alors que Chaplin, comme indifférent au temps et aux problèmes personnels qui s'accumulaient, s'enfermait plus avant dans son studio ou il travaillait comme seul, à un projet plus austère que les précédents, The circus est une fois de plus un miracle de comédie, une épure d'un genre alors en pleine mutation, comme l'était le cinéma Américain du reste, sous l'influence alors des grands cinéastes étrangers, et en particulier Allemand. D'une part, en effet, Keaton avait évolué dans ses films, et en 1927-1928, tournait College et Steamboat Bill Junior: un film bien de son temps, et une prouesse technique. Lloyd faisait suivre son évocation rurale sur le caractère d'un homme timide et effacé (The Kid Brother) d'un film qui situait le combat entre l'ancien et le nouveau en pleine ville, avec Speedy, au film mené à 100 à l'heure. D'autre part, le film est sorti (Janvier 1928) peu après le beau doublé de la Fox (Sunrise, Seventh Heaven), après The Jazz singer et The Student prince, quelques mois avant The wedding march et The wind... Bref, le cinéma de Chaplin risquait plus que jamais d'apparaître anachronique en cette période de remise des compteurs à zéro.

Et puis, le metteur en scène ne va pas bien; si en surface, sa vie mondaine continue plus que jamais, il sait, pour avoir vu le mal qu'on avait fait à Arbuckle, qu'il était dangereux d'être un homme à femmes... Son deuxième mariage était une catastrophe, dont entendait semble-t-il bien profiter son épouse Lita Grey, et qui commençait à lui coûter cher: il lui avait fallu ranger dans ses boîtes un film sur décision de justice (The seagull ou Woman of the sea, de Josef Von Sternberg, qu'il avait produit). De même que The gold rush avait pris une solide année de travail, The circus était pour Chaplin un exutoire qui prendrait le temps qu'il faudrait, indifféremment aux évolutions des autres studios...

Un cercle, marqué en son centre d'une étoile: voilà le premier plan du film. Belle image du cirque tel que le verra le vagabond, arrivé au cirque par hasard, et une fois de plus amoureux d'une jeune femme impossible à atteindre... A la fin du film, dans une séquence célèbre, c'est au milieu d'un cercle, marqué sur le sol par la tente éphémère du cirque qu'il a choisi de laisser partir sans lui, que le vagabond se retrouve seul avant de repartir vers d'autres aventures... Comme si rien ne s'était passé, à l'extérieur comme à l'intérieur du cercle. Entre temps, pourtant, des péripéties qui vont opposer Chaplin à un irascible patron de cirque (Allan Garcia), dont la fille (Merna Kennedy) sera un temps la raison de vivre du héros, avant qu'il ne laisse un autre que lui (Harry Crocker), plus talentueux, plus beau, plus tout, la courtiser et finalement l'épouser. Chaplin, dans ce film, est à la fois partie intégrante du show (Il est clown malgré lui) et dans les coulisses, et on ne quitte que très rarement les allées du cirque pour aller voir ce qui se passe dans le spectacle...

Métaphore aussi bien de la vie que du spectacle, dans lequel on doit laisser faire ceux qui savent, le film n'est pas tant une métaphore de Chaplin lui-même; il savait ce qu'il faisait, contrairement à ce petit homme qui n'est jamais si drôle que quand il ne sait pas qu'il est employé pour faire rire. Mais ce qu'il sait, lui qui a goûté au bide avec son projet le plus ambitieux, c'est que le public est versatile... Et qu'on ne peut pas forcer sa nature, d'où cette séquence superbe dans laquelle le clown malgré lui s'essaie à la corde raide pour notre plus grand bonheur; d'où aussi un film qui ne cherche pas à suivre les tendances virtuoses du cinéma de l'époque... S'il n'est pas le meilleur des Chaplin, et à ce niveau on ne mesure plus, en fait, The circus est un film qui passe tout seul, un concentré Chaplinien qui tient sacrément la route, une fois de plus.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1928 Criterion **
19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 20:51

En réussissant à convaincre la famille Chaplin, Oona O'Neill Chaplin en tête, de les laisser exploiter les chutes des films du grand homme, il y a fort à parier que Brownlow et Gill, déjà responsables du documentaire Hollywood en treize parties, consacré au cinéma muet Américain, ont réussi un coup fumant, et ce en trois points:

D'une part, ils donnent à voir la méthode de Chaplin, de quelle manière il investissait le studio à 100%, et raffinait prise après prise  ses films, avant même d'avoir un scénario; il commençait par un décor, des personnages, du mouvement, et au final obtenait un film...

Ensuite, ils lèvent le voile sur les mystères de la création en montrant de quelle manière Chaplin gardait des idées sous le coude, parfois durant 25 ans, pour les resservir au bon moment: des gags inusités dans ses films, ou tirés de films inachevés, venaient avec bonheur se placer dans d'autres films, montrant que l'esprit de cet homme fonctionnait toujours et avait des capacités à stocker beaucoup d'informations...

Enfin, ils ont redéfini la connaissance de Chaplin qu'ont ses fans, et ont permis l'émergence d'une nouvelle cinéphilie, plus exigeante, qui a appris avec ces documentaires à ne pas se contenter d'insupportables copies délavées et de seconde zone, et à exiger l'excellence. De même, ils ont permis la ressortie et la réhabilitation de la version d'origine de The gold rush, et ça, ce n'est pas rien...

Le tout, bien sûr, a été fait dans un documentaire en trois parties, qui fait quasiment trois heures, et qui se regarde comme un thriller...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet
15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 17:16

Tourné après l'échec commercial de A woman of Paris, ce nouveau film aurait pu n'être qu'un film par dépit, dans lequel pour satisfaire le public Chaplin revenait à son personnage, et pourtant il n'en est rien; c'est un film majeur, un paradoxe aussi; rarement revu autrement que dans une version massacrée, il a acquis un statut de chef d'oeuvre, d'ailleurs pleinement mérité. Il va de soi qu'il ne sera pas question ici de cette affreuse version de 1942 dans laquelle Chaplin transformait les images en une illustration pour son monologue, mais que cette critique est entièrement basée sur la version d'origine, telle qu'elle a été restaurée et éditée en supplément d'un DVD MK2 en 2003, puis en Blu-ray sur un magnifique Criterion en ce printemps 2012. Il faut noter que dans cette dernière parution, tous les participants insistent: la version de 1942, disent-ils, est le chef d'oeuvre de Chaplin... Contentons-nous de dire notre désaccord, et passons au film.

L'Alaska, pendant la ruée vers l'or. Un chercheur d'or en rencontre un autre, et ils vont s'épauler dans l'adversité, et être séparés, réunis... parallèlement, le plus petit, et le plus vagabond des deux va rencontrer une femme dans une ville minière,et tomber désespérément amoureux, ne se rendant pas compte qu'elle n'a d'yeux que pour un autre...

Si A woman of Paris ressemblait à une comédie déguisée en drame, on peut dire que The gold rush est le contraire: regardez les séquences durant lesquelles Chaplin est absent, et vous verrez un film qui n'a rien de drôle, un de ces films sur les conditions difficiles des pionniers,The trail of '98 (Clarence Brown, 1928) par exemple. Tout appelait un tournage épique, et le seul fait que le film a été motivé par l'anecdote de cannibalisme a sans doute poussé Chaplin a insérer son personnage afin d'atténuer l'horreur... Après avoir été un temps attiré par un tournage entièrement en extérieurs (Dont il reste un prologue, et quelques plans çà et là), Chaplin a finalement choisi de retourner vers son cher studio, où il pouvait à loisir contrôler chaque aspect de la production; cette maniaquerie s'en ressent notamment dans les scènes de tempête, pour lesquelles il se permet quelques effets spéciaux. 

Chercher de l'or? Big Jim Mc Kay (Mack Swain) le fait effectivement, il en trouve d'ailleurs dès la première bobine. Mais Chaplin, lui, semble abandonner l'idée lorsqu'il vend sa pelle, au bout d'une demi-heure de film. Je pense qu'il a abandonné en fait dès le début, lorsqu'il voit une stèle de bois marquant la tombe d'un mineur mort de faim. Cet abandon fait de lui un témoin de l'histoire jusqu'au moment ou il rencontre Georgia (Hale). Je reviendrai sur cette histoire d'amour un peu spéciale plus tard, en attendant, je voudrais quand même mentionner l'étrange position de son "petit homme" ici: à la fois partie intégrante de l'action (Il est venu chercher de l'or, comme le vagabond de The idle class était venu jouer au golf) et témoin des turpitudes des autres (Quel poids a-t-il réellement dans la cabane entre le chercheur d'or fréquentable et l'aventurier peu recommandable? Celui de choisir son camp, c'est tout), il est malgré tout intégré au même monde que les autres. a ce titre, il est moins transparent, et Chaplin fait de nombreuses allusions à une certaine forme de solidarité (Big Jim aime vraiment son copain, et Hank Curtis -Henry Bergman- partage vraiment sa maison avec lui.) parfois démentie par la dureté des circonstances: la fameuse scène du délire cannibale, avec Chaplin en poulet, un gag qui vaut à lui seul de voir le film! En tout cas, pour une fois, Chaplin est intégré à quelque chose. On objectera que sans Big Jim, sans Curtis, le héros est fichu. C'est vrai, mais cela sert le propos de solidarité devant les conditions, qui est relayé, une fois n'est pas coutume, par "les autres": Comme toujours, Chaplin se plait à imaginer une société dont notre héros serait naturellement écarté, mais cette fois ce sont les mineurs venus chercher l'oubli dans le saloon. Une scène de St-Sylvestre les montre enchaînés dans une de ces interprétations ivres de Auld Lang Syne, les yeux humides de larmes. Cette solidarité affichée est malgré tout montée en parallèle de la fameuse scène de rêverie durant laquelle Chaplin seul, attendant ses invitées, rêve qu'il leur interprète la danse des petits pains. Pour en finir avec ce thème de partage et de solidarité, dans ce qui aurait pu être une ode au rêve Américain dans toute son égoïste splendeur, on constatera que la façon dont Chaplin et Big Jim se partagent le gâteau est encore une fois une division intéressante des profits: ils ont conclu un pacte, mais Big Jim aurait eu le droit de tout garder pour lui. Dans ce film, à part le méchant "Black Larsen" (éliminé au bout de 30 minutes), tout le monde semble jouer le jeu de la coopération. Une coopération mise en valeur dans la scène fameuse de la cabane en équilibre instable sur une falaise, durant laquelle Chaplin et Mack Swain doivent d'abord maintenir l'équilibre de la cabane, puis surmonter leur panique pour se sauver mutuellement. Un film avec les frémissements d'une certaine forme de socialisme Chaplinien, donc...

L'amour, Chaplin le trouve enfin. est-ce que la mise hors-jeu d'Edna Purviance l'a libéré, ou est-ce que le fait que l'héroïne devait un temps être interprétée par son épouse, Lita Grey, l'a influencé? ou est-ce que le rapport très proche avec la jolie Georgia Hale qui reprendra finalement le rôle a eu raison de lui? quoi qu'il en soit, pour une fois, ça marche! Si pendant longtemps le film est une fois de plus l'histoire du ver de terre amoureux d'une étoile, la fin inverse subtilement les rôles: sur le bateau, Chaplin devenu riche est déguisé en chercheur d'or minable afin de prendre une photo commémorative, et Georgia qui est sur le même bateau le voit et croit qu'il est le passager clandestin que tout le monde recherche. Il se rend compte qu'elle est plus proche de lui qu'elle n'a jamais été, et ce sans même savoir qu'il a décroché le gros lot. Ils s'embrassent goulûment, et à pleine bouche. Il est à noter que Chaplin, dans ces séquences, interprète un personnage en contrôle de la situation, aux antipodes de son alter ego en haillons... A woman of Paris est passé par là.

Et à ce sujet, parlons une fois de plus de mise en scène: voilà pourquoi il est important de voir le film dans on montage de 1925: l'auteur est au somment de son génie, et son efficacité lui permet de réaliser des scènes à la narration directe et claire, en particulier devant le défi que constitue l'enveloppe du film, ces scènes sans son personnage, totalement dénuées de gags. Qu'on pense au long plan qui nous montre les clients du bar chantant ensemble, par exemple. Les trois plans d'ouverture, qui ont été tournés au Nord de la Californie, dans la montagne, et qui ont du être un cauchemar à tourner (on y voit une file de prospecteurs s'engager dans une passe abrupte, dans la neige, pour de vrai!). Et puis il y a la séquence durant laquelle Black Larsen tente de voler son or à Big Jim: comme toujours, Chaplin choisit une position de caméra immuable pour ancrer sa séquence, et le montage est ensuite une série de plans admirablement enchaînés:

1. Sur la gauche, Big Jim arrive à sa mine. un attelage prouve que quelqu'un est déjà là.

GR1

2. "Black Larsen" remonte de la mine avec de l'or

GR2

3. Big Jim découvre son or dans les affaires de "Black Larsen"

GR3

4. Larsen finit de monter; il a vu le danger.

GR4

5. Big Jim a vu Larsen lui aussi et a tout compris.

GR5

6. Retour à l'ancrage du plan large: Big Jim va demander des comptes.

GR6

7. Gros plan intense, d'un Mack swain qui ne rigole absolument pas...

GR7

8. Gros plan d'un Tom Murray tout aussi menaçant.

GR8

9. Big Jim attaque le premier.

GR9

10. Reprise du plan large, avec les deux hommes qui poursuivent leur bagarre.

GR10

11. Larsen assène un coup de pelle à Big Jim

GR11

12. Jim tombe, assommé.

GR12

13. Retour au plan large: Larsen prend ses affaires et s'en va, laissant Jim seul dans la neige.

GR13

14. Intertitre: La loi du Nord

GR14

15. Larsen arrive sur une corniche, dont la neige commence à montrer de sérieuses vélléités de tomber...

GR15

16. Larsen, en pleine panique

GR16

17. Retour au plan 15, l'accident se précise

GR17

18. L'avalanche

GR18

19. Jim se réveille

GR19

20. encore un gros plan dramatique du visage de Mack Swain. Son visage hagard anticipa sur l'amnésie qui nous sera révélée plus tard.

GR20

21. Il se lève, et part, en titubant vers la caméra puis à gauche.

 GR21

Voilà, cette séquence, fameuse, est l'un des moments les plus dramatiques du film. C'est un modèle d'économie narrative, et de direction des comédiens. Ni Murray ni Swain n'en font des tonnes, et l'un et l'autre jouent beaucoup de leur physique. Chaplin joue à fond sur le coté naturaliste de l'absence de maquillage, et laisse beaucoup les yeux de Mack Swain exprimer toute l'émotion requise: indignation, colère, abasourdissement... lui qui parfois en fait des tonnes (Lorsqu'il trouve de l'or, ses gestes sont trop exagérés, par exemple) est absolument parfait dans cette scène. Elle est d'une grande efficacité dramatique, et franchement mémorable... Voilà, donc, un film indispensable, on n'a plus besoin de le dire. Mais contrairement à la croyance populaire, il ne se réduit pas à une scène durant laquelle Chaplin joue un poulet, une scène de dégustation de chaussures, une scène de danse avec des petits pains, et une scène inoubliable dans laquelle une cabane tient en équilibre instable sur une corniche. Non, c'est un film épique sur la survie et une certaine forme de solidarité typiquement Américaine devant l'adversité des éléments. C'est aussi un chef d'oeuvre.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1925 Criterion **
4 juin 2011 6 04 /06 /juin /2011 18:24

Trois raisons pour Chaplin de ne pas jouer de rôle dans ce nouveau film, le premier pour la nouvelle compagnie United Artists. Pour commencer, il essaie, on l'a vu, de se débarrasser de son personnage (The professor, Idle class), de le démythifier en le représentant marié (Pay day), avec des enfants (A day's pleasure), voire en se représentant tel qu'en lui-même, en insistant sur le fait que moustache et défroques sont bien factices (How to make movies). Bref, il souhaite contourner cette icône. De plus, il a le sentiment, pas faux à cette époque, qu'on l'assimile surtout à son personnage moustachu; or, Chaplin, souhaite être reconnu pour son rôle de metteur en scène, et aussi d'auteur de films. Enfin, il tourne depuis un certain temps autour d'une représentation complexe du monde à deux niveaux qu'il perçoit; The Kid, The idle class en ont déja montré les contours. Il se sent obligé de libérer son cinéma de son empreinte burlesque, ce qui veut dire que le moustachu n'y a plus sa place. Honnêtement, je ne sais pas si ce film représentait dans l'esprit de Chaplin un affranchissement total de son personnage a priori, ce qui aurait été ensuite contredit par le flop monumental, qui aurait conduit Chaplin à faire machine arrière, avec le succès que l'on sait, ou si le metteur en scène se contentait de faire ce film, et puis après revenir sagement de son propre chef. Quoi qu'il en soit, A woman of Paris est l'unique film muet dans lequel Chaplin n'apparaît pas de façon significative, et c'est à peu près la seule information de la plupart des textes qui y sont désormais consacrés, je n'y reviendrai donc pas...

Pourtant Chaplin est partout dans ce film: regardez les acteurs, leur façon de jouer, l'économie des gestes et des mimiques. Ce gigolo qui baille en levant mollement les yeux au ciel, combien de prises a-t-il fallu lui arracher avant qu'il ait le détachement nécessaire? Carl Miller, qui joue ici le petit ami d'Edna Purviance jouait déjà ce même personnage ou presque dans The Kid, et il est lui aussi entièrement vampirisé par Chaplin... Quant à Edna Purviance, elle est splendide, dans les mains du metteur en scène, elle ne craint personne. Tant mieux, parce que le film repose entièrement sur ces attitudes, sur ces corps et sur les vêtements qu'ils portent, c'est l'un des traits les plus saisissants du film.

Marie et Jean s'aiment, mais leurs parents ne l'entendent pas de cette oreille. Alors qu'ils souhaitent fuir pour se marier, Jean a un contretemps: son père meurt, et il n'a pas le temps de prévenir sa fiancée: elle fuit à Paris seule, croyant à une trahison. Elle y fait sa vie, et on la retrouve un an après, protégée du riche Pierre Revel; elle s'appelle désormais Marie St-Clair, et lorsque Jean débarque à Paris avec sa mère, Marie a du mal à abandonner sa nouvelle vie pour retourner vers son passé...

Carl Miller donne l'illusion d'être l'un des deux personnages principaux, mais ne soyons pas dupes: Chaplin dépeint ici un certain style de vie, une course à la réussite, qui passe par tout un tas de turpitudes qui ne sont qu'esquissées: a priori, la métamorphose de Marie en Marie St-Clair passe par tout ce qui est dans l'ellipse du début. La mère de Jean la considère d'ailleurs comme une traînée... Non, les deux personnages principaux sont bien Marie et Pierre (Adolphe Menjou). Celui-ci, après tout, est tout sauf antipathique, à part lorsqu'il se sert des amies de Marie pour la manipuler. Mais il joue de son charme, et sait manifestement perdre... Il sait surtout que ce que veut Marie, cette fuite en avant du luxe et de la vanité, lui seul pourra le lui amener. De son coté, Jean est peintre (Comme le personnage de Carl Miller dans The Kid, du reste), et il va peindre un portrait du passé de Marie, contre le gré de celle-ci, portrait qui va sceller leur mésentente, leur différence, et portrait qui sera pris à témoin par la mère elle-même sur la dépouille de son fils. ce portrait, c'est la vraie Marie, lui seul l'a vue. Il faudra une catharsis tragique pour que Marie comprenne enfin...

La noirceur du film va de pair avec l'humour noir, notamment dans la description toujours sur la brèche de la vie des nantis (le restaurant, avec ses truffes, pour les cochons ou les gentlemen), et la méchanceté dans la peinture des manipulations des intrigantes: Malvina Polo, la jeune femme idiote de Foolish wives, tente de ravir la place de Edna Purviance auprès d'Adolphe Menjou...

L'habit, cette deuxième peau, est un motif qui court d'un bout à l'autre du film. On ne compte plus le nombre de scènes d'habillage, de déshabillage, de préparation du corps (Massage), de dénudage plus ou moins gratuit (Le strip-tease); toutes ces scènes renvoient à l'idée du mensonge, de la parure comme protection. Chaplin s'en sert aussi comme une indication de contemporanéité, comme DeMille le faisait avec divers accessoires (Les disques de chansons populaires, qu'on voyait tourner sur des phonographes luxueux dans ses comédies matrimoniales). Le grand nombre de scènes liées au service des domestiques, et la compartimentation des appartements riches de Marie et Pierre Revel, aussi, renvoient à cette vie à tiroirs, dans laquelle les gens se barricadent derrière le décorum. Bien sur, les petites boîtes communiquent entre elles, on se souvient du faux col masculin aperçu par Jean chez Marie. Cette apparition d'un signe cinématographique est un autre aspect visible de la mise en scène riche de ce film: on note aussi l'utilisation d'un bandeau noir, signe de deuil. Les personnages voient et déduisent en même temps que nous...

La mise en scène du film est d'une précision, d'une force extraordinaire. Chaque plan est composé de façon précise, Chaplin et Totheroh n'ont pas changé leurs habitudes. A des scènes de luxe effréné répondent des images d'une austérité diabolique (on parle toujours de cette scène à la gare, ou le passage d'un train est représenté par ses lumières); un effet de rapprochement de la caméra, est répété trois fois dans le film (Deux fois dans la version actuelle, voir plus bas): La maison de Marie est vue en plan large, puis un peu plus près. un troisième plan resserre sur une fenêtre, ou s'esquisse le visage d'une femme dans la pénombre. Enfin le quatrième et dernier plan nous montre Edna Purviance à la fenêtre. A la fin du film, la maison où sont réfugiées Marie et la mère de Jean pour leur nouvelle vie est saisie de la même façon. La troisième occurrence est très cohérente, puisque c'est le portrait, entouré de crêpe noir, de la maman de Marie dans sa maison. Chaplin avait tenté d'établir une mise en scène fluide, détaillée, mais l'a comme chacun sait bousillée en 1976, 5 ans après avoir massacré le film The Kid. 34 ans après avoir anéanti The Gold rush: son idée, c'était de rendre A woman of Paris plus fluide, de le rendre "moins sentimental". faut-il le redire? Un metteur en scène lui-même n'a pas le droit d'altérer un film, à plus forte raison 53 ans après. Même Chaplin.

Pour le reste, ce film est un miracle de subtilité; les commentaires lus ça et là sur la stupidité du script ne valent pas tripette. Les gens qui parlent d'un insupportable mélo n'ont jamais vu de mélodrame de leur vie, et le film tient diaboliquement la route, à la source de tout un pan du cinéma Américain. Que Lubitsch l'ait vu et s'en soit inspiré, c'est une certitude. Que d'autres, qui y avaient été confrontés directement (Henry D'abbadie D'Arrast, Monta Bell), ou qui l'ont vu comme on reçoit une claque dans la figure (René Clair, de son propre aveu), s'en soient inspiré, c'est une évidence. Bref: il y a un avant et un après A woman of Paris. Pour Chaplin aussi, qui ne supportera pas de voir son 'enfant maudit' boudé par le public, et le retirera du circuit pendant donc 53 ans. Et plus j'y pense, plus je me dis qu'on a de la chance de l'avoir encore...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1923 **
28 mai 2011 6 28 /05 /mai /2011 08:48

Grâce à l'arrangement trouvé par Chaplin et la First National autour de ce film, il a pu enfin profiter de la United Artists, le dernier de ses fondateurs à tourner pour le distributeur. L'arrangement était simple: au lieu de deux courts métrages, Chaplin a proposé de livrer un film de quatre bobines, ce qui fait quand même une bonne comédie de luxe, qui peut générer des revenus. Comme en prime le film est très soigné, tout le monde a été content... Chaplin ne bâcle en aucune façon ce dernier film (relativement) court, et convoque une certaine quantité de thèmes et de figures déjà évoquées. Il le fait avec son sens fabuleux de l'économie visuelle, et dans un cadre westernien, la seule et unique fois...

Un bagnard évadé a volé les vêtements d'un pasteur, et se retrouve à prendre sa place auprès d'une petite communauté du sud du Texas. Avant d'être repéré pour ce qu'il est, il a le temps de faire un office religieux, de participer à un thé auprès de certaines personnages du village, et de tomber amoureux d'une jeune fille (Edna Purviance); mais surtout il tombe par hasard sur un ancien 'camarade de l'université', un pickpocket (Chuck Reisner) qui comprend vite le parti qu'il peut tirer du costume et de la supercherie de son copain. Il va donc falloir l'empêcher d'escroquer toutes ces petites gens, sans se faire pincer...

Le costume sied bien à Chaplin, qui a toujours défendu l'idée qu'un habit ne fait pas le moine, mais que l'apparence est une illusion qui trompe forcément les autres. C'est ce qui arrive, avec cet étrange pasteur, et ce dès le début du film. Quatre plans suffisent à tout expliquer: 1 - Un gardien de prison colle une affiche à l'entrée de la bâtisse. 2 - Gros plan de cette affiche, un avis de recherche d'un bagnard évadé, il a une moustache, et un uniforme rayé. 3 - Un homme en maillot de bain sort d'une rivière, prend des vêtements, et constate qu'ils ne sont pas les siens: c'est un uniforme de bagnard. 4 - Notre héros, en habit de pasteur, et avec la mine compassée qui va avec, marche tranquillement vers une gare. Après, ça se gâte: un couple qui vient de fuir pour se marier lui demande de l'aide, et il est bien incapable de pourvoir leur prêter assistance, mais ça y est, aux yeux du spectateur, nous savons que cet homme est un bagnard, et le reste de l'humanité le prend pour un prêtre.

L'interprétation de ce film est marquée par les apparitions de fidèles acteurs, qui reviennent de ses derniers films. Henry Bergman, de moins en moins présent (Il avait un restaurant à gérer), apparaît dans deux courtes scènes au début, Albert Austin n'est nulle part, ou je l'ai manqué; par contre, Edna Purviance joue pour la dernière fois à ses côtés, et on voit aussi Sydney Chaplin dans deux rôles, Loyal Underwood en doyen à barbe, Chuck Reisner en exccroc (Quelle trogne!), et surtout le grand Mack Swain. Chaplin employait ses acteurs comme des pantins parfois, les laissant réagir de façon neutre à son jeu, comme Edna Purviance va souvent devoir jouer le témoin inactif dans certaines scènes. Mais quand il reconnaissait un grand acteur, il pouvait lui donner une place importante, c'est ce qui arrive avec Swain ici, qui du reste reviendra dans The gold rush. Dans le rôle du chef spirituel de cette petite communauté, il est merveilleux: alcoolique, mais en secret, qui désapprouve des agissements pour le moins étranges de ce pasteur bizarre, mais qui sait si bien se parer du masque de l'impénétrabilité lorsqu'il y en a besoin. La scène qui les voit tous deux marcher de dos, l'un et l'autre persuadé que la bouteille d'alcool qui vient de se briser par terre provient de sa poche, est un grand moment de collaboration burlesque.

Parce que ce ne sont pas tant les corps constitués qui sont la cible de Chaplin. non, ce serait plutôt les comportements des individus qui les composent: ici, il nous montre l'intolérance des braves gens devant l'excentricité de ce jeune pasteur (le fameux sermon de David contre Goliath, qui donne lieu à une pantomime parfaite, sera applaudi par un gamin qui auparavant s'ennuyait à l'église, alors que tous les braves gens sont indignés), avec une justesse étonnante. Et puis il y a Sidney, et sa tête d'hypocrite, derrière sa grosse moustache. C'est étonnant aussi de voir à quel point il pouvait s'enlaidir: quand on le voit dans sa première apparition, il est un jeune homme assez corpulent, mais pas vilain, qui fuit avec une jeune femme pour se marier... Le même, trois bobines plus loin, est un morse à moustache, les cheveux luisants et bien peignés, qui reste bouche ouverte d'indignation devant le fait que les invités du thé allaient... manger son chapeau.

Non, le seul qui soit épargné, à part Edna et sa mère dans le film, c'est le shérif (Tom Murray), qui voit à la fois en Chaplin un bagnard évadé, et un brave homme qui s'est conduit avec honneur. Hésitant à faire son devoir, il le conduit à la frontière, ou Chaplin fera l'amère expérience du fait qu'il ne sera tranquille nulle part. le final, qui le voit cavaler symboliquement une jambe aux Etats-Unis et l'autre au Mexique est après tout un reflet de toute sa vie. Une fois de plus, après The adventurer, Chaplin quitte un studio sur une fuite.

Le western est esquissé dans ce film, mais sans trop d'insistance. On constatera un hold up et une fusillade finale... On retrouve par contre une fois de plus (Après Police et The adventurer la dynamique de l'ancien prisonnier. Dans The adventurer, il était aux prises avec la société seule, mais dans Police et celui-ci, il est soumis çà la tentation de replonger par l'intermédiaire d'un autre malfrat, un vrai! Lloyd Bacon et Chuck Reisner sont donc les méchantes fées de ces deux films, qui invitent Chaplin à s'interroger sur sa loyauté. Quand il s'agit de rester fidèle à Edna Purviance, le choix est vite fait...

Bref, un film riche, drôle, qui apporte encore du nouveau tout en recyclant avantageusement des idées qui marchent bien, et qui montre aussi au public, une fois de plus, qu'il n'y avait pas besoin de vagabond: les costumes dans ce film sont totalement éloignés des habitudes, et Chaplin se contente finalement de sa moustache, ses cheveux frisés toujours aussi indomptables, et de sa démarche pour affirmer la présence de son personnage... Peut-être dans ce qu'il croyait être la dernière fois.mais le sort et le public en ont décidé autrement. Au fait, ce film a eu un gros succès.

...Pas le suivant.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet 1922 **
25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 11:08

Donc, en 1922, Chaplin veut profiter de la liberté qu'il entrevoit dans la possibilité de travailler pour la United Artists. Il ne peut se libérer, car il doit encore des films à la First National. Pay day, d'une certaine façon, fait partie de l'arrangement trouvé, un court métrage de deux bobines et un moyen métrage de quatre, afin de s'acquitter de ses obligations, et si on peut considérer l'autre film qui suivra, The pilgrim, comme un Chaplin majeur, ce n'est pas le cas de celui-ci. La structure est artificielle, et ressemble à un catalogue de situations. Chaplin étant Chaplin, il a soigné son film, mais il peut faire bien mieux...

 

Un ouvrier du bâtiment travaille, se fait payer, tente de vivre des moments d'intense camaraderie (Et de beuverie) avec ses copains, et doit répondre de ses actes à son épouse, abominable mégère... Par ailleurs, il est parmi les ouvriers le plus mal loti, exploité par un contremaitre brutal, et doit se débrouiller le midi sans nourriture. Enfin, il est amoureux de la fille du patron, jouée par Edna Purviance bien entendu.

 

Inégal, cette suite de situations prétextes à gags renvoie à l'évocation de nombreux courts métrages. Il ajoute une mise en scène très bien troussée, avec des effets spéciaux (Le lancer de briques, filmé à l'envers) et des gags mécaniques, basés sur les ascensions et descentes permanentes d'un monte-charge. Il filme l'après-beuverie, en gros plan, avec les yeux vitreux et la lenteur du geste, il se préoccupe surtout de montrer un mariage infernal... est-ce un hasard? Chaplin en est, à ce stade, à son premier divorce, et le regard de Mildred Harris sur les frasques extra-conjugales de Chaplin a sans doute pesé lourd dans la représentation (absolument déloyale, du reste) de l'épouse en dragon...

 

On ne peut qu'aimer le gag des briques, l'exposé de la camaraderie masculine, les frasques nocturnes des poivrots (Bergman, Sydney Chaplin, Loyal Underwood, etc...), le contremaitre joué par un Mack Swain inspiré. On constate que la situation finale rejoint un peu le type d'observation de One A. M., avec un ingrédient supplémentaire: chaplin ne vit pas seul, il rentre saoul mais doit en plus ne pas réveiller son épouse. Mais aussi soigné soit le film il n'apporte pas grand chose, il faut bien le dire... Si! un film de moins à tourner.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet
24 mai 2011 2 24 /05 /mai /2011 17:54

Dur de succéder à The kid, à plus forte raison lorsqu'un film a la réputation de n'être qu'une honnête tâche visant à remplir les obligations vis-à-vis d'un studio avant de filer à l'Anglaise. Et pourtant, je m'en voudrais d'expédier ainsi un film qui vaut mieux que ce coté accessoire, et je reste persuadé que Chaplin a lui-même réévalué ce film, qu'il a choisi pour accompagner The Kid dans sa ressortie en salles dans les années 70, les deux étant souvent sélectionnés ensemble pour des sorties en vidéo dans les années 80, et pour des soirées à la télévision. Cette réévaluation ne tient pas qu'à un facteur chronologique, il y a une continuité de thème entre les deux. Le film est un autre fragment du grand puzzle de Chaplin, qui recycle l'idée du golf tentée pour un court inachevé et re-essayée dans How to make movies...

Un vagabond arrive dans une petite ville riche pour y passer des vacances à pratiquer son sport favori, le golf. Il va croiser la route d'une jeune femme riche et malheureuse, mariée à un homme riche et alcoolique qui n'est autre que son sosie. A la faveur d'un bal masqué, le quiproquo atteint des proportions impressionnantes, et bien sûr le vagabond est pris pour le mari déguisé...

L'ouverture de ce film est virtuose, pleine de signes adroitement utilisés: d'une part, c'est l'été, et les premiers plans nous montrent des chauffeurs attendant un train. L'un d'entre eux baille. Est-on chez Chaplin? Oui: le train s'arrête et laisse descendre des riches golfeurs, dont Loyal Underwood, puis une dame élégante, mais au visage sombre: Edna Purviance, vue d'abord par ses jambes. Enfin, un vagabond sort de sous le train, et porte lui aussi des affaires de golf. Dès le départ, Chaplin joue à la fois sur la dichotomie et sur la paradoxale appartenance de ce vagabond à un même monde que es autres. Il va de fait dans la même ville, faire le même sport, et possède un certain nombre de petites manies singées des gens de la bourgeoisie: un geste avec sa montre, notamment.

On quitte ensuite le vagabond pour s'intéresser au mari, également interprété par Chaplin. C'est la première fois qu'il joue deux rôles. il avait maladroitement inséré dans The floorwalker l'idée d'une ressemblance entre lui et Lloyd Bacon, mais là, il utilise les grands moyens. Un intertitre nous renseigne sur le fait que l'homme est marié, et distrait: an absent-minded husband. On ne comprend qu'à la fin de la séquence, qui détaille le personnage dans un certain nombre de rituels: il est dans sa chambre d'hôtel, se prépare à sortir, se parfume, prépare son chapeau haut-de-forme, et lit un télégramme de son épouse (Signé "Edna", bien sur), qui se réjouit d'apprendre qu'il a arrêté de boire. Puis il sort... en caleçon. Chaplin a défini en quelques traits les contours de la bourgeoisie, sa richesse, ses rites, et oppose les allées et venues tout autant codées mais franchement burlesques de son vagabond. L'avantage du montage parallèle est de rendre lisible la ressemblance entre les deux et d'empêcher toute confusion, parfois même trop, comme on le verra tout à l'heure... Quant au ballet du caleçon, il est fort bien réglé, très drôle, mais c'est sans doute ce qui vaudra au film d'être souvent mal vu par les historiens. De son côté, Keaton jouera une anecdote comparable, dans un piscine, pour The cameraman, en 1928. la scène selon Chaplin est intéressante par la façon qu'il a d'amener le mari au-delà de l'embarras, avec un déchaînement du gag, lorsque Chaplin quitte un cabine téléphonique accroupi et caché derrière un journal.

Une autre scène présente le mari seul: un mot de son épouse nous montre qu'elle en sait plus sur lui, et souhaite, à nouveau, qu'il arrête de boire. Il se retourne, et joue de son dos: il semble sangloter en regardant le portrait d'Edna, mais en fait son tremblement est du au fait qu'il est tranquillement en train de secouer un cocktail. Boire: habituellement, Chaplin nous en montre surtout les conséquences (A night at the show, One A.M., The cure), mais ici il met l'activité elle-même à contribution: il ne joue plus sur un stéréotype, il construit un personnage.

Le choix du golf est parfait pour ce film qui joue sur la notion de classes, afin d'intégrer de force, le temps d'un film, son vagabond à un monde qui ne peut que l'exclure, et il permet des ballets méthodiques : avec John Rand, il reprend les échanges de balles déjà définis pour le fameux court métrage inachevé, et ajoute à l'étrange rite physique du golfeur les gestes Chaplinens, exagérés juste ce qu'il faut, un peu comme Tati réinventera le tennis dans Les vacances de M. Hulot. Mack Swain (qu'on n'a pas vu chez Chaplin depuis les années Keystone et qui va revenir dans deux autres films consécutifs), apporte sa rotondité à la scène, et les scènes de golf se vautrent avec plaisir dans le burlesque, voir à ce sujet Henry Bergman, endormi par terre, et qui a avalé cinq ou six balles de golf...les scènes sur le green permettent aussi la rencontre avec Edna, sise dans un sous-bois ou elle se promène avec son cheval. L'idéal onirique de Chaplin, son choix de se représenter en ver de terre amoureux d'une étoile s'accompagne ici d'un rêve ironique, il se voit la sauver, puis se marier avec elle. Ca n'arrivera pas. Chaplin, en tout cas, s'approprie le sentimentalisme, de façon de plus en plus marquée.

La fin, avec le bal masqué, est conventionnelle, et un peu courte; tout se met en place, les gens se retrouvent tous au même endroit, et un temps, Chaplin croit au père noël: la femme de ses rêves lui donne sa main, et il est pour deux minutes au paradis. L'autre homme est joué par un autre, en armure, pas le meilleur choix pour danser dans un bal masqué, mais idéal pour le metteur en scène qui est aussi un acteur jouant deux personnages. Mais il se passe quelque chose; on est persuadé, finalement, que le vagabond et Edna sont faits l'un pour l'autre, même si la jeune femme semble préférer dans ces scènes boulevardières la solution de convenances. Mais l'autre l'emporte, et pourtant il ne nous est pas sympathique du tout. a tel point, je crois, qu'on l'identifie malgré tout les efforts de l'acteur comme quelqu'un qui ne serait pas Chaplin: désormais, dans notre esprit, Chaplin, c'est le vagabond. ici, les efforts pour les différencier ont été si fructueux que le moustachu riche, finalement, est quelqu'un d'autre... Un problème qui sera évité dans The great Dictator, seule autre tentative pour Chaplin d'un rôle double.

Les deux mondes ne peuvent pas se mélanger, et pourtant, ce sont les mêmes gens, nous dit en substance Chaplin. Ici, il va jusqu'à jouer lui-même les deux extrêmes, en brouillant convenablement les pistes, mais le message, finalement, est le même que pour The Kid, en plus noir cependant: s'il s'efface avec élégance, le vagabond à la fin est condamné à quitter cette illusion. Il choisit de le faire comme Chaplin sait faire, en donnant un coup de pied au fondement du pauvre Mack Swain, représentant à son corps défendant de la bourgeoisie. Cette tendance à choisir son camp est désormais bien ancrée chez Chaplin, et elle ne le quittera plus. Autant de facteurs qui font de ce court métrage de deux bobines bien plus qu'un simple remplissage pour contrat à finir...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Charles Chaplin Muet