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26 février 2025 3 26 /02 /février /2025 22:30

Confronté au dur travail dans une carrière, dans l'Ain, un ouvrier (Charles Vanel) se marie, et file le parfait amour avec sa tendre épouse (Sandra Milowanoff). Mais il a un accident qui le défigure... Il doit porter un msque, et la jeune femme veut le soutenir, mais elle est vite rattrapée par le dégoût... D'autant qu'un autre homme s'est présenté, qui l'attire...

C'est un film d'une grande noirceur, qui tenait énormément au coeur du comédien. Celui-ci n'est pas n'importe qui, déjà: il est en passe de devenir le monstre sacré qu'il deviendra bientôt, même si ce n'est pas encore dans ses préoccupations. Il est en attendant devenu un spécialiste d'un certain type de rôle: La femme rêvée, de Jean Durand, nous le montre en parvenu profiteur qui trahit presque malgré lui sa jeune épousée; La maison du mystère de Volkoff nous le présentait en traître parfait, vil et corrompu... Il y avait pourtant aussi une dimension romanesque voire romantique, chez l'acteur, qui avait apprécié de jouer les Pêcheurs d'Islande pour Baroncelli, ou l'aviateur de La Proie du vent pour René Clair. Ces deux aspects se combinent dans ce film dont il est le metteur en scène, comme ils se combineront dans son Javert de 1933 pour Raymond Bernard...

Le comédien avait sans doute très envie de devenir metteur en scène, et son film, unique en son genre, participe du style atteint par le meilleur du cinéma muet en ces dernières années... Dès l départ, on est frappé par la puissance de l'évocation des hommes au travail dans la carrière, avec un naturalisme qui en rappelle un autre, et renvoie à la mine d'or du début de Greed de Stroheim. Le contraste pourtant avec la scène du mariage est étonnant, Vanel ayant recours à une caméra mobile pour montrer la façon dont la joie, le vin, la fête tournent la tête des convives et des deux jeunes mariés... La fin du mariage, une scène nocturne délicate, semble pourtant indiquer comme un avant-goût de cauchemar...

Même si le sujet n'en est pas forcément en soi d'une grande nouveauté, Vanel transcende le mélodrame par l'intensité du jeu, le sens impressionnant du détail, et la force de son rythme. Il évite les intertitres, parfois remplacés par l'intrusion dynamique de mots ou de phrases dans les plans même... Des choix de mise en scène qui renvoient à Murnau et Sunrise, qui me semble cité à travers le recours à des intérieurs criants de vérité (même si on sait que chez Murnau ils faisaient d'autant plus vrai qu'ils étaient faux!), et aussi à travers une vision idyllique d'un bonheur illusoire qui reprend les scènes du bonheur conjugal aperçue au début du film Américain...

Vanel joue aussi avec adresse de sa complicité avec Sandra Milowanoff (qui a joué auprès de lui dans Pêcheurs d'Islande, et dans La Proie du vent), et les deux acteurs sont épatants qu'ils soient ensemble, ou seuls à l'écran... Et sinon, il utilise magnifiquement la caméra pour jouer avec les acteurs, en particulier en usant de mouvements d'appareils pour souligner ou changer les points de vue. L'utilisation du masque du personnage, pour éloigner la perspective de montrer le vrai visage de l'accidenté, tout en le rendant plus différent encore, est une idée fabuleuse... Mais de toute façon, le réalisateur s'est de suite situé au côté des plus grands en faisant de chaque plan un modèle de cinéma inventif, comme Stroheim, Murnau, Borzage, Wellman ou Sternberg à cette même époque. Parmi les plus grands...

Ce qui n'empêche pas ce film admirable, mais réalisé en 1929 et sorti un an plus tard, soit trop tard (on n'allait voir à l'époque que les crétineries bêlantes), de devenir un flop monumental, qui en dépit de deux autres essais plus modestes (un court et un moyen métrage), a eu définitvement raison de la carrière de metteur en scène de l'acteur Charles Vanel.

 

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Published by François Massarelli - dans Charles Vanel Muet 1929 *
15 novembre 2023 3 15 /11 /novembre /2023 21:32

En Bretagne, Yann Gaos (Charles Vanel) a suivi la voie familiale: il est marin, et avec un équipage de durs à cuire, il retourne régulièrement pêcher au large de l'Islande, un voyage dangereux mais fructueux. A terre, il laisse une jeune femme, Gaud (Sandra Milowanoff), , qui aimerait qu'il se déclare... Mais Gaos est pauvre, et surtout il est fasciné par la mer. Il sait que s'il se marie il va probablement devoir effectuer un sacrifice, celui de son métier ou celui de son mariage...

Les deux oeuvres actuellement le plus accessibles de l'oeuvre muette de Baroncelli ont comme point commun un amour impossible. C'est plutôt monnaie courante, à l'époque du mélodrame roi. Mais ce qui relie également ce Pêcheur d'Islande (d'après Pierre Loti) et le très intéressant La femme et le pantin de 1929 (d'après Pierre Louys), c'est une envie de mise en scène phénoménale. Des acteurs, certes, des décors évidemment... Des images même, ici dominées par des prises de vue "en situation", documentaires pour certaine, et Bretonnes pour une large part, mais surtout une envie de dominer l'espace filmique, et de tout tenter. Et c'est une grande réussite...

Le film ne suit pas que ses deux protagonistes, qui sont excellents. On y sent une trace du cinéma Américain, à travers un jeu d'une sobriété exemplaire, Vanel et Milovanoff jouent avec les yeux, et une économie de moyens qui est d'autant plus remarquable, qu'à l'époque (et en particulier dans le cinéma dit 'impressionniste' de l'avant-garde française, celle de Delluc, Dulac et à laquelle on assimilait parfois L'Herbier et Gance), le jeu des acteurs français était plus marqué. En plus du couple, on suivra brièvement le personnage de Sylvestre Moan, un autre enfant du village qui tentera de montrer la voie aux deux amoureux avant de mourir au Tonkin...

Mais le triangle amoureux, ici, relayé par un montage savant et virtuose qui fait rimer en permanence les lieux et les temporalités de Vanel et Milowanoff, se situe entre la jeune femme, qui symbolise presque à elle toute seule le lien à la terre de Bretagne (l'Argoat), le marin, qui évidemment incarne le lien à lOcéan (l'Armor), et bien sûr la mer elle-même, et celui que cette dernière tient prisonnier en elle, attendant le jour du naufrage, que le film appelle poétiquement "le jour de ses noces avec la mer"... 

Le film est passé dans la légende pour ses scènes de pêche, probablement tournées de façon documentaire, mais les séquences avec Vanel s'y insèrent sans aucun problème, ce qui est à porter au crédit de la production... Pourtant il y a de belles séquences oniriques, avec des surimpressions très réussies, et une magnifique utilisation de décors authentiques Bretons, quatre années avant Epstein. Et les effets spéciaux, surimpressions, mélange d'images et collages parfois provocateurs sont utilisés pour appuyer sur la rudesse d'une existence coupée en deux, pour l'un et l'autres des deux amoureux. Le lien à la terre, à la famille, à la mer, et à un destin qui toujours devra s'accomplir à l'encontre des désirs des amoureux.

Une scène parmi tant de séquences marquées d'un souffle virtuose (l'influence d'Abel Gance me semble une piste pertinente, mais cette inspiration est constamment disciplinée par Baroncelli qui jamais n'ause de ses effets), me semble vraiment sortir du lot: les marins sont au large, dans un brouillard à couper au couteau. Ils croisent un bateau, dont les marins blafards, grimaçants, leur annoncent des mauvaises nouveles du pays. Mais ce sont des fantômes, comme une annonce d'un destin entièrement écrit pour Yann Gaos...

 

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Published by François Massarelli - dans 1924 Jacques de Baroncelli Muet Charles Vanel