Cherchant inlassablement une formule qui donnerait des résultats intéressants, Roach n'avait pas encore arrêté son choix lorsqu'il mit ce film en chantier. Il devait être important puisque on constate que le nom du patron y est crédité à la mise en scène aux côtés de Bruckman... Mais pour le juger sur pièces, ce sera difficile, car il n'en reste qu'un fragment très court, environ une minute, consistant en deux extraits de séquences...
Hardy et Davidson sont deux chercheurs d'or qui sont tombés sur un filon important et décident de profiter de la vie. Ils se rendent dans un palace où ils vont bien vite rencontrer deux jeunes femmes charmantes (Viola Richard et Martha Sleeper) mais leur inaptitude sociale va vite déboucher sur le chaos généralisé...
D'une part au milieu des autres films de l'époque dans lesquels Hardy était déjà confronté à Laurel alors que le duo n'était pas encore constitué, on imagine qu'on aurait très bien pu remplacer Max par Stan. Mais le contraste entre les deux vedettes nous rend forcément curieux de retrouver une copie du film qui nous permettrait de voir leur confrontation... En attendant on a quelques images dans lesquelles Hardy apprécie la présence de nombreuses et avenantes jeunes femmes, et une séquence partagée entre Davidson et Martha Sleeper, qui est comme si souvent excellente: une confusion entre un fixe-chaussettes et une jarretière va provoquer des ennuis...
Sinon le film se terminait sur une séquence qu'on aimerait voir: une bataille géante de tartes à la crème. Une idée qui allait resservir, avec Hardy, Stan, mise en scène par Bruckman, mais sans Davidson...
La famille Gimplewart veut vendre sa maison, et vite: leurs voisins sont une troupe de comiques incontrôlables (parmi lesquels on reconnaîtra quelques gloire du studio de Hal Roach) et du coup leur vie quotidienne est un enfer. Mais les rigolos ne s'arrêtent pas pendant les visites et inévitablement les premières tentatives pour se séparer de leur bien échouent... Jusqu'à ce qu'un acheteur potentiel arrive et leur propose d'échanger leur maison avec la sienne, sans attendre. Au vu de la demeure, ils acceptent tout de suite, et... la maison s'avère rigoureusement invivable.
Au hasard: quand on croit allumer la lumière dans une pièce c'est une autre qui s'éclaire, les parois de la baignoire ne tiennent pas en place, le four ne marche pas au gaz mais à l'eau (par contrecoup les robinets sont dangereux...), etc. Ce principe d'une maison devenue folle a souvent été exploité notamment par Buster Keaton (dans One week et Electric house) mais au service de Max Davidson, c'est un merveilleux révélateur de caractères, et une occasion rêvée pour la comédie de réaction chère au studio d'Hal Roach. Et le film repose sur une équipe à l'efficacité prouvée: Bruckman est un grand metteur en scène rompu au rythme de ce genre de film, et Davidson est flanqué pour compléter sa famille de deux partenaires fantastiques: Lillian Elliott le seconde merveilleusement pour les réactions outrées, et Spec O'Donnell remplit sa mission habituelle, à savoir être le fils ("Love greatest mistake", nous dit un intertitre fort méchant) de max, mais cette fois sans montrer aucune émotion...
Mais si le film est aisément le plus célèbre de tous les films Roach avec Davidson, c'est sans doute pour une raison et une seule: parmi les dingos de la maison d'à côté, on reconnait donc James Finlayson, Charley Chase, Stan Laurel et Oliver Hardy. Leurs clowneries, largement improvisées, sont idiotes à l'extrême, mais c'est si réjouissant. Et pour la petite histoire, les coupes de cheveux de Laurel et Hardy sont bien courtes, et pour cause: c'est le premier film qu'ils ont tourné après The second hundred years, dans lequel ils incarnaient des prisonniers qui s'évadent, et dont les crânes étaient tondus...
On a retrouvé en juin 2015 la bobine manquante de ce film qui en contenait deux; il ne subsistait donc de la pièce de résistance de The battle of the century, donc, que quatre minutes environ, sauvegardées d'une copie depuis longtemps disparue. On a un film à peu près complet, dont seul manque la fin de la première bobine, une séquence qui devait durer à peu près 3 minutes dans laquelle Laurel et Hardy sont confrontés à Eugene Pallette.
Laurel est un boxeur minable, dont le manager Hardy a réussi à négocier un match avec un champion (Noah Young). Devant les problèmes financiers qui suivent l’inévitable nullité de sa prestation, ils conviennent avec un escroc (Eugene Pallette, dans la scène manquante) de récupérer de l’argent en concoctant une escroquerie à l’assurance. Laurel doit glisser sur une peau de banane, mais c’est un livreur de tartes à la crème qui subit l’accident à la place. Le camion sera vidé, et l’anarchie, en même temps que la crème, va s’installer à Roach City…
Remercions Robert Youngson, qui avait une copie du film à sa disposition lorsqu’il préparait une compilation dans les années 60: il a ainsi pu, sans le savoir, préserver cette séquence d’anthologie. La scène du combat (6 minutes) est belle aussi, surtout dans le jeu entre le savoir faire carnassier de Noah Young, et l'anarchie lamentable du jeu de Laurel. Mais privées de leur lien naturel, les deux parties s’enchaînaient mal.
Il faut voir cette impressionnante montée anarchique dans la rigueur de sa construction, le soin maniaque avec lequel les gens s’envoient furieux des projectiles crémeux dans la tête, le calme et la réflexion apporté à chaque lancer de projectile dans la tête, bref, cette bataille du siècle mérite bien son nom. De tous les courts métrages de Laurel et Hardy reposant sur l'accumulation anarchique virant au cauchemar, c'est sans doute le plus beau. Et maintenant que toute la bobine a été retrouvée, on a enfin cette rigueur, cette montée en puissance lente et inexorable du délire crémier, cette orgie pâtissière absolue, dans toute sa logique, avec les bottes secrètes de Laurel et Hardy: le "tit for tat", quand quelqu'un fait une bêtise, on le lui rend d'une manière ou d'une autre, mais aussi lentement et méthodiquement que possible... L'accumulation logique par influence colérique: deux hommes s'envoient des tartes à la figure, un troisième s'interpose. Non seulement il sera la victime de l'attentat sucré suivant; mais il sera un adversaire encore plus acharné dans les combats futurs. Après ça, il n'y a plus qu'à multiplier... Enfin, Laurel est toujours celui qui apporte, par son désordre personnel, de l'ordre dans le chaos; on le voit prendre la responsabilité de distribuer les tartes aux combattants.
...Tant que j’y pense, il y a une apparition sublime de la grande Anita Garvin, qui glisse sur une tarte, sa robe s’ouvrant en corolle, elle se trouve donc en contact quasi direct avec les restes pâtissiers répandus sur le trottoir, et au lieu de faire des bonds hystériques, elle prend son temps, semblant analyser la situation avec pragmatisme. Quand finalement elle se relève, et tourne au coin de la rue, elle a un geste discret de la jambe, pour se débarrasser de la crème. Sait-elle qu’il ne s’agit que de crème ? En tout cas, c’est de la pantomime de première classe : la crème de la crème!
Dans un ranch, le malfrat Sharkey (Stuart Holmes) souhaite se marier avec Martha (Sleeper), la fille de Joe Skittle (James Finlayson). Elle refuse, et Sharkey décide de l'enlever, avec son bellâtre Teddy (Theodore Von Eltz)... Joe Skittle va donc devoir sauver sa fille, en compagnie de son fidèle assistant Texas Tommy (Stan Laurel)...
Parfois crédité à Louis Gasnier (Pourquoi?), ce film est très symbolique; il est après tout le dernier film solo de Stan Laurel, avant que le partenariat de sa vie ne passe à la vitesse supérieure. Bien sur, ils étaient déjà ensemble à l'époque, et le succès se faisait déjà sentir... Si on voit que Laurel ici est un peu un benêt, il n'est toutefois pas le même que celui du duo, et du reste il a un rôle secondaire dans ce qui est avant tout une comédie "all stars", dans laquelle Hal Roach donne des rôles à plusieurs de ses vedettes, le but étant à la fois de calmer les egos et de tester les talents.
Calmer les egos: en 1928, James Finlayson a enfin réalisé que ce qu'on lui promet depuis quelque temps, à savoir soit une série de films qui lui seraient consacrés soit un partenariat à égalité avec les deux stars montantes Laurel et Hardy, n'arrivera jamais. Il est donc souvent amené à participer à ces films all-stars afin de calmer sa rancoeur...
Tester les talents: elle a un rôle proéminent dans ce film et je suis le premier à m'en réjouir... Martha Sleeper avait à peine 17 ans quand elle est arrivée chez Roach, et très vite elle a été remarquée par Charley Chase, qui en a fait sa partenaire régulière. Mais à partir de 1927, il va souvent faire appel à d'autres, et Martha va aller d'unité en unité. Ses meilleurs films à cette époque sont sans doute ceux qu'elle a interprétés en compagnie de Max Davidson, souvent avec Clyde Bruckman à la barre. On peut supposer qu'il s'agissait, dans ce film qui lui donne une partie importante, de tester son potentiel vis-à-vis du public... Pourtant, elle est ici bien plus conventionnelle que dans ses films avec Chase et Davidson, où elle était vraiment traitée en comédienne. Ici, elle arrive souvent à un statut de potiche. Le public n'a pas du accrocher du reste, car elle n'aura jamais sa série.
Avec ce film et les trois précédents, on peut, et c’est rare, dégager un style de mise en scène de trois films de Laurel et Hardy, et c’est celui de Clyde Bruckman. Bruckman n’est forcément pas un inconnu : il a co-signé The general (Ce qui fait de lui un assistant de Keaton, mais ce n’est pas rien), a travaillé en tant que gagman avec Keaton, justement, et a fait de nombreux films pour Hal Roach, dont des courts métrages avec Max Davidson. Il a hérité une tendance Keatonienne assez typique, qui est de résoudre un gag en un plan. A une époque ou le montage a pris tant d’importance, Keaton aimait limiter ses gags à un plan, choisissant parfois ses décors en fonction. Dans The finishing touch, par exemple, un plan montre Hardy lançant un paquet à Laurel, et un homme qui essaie de le leur prendre (Il s’agit d’une somme d’argent). Le plan est notable à cause de sa lisibilité. De même les nombreux plans de la bataille de tartes dans Battle of the century sont-ils autant de petites histoires, filmées à distance, par une caméra neutre à force d’être rigoureusement immobile. A l’opposé, Edgar Livingston Kennedy tend à filmer à hauteur d’acteurs, en particulier dans From Soup to nuts, ou il rapproche beaucoup la caméra, sélectionnant des plans plus éloignés afin d’accompagner les gags ou d’y apporter une chute. Les deux styles, combinés en particulier grâce au talent d’un James Parrott, donneront un style Laurel et Hardy, sous la houlette de Stan, toujours attentif à ce genre de petites (grandes) choses. En attendant, The finishing touch est le dernier des quatre courts métrages de Laurel et Hardy mis en scène par Bruckman, et le verdict est qu'il a beaucoup apporté, en étant la bonne personne au bon moment...
Dans ce film, les deux compères travaillent dans une entreprise de construction, à la finition... Les deux «finisseurs» sont des bâtisseurs de maisons préfabriquées, qui doivent finir un contrat, et ils vont « finir » la maison. Le génie de Clyde Bruckman réside ici dans le placement impeccable de la caméra, et Stan saupoudre ce petit bijou d’un ensemble de gags qui lui viennent de son lourd passé : le fameux gag de la planche tellement longue qu’elle est tenue aux deux bouts par le même Laurel, a déjà fait des apparitions dans sa filmographie solo (dans Smithy ou The Handy man) ainsi que dans un Larry Semon. Sinon, Hardy a le chic pour rendre parfaitement logique l’absorption de clous. A plusieurs reprises, afin de transporter des clous d'un bout à l'autre du chantier, il décide de les mettre dans sa bouche, car il a les mains pleines. Il est donc inévitable que de son côté, Laurel dans ses activités ne provoque (Deux fois!) les circonstances qui vont faire que Hardy avalera les clous. Dans l'intrigue, l'autorité est vraiment représentée par Dorothy Coburn, qui joue l'infirmière en chef d'un hôpital à proximité. Elle souhaite faire respecter le silence, et charge l'agent Edgar Kennedy de le faire. Il finira en très mauvais état…
Le film, enfin, contribue à donner à ces courts métrages l'impression qu'ils forment autant de capsules temporelles, d'un temps révolu: ici, un quartier résidentiel populaire de Los Angeles en 1928 est capté dans sa vérité, et c'est tout un univers...
Après Hats off et Battle of the century, les films de Laurel et Hardy prennent ce rythme très particulier, qui ne se précipite pas au désastre, mais qui y conduit plutôt par des étapes scientifiquement calculées. Plutôt que la frénésie, c’est le calme dans le malheur, amplifié par l’importance de la réactivité des acteurs, qui reste le maître mot, d’où l’importance des acteurs de second rôle : à un James Finlayson en froid avec Roach, qui l’a sacrifié sur l’autel de Laurel et Hardy (Rappelons qu'avant l'association entre Laurel et Hardy, les trois comédiens faisaient jeu égal au studio, avec même un léger avantage d'ancienneté à Finlayson) succèdent justement de nouveaux acteurs qui vont marquer les films d’une façon indélébile, et qui se démarquent de l’éternel colérique excessif qu’était Finlayson, par leur calme, parfois dangereux, comme Charlie Hall, éternel voisin irascible, laconique et au geste violent, et parfois désespéré, comme Edgar Kennedy, éternel flic malmené, qui fond parfois en larmes au bout d’un combat impossible contre la logique dans sa version Laurelethardyienne: l’impuissance faite policier. Kennedy en particulier sera crucial à cette époque pour deux raisons : premièrement, il joue mieux que quiconque la réaction méthodique et la montée progressive et lente de l’exaspération; deuxièmement, il sera aussi metteur en scène.
A propos de metteur en scène, on retrouve Clyde Bruckman pour la mise en scène de ce film, et c'est une bonne nouvelle. Son style direct et économique fait merveille pour ces courts métrages qui établissent le nouveau rythme épuré des films...
Voici par ailleurs le premier court métrage qui présente les deux garçons au quotidien, dans leur maison, en proie à un problème qui fera des petits dans leur filmographie : l’un d’entre eux a un problème de santé, ici une rage de dents. Plus tard ce seront les affres de Ollie avec la goutte, mais ici la victime, Laurel, porte des oreilles de lapin. La rage de dents permet un bon nombre de gags savamment disposés, et le film s’ouvre peu à peu à d’autres acteurs (Le voisin, joué par Charlie Hall, dans sa première intervention pour se plaindre du bruit que font les deux compères) avant une inévitable et hilarante visite chez le dentiste (Qui arrache une dent… à Hardy) puis une séquence « gaz hilarant » qui ne serait pas si intéressante si elle n’introduisant pas Edgar Kennedy au monde de Laurel et Hardy.
Exit donc Fred Guiol, le réalisateur efficace mais sans âme de la majorité des premiers films du tandem. Au fait, c'est probablement un signe: Clyde Bruckman est à cette époque un metteur en scène établi en dépit du fait qu'il a peu tourné. Mais il est surtout ancien gagman et scénariste de Buster Keaton, dont il a été le co-réalisateur, excusez du peu, pour The general. et Laurel a travailé avec lui sur un court métrage, en 1925. Donc son arrivée chez Roach (Il a mis en scène deux films avec Max Davidson) a donné l'idée au patron de lui confier la mise en scène des deux comédiens, tout en demandant à Leo McCarey de prendre en charge la supervision des opérations, comprendre par là la production proprement dire. On prend enfin Laurel et Hardy au sérieux, et ça commence avec cet excellent film...
Contrairement à Hats off (Film perdu, réalisé par Hal Yates entre The second hundred years et celui-ci) et The second hundred years, ce film n’est pas un Laurel et Hardy typique: Hardy, descendant d’une vieille famille Ecossaise dont l’ancêtre a émigré aux Etats-Unis, doit recevoir la visite de son neveu Philip. Celui-ci, interprété par Laurel bien entendu, est un Ecossais relativement traditionnel (Donc en kilt) qui est, mais oui obsédé sexuel: sitôt qu’il passe à la portée d’un charmant minois, il esquisse une sorte de geste rituel, sautant en l’air en lançant sa jambe droite en avant, et pliant sa jambe gauche, puis il se met à lui courir après de façon irrépressible.
Le film est drôle, très drôle, et on a le plaisir de voir Laurel et Hardy vraiment jouer ensemble, mais leur complicité manque encore quand même. De plus, Hardy, en bourgeois satisfait tout à coup confronté à un impossible défi au bon goût en la personne d’un Ecossais priapique dont le caleçon ne tient pas toujours, joue plus dans le style de l’embarras cher à Charley Chase que dans son registre personnel. Quant à Laurel, naïf et doux, enfantin même (C’est quasiment dit, d’ailleurs, il est souvent présenté comme un jeune homme, et la filiation fait de lui une personne d’une autre génération qu’Hardy) il est quand même un être sexué, terrestre, ce que ne sera jamais le Laurel que nous connaissons. Pas de raisons pour autant pour bouder le plaisir primal qu'on prend à visionner ce film, tourné pour une large part dans d'authentiques rues de Los Angeles, et pour lequel Bruckman a tout bonnement profité de la foule qui s'amassait sur les lieux de prises de vues pour filmer d'authentiques réactions à "Philip" et son kilt récalcitrant...
Voilà un film qu'on aimerait découvrir comme la première fois, avec toutes ses merveilles, sa construction parfaite, sa production certes dispendieuse mais dont l'effet se voit sur l'écran: bref, un chef d'oeuvre. Non seulement d'un metteur en scène, mais plus, d'un genre: je pense sincèrement que cette comédie supplante toutes les autres. Et pour bien des gens, si on en croit le Top 10 établi sur le site Silent Era.com, c'est tout bonnement leur film muet favori, devant Metropolis, Sunrise et City lights... (http://www.silentera.com/) Et bien sur, comme il se doit, au moment de sa sortie, ce film a été un flop.
The general, ça nous rappelle bien sur The Navigator: adepte de titres courts et directs, Keaton était aussi un passionné de systèmes mécaniques, et par là-même de véhicules. On a bien sur vu cette petite manie à l'oeuvre dans ses courts, mais ses longs métrages se sont signalés par leur degré de sérieux, du moins en matières de mécanique: aussi bien Our hospitality que The Navigator voient Keaton utiliser des machines pré-existantes ou reconstruites avec le sceau de l'authenticité. The General ne fera pas exception à la règle, mais Keaton ne limite pas cet aspect à sa locomotive dans ce film à la reconstruction scrupuleuse...
Johnnie Gray, conducteur de locomotives, habite à Marietta, Georgie, au moment de la cannonade sur Fort Sumter, la provocation du Nord pour pousser les Etats du Sud à leur déclarer la guerre. Il se doit, pour conserver l'estime de sa petite amie (Marion Mack) et de sa famille, de s'engager. Seulement son métier le rend plus utile en civil, et il ne peut donc pas devenir soldat, passant ainsi pour un lâche. Mais un événement va survenir, qui va tout changer: une dizaine d'espions Nordistes s'introduisent à Marietta et lui volent sa locomotive... avec sa fiancée dedans. Le sang de Johnnie ne fait qu'un tour, et il se lance dans une épopée personnelle, afin de récupérer le tout, seul contre l'armée Nordiste.
La ville de Marietta, les paysages de sous-bois dans lesquels la locomotive avance, mais aussi le pont de Rock River, tout le film possède une qualité de reconstitution franchement rare dans le cinéma muet. Et Keaton pousse le vice jusqu'à imposer des coiffures authentiques (Il suffit de comparer avec par exemple Gone with the wind, et avec les photos d'époque pour s'en convaincre), et une certaine tendance scrupuleuse au niveau vestimentaire, pas seulement pour les robes de ces dames. La belle tenue visuelle s'accompagne de deux autres exigences: d'une part, à l'instar de cet officier Nordiste qui s'aventure à Marietta, après avoir étudié les lignes de chemin de fer qu'il connait désormais comme sa poche, Keaton va nous conter son périple ferroviaire avec une incroyable lisibilité, détaillant la poursuite en utilisant le montage et la variété des plans pour montrer au public la géographie particulière dans laquelle il évolue. D'autre part, il va faire en sorte de demander à ses chefs-opérateurs (Au nombre de trois: J. Devereaux Jennings, Bert Haines et Elmer Ellsworth) et à son éclairagiste Denver Harmon un travail particulièrement pointu sur la lumière, et le résultat est splendide: les scènes durant lesquelles Johnnie Gray délivre sa belle, situées la nuit et en plein orage, sont superbes. Et une scène de sous bois, magnifiquement éclairé pendant la bataille, est du plus bel effet. Tout dans ce film est beau à voir...
Et puis il y a l'incident de Rock River Bridge, bien sur, amené avec un savoir-faire impressionnant par le cinéaste: les deux héros rentrent chez eux, en locomotive, poursuivis par deux trains Nordistes, et alors que les troupes de L'union se déplacent en masse vers Marietta. Le dernier rempart: un pont, sur une rivière domptée par un barrage. Après leur passage, Keaton et Mack incendient le pont, qui ne tient plus qu'à un fil. Les soldats du Nord continuent à affluer, augmentant le suspense. Les deux jeunes gens arrivent à temps en ville, préviennent les gens, et les soldats du Sud se précipitent vers la rivière. A ce moment, la cavalerie et l'infanterie Nordiste commencent leur traversée par un gué, pendant qu'une locomotive s'engage sur le pont... qui cède, le tout dans un plan hallucinant et non truqué. par la suite, cerise sur le gâteau, un obus tombera sur le barrage et achèvera de semer la pagaille dans les troupes nordistes. Il faut le voir pour le croire, ces plans sont toujours aussi efficaces...
Au sujet de ce film, on peut s'interroger bien sur sur les sympathies Sudistes de Keaton, mais elles sont romantiques avant tout. Dans ce film, ce n'est pas le Sud Esclavagiste qui est représenté, c'est le sud souverain attaqué par le Nord: la principale motivation de la guerre pour bien des Sudistes fut le respect de l'état, et Keaton ne dira pas autre chose, revenant au folklore Sudiste dans l'hilarante pièce de théâtre représentée dans Spite Marriage en 1929. On retrouve des traces de cette sympathie sudiste chez Walsh, qui se fait un honneur de jouer John Wilkes Booth, l'assassin de Lincoln, dans Birth of a nation, ou représente avec Band of angels un Sud humaniste qui laisse une chance à ses esclaves; on les retrouve aussi chez Ford, sans parler bien sur de Gone with the wind...
L'auteur? Keaton, bien sûr. il est temps de reparler de ce serpent de mer: qui est le véritable auteur des films avec Keaton réalisés entre 1920 et 1929? Certains, la plupart en fait, sont crédités à Keaton "et...", que ce soit Eddie Cline (Soit un collaborateur sous contrat en même temps qu'un collègue proche) ou Donald crisp (Un metteur en scène free-lance recruté pour l'occasion); d'autres sont bien sur crédités à Keaton seul, d'autres enfin sont crédités à d'autres metteurs en scène, sans aucune mention de Keaton. Mais l'unité derrière ces films, la volonté derrière ces oeuvres, ne font aucun doute. on y reviendra, puisque après l'insuccès de ce film, Joe Schenck demandera prudemment à Buster de renoncer à son crédit à l'avenir, afin de ne pas effaroucher leurs nouveaux commanditaires, qui craignent que les dépenses délirantes comparables à celles engagées sur The General ne pèsent de nouveau sur le budget. Keaton obéira, mais il en ira des quatre films suivants comme de celui-ci: qui oserait imaginer que tout le luxe génial et la qualité de la reconstitution de ce film puissent incomber à Clyde Bruckman? Le metteur en scène, gagman génial et bientôt employé chez Hal Roach, n'est ici que l'assistant de Keaton, point final.
Voilà, le film le plus beau de son auteur, l'une des fictions les plus belles sur la guerre de sécession, une comédie exceptionnelle, un sommet de suspense et de dynamisme, The General est tout cela et bien plus. Un film auquel il faut succomber, se laisser aller dans son fauteuil, et rire, vibrer et s'émouvoir devant les belles images qui nous sont montrées. Dans une salle, si possible, en compagnie d'autres, dont certains voient le film pour la première fois: les veinards!
La découverte d'un nouveau pan de l'héritage de Hal Roach est toujours excitante, d'abord parce que le studio où s'illustrèrent Harold Lloyd, Charley Chase, Our gang, et bien sur Laurel & Hardy a su installer sur les écrans une tradition de qualité rare en matière de comédie, et aussi parce que le petit monde des acteurs qui s'y égayaient, qu'ils soient de premier plan ou second rôle, est toujours une source de plaisir. Avec la parution chez Edition Filmmuseum de ces deux DVD, on a un intérêt supplémentaire: contrairement à Charley Chase ou Harold Lloyd, ou bien sûr Laurel & Hardy, les comédies de Max Davidson, à deux exceptions près, sont bannies des formats numériques, et ce n'est probablement pas demain la veille qu'une parution Américaine aura lieu. La raison? Ces films qui eurent un grand succès à l'époque de leur sortie concernent un humour basé sur la représentation de stéréotypes qu'on considérerait comme raciaux aujourd'hui (Bien qu'ils soient culturels et non basés sur une idée de "race", ce qui est d'ailleurs toujours une source de bêtise). La série a été abandonnée en 1929 précisément pour cette raison...
Max Davidson, né à Berlin en 1875, vient au cinéma au début des années 10, et va se spécialiser dans des petits rôles, dont un voisin de Mae marsh dans Intolerance (1916) de Griffith! le succès de la pièce Abie's Irish rose lui permet de trouver un rôle dans l'une des troupes qui sillonnent les Etats-Unis pour y représenter la comédie. Cette histoire de famille Juive qui doit accepter la venue d'une fiancée Irlandaise est à la base d'un courant 'ethnique' de la comédie Américaine, qui met en scène des familles antagonistes Irlandaises et juives, vues souvent du point de vue des Juifs: The Cohen and the Kellys est une série de courts produite par Universal en 1925. Davidson fait alors son entrée au royaume des seconds rôles de luxe, dès 1922. Un coup d'oeil sur les noms des personnages qu'il interprète ne laisse aucune ambiguité: Abe Rosenstein, Solomon Levinsky, Moe Ginsberg... l'acteur impose une silhouette en dépit ou peut-être à cause de sa petite taille, et va introduire à l'écran un paquet de maniérismes et de tics observés durant sa jeunesse. Il joue à merveille le père Juif comique sur lequel le ciel tombe à chaque coin de rue. C'est à ce titre qu'il interprète, chez Hal Roach, aux cotés de Charley Chase un second rôle dans Long fliv the King, de Leo McCarey. Il y joue non seulement aux cotés de Chase, mais il y partage aussi l'affiche avec Martha Sleeper, qu'il retrouvera bientôt. Roach se lance dans l'aventure de la comédie ethnique lui aussi, avec Leo McCarey pour lancer la série, et les deux hommes produisent vite 5 films de court métrage avec Max Davidson en vedette, dans un contexte familial qui sied tant au studio. Devant le succès, Roach rempile pour une autre série, vue d'un bon oeil par la MGM qui va désormais distribuer les films du petit studio. Mais en 1929, après un film parlant, la série est arrêtée: le succès est au rendez-vous, il n'y a eu aucune plainte en rapport avec le coté ethnique des films, mais la MGM a peur que le parlant n'accentue la caricature; de plus, on sait que les dirigeants de studio, s'ils viennent pour beaucoup de l'immigration des Juifs d'Europe centrale, ont eu à coeur d'étouffer cet aspect de leur histoire en vue de s'assimiler; ils ne souhaitent pas continuer à voir sur l'écran un reflet de ce qu'ils étaient avant, à savoir un acteur qui joue un Juif immigré de fraîche date qui se trouve confronté à l'Américanisation de ses enfants, et reste sur la défensive, freinant in fine toute assimilation. La série est finie, et la carrière de star de Davidson, décidément trop typé pour Hollywood, aussi.
On ne jugera pas ces films de la même manière qu'on parlerait de courts métrages de Laurel, avec ou sans Hardy, de Chase, de Chaplin ou de Keaton: tous ces gens sont les auteurs complets de leurs films, un atout qu'ils ont pris le temps de conquérir: on n'en laissera pas le temps à Max Davidson, qui est aujourd'hui non seulement oublié, mais aussi invisible, honteux, alors que ses films sont le résultat du travail des meilleures équipes de comédie de court métrage de leur époque, avec le concours des réalisateurs Leo McCarey, Fred Guiol, Hal yates, Clyde Bruckman, et d'autres; du chef-opérateur George Stevens, des scénaristes Roach et McCarey (oui!) parfois assistés par Laurel (oui aussi!!), avec les acteurs Davidson, mais aussi sa Nemesis, en fait son fils souvent incarné par le jeune Spec O'Donnell, ou encore la grande Martha Sleeper, voire Viola richard, ou encore selon les films les acteurs Edgar Kennedy, Oliver Hardy, James Finlayson, Leo Willis ou Noah Young.
Le jeu de Davidson, stéréotypé en effet, n'est pourtant pas à mes yeux une source de délire antisémite. Au contraire, le personnage est souvent à la base de quiproquos et d'embarras, mais le Judaïsme des protagonistes n'y est qu'une couleur locale, une coloration culturelle. L'historien Paolo Cherchi Usai ne s'y est pas trompé, qui a vu en Davidson un cas rare: "Le fait que ses films parodient les particularités ethniques sans le moindre soupçon de racisme est ce qui confère de la grandeur à Davidson", dit-il, cité dans l'essai de Richard Bann qui est inclus dans le beau livret exhaustif qui accompagne les DVD.
Seules 12 comédies ont survécu sur les 19, et certaines dans des fragments à peine exploitables. c'est à porter au crédit des compilateurs d'avoir pris le parti de restaurer toutes les images qui bougent d'une part (Ainsi l'un des films, réduit à à peine une minute, est-il l'objet d'une reconstitution sous forme de montage de photos dans lequel on a glissé en continuité les deux passages de film qui subsistent: Love'em and feed'em.), et d'avoir donné à voir pour tous les films un dossier sur DVD-Rom, de documentation, images, scripts, qui permet un accès à tout ce qui subsiste de certains films perdus. Un travail éditorial exemplaire, complété par un livret avec des essais très pertinents... Le tout, en Anglais et en allemand; il ne faut pas rêver... Les films sont en Anglais (intertitres) avec des sous-titres Allemands optionnels.
Why girls say no (Leo McCarey, 1927)
Le premier film est une sorte d'exposition pour un grand nombre des courts qui suivront: Davidson se soucie du fait que sa fille ait été chercher un jeune homme qui a l'air plus Irlandais qu'autre chose (C'est Creighton Hale). On remarque Oliver Hardy dans un rôle de policier soupçonneux, qui se trouve face à son pire ennemi: le trou d'eau d'1m50 situé à un coin de rue dans le studio Roach.
Jewish Prudence (Leo McCarey, 1927)
L'un des deux films qui a été publié, récemment, sur le 21e volume de la collection Laurel & Hardy en Grande-Bretagne: Laurel en est le scénariste. Un film tout à fait solide, avec à nouveau un mariage en vue pour la fille de Max (Martha Sleeper), cette fois à un avocat. Problème: l'avocat en question doit défendre des clients CONTRE Max...
Don't tell everything (Leo McCarey, 1927)
Celui-ci est hallucinant: au moment de faire sa cour à une riche héritière, Max cache à cette dernière l'existence de son fils (Spec O'Donnell). celui-ci n'a d'autre moyen pour vivre aux coté de son père que de se faire passer pour... la bonne! La supercherie ira assez loin dans le graveleux. On notera l'apparition de James Finlayson...
Should second husbands come first? (Leo McCarey, 1927)
Max est le choix d'une veuve pour se remarier; lorsqu'ils le voient, les deux fils de la dame décident de le dissuader et se livrent à tout un tas de stupidités. Très drôle, et un dispositif (Une personne qui assiste éberlué à des gens qui se livrent à des excentricités absurdes pour son seul bénéfice) qui resservira...
Flaming fathers (Leo McCarey, 1927)
Petit tour à la plage, avec Max qui surveille de près sa fille (Martha Sleeper) qui est avec son fiancé... Le policier local, joué par Tiny Sanford, aura beaucoup de mal à passer une après-midi tranquille tant il est impossible pour Max Davidson d'aller à la plage sans devenir une attraction...
Call of the cuckoos (Clyde Bruckman, 1927)
Celui-ci est connu, puisque les invités de luxe ont pour nom Laurel, Hardy, Chase, ou encore Finlayson: Davidson souhaite vendre sa maison, à cause des abominables voisins qui se livrent en permanence à des excentricités insupportables (Les comiques Roach improvisent des bêtises devant la caméra). Il trouve un client, qui vient avec une affaire: il échange sa maison contre celle de Max. ce que ce dernier ne sait pas, c'est que la maison ou ils vont est encore plus invivable que celle de Buster Keaton dans One week... le film est bon, et possède la plus magnifique des introductions pour le personnage du fils de Max,interprété comme si souvent par O'Donnell: Love's greatest mistake: la plus grande erreur de l'amour...
Love 'em and feed 'em (Clyde Bruckman, Hal Roach, 1927)
Hardy et Davidson cherchent de l'or et font fortune, ils mènent ensuite la grande vie dans un palace, et vont se trouver à la base d'une séquence de tartes à la crème que je donnerais cher pour voir: elle a été perdue, comme 95% du film... Quelques mètres de pellicule nous présentent l'interaction entre Max et Martha Sleeper en dactylo pincée, donc c'est déjà ça...
Pass the gravy (Fred Guiol, 1928)
Chef d'oeuvre: ce film est hilarant. Max est le voisin d'un irascible éleveur de poules, qui exhibe son coq de concours à tout le monde. Ils passent leur temps à se chamailler, mais la fille de Max (Martha Sleeper) et le fils de Schultz, le voisin (Gene Morgan) viennent de se fiancer, et pour fêter ça, Max demande à Spec de lui ramener un poulet... devinez lequel. Une situation, un décor, cinq personnages, et un poulet fumant, une mine d'or pour gags géniaux. J'ai l'air d'être très enthousiaste à l'égard de Martha Sleeper, ancienne partenaire de Charley Chase: ce film me donne raison. Elle imite la poule à la perfection, et paie de sa personne en permanence.
Dumb daddies (Hal Yates, 1928)
Max surprend une répétition de pièce de théatre criminelle entre Spec et Viola Richard, sans savoir qu'il s'agit de théâtre, et croit être témoin d'un crime... Un rôle en or pour Edgar Kennedy, en policier dépassé par les événements. La moitié de la première bobine a disparu.
Came the dawn (Arch Heath, 1928)
Max, Polly Moran, Gene Morgan leur fils et Viola richard leur fille passent une nuit d'halloween agitée dans leur nouvelle maison, dont ils viennent d'apprendre qu'un meurtre y a été commis. Un sujet facile, auquel se sont livrés presque tous les comiques de l'époque. Difficile de juger, il n'en reste que des fragments disjoints.
The boy friend (Fred Guiol, 1928)
Parce que sa fille (Marion Byron) a rencontré un inconnu avec lequel elle s'est tout de suite trouvé des affinités, Max et Mme vont essayer de faire fuir le jeune homme en se livrant à la même routine que les deux gamins de Should second husbands come first?.
Hurdy Gurdy (Hal Roach, 1929)
Comme tous les premiers films parlants de l'écurie Roach, un film qui y va prudemment, et qui transforme relativement bien l'essai. cette histoire de petit mystère (pourquoi Thelma Todd a-t-elle besoin de tant de pains de glace, que cache-t-elle?) entre voisins pendant une canicule vaut surtout pour son melting pot: accents et particularismes se mélangent joyeusement. Max Davidson n'y est qu'un des acteurs, ce n'est pas un film qui le mette particulièrement en vedette.
The itching hour (Lewis Foster, 1931)
Jouant les faire-valoir pour Louise Fazenda, Max y apparaît aux cotés de Spec O'Donnell, mais cette histoire d'hôtel hanté fait plus bailler qu'autre chose. Des gags toutefois rappellent que l'équipe de ce court métrage RKO a vu les films de Davidson, et sinon on y aperçoit le grand Lon Poff, silhouette inquiétante dans de nombreux films des années 20, dont Greed.
Voilà:il convient d'ajouter à destination des des Anglophobes et des Anglodicapés que les films sont en Anglais, et les seuls sous-titres en Allemand. En tout cas, pour ma part, c'est une découverte essentielle, et un pur bonheur. Quant à l'embarras suscité par le coté marqué et stéréotypé, je rappelle qu'on trouve des DVD de Birth of a nation à tous les coins de rue, donc ce ne devrait pas être un problème; et d'ailleurs, contrairement à Griffith, Davidson, McCarey et Roach ne prêchent pas la haine, mais ils sont des messagers du gag.